JOURNEE
DE PARIS. [] []
JOURNÉE
DE PARIS.
PARIS,
S JOHANNEAU , libraire et comt missionnaire, au Lycée des arts , n.° , et rue du Coqcilezhonoré, n.0 13-1.
v"" Tous les marchands de NouI veautés.
I Et à Orléans, B erthevin et
V Ripault, libiaires.
AN CINQUI È M E.
[][3]Une JOURNÉE DE PARIS.
Le Cocher de fiacre.
IL est sept heures du matin , me voilà enfin à Paris. Mesdames et Messieurs, j'ai l'honneur de vous présenter mes respects : enchanté du voyage agréable. Monsieur , vous [] avez bien de la bonté ,. monsieur, c'est trop honnête. Monsieur, nous de même , dit une voix criarde , élevée d'une octave au-dessus des autres. Certainement , monsieur , certainement , et je me sauvai la tête basse de ce déluge de complimens , qui, pris tous sur un ton différent, formoient une cacophonie très-risible. Je ne doutai pas alors que le fat ne fût descendu le premier pour offrir la main à la petite personne niaise , que j'entendois lui répondre. Vous avez bien [] de la bonté. Les autres personnages se querelloient , comme t'est l'usage, avec le conducteur.
Je marchois légèrement, mon très-petit paquet sous le bras , sans écouter un crocheteur qui m'offroit amicalement de s'en charger. Mon attention étoit occupée par un cocher de fiacre. La main sur le bouton de la portière de son carrosse , et l'autre couverte et étendue, il sembloit me dire. Venez., jeune provincial , cette voiture est bien suspendue, très-douce , et vous fera arriver commodément à [] votre destination. Je m'arrêtai à regarder tour-à-tour le cocher, les chevaux et la voiture. Elle étoit simple, et devoit avoir été à la mode six ans auparavant. Les chevaux avoient l'air si soumis, si humbles. J'apperçus sous le witz-chouras du cocher un gillet d'ancienne livrée. Le possesseur de cet équipage, me dis-je à moi-même , fut du nombre de ceux dont on envioit le bonheur. Le cocher ouvrit alors la portière, et me fit voir l'intérieur de la voiture, encore très-propre. Ce mouvement, et [] l'expression de ses yeux , me racontèrent en un moment l'histoire de son maître. Il étoit riche ,. bon,. car cet homme ne l'avoit pas oublié. Il fut persécuté. Le cocher ouvrit la main et la referma. Il est donc mort, m'écriai-je d'un ton où je crois qu'il pût voir de l'intérêt. C'étoient les premiers mots prononcés depuis le commencement de notre conversation. Il fit le signe de tête négatif. étendit le bras. Je crus voir son maître aux extrémités de la terre. Il soupira [] profondément. Monsieur ne m'a pas permis de le suivre... Il se rapprocha de ses chevaux. Je n'ai pas voulu quitter mes deux amis. Qu'il est à plaindre, pensai-je, l'homme honnête qu'on force de reporter son amitié sur des êtres insensibles. Les deux chevaux qu'il caressoit, tournèrent les yeux de son côté, et j'atteste que j'y vis de la reconnoissance. Je le plaignis un peu moins, je 1 estimai davantage. Je lui pris la main. Votre course est finie, adieu, brave homme, et je m'éloignai en marchant plus légèrement. []
Les Amis de collége.
Bon jour , mes amis , bon jour, - eh, c'est... -Oh ! mon dieu oui, c'est lui : cela vous surprend-il ? - oui , —cela vous fait-il plaisir ? Non , non , dirent-ils à la fois. — Eh bien ! soit, je n'en reste pas moins avec vous. Dans l'hôtel, dit l'un d'eux. Dans cette chambre , dis-je. Ah ! dans cette chambre , et le plus fou me sauta sur [] les épaules. Tu mangeras avec nous , - à trente sols par repas , — à trente sols par repas. — Tu coucheras avec un de nous ! — Je coucherai avec un de vous. — As-tu de F argenté - Hein , hein , pas trop , j'en ai un peu , - j'en ai assez , " -- j'en ai plus qu'ils ne m'en faut. Nous seroit-il permis maintenant, me dit un de mes amis , avec une gravité risible, de vous demander :
[]Quel sujet vous aminéSur les bords fortunés arrosés parla Seine.
Ton mot fortuné est un peu cheville.—J'en conviens. - J e vais vous répondre en prose, monsieur le poète. J'ai fait avec un de mes amis d'... une mauvaise arlequinade en vaudevilles ; c'est un enfant perdu que je sacrifie au dieu de la gaieté. Si cette pièce réussit, on se divertira en applaudissant. Si elle ennuie , on se donnera le plaisir de la siffler. — Sois tranquille, nous te répondons de trente battoirs. —
Je ne crains qu'une chose , c'est qu'elle ne soit ni assez bonne [] pour être applaudie , ni assez mavvaise pour être sifflée. Tant pis , me dit celui qui avoit fait la première question :
Cet état de tiédeurDéplaît à tout mortel auditeurou lecteur.
Ah ! le mauvais vers , m'écriai-je , en me bouchant les oreilles. Détestables, ajouta l'un d'eux... Figures-toi que. depuis qu'il est sorti du collège , il a la manie de .ne parler qu'en vers , et, en vérité , ils sont si mauvais que :
[] En voilà bien d'un autre , di-je. — Groirois-tu que :
Ah ! fais - nous grace de tes citations latines. Les mauvais vers qu'il nous fait sont de lui au moins. Personne ne les lui disputera , et les tiens appartiennent à tout le monde. Ils n'ont pas la moindre suite clans les idées , me dit le troisième , qui avoit à peine parlé, et qui s'occupoit de métaphysique , de mathématiques , de [] Physique , de botanique , de minéralogie , d'astronomie, de chymie, et de toutes les sciences en ique et en ie possibles. L'existence de leur bon sens est un problême que je ne me chargerois pas de résoudre ; leur tête est, en raison, composée d'esprit et de frivolité , et la somme totale de leur jugement se réduit à zéro. Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! et tous quatre de rire de tout notre cœur. Allons , MM., je vois que nous avons conservé tous nos [] tu as remporté le prix de vers latins ; toi, celui de version française ; toi, celui de philosophie ; et toi, s'écrièrent-ils, celui d'amplification. — sous M. l'abbé D...., qui expliquoit si bien, —qui faisoit si mal sa classe , qui étoit si original , — auquel nous avons joué de si bons tours. Nous nous taisons tous quatre. Nous soupirons ensemble. Après une petite pause , MM. , je vous établis mes juges, je vous vous lire.... -Ah! voilà bien m. l'auteur: [] ‘Il se cramponne après le premier qu'il attrape , - Et Bénévole ou non , dût-il ronfler debout, L'auditeur entendra sa pièce jusqu'au bout. ’
Ceux-là sont bons , — ils ne sont pas de toi. — Ah ! la petite épigramme. — Je lis. — Nous écoutons. — Ceci ne vaut rien.
— Cela est passable. — C'est bon.— C'est très-plaisant.
Je corrige , j'ajoute ; qu'en pensez-vous ; — nous croyons que cela prendra. Oui , dit le [] mathématicien , et cependant qu'est-ce que cela prouve.
Ils m'ont jugé un peu sévèrement. — Tant mieux , les amis de sont les plus éclairés. les plus sages , les moins indulgens et les plus solides. Je laisse le reste de la digression à' faire à un écolier de réthorique. []
A un lecteur et à une lectrice.
LORSQUE je me suis engagé, madame et monsieur , à vous fournir un petit volume in-18, ayant pour titre : Une journée de Paris. Vous vous êtes attendus à acheter, moyennant vingt sols, une suite d'anecdotes, ou sentimentales ou gaies, d'observations piquantes et ingénieuses.
Vous espériez aussi , madame , en donnant timidement la très- [] modique somme , y trouver quelques situations galantes a comparer avec celles ( où, soit dit entre nous ) , vous avez pu vous rencontrer. Il ne dépend que de moi de vous reprocher un tort, celui de prendre , au nom du pauvre auteur , un engagement qu'il n'a souvent pu ni dû contracter. Si vous avez compté tous deux sur des situations , des anecdotes , des observations , vous pouvez vous être trompés, et alors vous en serez plus fâchés que moi. Si vous n'avez attendu que cela, vous vous êtes [] encore trompé; je vous demande la permission d'embellir mes petits récits de mes réflexions particulières. Je veux que tout ce qui me passe par la tête afflige ou égaie celle de mes lecteurs. Ainsi, je ne vous ferai pas même grace de ces pensées venues avant terme qui ne sont pas entièrement développées,et auxquelles je n'aurai pas encore donné l'irrésistible forme dogmatique des quatrains de Pibruc , ou des maximes de MM. tels et tels...
Si c'est chez vous, dans votre appartement,. sur votre grand bureau,... sur votre chiffonnière , dans votre fauteuil à bras... sur votre sopha, etc. que vous lisez ce chapitre , je suis fort heureux , vous avez acheté mon livre , et j'ai le plaisir de vous faire digérer, à l'improviste, une Préface dans toutes les règles. J'aurois bien pu mettre celle-ci à la tête de mon ouvrage , mais je craignois que les menaces dont elle est. remplie , en vous intimidant, ne vous empêchassent de Tacheter Voilà de la franchise. [] CHAPITRE 1 V.
QUELQUES jours avant mon départ cT j'allai chez mon tailleur : après les civilités d'usage, je lui dis, avec le sérieux convenable en pareille circonstance. M. Beck,... je voudrois un habillement propre et en même-tems de bonne durée, d'une couleur qui ne fût ni sombre ni gaie. Il me déroula une pièce de drap d'Elbœuf gris. [] - Fort bien. — Je voudrois maintenant que la forme en fût conimode. - J'aurai l'honneur de faire à monsieur une redingotte. — Je voudrois que cette redingotte ne fût ni trop longue ni trop courte , M. Beck. - Je la ferai demi-quarre.- Fort bien , avec des poches sur le côté, - avec des poches sur le côté ; — article essentiel , M. Beck , article essentiel.
