HENRIETTE DE WOLMAR, OU LA MERE JALOUSE DE SA FILLE.
HENRIETTE
DE WOLMAR, OU LA MERE JALOUSE DE SA FILLE, HISTOIRE VERITABLE, Pour ſervir de ſuite à la Nouvelle Héloiſe, Par J.J. R.
Il eſt des forfaits, Que les Dieux en courroux ne pardonnent jamais.
Volt. Sémiram.
A GENEVE, Et ſe trouve à PARIS, Chez DELALAIN, Libraire, rue Saint Jacques.
Et VALADE, Libraire, rue de la Parcheminerie.
M. DCC. LXVIII.
MON AMI, Le lien qui nous unit depuis ſi longtemps, m'engage aujourd'hui à t'écrire. Je veux rendre à l'amitié l'hommage que tant de gens adreſſent à l'intérêt. Qu'un autre, par le ſtyle empoulé d'une pompeuſe Dédicace, s'efforce de captiver la faveur d'un Grand; qu'il orne de Monseigneur, les premieres pages de ſon Livre; il a raiſon; il cherche, il trouvera peut-être; mais il faut qu'il aille lui-même recevoir le prix de ſes louanges, il faut qu'il meure trente fois d'ennui dans l'anti-chambre de ſa divinité, qui enfin paſſant comme un éclair, paiera d'un je vous remercie ſec, l'encens que lui aura prodigué le pauvre Auteur. Je ne me ſens point d'humeur à faire un ſi ſot perſonnage. Je n'ambitionne, je ne demande rien, je vis tranquille. La Fortune, Déeſſe aveugle & bizarre, verſe au hazard ſes faveurs: elles tombent indiſtinctement, ou ſur celui qui court après elles, ou ſur celui qui les attend en repos dans ſon lit. Qu'elle m'en faſſe reſſentir les effets, l'encens le plus pur fumera ſur ſes Autels.
Toi, cher ami, toi qui m'as rendu le plus important des ſervices, au moment où je m'y attendais le moins, il eſt juſte que je t'en marque ma reconnaiſſance. C'eſt à toi que je dédie ce premier eſſai de ma plume: acceptes-en l'hommage, il eſt ſincere: & crois-moi toujours ton ami.
L'HUMBLE Editeur des Lettres de Julie, Monſieur Jean-Jacques Rouſſeau, dit qu'il ne pardonnerait jamais à un homme aſſez ſot pour le louer en face ſur ſon ouvrage, ſuppoſé qu'il réuſsît. Je ſuis loin de croire que le mien ait quelque ſuccès; mais qu'il plaiſe ou non, je n'en attends, ni louange ni blâme. C'eſt un bâtard que j'expoſe; qu'il devienne ce qu'il pourra.
Si l'on s'attend que je vais faire l'éloge de mon livre, & ſupplier à genoux le Lecteur de lui être favorable, on ſe trompe: je m'arrête au titre, & c'eſt-là tout.
Je donne cette Hiſtoire pour véritable; je puis d'autant mieux atteſter qu'elle l'eſt, que je l'ai entendue raconter de la bouche de celle même qui en eſt l'héroïne.
Les Wolmar, dont l'Auteur que je viens de citer, proteſte n'avoir jamais entendu parler dans les environs de la petite ville où il place ſes amans, étaient très-connus ſur les frontieres du Piémont. Originaires d'Angleterre, ils paſſerent en France lorſque Jacques II. vint chercher un aſyle à la Cour de Louis. Ils ſervirent long-tems & avec gloire dans les Troupes de ce Prince, protecteur zélé de leur Roi malheureux.
Sire Henri de Wolmar, le dernier de cette famille, ſe conſacra au métier des armes dès ſa plus tendre jeuneſſe. Il s'était engagé pour Soldat ſous un autre nom que le ſien; il ne dut qu'à ſon courage, & non pas à la célébrité d'un nom dont on eſt ſouvent indigne, la Croix de l'Ordre de Saint Louis, dont il fut décoré.
C'eſt de ſa fille, Henriette de Wolmar, plus connue ſous le nom de Madame de Meillecour, que j'écris l'hiſtoire. Elle me pardonnera ſans doute aiſément d'avoir mis au grand jour les crimes de ſa mere. Au-deſſus des préjugés du vulgaire ſtupide, elle eſt loin de croire que la honte dont ils couvrent leur auteur, puiſſe jamais rejaillir ſur elle.
Il eſt étrange que la multitude ne revienne point d'une prévention ſi abſurde, & qu'il ne ſoit donné qu'à un petit nombre de ne point y être aſſervi. Quoi! mon pere, ma mere, coupables de crimes, auront juſtement ſubi les peines proportionnées à leur énormité, & il faudra que moi, leur fils, que l'honneur & la vertu même auront toujours conduit, je partage la honte & l'opprobre dont ils ſe ſont couverts? Eh! que m'importe ce que font les auteurs de mes jours? parce qu'ils m'ont donné la vie, bien-fait involontaire de leur part, ou du moins accidentel, aurontIls le droit de me charger de leur ignominie? Vertueux, je ne peux les reconnaître qu'aux vives lueurs du flambeau de la vertu: s'ils s'écartent jamais du chemin qui éclaire, qu'ils ſoient ſacrifiés à la mort: leurs forfaits & les ſuites qu'ils entraînent, doivent être anéantis, en mêmetems qu'eux-mêmes ceſſent d'exiſter.
