SCÈNE II. Fulvie, Junie.
FULVIE.
Madame.
JUNIE.
Quoi Fulvie ? Et d'où vient cette joie.
FULVIE.
De celle qui vous touche et qu'un Dieu vous envoie.
JUNIE.
La déplorable Rome est-elle en liberté ?
Ou l'illustre Scévole est-il ressuscité ?
FULVIE.
Au moins il est au camp.
JUNIE.
Dans le camp de Porsenne ?
Il est donc prisonnier.
FULVIE.
Il est libre et sans peine.
JUNIE.
Tu penses l'avoir vu, tes yeux étaient voilés.
FULVIE.
Madame, je l'ai vu, nous nous sommes parlés.
Note: On dit "nous nous sommes parlé", mais à l'époque l'accord était autorisé.Mais comme il vous croyait dans le sein d'un asile
À l'abri des malheurs qui menacent la ville,
Ayant par mon discours appris votre malheur
J'ai presque aussitôt vu sa mort que sa douleur.
JUNIE.
Mais où l'as-tu trouvé ?
FULVIE.
Sur un chemin qui mène
D'un rivage du Tibre au quartier de Porsenne.
JUNIE.
Et quel est le discours que Scévole a tenu ?
FULVIE.
Ayant su le malheur qui vous est advenu
Dieux, s'est-il écrié, dont j'attends un miracle,
Devez-vous à ma course opposer cet obstacle ?
JUNIE.
Explique ce discours qui semble le choquer.
FULVIE.
Si je ne l'entends pas, pourrais-je l'expliquer ?
Au reste il est armé non pas à la Romaine,
Mais comme sont armés les soldats de Porsenne.
JUNIE.
Et pourquoi ?
FULVIE.
Sa réponse est contre sa vertu,
Pour nous sauver Fulvie, a-t-il dit.
JUNIE.
Que dis-tu ?
FULVIE.
Ce que je ne crois pas.
JUNIE.
Pour se sauver Fulvie !
Pour dérober à Rome et son sang et sa vie !
Ôte, ôte-moi du coeur ces sentiments douteux,
Achève, ou ne dis rien si le reste est honteux.
FULVIE.
Quelques gens aperçus sur le même passage
Nous ont ôté le temps de parler davantage.
Nous nous sommes quittés tous deux pleins de souci,
Mais son chemin je crois s'adresse par ici.
JUNIE.
Pour se sauver, dis-tu ? Tu n'as point vu Scévole,
Son courage dément cette lâche parole.
Scévole se serait déguisé lâchement,
Il se voudrait devoir à ce déguisement,
Il se voudrait cacher, lui que l'honneur éclaire,
À l'ombre du bouclier de son propre adversaire.
Tu n'as vu qu'un Démon de sa forme vêtu,
Qui tâche après sa mort d'étouffer sa vertu.
Ô vertu de Scévole aux Romains si connue,
Viens comme un beau soleil dissiper cette nue :
Reviens, reviens Scévole, ou si quelque Démon
Te fait servir toi-même à diffamer ton nom,
Rentre dans le cercueil où je viens de te croire.
Il vaut mieux te pleurer, que de pleurer ta gloire,
Aussi bien es-tu mort et pour Rome et pour moi
Si quelque lâcheté te fait vivre pour toi :
Aussi bien désormais.
SCÈNE III. Fulvie, Junie, Scévole.
FULVIE.
Mais le voici, Madame.
JUNIE.
Vous trompez-vous mes yeux, vous trompez-vous mon âme ?
SCÉVOLE.
Est-ce vous que je vois ?
JUNIE.
Mais plutôt est-ce toi,
Ou quelque illusion qui se présente à moi ?
Je ne connais point sous ces honteuses armes
Qui loin de m'assurer me donnent des alarmes.
SCÉVOLE.
Ô Dieux qui m'inspirez un si puissant effort,
Fallait-il m'opposer un obstacle si fort.
JUNIE.
Crains-tu que je t'arrête ?
SCÉVOLE.
Oui je crains ta présence.
JUNIE.
Dieux vient-il confirmer une indigne croyance ?