C'étoit avec cette redingotte grise, demi-quarrée, que je traversois les rues de Paris. L'article des poches de côté étoit [] vraiment essentiel. Par-tout ailleurs que dans la bonne ville où je suis né , je me trouve fort embarrassé de ma contenance. Ces poches , au moins , m'en fournissoient une. Je pouvois librement mettre une main dans la droite, et balancer le bras gauche avec grace ou sans grâce , en accordant son mouvement avec ma démarche.. * andante, piano, presto, prestissimo. Je pouvois aussi , et c'est ce qui m'arrive toutes les fois que je m'arrête , je pouvois mettre mes deux mains dans les deux poches ; alors plus [] de gêne, plus d'embarras, plus de contrainte ; j'ai déterminément une tournure à moi. On me trouve , à la vérité , l'air un peu niais, et c'est une des observations que j'ai faites dans le courant de la journée. Une jeune dame, fort jolie et fort élégante, appuyée sur le bras d'un jeune homme très-fat et très-précieux, lui dit, en mignardant, les mains dans les poches. C'est la contenance de ceux qui n'en ont pas. On ne définit pas mieux que çà, madame , répondit le jeune homme : et il sourit [] à sa réponse. Je pourrois fournir le plan de deux grands chapitres sur les poches et la contenance : je confierois la rédaction des deux à un enrichi.
Après avoir donné au lecteur l'esquisse de ma tournure , je vais le gratifier de mon portrait, et je suis sûr qu'il ne m'en connoîtra pas davantage. Me ferai-je, comme M....er de Compiègne, graver en taille-douce à la tête de mon plus mauvais ouvrage... Non ,... cependant je ne suis pas mal ; si on me le conteste , j'en appelle à quelques marchandes à [] échopes qui me Font dit. Je desire pourtant donner, à quelque prix que ce soit, une idée de ma figure. J'ai le moyen,.
cherchons dans nos petits cahiers d'auteur. Ah ! je le tiens.
PASSE-PORT.
Sur le témoignage des citoyens habitans domiciliés , qui ont signé au registre.
laissez passer le citoyen... allant à.... domicilié commune. [] département d..... âgé de Vingt ans , taille de cinq pieds... pouces... lignes; cheveux et sourcils châtains, yeux bruns , nez aquilin , boucha moyenne, menton rond , front moyen , visage ovale,
Et prêtez-lui assistance en cas de besoin.
Délivré à le l'an, etc.
Suivent les signatures.
On doit me connoître parfaitement. et ce signalement est si bien donné , que si mon livre [] réussit, je ne doute pas que les petits enfans, les nourrices, les berceuses , ne me montrent bientôt au doigt , en disant : voilà l'auteur d'une journée de Paris. Vous jugez bien que ce la flatte un homme de lettres.
L'amour de la gloire. N'est-ce pas assez parler de vous , me dit en ce moment un vieux critique ; d'une main il ôte ses lunettes, il retourne sur la table mon livre entr'ouvert, et l'y assujettit de l'autre. Ce petit volume est comme tous les mauvais ouvrages ; on y [] trouve tout , excepté ce qu'il annonce et ce qu'on y cherche.
Chut, chut, vénérable censeur, je me tais.
[]Je suis en marche.
OUVRONS mon calepin... hen, hen , hen, hen. J'y suis... Passer au théâtre de... faire une visite à madame L. C'est de toutes les visites , et elles sont nombreuses : Visites d'amitié.
Visites de galanterie.
Visites d'amour.
Visites de famille.
Visites du premier de l'an. [] Visites de voisinage.
Visites sans conséquence.
Visites d'étiquette, ou Visites de cérémonie.
C'est, de toutes ces visites, celle qui me coûte le plus.
Ouf. une femme pardonne-t-elle cela. Pourquoi étois-tu aussi mal-adroit, aussi niais, aussi timide ; en un mot. cette belle soirée d'été. non de printemps. Après une heure d'une conversation parfaitement sentie , tu étois devenu assez entreprenant pour lui serrer la main. Une heure après tu [] avois osé , non sans frissonner, prendre un léger baiser sur sa bouche. dirai-je de rose.
Elle étoit tendre , tu pouvois être pressant: tu ne le fus pas, elle s'évanouit : tu voles au cordon. On vient,. madame reprend ses esprits, se trouve mieux, beaucoup mieux, te fait une profonde révérence , et sort appuyée sur le bras de sa femme de chambre. Oh ! le sot. le triple sot. []
Le Pont-Neuf.
ALLONS , ma pratique , allons nettoyer vos bottes. J'avois un pied sur sa sellette. — A la cire luisante,— comme il te plaira.
J'étois piqué contre ma sottise , je voulus me distraire , je me mis à regarder les passans , en roulant entre mes doigts la pièce de monnoie que je destinois au petit savoyard.
[]Je remarquai que ce petit savoyard décrottoit parfaitement les souliers , et avoit, en étendant sa cire', le coup de pinceau très-sûr, très-léger, et très-hardi en même-tems. Je ne doutai pas qu'avec quelque soin , un élève d'Apelle ne put en faire un grand peintre.
Je remarquai qu'aucune des deux ou trois cents figures qui passèrent sous mes yeux ne se ressembloient, que toutes avoient une expression différente d'ennui ou d'occupation. [] Ne sont-ce pas là des observations fines et ingénieuses ?
Je reçois , en trois minutes , dix billets , annonçant changemens de domiciles ou établissemens d'hommes officieux qui se chargent de me guérir de maladies que je ne crains pas d'avoir.
J'arrive devant un corps-de-garde , je vois une grille de fer. Ah ! c'étoit là qu'étoit Henri IV ; je fus prêt de me jeter à genoux devant l'espace que commandoit autrefois sa statue.
J'aurois au moins eu cette conformité avec Sterne. Beaucoup [] de gens tournoient leurs regards de ce côte, et j'y lisois. Ah ! c'étoit là qu'étoit Henri IV.
Si son image existoit encore, quelques-uns passeroient indifféremment auprès d'elle. []
Je suis au théâtre des Artistes dramatiques, Lyriques, pantominiques et comiques.
Le réviseur général des pièces de théâtre. — Le voilà, monsieur, et je vis arriver un homme à l'air très-affairé, les joues enflées comme un messager d'état, comme un ministre des finances, ou comme le président de la faculté de médecine de Molière. — Monsieur , [] faites-moi la grace de me dire si vous avez accepté la mauvaise pièce, -laquelle. A ce mot, je vis se redresser trois personnages placés dans un angle de l'appartement, - cette arlequinade que vous a présentée un de mes amis. — Ah ! je vois , j'en parlerai au comité d'administration. — Quand , - dans huit jours ; — sur-le-champ ; c'est impossible, monsieur, les affaires sont si multipliées ,. les occupations naissent sous mes pas. Tel que vous me voyez , monsieur , je suis obligé [] de mettre tout en mouvement, le décorateur , l'orchestre , les acteurs, les machines , les auteurs. Ouais , est-ce ainsi , me dis-je à moi-même , qu'on traite les pauvres auteurs. —
Croiriez-vous , monsieur , que j'ai chez moi quatre pieds cubes de pièces de théâtre. — Monsieur, la mienne est très-platte, elle n'enfleroit pas de beaucoup ce gros caput mortuum ; et, que voulez-vous, monsieur, je me dois à tout le monde , — moi je me dois à moi-même , et l'intérêt passager de mon amour-propre [] ne me forcera pas de m'avilir. — Bravo , dirent les trois personnages que j'avois vus en entrant dans la salle.
Monsieur, me répondit le réviseur en chef des pièces de théâtre , nous sommes loin , certainement, MM. les auteurs , permettez-moi d'aller en parler au comité, vous aurez réponse dans cinq minutes. Il sort. Une voix me crie en fausset ; monsieur présente une pièce de théâtre , — oui , Un petit vaudeville plaisant, Un petit vaudeville.
[] - moi une comédie ; — moi une pantomime ; — moi un drame. — Combien d'actes à votre vaudeville , — un seul ; ma comédie deux ; — ma pantomime trois , avec dix - neuf changemens de décorations , huit évolutions, quatre batailles , cinq enchantemens , sept incendies et deux enfers ; mon drame quatre actes , un père qui tue sa fille , un frère qui poignard e sa sœur, et un amant qui assassine sa maîtresse. Le mouchoir blanc que portoit à la main ce dramaturge, contrastoit [] avec son habit noir. L'auteur de pantomime faisoit de grands mouvemens de bras et des grimaces horribles. L'auteur comique se frottoit joyeusement les mains. Votre pièce est-elle reçue, - non. Ni la mienne , - ni la mienne , — ni la mienne. —
Quand le saurez-vous ? — je l ignore ; - moi dans six mois, s'écria pitoyablement l'homme noir ; — moi dans quatre mois , dit gaiement l'auteur comique ; - moi. tout-à-l'heure , dit le pantomime , en élevant la tête et en la promenant glorieusement [] sur l'une et l'autre épaule. — Un garçon de théâtre crie :. l'auteur du vaudeville ; — me voila, - entrez. Je vois , autour d'une table ronde, six actrices de tout âge et de toutes figures.
-Quelle est la pièce-qu'on répète ?— une fadeur, des Vénus, dit en relevant dédaigneusement la lèvre supérieure, celle qui devoit jouer le rôle de la Déesse de la Beauté. Finis donc, finis donc , disoit une grande fille de vingt ans à un acteur cynique, auquel elle donnoit en même-tems une chiquenaude agaçante. [] Deux de ces femmes me regardoient ; deux autres se parloient à l'oreille ;. trois acteurs étoient étendus, l'un sur une table , l'autre sur un fauteuil ; le troisième, couché sur un brancard de parade , avoit des trophées à ses pieds , un carquois sous la tête, un glaive et un poignard à ses côtés. Celui-ci gesticuloit , celui-là chantoit, cet autre déclamoit ; un musicien frédonnoit en s'accompagnant de son violon. Monsieur,. dit le réviseur, votre pièce manque absolument de gaieté.- Il suffit, [] je la retire ; — je ne dis pas cela , monsieur, pour, mais, cependant, nous l'acceptons , comme il vous plaira.-Quelles sont vos conditions ? - les voilà, - nous consentons.