SCÉVOLE.
Que dites-vous Junie, et sur quels fondements
Pourriez-vous appuyer d'indignes sentiments ?
JUNIE.
Que direz-vous Scévole, et quelle noble excuse
Pourra justifier ces armes que j'accuse.
SCÉVOLE.
Une illustre action qui mérite un autel,
Qui rendra Rome libre et Scévole immortel.
Je marche maintenant sur les pas de ton père.
Son courage est partout le flambeau qui m'éclaire ;
Mais sa fille est ici comme l'empêchement
Qui semble retarder un grand événement.
JUNIE.
Moi, moi l'empêchement d'une noble aventure ?
Tu me blesses Scévole, et me fait une injure.
Vas-tu dans le péril ? J'y conduirai tes pas,
Vas-tu faire un grand coup ? Je pousserai ton bras :
Mais enfin m'aimes-tu ? Veux-tu le faire croire ?
Fais-moi part d'un danger qui conduit à la gloire.
SCÉVOLE.
Hélas ! Je tente un coup qui me signalera :
Mais peut-être ton sang, ton sang le payera.
JUNIE.
Hé bien, me plaindrais-tu de payer de ma vie
Un acte digne ensemble et de gloire et d'envie ?
Quoi, le sang d'une fille est à ton jugement
D'une illustre action un trop beau payement ?
Si de ce sentiment ton esprit est capable,
Tu ne sais pas le prix d'un acte mémorable.
Parle donc.
SCÉVOLE.
Mais Fulvie, allez voir si ces lieux
N'ont point pour nous surprendre ou d'oreilles ou d'yeux.
JUNIE.
Allez : mais cependant ne crains point de surprise,
On respecte ce lieu comme un lieu de franchise,
Il n'est point d'yeux au camp qui veille dessus moi,
Je suis libre en prison, et ma garde est ma foi,
C'est l'adoucissement qui se trouve en ma peine,
Et c'est une faveur que je dois à Porsenne.
SCÉVOLE.
À Porsenne ?
JUNIE.
À ce roi l'honneur des souverains
Qui mérite en un mot d'être ami des Romains.
Quoi Scévole s'étonne ! Et trouve-t-il étrange
Qu'un louable ennemi reçoive une louange ?
SCÉVOLE.
Si tu peux le louer ainsi que ton appui
Souffriras-tu le bras qui s'arme contre lui ?
Je viens enfin de creuser le tombeau de Porsenne
Comme le fondement de la grandeur Romaine.
Juge si ce grand coup doit te mettre en danger.
JUNIE.
Il m'étonne Scévole, et tu dois le juger,
Non pas que j'appréhende une mort effroyable
Si celle de Porsenne à Rome est profitable ;
Mais je veux que ton bras achève tes desseins
Crois-tu que cette mort soit utile aux Romains,
Et ne juges-tu pas qu'au lieu de les défendre
Mille vengeurs d'un Roi renaîtront de sa cendre ?
SCÉVOLE.
S'il renaît de son sang mille monstres fameux
Rome reproduira mille Hercules contre eux.
JUNIE.
Rome est-elle réduite à ce malheur extrême,
Qu'il lui faille tenter un remède de même ?
SCÉVOLE.
Il faut ou que demain soit la fin de ses jours,
Ou bien qu'elle reçoive aujourd'hui du secours.
Tarquin ne combat plus pour une ville entière,
Il combat seulement pour un grand cimetière,
Tant le destin de Rome est triste et malheureux !
La famine y produit tout ce qu'elle a d'affreux,
Il n'est rien de funeste en toute la Nature
Que la nécessité n'y change en nourriture :
Bref le peuple de Rome emploie à se nourrir
Tout ce qui peut aider à le faire mourir.
Aussi voit-on partout des images tragiques
Et de malheurs publics et de maux domestiques.
Là le fils chancelant de faiblesse et d'ennui
Mettant son Père en terre y tombe avec lui ;
Ici l'enfant se meurt d'une mort triste et lente
Sur le sein épuisé de sa mère mourante,
Et la mère qui voit ce spectacle inhumain
Se meurt en même temps de douleur et de faim.
Enfin on voit partout la mort en son image
Chacun la porte au coeur ou dessus son visage,
Et telle est ta patrie en cette extrémité
Qu'elle semble un séjour de spectres habité :
Mais cette extrémité féconde en tant de peine
Est encore au dessous de la vertu Romaine,
Même le peuple souffre avecques fermeté,
Il veut le monument ou bien la liberté.
Chacun sollicité d'une noble colère
Semble avoir hérité des vertus de ton Père,
Et veut montrer que Rome au défaut d'autres biens
N'a pas moins de Héros qu'elle a de Citoyens.
On a vu des Vieillards languissants et débiles
Et que l'âge a rendus à la guerre inutiles
On les a vu poussés d'un vif ressentiment
Aux plus jeunes guerriers s'offrir pour aliment
Comme s'ils espéraient changes en leur substance
Être encore de Rome et l'âme et la défense.
JUNIE.
Ô grands coeurs ! Mais hélas sans espoir d'aucun bien
Tu te mets en danger, et tu n'avances rien.
SCÉVOLE.
Mais nous en tirerons tous deux de l'avantage,
Moi de mourir pour Rome en homme de courage,
Et toi de ne voir plus un amant obstiné
Que cent fois à la mort tes yeux ont condamné.
Si je n'ai pu gagner ton amour poursuivie
Par les plus beaux travaux qui signalent ma vie,
Laisse-moi comme en proie à des maux inouïs
Mériter par ma mort l'amour de mon pays.
JUNIE.
Hélas !
SCÉVOLE.
Plains-tu Porsenne ?
JUNIE.
Ah Scévole ! Ah Junie
L'as-tu donc retrouvé s'il va perdre la vie ?
SCÉVOLE.
Quoi ? La fille de Brute oubliera sa vertu.
Et pour notre adversaire elle aura combattu !
Si Porsenne autrefois témoigna que son Âme
Brûlait en la fureur d'une amoureuse flamme,
Réponds à mes soupçons, croirai-je qu'aujourd'hui
Pour garder son amour tu me combats pour lui.
Veux-tu donc l'épargner pour gagner la couronne
Par qui sa passion marchande ta personne,
Et que ton coeur illustre en ses nobles rigueurs
Rejeta comme un bien qui corrompt les grands coeurs.
Depuis quand préférer ce vain titre de Reine
Aux titres adorés de libre et de romaine ?
Un ennemi régnant aura donc des appas
Que Rome, que les tiens, que ton pays n'a pas !
JUNIE.
Enfin par ce discours justement offensée
Je croirais que l'ardeur dont ton âme est poussée
Et que ce grand dessein pour toi si dangereux
Sort d'un esprit jaloux plutôt que généreux.
Mais s'il a des succès, n'importe à la patrie
Qu'il soit de ton courage ou bien de ta furie.
SCÉVOLE.
Oui je t'aime, il est vrai ; mais ne présume pas
Qu'un caprice d'amour conduise ici mes pas.
Sache donc que voyant la ville menacée
Et dedans et dehors également pressée,
Je conçus dans mon coeur pour Rome inquiété
Le dessein de ma mort ou de sa liberté.
Mais afin d'empêcher que la haine ou l'envie
N'obscurcît de ses traits la splendeur de ma vie,
Je vais droit au Sénat que je trouve assemblé
Pour soulager les maux dont le peuple est troublé,
Je demande à parler, je dis mon entreprise,
On l'écoute, elle plaît, le Sénat l'autorise,
Et pour trouver moyen sur l'heure et sur le champ
Et de sortir de Rome, et d'entrer dans ce camp,
On résout la sortie où le fameux Horace
Vient d'effacer l'éclat des Héros de sa race.
Ainsi favorisé de ce déguisement
Parmi les ennemis j'ai passé sûrement,
Et j'emprunte leur forme, afin d'aller sans peine
Et sans être connu jusqu'au coeur de Porsenne.
Est-ce donc à ton gré marcher en furieux
Que de suivre la loi d'un Sénat glorieux ?
Si tu veux condamner cette grande entreprise,
Ne condamnes-tu pas Rome qui l'autorise ?