Cette pièce fera un joli effet au théâtre , dit une actrice qui m'avoit lorgné du coin de l'œil, un joli effet au théâtre ; je la remerciai par une inclination de tête et un sourire. — Elle nous fera faire de l'argent, dit un des acteurs au réviseur. Je fis une grimace : — la représentation ,- très-prochaine , — serviteur.
[]Eh bien ! me dirent les trois auteurs , — elle est acceptée.
Ils baissèrent les yeux. Je les attendrirai, dit le dramaturge ;. je les jouerai , dit le comique ; et moi j'en rirai, dis-je en m'en allant.
[]BON jour, mon jeune ami.
Je reconnus la voix d'un homme sage qui veut bien me témoigner quelque confiance.— Vous voilà à Paris. — Depuis trois heures — Je ne vous demanderai pas quelle raison vous y amène, je profiterai seulement du motif.
- Trop de bonté.— Dites-moi , vous avez entendu parler de madame Delville , - cette infortunée. [2] -- Ah c'est bien elle ; — vous savez que son mari fut arrache de ses bras -- pour marcher n l'échafaud ; -- que depuis ce cruel moment — elle est inconsolable. -- Ah ! oui, inconsolable ; jamais douleur n'eut un caractère plus touchant ni plus auguste ; je la vois tous les jours, et tous les jours plus affligée. je veux vous présenter à elle,. vous présenter ,. elle ne vous verra pas, elle ne vous entendra pas , elle ne reconnoît que moi , encore n'est-ce que par intervalles : elle n'entend que [] son Emilie. C'est un enfant bien intéressant qu'Emilie ; elle a huit ans, et depuis trois , elle a sacrifié à sa bonne amie ( c'est le nom qu'elle donne à madame Delville) les plaisirs de son âge.
Egards , petits soins , prévenance, tout est employé par elle pour adoucir le chagrin de sa bonne amie. Vous verrez madame Delville , vous verrez sa charmante Emilie. - Ah ! sur-le-champ.
- No'quoiqu'elle jouisse à peine du sommeil , son Emilie la force de reposer un peu le matin : elle croit que ces instans [] d'un calme apparent sont dérobés à la douleur. Attendons dix heures: et entrons ici. Dans ce café ? — oui. []
Le Café.
DONNEZ-NOUS, je vous prie, deux tasses de chocolat ; -- vous êtes servis. Quoique frappé de ce que mon ami venoit de me raconter',e ne pus m'empêcher dé promener mes regards autour de moi. Un homme entre avec fracas. Garçon, garçon, un thé ; il est servi lentement et négligemment.
Faites-moi le plaisir de me donner [] un verre d'eau et un petit pain, dit un homme d'un extérieur très-modeste. Vous l'avez , lui répond-on, en lui présentant obligeamment ce qu'il avoit demandé. Un nouvelliste disoit :. Buonaparte est à quatorze heures de chemin de la Macédoine. -- Ah ! ah !
-- Il y a une révolution en Irlande. hon, hon , hon, hon, tant pis , dirent tous ceux qui se trouvoient dans le café. Trois Parisiens se disputoient avec chaleur à côté de moi. , Je suis royaliste, moi, dit un d'eux [] à demi-voix. Pst, pst, pst, chassez les mouches , chassez les mouches. Le second dit, d'un ton un peu plus élevé ; je suis républicain pour deux ans. Le troisième dit, très-haut ; je suis républicain à la vie et à la mort. Dieu vous fasse paix. []
Madame Delville.
C'est l'excellente petite Emilie,. elle est dans le corridor, debout à la porte de l'appartement de madame Delville. —
Vous venez aussi pour plaindre ma bonne amie. — Ah ! oui, la plaindre et l'aimer. — Ouvrez la porte doucement, bien doucement. Depuis qu'un monsieur lui a dit ;. elle soupira.
Il croyoit lui faire plaisir , ce [] monsieur-là, et il lui a" fait bien mal, au contraire , il lui a fait bien mal. Depuis qu'il lui a dit que son mari pourroit bien n'être pas mort, toutes les fois que ma bonne amie entend sonner, elle jette ses crayeuse elle frissonne. Tenez , comme cela , et Emilie trembloit.
Elle se lève, elle vient à la porte , et s'en retourne très-affligée.
Il lui a fait bien mal, ce monsieur-là. Elle tombe dans son fauteuil, et j'ai beau la caresser, l'embrasser, rappeler ma bonne amie, elle reste quelquefois évanouie [] pendant une heure avant de reprend re sa connaissance. je vous ai entendu marcher dans e corridor, et je sui s venu vous prier d'ouvrir la porte doucement. Il lui a fait bien mal, ce monsieur-là.
Pendant le discours d'Emilie, mon ami s'est placé derrière le fauteuil de madame Delville.
Elle dessine, et , de tems en Elle dessine, et, de tems en tems , elle regarde avec complaisance ce qu'elle vient de tracer ;. elle soupire profondément ;. elle dessine encore.
Emilie, ressemble-t-il ?.- - Oh ! [] ma bonne amie , il ressemble plus que tous ceux-là , et elle montroit du doigt vingt portraits attachés au lambris , qui représentoient tous la même figure , celle de M. Delville. —
Ma bonne amie , ne vas-tu pas cesser de dessiner ? Madame Delville ne répond rien. -- Veux-tu que j'ôte ? et Emilie désignoit le modèle du dessin.
Sévèrement. Emilie, laissez-là ce portrait. -- Mais , ma bonne amie,. tendrement. -- Emilie, vous m'affligez. — Ah ! ma bonne amie, moi vous faire de la peine.
[]-- Tu sais , ma petite Emilie.
Elle apperçoit alors mon ami.
Vous le savez, monsieur,. c'est son portrait, et,. et c'est lui-même qui l'a peint. Voilà ma copie d'aujourd'hui. Ressemble-t-elle ? Mon ami reste muet. Oui, oh oui ! il est ressemblant,. je le sens là ,. montrant son cœur ! Les bourreaux , d'une voix étouffée.
J'ai fait tout ce que j'ai pu pour mourir avec lui ; ils ne m'enlèveront pas son image : elle serroit fortement le portrait contre son sein. Emilie , on [] sonne ? -- Non ma bonne amie, -- On sonne , te dis je. Elle tressaille , elle fait un effort pour se lever ; elle s'évanouit. Emilie l'accable de caresses, nous lui faisons respirer des sels. Elle soulève péniblement la paupière, passe la main sur son front, et soupire ; elle voit Emilie à ses genoux. -- Emilie , ma chère Emilie , je t'ai chagrinée, je m'en souviens , oui je m'en souviens, mais tu es si bonne. Ah ! s'écrie en sanglottant, Emilie.
-- J'ai besoin , monsieur , de l'indulgence d'un enfant. [] f 9
Elle retomba dans son évanouissement.
Que faisiez-vous alors , spectateur de cette scène ?. J'étois immobile , je sentois. Emilie nous pria de nous éloigner.
Mon ami me prit la main, me la serra. fortement, nous sortîmes , et nous nous séparâmes sans proférer un seul mot. []
Polichinel et les Nota bene.
RieN ne m'amuse comme un Paillasse ou un Pierrot, lorsque l'un, ou l'autre est spirituel , et je trouve infiniment de plaisir à voir Polichinel s'escrimer avec le diable, et à écouter le récit de ses aventures , lors toutefois que je peux entendre son jargon.
Eh bien ! Polichinel , d'où viens-tu ? Je viens, répondit Polichinel [] dans son baragouin , je viens de faire mes voyages. —
Ah ! tu viens de faire tes voyages ; et qu'as-tu vu dans tes voyages ?
- J'ai vu dans mes voyages des grandes routes et des postes. — [] Ah ! tu as vu des grandes routes et des postes ; diable ! cela s'appelle voyager avec fruit : qu'as-tu vu encore ? — ce que j'ai vu ! oui , ce que tu as vu.
— J'ai vu des peuples. — Peste ! tu as vu des peuples : eli bien !
ces peuples. — De tous ces peuples, [] le peuple le plus peuple est le peuple franco-républico. -Qu'est - ce que ce nom franco-républico ? — C'est un joli nom , et le peuple qui le porte un joli peuple. -- Je n'ai jamais vu le peuple franco-républico dans l'histoire. — Tu l'y as vu , mais c'est que tu ne le reconnois pas.. il est si défiguré : — défiguré , ah ! c'est différent ; et pourquoi est-il défiguré ? -- il est défiguré, parce qu'il a eu. une révolution. — Et de quelle espèce est cette révolution ; est-ce une révolution du soleil ?— Non ; [] est-ce une révolution de la lune ?
— Non ; est-une révolution d'asthme ? --- Non , non , non , non , dix fois non ; c'est une révolution , et cette révolution l'a tout-à-fait changé. -, Comment changé ! qu'est-ce qu'il étoit donc autrefois ? -- ce qu'il étoit autrefois ; il étoit-vif, gai, enjoué , ingénieux , doux, sensible ; il rioit et il chantoit.
— Il ne chante donc plus ? Non , il ne chante plus depuis qu'il est régénéré. — Et que fait-il donc depuis qu'il est régénéré ? —. depuis qu'il est régénéré ,... il [] danse. — Allons, Polichinel, tu m'en fais accroire, un peuple régénéré ne danse pas. — Je te soutiens qu'il danse , et qu'il danse comme il n'est pas permis de danser. -- Ah ! de l'épigramme, Polichinel, comme il n'est pas permis de danser. Oui, comme il n'est pas permis de danser. On le crève d'impôts.
Zigue zague dondon , Un pas de rigaudon.
On le houspille, on le rosse.
Zigue zague dondon, Un pas de rigaudon. [] On le met en prison , il s'en réjouit, parce qu'il aura le tems de s'étudier à y faire J
Zigue zague dondon , Un pas de rigaudon.
Quelque-tems avant de quitter le peuple franco-républico , on me présenta dans une société : — On te présenta dans une société ? — oui, on me présenta dans une société. -- Eh bien ! qu'est-ce que tu vis dans cette société ? —Je vis un beau jeune homme, et ce beau jeune homme me dit. Ah !