JUNIE.
Mais enfin réponds-moi, quel est ici ton but ?
SCÉVOLE.
Je cherche des Romains la gloire et le salut.
JUNIE.
Si l'on peut obtenir un si grand avantage
Sans que notre bonheur cause un si grand carnage,
Le Sénat aurait-il tant d'inhumanité,
Qu'un Laurier lui déplût s'il n'est ensanglanté ?
Et toi-même Scévole es-tu si sanguinaire,
Que tu veuilles sans fruit le sang d'un adversaire ?
SCÉVOLE.
Non Junie, et mon sang coulerait par mes mains,
Si mon sang suffisait pour sauver les Romains.
JUNIE.
Laisse donc devant toi combattre ma parole
Contre un Roi si puissant, pour Rome, pour Scévole.
Tu mérites du moins par un destin si grand
Qu'on tâche à te sauver du péril qui t'attend,
Et le bon traitement que je dois à Porsenne
Veut qu'au moins d'un moment je recule sa peine.
Lorsque j'aurai tâché de détourner sa mort,
Au moins pour m'acquitter j'aurai fait un effort.
Bref si de mes conseils ce prince ne profite
Il ne tiendra qu'à lui que je n'aie été quitte,
Et ton bras qui conduit la gloire et le hasard
N'en aura triomphé que d'un moment plus tard.
SCÉVOLE.
Te laisses-tu charmer par de vaines caresses ?
Redoute un ennemi qui te fait des largesses.
Ce qu'on doit au pays nous acquitte de tout,
Et Rome tombera si Porsenne est debout.
JUNIE.
Mais je la soutiendrai peut-être par lui-même.
Si ce Prince m'aime, s'il témoigne qu'il m'aime,
Note: Cas très rare où, dans un alexandrin, une syllabe muette est à la césure.Pourquoi pour le pays ne souffrirai-je pas
Cet amour qu'il reçut de mes faibles appas ?
Si j'ai quelques attraits, réponds-moi je te prie,
Peuvent-ils mieux servir qu'à servir la Patrie !
Diffère donc l'effet qu'on attend de tes coups,
Ou je te crois barbare, ou je te crois jaloux,
Ou je prends ta vertu pour une frénésie
Qu'inspire à ton esprit la seule jalousie.
SCÉVOLE.
Quoi, tu veux retarder ma gloire ?
JUNIE.
Je le veux.
SCÉVOLE.
Que ce mot est puissant sur un coeur amoureux !
Hé bien pour t'obéir j'exposerai ma gloire,
Mais quoi, que feras-tu ?
JUNIE.
J'obtiendrai la victoire.
FULVIE.
On vient, retirez-vous.
JUNIE.
Va, détourne tes pas.
Je tâche à le sauver, Dieux n'y résistez pas !
SCÈNE IV. Porsenne, Tarquin, et leur suite.
TARQUIN.
Quoi ? Vous vous étonnez ?
PORSENNE.
Oui certes je m'étonne
Des présages affreux que la victime donne.
On ne perd pas les noms de grand, de glorieux
Pour prendre l'épouvante aux menaces des Dieux.
TARQUIN.
Quoi, vous vous étonnez ? Cette âme grande et forte
Craint un présage vain, crains une bête morte.
PORSENNE.
Quoi, vous ne craignez pas, et toutefois c'est vous
Que menacent du Ciel la haine et le courroux.
Jamais un sacrifice effroyable et funeste
Ne représenta mieux la colère céleste,
Et malgré ces amis qui vous viennent d'en haut
Vous voulez sans raison hasarder trois assauts.
TARQUIN.
Que les Dieux à leur gré gouvernent le tonnerre,
Et qu'ils laissent aux Rois à gouverner la terre,
La vaillance, la force, un esprit généreux
Change un triste présage en un présage heureux.
Donc vous vous figurez qu'une bête assommée
Tienne notre fortune en son ventre enfermée,
Et que des animaux les sales intestins
Soient un temple adorable où parlent les destins.