Polichinel, ils ont tué mon père ! [] père ! — Ils ont tué votre père : et je tirai mon mouchoir de ma poche, et il se mit à danser , et je me mis à chanter Zigue zague dondon , Un pas .de rigaudon.
Fi donc , Polichinel, fi donc ; me dit le beau jeune homme ; on ne danse plus le rigaudon chez le peuple franco-républico ; on, danse l'anglaise , la valce et le zéphin Allons, dis-je en m'éloignant ; Polichinel est moins menteur - qu'un voyageur, mais je parierois qu'il n'est pas sorti de son pays ;
[]Les Affiches , les Caricatures.
JE marche une main à sa place ordinaire : le bras gauche suivant fort en mesure le mouvement de mon corps ; je vois quelques personnes arrêtées devant deux affiches qu'on venoit de placarder. Je mets promptement l'autre main dans la poche gauche , et je me fixe aussi, les yeux élevés , la bouche entr'ouverte ; [] je lis , imprimé en gros caractères : Au plus infame, au plus vil et au plus lâche calomniateur, N...
Et je vois, à côté, une autre affiche, en réponse à.la première , portant, en mêmes caractères, cette suscription : Au grand Polisson , N.
Les deux placards étoient remplis d'injures dégoûtantes. Je lus toutes ces sottises, et je fus de l'avis de ceux qui se les adressoient. [] Je continue ma route , et je m'arrête encore, dans mon attitude accoutumée , à la porte d'un marchand d'estampes. Qu'y regardoit-on ? des caricatures.
Avant de partir de ma province, je savois déjà, par les journaux, ce qu'étoient les caricatures ; et ce que j'avois lu autrefois , à leur sujet, me les avoit fait diviser en Caricatures de goût.
Caricatures de costume.
Caricatures de mœurs.
Caricatures historiques.
Caricatures de partis.
Caricatures de nations ; etc, [] Je pourrois en compter encore y beaucoup, si j'y comprenois les (Caricatures agissantes.
Caricatures ambulantes.
Caricatures pensantes.
Caricatures raisonnantes.
Je fais grace des autres au lecteur ; il y suppléera en se comptant ou sans se compter.
J'étois persuadé qu'une caricature étoit autant une épigramme dessinée , qu'une épigramme étoit une caricature littéraire.
J'y cherchai la pointe, le vis acuta, je ne trouvai de vis a eu tu [] dans aucune ; je me rappelai la pièce de monnoie usée de Sterne, et je tournai les talons , persuadé que les Français étoient au-dessus, non , plutôt au-dessous du ridicule même. []
Le Carrick.
CE jeune homme est aussi léger que le char léger qui le soutient, et le léger cheval sans queue et sans oreilles qui remporte, et déjà ce jeune homme léger a sauté de son carrick avec légèreté , et m'a légèrement dit, tout d'une haleine, avec une volubilité qui auroit essoufflé un acteur tragique Quoi ! vous à Paris ; c'est, sans contredit, une bonne [] fortune pour moi ; j'en sens tout le prix, je vous jure, et je veux en profiter. Vous allez monter dans mon carrick ; il m'a coûté soixante louis. Mon cheval, la plus jolie bête de Paris, m'en coûte cent vingt. Mon ami Francony me l'a vendu pour coureur anglais. Je mène aussi bien que le premier jokei d'un pair de la Grande-Bretagne, et je veux que vous en jugiez. Il m'a poussé dans sa voiture, kt, kt , kt, kt, kt. Nous volons.— Ah ! ah ! ah ! ah ! nous allons verser,. , Soyez tranquille, [] kt, kt, kt ; soyez tranquille , je île suis encore tombé que cinq fois. — Oh ! oh ! oh ! oh ! Tenez , voyez - vous ces deux fiacres bourgeois , ils sont fort près l'un de l'autre ; fort près.
Eh bien ! je veux passer en tr'eux, kt, kt, kt, kt, kt, kt.— Aye , aye, aye, aye, je suis broyé : eh non ! eh non ! nous voilà passés. J'ai le coup - d'œil d'une justesse merveilleuse.
Les roues n'étoient pas séparées par l'épaisseur d'un louis ; je veux parler de mon adresse ce soir à un thé, à un bal, à l'opéra, [] chez Carchi, à tout Paris enfin , kt, kt, kt ; nous allons aux boulevards, kt, kt, kt. Ah ! la belle Céphise, la perfide ! elle m'a roué d'une manière sanglante ; il faut que je m'en venge, kt, kt, kt. Cette Céphise arrivoit avec une autre femme dans un wiski qu'elle conduisoit elle-même. Mon étourdi lui laisse prendre l'avance, puis, kt, kt, kt, kt, part comme un trait, tourne rapidement devant son wiski, présente le côté de son carrick et l'arrête. Le cheval de Céphise, qu'elle ne peut retenir, se frappe la tête contre les roues ; [] il recule précipitamment ; le wiski est près de verser ; les clames poussent un cri perçant.
Kt, kt, kt ; enfin, me voilà vengé victorieusement, je l'ai fait arrêter sur place. Ah ! je ne me devois pas moins. Imaginez le tour affreux qu'elle m'a joué.
Elle me plaît, je le lui dis , lui plais , elle me le dit ; nous le disons à tout Paris : je triomphe, personne n'en doute ; elle prend soin d'en instruire l'univers ; elle m'affiche enfin. Deux jours après elle me prie de la conduire chez un de ses vieux amis ; elle l'appelle ainsi : je lui présente la [] main , en l'assurant que mon Garrick, mes chevaux et mon cœur sont à son service. Nous partons , kt, kt, kt, kt. J'attends deux heures à la porte de son ami. Eh bien ! devinez ce que c'est que cet ami ; je vous le donne en dix. Non , non , allez, vous ne devinerez pas,. cet ami étoit. un amant ; je suis roué horriblement, et tout Paris me montre au doigt, kt, kt,
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re. rc.
et [] et l'homme qu'on apostrophoit ainsi s'est jeté précipitamment de côté , et est tombé à la renverse. Nous le croyons blessé ; nous nous élançons de voiture.
Que puis-je faire ? s'écrie mon ami, pour réparer,. — mener plus doucement , répondit cet homme en se relevant. — Monsieur,. — si j'étois riche , je ferois quelque chose pour vous , jeune homme. -- Oserois-je vous demander ?. —> Je vous enverrois mon grand cocher allemand pour vous enseigner à retenir vos chevaux , [] Adieu, adieu, aussi, lui dis-je ; je ne veux pas m'exposer à me broyer la cervelle , et encore moins à écraser les plus honnêtes gens du monde. Adieu ,- kt, kt, kt, kt ; je vais au bois de Boulogne. []
Place de la Révolution.
ET moi je suis sur la place de la Révolution , la tête baissée, le cœur serré. Je dis , comme Macbeth. Il y a du sang.
Victime auguste. Victimes de tout rang , de tout sexe , de tout âge , on vous accorde à peine aujourd'hui un léger soupir. Dans vingt - cinq ans , un monument lugubre. [] Français indifférens , vous gémirez alors. L'éloignement étend la perspective. Les siècles , en s'écoulant, agrandissent les forfaits. []
Le palais Bourbon.
C'EST là que j'ai passé une partie des beaux jours de mon enfance ; c'est là que les plaisirs purs. N'ayez pas peur, cher lecteur , je vous fais grace du reste de la digression....
Je vois-un bâtiment massif et lourd , d'assez mauvaise architecture. On le destine à un de nos conseils. Il est à-peu-près semblable à une [] forteresse,. bon ,. mais,.
où sont les paratonnerres.
Je passe sur la place du palais.
M. l'abbé , M. l'abbé , votre rideau. Je souris à ce souvenir.
L'an 1788 j'étois un petit abbé fort risible. J'avois douze ans, quatre pieds deux pouces de hauteur, et, par-dessus tout cela, un petit habit noir complet, un petit collet très-propre, et un petit manteau qui m'alloit à ravir ; une petite coëffure bien bichonnée ; une petite tournure bien pincée. Vous sentez que ce [] petites choses devoient faire de < moi un petit abbé très-plaisant.
C'étoit dans ce petit costume que je sortois un jour qu'il faisoit le plus beau froid de l'hyver.
Je marchois fort vite, et je ne me serois certainement pas arrêté , si je n'avois entendu crier derrière moi , M. l'abbé, M. l'abbé, votre rideau.Je me retourne, et je vois accourir plusieurs femmes, dont l'une, faisant d'un bras de grands mouvemens , tenoit à l'extrémité de l'autre , tendu dans toute sa longueur, le fatal manteau. M. l'abbé, votre [] rideau. Je le reçus et la remerciai avec beaucoup de politesse. — Mais vois donc, ma comère, qu'il est gentil ; -tiens, c'est comme le petit abbé d'Audinot ; - il faut que je l'embrasse ; - il faut que nous l'embrassions. Finissez , mesdames , dis-je avec dignité , et je courus de toutes mes forces, pour ne pas laisser compromettre ma gravité ecclésiastique.
Ce souvenir me fait encore rire de bon cœur ; je souhaite que vous m'imitiez. []
Les Soupirs.
ME voilà près de là demeure de madame L. Ouf ! quel soupir, ouf, ouf, soupir double.
Comme on doit se rendre compte de tout ce qu'on éprouve ; il faut, me dis-je , pendant que je suis plein de mon sujet : il-faut que je classe les différentes espèces de soupirs.
Depuis que d'Alembert nous a présenté toutes les connoissances [] humaines en un tableau de dix-sept pouces de largeur , sur quarante-deux de hauteur, on a eu la manie de réduire toutes les sciences séparément en tables. Je crois, d'après cela, qu'il m'est bien permis de mettre celle de l'amour en tablettes. [...]
[]Je pourrois aussi classer les soupirs par les couleurs : Soupirs thé au lait tendre.
Soupirs couleur de rose , etc.
Mais je crains d'en faire naître de noirs , et je me tais. []
Visite.
TROIS fois j'ai soulevé le marteau, trois fois je l'ai posé doucement, en accompagnant ces trois mouvemens de trois soupirs ; le premier, étouffé ; le second, filé ; le troisième', prolongé. Enfin , j'ai relevé le marteau, je l'ai abandonné à lui - même ;. il, est tombé ,. la porte s'ouvre.
Madame L. est-elle visible.
— Votre [] — Votre nom. — Monsieur. — C'est du plus loin qu'il me souvienne.- Ouf, ouf, ouf, ouf. - Faites entrer.
— Madame , je n'aurois pas voulu ,. ouf, je me serois reproché, et je tournois mon chapeau dans tous les sens. Madame jouissoit de mon embarras. Je ne me pardonnerois pas, et j'ajoutai, tout d'une haleine , d'être venu à Paris , madame , sans avoir eu l'honneur de vous présenter mes respects ; elle sourit. Je vous sais, monsieur, tout le gré [] possible de cette visite. La conversation fut suspendue...
J'ouvrois la bouche pour la reprendre , en lui demandant si elle savoit quelque nouvelle.
Mais après y avoir réfléchi trois minutes, je sentis que j'allois faire une balourdise, et je me bornai à dire à madame L.
Votre santé me paroît fort brillante , madame. Je restai stupéfait , en l'entendant me répondre sèchement. Vous vous trompez , monsieur , j'ai une migraine effroyable , et la conversation s'arrêta, Je [] crus avoir trouvé le moyen de la renouer. Madame , je me rappelle toujours avec délices, que , pendant votre séjour à. vous eûtes pour moi des bontés.- Qu'entendez-vous, monsieur, par des bontés ?. et la conversation tomba tout-à-plat. Je rougis comme un écolier ; je me recueillis un instant, et dis ensuite avec rapidité : des bontés.
Ah ! madame, n'étoit-ce pas m'en accabler, que de pardonner à ma timidité ? — Votre ti-midi-te , répéta-t-elle en souriant [] avec malice , — de me permettre de vous aimer, de vous le dire.
J'étois à ses genoux, je lui baisois la main.— Votre timidité , s'écria-t-elle vivement.
Relevez-vous, monsieur, ajouta.. t-elle bien doucement. Relevez-vous , songez que je suis épouse ,. et que je connois mes devoirs :. des devoirs Chose particulière ; toutes les fois que j'entends prononcer à une femme ce mot : des devoirs , je ne trouve point de réponse , je reste muet. Je n'attribue pas cela à ma timidité, [] car elle m'a quelquefois très-bien servi. Je suis encore un peu fier, quand je me rappelle que cette timidité a forcé deux femmes, qui, à la vérité, n'étoient ni jeunes, ni jolies. à me faire appercevoir que je pouvois les aimer. Je me relevai plus embarrassé qu'avant. Elle le remarqua. - Monsieur, oublions le passé. — Eh! le pourrois-je, madame. Un souvenir si cher. - Vous parlez avec chaleur , monsieur. - Ah ! si je sentois moins — Mon mari se dispose aujourd'hui à [] partir pour ses terres. Vous reverrai-je, dit-elle légèrement en se levant. — L'instant qui me rapproche de vous.— Allons, allons , point de fadeurs. Je vais ce soir au concert Feydeau.
— Aurai-je l'honneur. - j'accepte votre bras , vous pourrez m'y trouver à neuf heures.
Elle sonna, et je la saluai. []
Mes réflexions, OU, ou, ou , ouf, me dis-je , en poussant un soupir prolongé ; cette femme là a fait une belle défense. Cependant, cependant. Allons , taisez - vous , fat. []
Le plan d'une journée de Paris.
TAC, mon sang se porte avec abondance vers le cœur.
J'ai une idée, une excellente idée ; volons chez nos amis de collège. Mes amis , mes bons amis , si vous saviez ce que j'ai vu , ce que j'ai entendu , ce que j'ai senti , et ce que je veux faire. - Eh bien ! que veux-tu faire ? — un livre, dis-je en me rengorgeant. — Ah ! diable , un [] livre ; et quel en est le sujet, le titre ? — Le sujet, mes aventures : et le titre, une Journée de Paris. — Quel sera le ton , le style ? — Tous les tons, le style. coupe c est-a ; dire. que lorsque je ne pourrai pas finir une phrase , je suppléerai aux mots qui manqueront | par une douzaine de points,. des tirets , — - - - des exclamations , ah ! eh ! oh !. et puis je ferai beaucoup d'apostrophes au lecteur. — Tu vas donc écrire dans le genre sentimental ? — oui ; tu te feras appeler [] singe de Sterne. — Je m'y attends ; mais j'aime tellement cet excellent homme et ses ouvrages, que je m'honorerai de servir à rehausser sa gloire. — C'est beau !. fort beau !. Mais , as - tu un plan de fait ? -- Je n'ai qu'à écrire dans l'ordre où j'ai tout vu et tout senti. — Mais, as-tu tout ce qui fait partie d'un voyage sentimental ? -.. Quoi ! par exemple , ..- une scène où les animaux jouent un rôle comme dans les délicieux chapitres de Sterne ; l'âne mort ; le pauvre et son chien ; la chèvre de Juliette ; [] l'homme au mouton de Vernes. — J'ai une scène de chevaux.
Mais , as-tu , as-tu une folle par amour. — Elle l'est par amour conjugal , la mienne, et si j'avois le talent de la peindre comme je l'ai vue, je la rendrois bien intéressante. -- Il suffit : ton histoire est écrite ; — pas encore. -Veux-tu un billet de Lycée , il y a séance aujourd'hui ? — Avec plaisir, j j'y vole. []
Le Lycée des Arts.
BRON, bron , bron, bron, bron , bron , bron , un concert ; puis une mâchoire s'ouvre , et il en sort une voix et ces mots : Citoyens , la séance est commencée ; CITOYENS,
On a construit , en Angleterre, une machine susceptible de hacher quinze milliers de percil en [] en une heure. Eh bien ! citoyens , le génie des arts a plané sur la France, et je vous annonce , avec la satisfaction la plus vive, que nous possédons dans notre sein Fauteur d'une découverte bien plus intéressante encore. Oui, citoyens, nous allons couronner l'inventeur d'une machine qui peut couper, citoyens, vingt - cinq mille alumettes par jour.
Cla , cla , cla , cla , cla , cla.
Couronnons, couronnons, couronnons donc.
Bron , brou, brou, bron, bron. [] Nous allons couronner un orfèvre , citoyens ; il soude assez gentiment l'argent.
Nous allons couronner un émailliste ; il travaille fort proprement.
Cla , cla , cla, cl a, cla, cla.
Couronnez , couronnez, couronnez donc.
Bron, bron , bron, bron, bron.
Une jeune personne s'assied avec grâce auprès d'une harpe , et en tire des sons ravissans.
J'allois me réconcilier avec le Lycée , si je n'avois entendu. [2] Nous allons couronner, citoyens , un citoyen qui, à l'armée , citoyens , en présence de l'ennemi, citoyens , avec son coûteau, citoyens , avec son seul coûteau , a fait, citoyens, ce superbe forté-piano, citoyens vertical. Une femme s'approche de l'instrument, prélude, et. admirez l'effet. Chaque membre de l'auditoire, chaque académicien du Lycée ; les musiciens, les secrétaires ; le président lui-même, par un mouvement spontané , élèvent perpendiculairement les deux index , les étendent [] ensuite horisontalement , et se les insèrent dans les oreilles.
La musicienne quitte le clavier, les touches , et imite son sourd auditoire , qui reste cinq minutes dans la même situation.
C'est égal, citoyens, c'est égal, s'écrie généreusement le président , qui déplaçoit cependant avec circonspection ses deux doigts ; nous allons toujours couronner. A cette menace , je tremblai que mon tour ne vînt d'être couronné ; je m'enfuis par modestie et par respect pour les couronnes. []
A quatre pas du Lycée , j'avois , presque oublié qu'il existât au monde une société savante qui se chargeoit de gronder les enfans le matin, d'ennuyer à midi les hommes faits , et de faire danser les jeunes filles le soir. []
Le Restaurateur.
IL est deux heures , et mon provincial appétit m'avertit qu'il faut songer à dîner , sans me permettre de lui représenter qu'il est par trop bourgeois de manger avant quatre heures , et de lui faire sentir qu'on ne dîne pas décemment, si on ne le fait en même-tems que les agioteurs , les scribes , les maîtres des sciences et des arts de tous les [] genres, les joueurs et les escrocs qui, sortant à cette heure de leurs comptoirs , tripots et coupe-gorges , viennent peupler les salles de restaurateur.
C'est depuis deux jusqu'à trois heures que se font , dans toute l'étendue de Paris , les dîners les moins indigestes.
J'entre chez un restaurateur, demande la carte et m'assieds.
N'ayant rien de mieux à faire pendant mon repas , je m'occupai à étudier les physionomies de mes convives. Le souvenir de Sterne me conduisit naturellement [] à cette observation. Sterne, me disois-je, a écrit l'histoire du cœur humain par les gestes ou les signes extérieurs du plaisir et de la douleur. Un auteur estimable , aussi original dans son genre que l'est Sterne dans le sien , Lavater a cru pouvoir juger du caractère d'un homme par sa physionomie , même dans son état de repos. Il a donné les principes de cette connoissance précieuse, et a réussi plusieurs fois à en prouver la justesse.
Je tâchai de m'en rappeler quelques-uns ; et pour en faire [] l'application aux figures que j'avois sous les yeux, je me mis à considérer attentivement les personnes qui m'environnoient.
Cet homme , me dis-je , a tous les caractères de l'honnêteté et de la bonté , ou il fait mentir bien impertinemment Lavater. et moi. Aucunes rides sur son front ; les yeux fixes , mai s doux, et puis. et puis la lèvre supérieure un peu élevée.
Ah ! c'est un homme honnête et bon. Cet autre, au front ridé ,. son œil inquiet se cache sous un sourcil épais ; il ne, [] regarde qu'à la dérobée ,.. et. sa lèvre inférieure est plus élevée -X'. que la supérieure. Allons , cet homme est un M. Permettez-moi, respectable Lavater, de douter un instant de l'infaillibilité de vos principes. J'aime mieux m'égayer avec Sterne que de m'affliger en formant de tristes conjectures.