Ces superstitions et tout ce grand mystère
Sont propres seulement à tromper le vulgaire ;
C'est par là qu'on le pousse, ou qu'on retient ses pas
Selon qu'il est utile au bien des potentats.
Mais les rois méprisant ces pleurs et ces bassesses
Doivent être au-dessus de toutes ces faiblesses.
Ils ont des bons succès les présages en eux
Selon qu'ils sont puissants, ou qu'ils sont courageux.
PORSENNE.
Ha Tarquin, ce discours fait aux Dieux un outrage
Et des maux que je crains c'est un fameux présage !
TARQUIN.
Si ces Dieux que l'on craint aident des révoltés,
Sont-ils nos protecteurs et des divinités ?
Quand leurs présages vains favorisent les crimes
Quand ils jettent à bas des Trônes légitimes,
Ces Idoles, ces Dieux, ces abus des mortels
Ne nous montrent-ils pas à rompre leurs autels ?
PORSENNE.
C'est trop, c'est trop Tarquin.
TARQUIN.
Si c'était trop Porsenne,
Peut-être que déjà j'en souffrirais la peine.
PORSENNE.
Et peut-être aujourd'hui que vos calamités
Montrent à l'Univers que vous la ressentez.
TARQUIN.
Vous êtes trop pieux pour un Roi magnanime.
PORSENNE.
Et vous l'êtes trop peu pour un Roi qu'on opprime.
TARQUIN.
Quoi qu'ordonnent ces Dieux, le Destin ou le Sort
Il est temps de trouver ou le Trône ou la mort.
C'est trop sacrifier ; pour gagner des conquêtes
Il faut du sang humain et non celui des bêtes.
Enfin de tous ces Dieux que se font les mortels
À la victoire seule un Roi doit des autels.
Mais pour favoriser nos sueurs et nos peines
Elle exige de nous des victimes humaines,
Et l'autel qu'elle veut des Princes fortunés
C'est un champ de bataille, et des Mars ruinés.
Allons donc noblement achever un ouvrage
Dont la fin ne dépend que d'un peu de courage.
PORSENNE.
J'attends l'occasion qui doit tout avancer.
TARQUIN.
Attendez-vous qu'un Dieu vous la vienne annoncer ?
Hé quoi ? N'est-il pas temps pour vaincre en assurance
D'attaquer l'ennemi quand il est sans défense ?
PORSENNE.
Non, non, il n'est pas temps de donner des combats
Quand les Dieux opposés nous retiennent le bras.
TARQUIN.
Quoi donc toujours les Dieux ! Ces Dieux que l'on m'oppose
Sont de belles couleurs qui cachent autre chose.
Junie est dans votre âme, on ne l'en peut chasser
Et c'est l'unique Dieu que l'on craint d'offenser.
PORSENNE.
Je ne m'étonne pas en l'état où nous sommes
Qu'ayant choqué les Dieux vous attaquiez les hommes.
TARQUIN.
Je ne m'étonne pas qu'un véritable Amant
Immole son honneur à son contentement.
En faveur d'une fille à ses yeux adorable
Il peut bien délivrer tout un peuple coupable :
Mais je m'étonne enfin qu'un Prince glorieux
Fasse aux dépens d'autrui des dons si précieux.
PORSENNE.
Vous reconnaissez mal nos travaux et nos peines.
TARQUIN.
Je ne dois rien encore à des faveurs si vaines.
PORSENNE.
Et par ce sentiment vous nous faites bien voir
Que votre coeur trop grand ne veut rien nous devoir.
Certes vous faites bien ; quoi que l'on se propose,
C'est une honte aux Rois de devoir quelque chose,
Et pour vous l'épargner, Seigneur, nous voulons bien
Vous laisser en état de ne nous devoir rien.
TARQUIN, seul.
Confesse donc ainsi que Rome te surmonte,
Si j'en souffre la perte, emportes-en la honte.
Et malgré ce lien qui doit unir les Rois
Quand la rébellion veut usurper les droits
Fait cette injure extrême à la grandeur Royale
Que de favoriser un coup qui la ravale.
Si je perds un État, c'est perdre plus que moi
Que de se déclarer indigne d'être Roi.