Ce jeune homme a l'air distrait, qui se ronge l'ongle du pouce de la main gauche , et qui, de la droite, imite l'action d'écrire , est, je n'en doute pas, un poète. []
Cet autre , d'une figure insignifiante , qui casse son pain, tient sa fourchette et.la porte à sa bouche avec un risible étalage de grâces ; qui, par-dessous la table, porte son pied tantôt ici , et tantôt là, doit nécessairement être un maître de danse. — Ah ! voilà surement un chef de bureau du ministre des finances : voyez comme il a l'air occupé, comme il incline le corps en avant ; comme il courbe la tête ; comme il étend les bras , en les arrondissant ensuite ; et comme toute son attitude vous dit clairement [] ; pas possible , absolument pas possible ; cela ne dépend pas de moi.
Ce monsieur, qui repose son front entre le pouce et l'index de la main gauche, qui est environné de plusieurs porte-feuilles remplis de traites , de billets et de lettres de-change, ce monsieur est un gros spéculateur. Il calcule, dans ce moment, combien cent cinquante-quatre livres dix-neuf sols trois deniers, qu'il a prêtés , à douze pour cent par mois , lui rapporteront dans six semaines, avec les intérêts des intérêts. []
Monsieur, dit un garçon à la personne que j'avois jugé si honnête : vous n'oublierez pas cette caraffe ; et il en montroit une que l'homme au front ridé avoit cassée , et placee ensuite près de lui. Monsieur, répondit l'homme honnête , je ne crois pas avoir cassé cette caraffe... Si vous l'exigez,. cependant ;. mais, ajouta-t-il d'un ton de voix déchirant ; je suis forcé de vous avouer que je ne pourrai pas payer mon dîner : il avoit à peine commencé à manger. On avoit remarqué le mouvement de [] l'homme au front ridé ; il est hué et chassé. Le restaurateur appelle un de ses garçons, et dit, en lui montrant l'homme honnête: ouvrez un mémoire au compte de monsieur ; il s'approche de lui : vous le grossirez , j'espère.
J'aurois voulu, dans ce moment, être le restaurateur. Je sentois toute la délicatesse qu'il avoit mis à rendre service.
La reconnoissance de l'homme honnête, je la peindrois mais on la devine ; je peindrois aussi quelques autres personnages, mais il est trois heures, et j'ai dîné. []
Fragment historique.
RESTEZ là, cher lecteur, lestez là. Ne me suivez pas, j'entre seul , j'en achète le droit. Un petit papier ; c'est un fragment historique ;. lisons-le , et nous verrons après si nous pouvons le dérober à son emploi.
Et M.F. vit mademoiselle G. et l'aima , et M. F et mademoiselle [] G..... s'aimèrent et s'épousèrent, et M. F..... étoit inconstant, et mademoiselle G..... étoit jalouse , et mademoiselle G.... devenue madame F.... se plaignit, et M. F.... en rit, et madame F..... qui a du caractère , donna un soufflet à M. F.... et M. F..... se fâcha tout rouge ; et madame F. demanda la séparation , et M. F.... accorda la séparation.
On fit dresser l'acte de séparation ; on le consentit ; on le signa ; on partagea les biens meubles et immeubles ; on se [] disputa ; on se fit des complimens ; on s'adressa des choses honnêtes ; on s'arracha réciproquement des bijoux qu'on savoit devoir se convenir, et on se dit galamment qu'on se les offriroit l'an prochain , comme on offre à un amant, comme on offre à une maîtresse. On divorça, enfin.
Alors madame F. s'ennuya à P. alors elle fit venir des chevaux de poste ; alors elle monta dans sa grande berline de voyage ; alors elle se disposa à retourner en E. alors [] elle se prépara à rentrer dans le comptoir de monsieur son père.
Mais madame F. n'aimoit pas la nation E. mais madame F. croyoit les E. moins aimables et moins galans que les F. mais madame F. n'alla que jusqu'aux frontières d'E. mais madame F. resta en F. sans y être forcée.
Dans ce tems là , beaucoup d'honnêtes gens en sortoient ; dans ce tems là madame F. y demeura ; dans ce tems là, elle alla à B. dans ce tems là , T. faisoit trembler la ville [] de B. dans ce tems là , T. devint amoureux de madame F. dans ce tems là, madame F. fit un bon usage de son empire sur T. dans ce tems la T. étoit sauvage ; dans ce tems là, madame F. l'apprivoisa ; dans ce tems là, T. étoit féroce ; dans ce tems là , madame F. le musela.
Il vint à P. elle vint à P. il fit parler son amour ; elle écouta son amour ;. il et elle.
Cependant T. fit ombrage à R. cependant R. [] menaça T. cependant madame F. fut arrêtée ; cependant elle fut jetée dans une prison ; cependant R. lui fit proposer de signer une dénonciation contre T. cependant madame F. qui a du caractère , refusa de dénoncer T. cependant elle dit qu'elle aimoit mieux mourir.
A cette époque R. fut puni ; à cette époque , T. triompha ; à cette époque, madame F. sortit de prison ; à cette époque , madame F. fit un enfant ; à cette époque , elle en épousa le [] père ; à cette époque, madame F. devint madame T.
Depuis ce moment, madame T. brilla ; depuis ce moment, madame T. porta des robes à l antique ; depuis ce moment , elle se couvrit de diamans ; depuis ce moment , elle fit les beaux bras.
Enfin , madame T. a eu de petits retours à l'honnêteté ; enfin, elle a menacé T. de le quitter ; enfin , elle le quittera ; enfin , elle divorcera ; enfin , elle aura épousé M. F. elle aura divorce avec M. F. elle aura [] épousé M. T. elle aura divorcé avec M. T.
Il arrivera qu'elle épousera M. A. il arrivera qu'elle épousera M. B. qu'elle épousera M. C. v qu'elle épousera M. D. qu'elle épousera M. E. il arrivera qu'elle épousera l'alphabet , et qu'elle divorcera avec l'alphabet.
Imitez-moi, cher lecteur, et vous ferez plusieurs fragmens d'un seul. []
Le sallon des échecs.
LA ville où je suis né , ci-devant capitale de province, maintenant chef -lieu de département, est distante , si je ne me suis pas trompé, en comptant les millésimes, ou kiliomètres, est distante , dis-je , de trente lieues de Paris. Elle est en possession , depuis le retour de Cristophe Colomb , de raffiner le sucre le plus solide des quatre parties du [] monde. Je n'assignerai pas avec autant de précision l'époque à laquelle on y fabriqua la première paire de bas et le premier bonnet de laine. Ce dont seulement il n'est pas permis de douter, c'est que l'on fut alors fort content de l'industrie de nos bons aïeux, et que, depuis ce moment, les manufacturiers de ma patrie chaussent les habitans de la Beauce et pays circonvoisins , et coëffent les sujets de sa hautesse. J'ajouterai encore , à sa louange , que les productions de son vignoble flattent [] assez le goût, pour que les bons Parisiens aient la complaisance de les honorer , en buvant à la santé des quatre-vingt-dix-sept départemens, du nom glorieux de vin de Mâcon, de Beaune, etc. L'Univers saura, de plus, qu'elle est la ville du monde où l'on peut - raisonner plus pertinemment sur la valeur d'un sou , et sa division en quatre fois trois deniers. Parmi -les cinquante mille personnes qui l'habitent , intrà et extra. muras, j'en connois trois qui ont ajouté à la grande réputation [] de sagesse et de jugement , qu'elles méritoient déjà , en jouant aux échecs. Je voulus diminuer un peu l'idée qu'on avoit attaché à la légèreté de mon caractère. Je m'assis auprès d'un échiquier , en face d'une des têtes les mieux organisées du département, et je fis mouvoir mes pièces suivant leur marche respective. Je perdis d'abord , je perdis ensuite t je perdis encore , puis , puis je gagnai , et mon adverversaire me dit , en se pinçant le nez : c'est singulier, je [] jouois mieux que cela au café de la régence. — Vous avez donc joué au café de la régence ? - oui , monsieur, et dans les beaux jours de Philidor encore.
- Ah ! ah ! — et j'étois de la onzième force ; - peste ! - et je savois par cœur les deux mille trois cent quarante- quatre parties et leurs variantes qui sont renfermées dans le jeu des échecs. — Diable , monsieur, depuis ce moment , je désirai , avec toute l'ardeur de mon âge , connoître les dix classes de joueurs d'échecs supérieures [] a celui qui m'avoit fait mat tant de fois.
Je me présentai au café de la régence ; les habitués de l'échiquier l'avoient quitté, et s'étoient établis en face de ce même café.
Je lus, au-dessus de la porte : Sallon des échecs. Je tressaillis de joie , et je me précipitai étourdiment dans cette auguste enceinte. Chut, chut, chut , chut , entendis - je de toutes parts. Un grand monsieur me dit, à voix basse. Jeune homme, on n'entre pas en courant dans le sallon des échecs,. [] sur-tout lorsque Léger fait sa partie. — Qu'est-ce que Léger ?
- En me faisant cette question , vous me prouvez, que vous n'êtes pas joueur d'échecs ? — J'arrive de province, et je ne sais que la marche. — A la bonne heure. — Eh bien !- cet homme qui prend quatre prises de tabac à la minute , qui en couvre sa cravatte, sa veste, sa culotte et l'échiquier , qui tourne la mâchoire de tems en tems , cet homme est le fameux Léger, le successeur de Philidor. Il cède un pion à ce sexagénaire et [] le gagne. Cependant nous concevons de son partenaire de grandes espérances , et moi , personnellement , je parierois ma reine contre votre fou,. qu'avant quatre ans il pourra jouer à but avec Léger. oui , ce fameux Léger. Ce petit homme en habit gris , un peu rapé , et en culotte noire , devenue jaune , qui, placé derrière eux , suit leur partie en haussant les épaules, est Carlier, l'antagoniste , le rival de Léger ; ils ont joué dix ans ensemble , et, pendant ces dix ans , ils n'ont [] fait que des parties nulles.
Enfin , il y a six mois que Léger en gagna une ; Cartier prit sa revanche le lendemain.
Depuis ce moment, ils respectent assez leur réputation ; ils se respectent assez eux-mêmes pour ne plus jouer l'un contre l'autre , et puis il y a eu des propos. Des gens mal intentionnés ont rapporté à Carlier que Léger s'étoit vanté de lui céder le trait. Oh ! si nous n'avions étouffé l'affaire , elle auroit eu des suites,. mais elle s'est fort bien passée ; quoique , [] depuis ce tems, ils ne se parlent jamais.
Je m'approchai de la table de Léger ; il parcouroit du doigt toutes les cases de l'échiquier l'une après l'autre, et disoit à son adversaire: Monsieur, vous avez , vous avez, vous avez vous avez mal joué ?
J'ai joué , répondit l'autre , j'ai joué, j'ai joué,... j'ai joué le jeu ? - Vous ne l'avez pas joué, vous ne l'avez pas joué ? et la preuve ;. et la preuve ; c'est que vous êtes mat ?. Ah , mon dieu ! s'écria [] douloureusement l'autre, en faisant, d'un coup de poing, voler les échecs à la tête des assistans. Au reste , je m'y attendois ; je le prévoyois. Vous perdiez, monsieur, si, au troisième coup, j'avais fait avancer de deux pas le pion de la tour ; si , au sixième coup, j'avois couvert mon roi par le fou de la reine ;. si, tout-à-l'heure, , j'avois donné échec à votre roi par mon cavalier ; et si. Jo n'entendis pas le reste de ces si ; je m'en allai, en songeant à la nouvelle espèce d'hommes [] que je venois de voir. Elle forme un peuple isolé au milieu du peuple. Un joueur d'échecs ne s'occupe point des nouvelles de la guerre. Quand on mène bien une partie d'echecs, on commande bien une armée.
Des nouvelles politiques,. qui sait conduire son jeu, sait gouverner un état. De ses affaires personnelles , qui joue aux échecs, est au-dessus des détails du ménage. []
Le Rentier.
Je passois sur la place du Muséum ; je me rappelai tout-à-coup le voyage autour de ma chambre de X. Voilà, me disois-je, une belle occasion de faire un voyage pittoresque et sentimental. A la faveur de ton passe-port , tu peux entrer là , , étudier les tableaux qui y sont déposes , en rendre compte , bon gré mal gré, au lecteur, et [] ajouter un volume à ton plat ouvrage. Bah ! le lecteur peut voir les tableaux aussi bien que moi, et les juger mieux. Je continue de marcher. Une foule nombreuse attire mes regards.
Quoique persuadé qu'il ne s'agissoit pas moins que d'une querelle d'enfans , ou d'un serin envolé , je me joins machinalement, comme c'est l'ordinaire, à ceux qui alloient grossir le nombre des curieux. j'interroge à droite et à gauche ; une femme âgée parloit : je prête l'oreille.
Il venoit, depuis un an, tous les [] jours à sept heures du matin ; il restoit debout , près de la muraille , la tête baissée et le chapeau à la main.
Comme il ne demandoit jamais, on lui donnoit rarement. Le soir, sa fille, qui est un enfant bien joli et bien aimable , venoit lui donner le bras et le conduire chez lui. Je les connois tous deux, moi, je demeure ici dans la même maison , sur le même pallier. Le père et la fille n'ont pas toujours été aussi malheureux. Autrefois ils avoient quatre mille livres de rente au [] moins , et c'étoient de bien honnêtes gens encore ; mais ils ont été ruinés comme bien d'autres honnêtes gens. Eh bien ! lui criai-je, intéressé par ce récit.
Eh bien ! monsieur , il ne leur est rien resté. Le père , qui sait ce que c'est que la vertu , n'a pas voulu se séparer de sa fille ; il a mieux aimé mendier, monsieur. La pauvre petite travailloit toute la journée dans sa chambre, pendant que le père attendoit ici quelques secours des ames charitables. — Eh bien ! que lui est-il arrive ? — Est-il [] possible d'être si heureux que cela, et si malheureux en m êmetems. — Au fait, au fait. — Eh bien ! au fait, m'y voilà au fait.
Quelqu'un passe et met dans son chapeau une pièce de monnoie plus forte que celle qu'il reçoit ordinairement. Il veut remercier l'homme qui lui donne cette aumône ; il lève la tête ; il reconnoît son ami qu'il n'avoit pas vu depuis long-tems. Son ami l'embrasse en pleurant ; il ne pouvoit pas pleurer, lui ; il lui dit qu'il est riche à présent, qu'il n'est plus obligé de se [] cacher, et qu'il vient pour partager sa fortune avec lui. Le voilà bien heureux maintenant, mais il ne le sera pas long-tems.
Vous pouvez bien voir vous-même le reste à présent ; elle s'en alla en s'essuyant les yeux.
Pendant le discours de la vieille, j'avois fixé mes regards tour-à-tour sur elle et sur l'homme dont elle me parloit. Il étoit debout ; les nerfs dans une violente contraction ; la tête, droite ; les sourcils élevés ; les yeux égarés ; la bouche ouverte , respirant à peine ; rougissant [] et pâlissant successivement. Un vieillard éploré lui disoit : Je suis riche , à présent, tout ce que je possède est à vous.
Ah ! monsieur , lui criai -je, vous assassinez votre ami. Une jeune personne , dans le plus grand désordre, accourt ;. elle veut se jeter dans ses bras ; on la retient. Son père lui prend la main , saisit celle de son ami, les serre toutes deux avec un mouvement convulsif ; il rougit ; il pâlit ; les muscles de sa bouche s'étendent , se resserrent , [] s'étendent encore ;. il sourit ; il expire. Son ami,. il vient de lui porter le coup de la mort.
Sa fille. Son bienfaiteur est l'assassin de son père. []
Le Duel.
L'ESPRIT et le cœur remplis de cette scène funeste , je rentre chez moi ; après les douloureuses réflexions, que vous faites comme moi, je me rappelai une affaire dont je n'ai point encore fait confidence au lecteur.
Dans mes courses du matin, j'avois pris querelle avec un jeune homme pour un sujet fort léger. Nous nous étions donnés [] réciproquement nos adresses et rendez-vous. Le cœur me battoit un peu , et j'en appelle au plus brave ; à moins d'être un spadassin , il conviendra qu'il ne s'est jamais trouvé dans une situation semblable sans éprouver quelqu'émotion. Je réfléchissois à cette affaire et à ses suites , et je me promenois assez agité dans mon appartement, lorsque j'apperçois une araignée , s'efforçant d'arracher de ses toiles un foible moucheron. Tous deux font des efforts violens : je délivre la mouche et éloigne l'araignée [] Tout-à-coup je me dis : I l'idée seule de la destruction de cet insecte te fait horreur, et tu ne crains pas de t'exposer à » verser le sang de ton semblable !..
Allons, faisons les premières de ; marches. Je sors, en songeant : à l'exemple de bienveillance universelle que. nous donne l'oncle Tobie. Un insecte le tourmentoit ; il le saisit , ouvrit une fenêtre et lui rendit la liberté , en lui disant : Va , va-t'en , petit animal, le monde est assez grand pour que toi et moi puissions y vivre à l'aise. [] Je rencontrai mon adversaire.
— Etes-vous bien décidé à vous battre ? lui dis-je le premier. —
J'allois chez vous pour avouer mes torts ? — J'allois chez vous pour convenir de ma vivacité.
Nous ne nous accusâmes de lâcheté ni l'un ni l'autre ; nous nous estimâmes ; et, depuis ce moment , nous nous sommes liés d'une manière particulière.
Je devois cette leçon d'humanité et de véritable honneur à deux insectes. []
Le Dentiste.
AYE , aye, aye ! cette dent me fait cruellement souffrir !
Allons , il faut nous en débarrasser , la faire arracher.
J'entre chez M. D. autrefois dentiste de la reine. M. D. dis-je à un domestique, peut-il m'enlever dans le plus bref délai une dent qui me martyrise ? —
Monsieur D. ! Monsieur est malade. Je vais savoir de [] lui, cependant. - Allez-y promptement. Il revient.
M. D. monsieur, m'a chargé de vous dire qu'il étoit disposé à faire tout ce qui pouvoit vous être agréable. A ce titre , je passai de l'anti-chambre dans un fort beau sallon , du sallon dans une chambre à coucher richement meublée. — Hélas ! me dis-je à moi -même , tu vas être obligé de payer bien cher tous ces beaux meubles, cette aiguière et cette cuvette d'argent, ce superbe fauteuil de velours , son élégance , sa dorure, et la complaisance de M. D. [] M. D. qui veut bien', maigre sa maladie, t'arracher cette maudite dent. Monsieur , me dit une vieille dame qui avoit des dents encore assez fraîches pour que je crusse qu'elle venoit de les acheter : Comment, à votre âge , pouvez-vous faire si facilement le sacrifice de ?.-. Madame , lui répondis-je d'un ton un peu brusque, en l'interrompant : Je me ferois arracher la mâchoire si la mâchoire entière me faisoit souffrir.
Je m'assieds : M. D. me met un-doigt dans la bouche, y [] place ensuite le davier. Crac, ma dent est cassée !. Je souffre comme un damné. J'aurois donné tout au monde pour pouvoir dire , ouf ! et jurer ; mais il eût été par trop provincial de se plaindre de mal-adresse de M. D. dentiste de la reine.
Crac !. il a donné un second coup de davier, mes souffrances ont redoublées , la dent n'est pas arrachée. Il se sert de quatre instrumens l'un après l'autre.
Le domestique me présente l'aiguière , la cuvette , un gobelet de vermeil. Je me lave la bouche, [] je donne à M. D. une somme avec laquelle j'aurais pu me faire arracher dix dents à un quatrième étage ; je m'enfuis pour soupirer à mon aise dans la rue.
Le domestique m'attend à la porte de F anti-chambre ; il me l'ouvre avec tant de politesse , il me salue si respectueusement, que , que je suis reconnoissant. Au bas de l'escalier, je m'apperçois qu'une partie de la dent est restée dans la gencive ; je me garde bien de faire à M. D. l'injure de le prier d'en enlever au moins une toute [] entière en sa vie. Je prends sur ma manche une grosse épingle , je fais le reste de la besogne , en me promettant bien de ne plus confier ma mâchoire à un dentiste au premier étage. []
Le Thé.
EN consultant encore mon calepin, je vis que j'étois chargé (Tune commission pour un de ces enrichis de province , dont la fortune fut si rapide, qu'ils en sont eux - mêmes étourdis. Je passe devant son hôtel ; j'entre.
Monsieur étoit absent ; je pouvois parler à madame, qui entend les affaires aussi-bien que monsieur , vu qu'elle n'a fait [] que passer du petit au grand.
Je me fais annoncer. Madame étoit étendue sur son sopha, un livre à sa main. Je sus depuis que ce livre étoit l'Opération des Changes, par Ruelle.
Je fais une révérence, j'expose ma commission. - Picard , donnez un siège à monsieur. Eh bien ! vous n'connoissiez pas not'maison ; faut que j'vous fasse voir ça : vous savez c'que c'est, vous. J'ai toujours entendu dire , pendant qu'vous n'étiez pas pus haut qu'ça, et elle éleva la main d'un pied et demi,. [] qu'vous n'étiez pas bête. Je la remerciai du compliment. Oh ! c'est vrai ça, moi, je les dis par où je les attrape ; je suis toujours comme auparavant , toute sans façons, toute ronde. V'nez, v'nez avec moi. Voyez-vous ce beau lit ? on dit que c'est du lampas.
Et mon écrin , donc : c'est une rivière de diamans, au moins , ça !. - - C'est mon mari qui m'en a fait cadeau. Il est un peu lesse à présent, mon mari. Il a deux maîtresses en ville ; moi, ça n'me fait rien du tout, telle q'vous me voyez , ça n'me fait [] rien du tout. Est - ce qu'une femme prend garde à ça à Paris L c'est pas comme en province.
Vous direz chez nous q* vous avez vu tout ça. Je me le promis bien. Je voulus prendre congé d'elle. Oh ! vous n'vous en irez pas , vous n'vous en irez pas : vous prendrez une tasse de thé avec nous. Mes bonnes amies vont venir: j'en ai beaucoup à présent, de bonnes amies !. elles vont arriver tout-à-l'heure : j'leur donne un thé.
On annonce mesdames N.
N. N. Entrez, entrez, [] mesdames, leur crie la maîtresse de la maison. Pardi ! vous avez été ben longues à votre toilette ; j'm'ennuyois en vous attendant. La bonne figure que je faisois là ! je m'en consolois en regardant ces femmes , dont deux étoient habillées à la grecque ; la troisième , fort décemment vêtue, me parut être une de ces femmes de l'ancien régime, qui sacrifient l'honneur à la vanité.
On sert le thé sur une table consacrée à cet usage. Un jeune homme entre avec fracas ; [] je crus qu'il sortoit de la boutique de monsieur son père. Eh bien ! mesdames , vous n'avez donc pas été à Longchamp ?
Il devoit être mal composé aujourd'hui. Raison de pins pour vous y trouver, dis-je entre mes dents — Et puis , ajouta la maîtresse de la maison , il n'y avoit q'des fiaques. Quelles nouvelles, dit une autre dame ?
- Il y a un dîner chez madame Duricour. — Non , ce n'est pas un dîner, c'est un thé. Une pause. — Il n'y a.pas d'autres nouvelles ? —Il y a eu trois [] chutes au bois de boulonne. J'sais ça. C'te pauv'petite madame Lestoc s'est. s'est. elle fait un mouvement d'épaule. s'est démanché le bras.
— C'est dommage. — Avoit-elle sa robe jaune , de mousseline, de quarante louis , avec des paillettes d'or ? — Oui. —Ah ! ah ! elle ne la portera pas deux fois. — Est-ce que cela se fait, ma bonne amie, répondit une grecque ? — Ça ne se blanchit donc pas ? -N on , ma chère amie. Je pris congé de la société : j'en avais assez vu et [] assez entendu. — Vous reviendrez nous voir ? - j'y suis trop intéressé. - Il n'est pas encore formé, ce jeune homme-là. Mais s'il restoit a Paris.
J'ai l'honneur de vous présenter mes respects. Je me sauve.
Le Palais-Royal.
Qu'y vois-je ! des oisifs de toute espèce, des marchands oisifs, des promeneurs oisifs. Les filles et les filoux seuls y ont quelqu'activité. J'étois , dans ce moment, assez oisif moi-même pour en faire deux fois le tour.
Je rencontrai une jeune personne appuyée sur le bras d'une vieille femme. Sa figure respiroit la douceur et la modestie. Je ne [] doutai pas cependant que ce ne fût une victime de la prostitution. Malgré cela , comme je cherche des anecdotes et des histoires par-tout, je me déterminai à l'aborder. Quel prix , lui dis-je en touchant sa coëffure, quel prix mettez-vous à ce panache ?. Elle sourit, me regarda en dessous , et rougit.
Oh , oh ! dis-je, c'est singulier.
Je lui pris la main , elle serra la mienne ; nous passâmes dans le jardin. -Eh bien ! —Eh bien !.
Trois soupirs et un silence. —
Vous ne me paroisses pas faite [] pour l'état que vous exercez.
- Il est vrai. Un soupir.
Pourrois-je connoître la suite d'événemens qui vous a forcée de le prendre ?. J'appartiens à des parens injustes qui ont contrarié mon amour. —Oh ! votre histoire ressemble à celles de toutes les autres. Tenez, voilà ma rétribution. Bon soir. []
La bonne Compagnie.
U N de mes amis de collége m'avoir proposé de me présenter dans une société honnête, où ses talens et ses bonnes qualités le faisoient recevoir avec considération. J'arrivai, et je commençai à balbutier un compliment qui, si madame de B. me l'eût laissé poursuivre, eût été , je n'en doute .pas , bien gauche et bien mal tourné. Elle [] m'interrompit en me disant , avec toute la grace possible, les choses honnêtes habituelles.
L'assemblée étoit composée des personnes les plus aimables et les plus instruites des deux sexes.
La conversation reprit son cours.
Un homme du meilleur ton , parlant avec facilité, en faisoit les honneurs avec madame de B. Je fus d'abord embarrassé , contraint, puis un peu moins , puis enfin je repris quelqu'assurance.
On parla modes et colifichets, avec la légéreté convenable au [] sujet ; on raconta décemment l'anecdote un peu libre du jour , on coudoya la politique en passant, en se fixa à la littérature, en critiqua sans amertume , on loua sans exagération, on raisonna sur tous les sujets avec justesse et goût. Je me levai et saluai , plus content de moi ( quoique je n'eusse pas dit un mot) que je ne le suis ordinairement après un premier entretien avec des gens d'esprit. []
Le Concert de la rue Feydeau.
JE suis impatient. Madame L. m'a occupé sans que je vous en aie fait part, cher lecteur, dans les momens les plus serieux de la journée. Il est neuf heures,. je dois la trouver au concert Feydeau ;. j'arrive, elle est seule, je suis auprès d'elle en petite loge ;. des bougies ;.
Garat ; trois bémols à la clef.
Quelle est cette femme ci ? quelle est cette femme là ? quelle est cette nouvelle couleur ? que pensez-vous de ce spencer ? [] comment nomme-t-on ces chapeaux de paille ? que dites-vous de ce jeune homme ?
Ah, mon dieu ! que de questions ; je les, fis toutes , et beaucoup d'autres encore. Ma curiosité prouvoit le désir de m'instruire, elle me rendit très aimable , me fit paroître charmant,. on répondit à toutes.
Le nacarat étoit une couleur directoriale , ces chapeaux avoient étonnamment vieillis depuis vingt-quatre heures.
On me raconta l'histoire de chaque personne. Madame S.... étoit brouillée avec son mari et son amant à-la-fois. Quel vide affreux ! M. V. étoit roué par une débutante.. , Le jeune [] B.... avoit des motifs de sagesse. La vieille madame H. venoit au concert pour la,dernière fois ; elle renonçoit le lundi suivant à la société.
On parla ensuite de surprises, d'amour. A propos d'amour, je plaçai naturellement le mien.
La magie du spectacle et de l'harmonie avoit produit son effet.
Je fus écouté , regardé tendrement. — Allons chez Carchi.
On se refroidit, m'écriai-je. Allons chez Carchi. []
Carchi.
Des glaces de Venise bien entretenues,. et de très-jolies glaces à la bouche de rose , et des biscuits aux amandes du meilleur genre ;. assemblée un peu mêlée ; Carchi très-important et très-civil ; madame Carchi très-minaudière ; de charmantes femmes ; des jeunes gens extrêmement élégans ; et au milieu de tout cela , ma redingotte grise demi-quarrée , sans collet noir encore. — Auprès de moi était une dame, dans le costume le plus galant ; un des douze jeunes gens groupés derrière elle s'approcha de son oreille, et lui dit très-gracieusement :
Demain , madame , je vous fais le sacrifice de mes cheveux. Sourire [] d'approbation. Six de ces Jeunes - gens, dont la chevelure était chargée de poudre , reculerent d'un pas ; les cinq autres , presqu'entièrement rases, s approchèrent d'un pas, et tirèrent ensemble, d'un petit étui d'argent, de nacre de perle, d'or, e:c. un peigne d'écaillé artis'ement travaillé. Ils le promenèrent à diverses reprises sur le front, les faces , les sourcils ; par ce petit mouvement, chacun d'eux développa trois ou quatre grâces ; grace à ouvrir l'étui , grâce à en tirer le peigne , grâce à se peigner, grace à refermer l'étui , etc. La jeune dame sourit encore , et se leva. Douze bras sont tendus , douze mains sont offertes ; elle prend celle d'un homme assez laid et assez mansade , et sort suivie de son nombreux cortége.
Vous me permettrez , dis-je à madame L. de vous remettre chez vous ? []
Fin de la journée.
J'ÉTOiS moins timide;... j'osai un jeu. - j'osai tout, et je m'écriai : Ah ! madame ! non diem perdidi. —
A-t-on jamais entendu parler latin en pareille circonstance ! — Il est minuit, madame les patrouilles , le bureau central. ---- : Monsieur , une femme honnête. v.. — Madame, les dangers. Silence de deux minutes. Madame hésite... — Marton , donnez-moi la clef de l'escalier dérobé.
Nox est.