Mais j'oublie que c'eſt un Avertiſſement que je fais, & que je viens de franchir les bornes étroites qui m'y ſont preſcrites. On me pardonnera ſans doute, en faveur de mon peu d'expérience en cette matiere. Je l'ai dit dans mon Epître, c'eſt mon coup d'eſſai; j'ignore abſolument ce que mes Maîtres, les Auteurs connus, appellent les régles de l'Art. Si je les apprends jamais, je tâcherai de m'y conformer.
APRES avoir ſervi avec gloire ſa Patrie & ſon Prince, Mr. de Wolmar était retiré dans une très-belle Terre qu'il avait achetée vers les Frontieres du Piémont.
Depuis dix ans il donnait tous ſes ſoins à l'éducation de ſa Fille, tendre & unique fruit de ſon mariage. Son épouſe, d'une humeur bruſque & acariâtre, & dont le jeu occupait preſque tous les inſtans, avait voulu s'en charger; il l'avait refuſée.
Madame, lui dit-il un jour, je ſçais trop de quel prix eſt le tems de la jeuneſſe, & combien vîte il en faut profiter, pour me repoſer ſur vous du ſoin d'inſtruire ma fille. Toute entiere à vos plaiſirs, vous la négligeriez, & je verrais cette jeune plante croître au hazard, ſans qu'on daignât ſe ſouvenir, ou qu'on pensât même qu'elle exiſte. Amuſez-vous, je ne m'y oppoſe pas, & laiſſez-moi me contenter.
Madame de Wolmar connaiſſait ſon époux; elle ne repliqua rien, mais elle conçut dès ce moment une haine implacable contre la jeune Henriette, (c'eſt ainſi que ſe nommait ſa fille,) & cette haine, rallumée au flambeau de la jalouſie, devint fureur par la ſuite.
Je n'ai jamais bien conçu comment la nature, cette mere tendre, qui met dans nous cet inſtinct qui nous porte à chérir les auteurs de nos jours, ſouffre, envers leurs enfans, dans quelques-uns d'entr'eux, un ſentiment contraire. On en a vu, & on n'en voit, hélas, que trop d'exemples! Combien de parens injuſtes, qui n'ayant d'idole que leurs plaiſirs & eux-mêmes, ſe ſacrifient inhumainement les fruits malheureux d'un hymen ſouvent contracté ſous les auſpices les plus ſiniſtres! Mais j'ai remarqué que ces monſtres qu'on abhorre ſans doute, ſe trouvent plutôt parmi les femmes que chez les hommes. Elles ont des motifs, s'il en peut exiſter quelques-uns, que ceux-ci n'ont pas. Par exemple, une femme ne pardonne jamais, ou du moins trèsrarement à ſa fille d'être plus aimable qu'elle, ſi elle-même ſe pique de quel-que beauté: c'eſt peut-être là la cauſe principale de mille événemens de cette nature que nous avons à chaque inſtant ſous les yeux.
Mademoiſelle de Wolmar va nous fournir un exemple de ces infortunées victimes du caprice.
Elle entrait dans ſa ſeizième année. Une beauté peu commune, une taille des mieux priſes, un eſprit au-deſſus de ſon âge, & ſe pliant à tout, formaient un de ces chefs-d'œuvres que la nature enfante ſi rarement. M. de Wolmar adorait Henriette. Ce pere tendre, qui voyait ſes leçons profiter de jour en jour au-delà même de ſes eſpérances, s'était fait un plaiſir, un devoir de les lui continuer.
La Géographie, le Deſſein, la Poéſie, la Muſique, étaient les talens enchanteurs & utiles qu'il lui avait communiqués. Il lui avait même appris, ou pour mieux dire, il avait fait éclore de ſon jeune cœur un peu de philoſophie: non point de cette philoſophie ſcholaſtique, reléguée dans le fond des colleges, dont de grands mots vuides de ſens font toute la baſe & le ſoutien; non de cette philoſophie, enfant monſtrueux du Déiſme, dont ſe parent orgueilleuſement nos prétendus Eſprits-forts; mais de cette philoſophie morale, aimable, inſpirée par la nature, & avouée par la raiſon.
M. de Wolmar commençait à jouir délicieuſement du fruit de ſes travaux, lorſqu'une maladie cruelle vint l'arracher à ſes plaiſirs.
Il languiſſait depuis long-tems & n'en ignorait point la cauſe. Avant de mourir, il fit appeller Henriette: “Ma fille, lui dit-il, je touche au „terme de mes jours, & le coup „fatal qui m'arrache à la vie, part “d'une main qui me fut chere. Je “lui pardonne ma mort. Que l'honneur ſoit ton unique guide, & dans “toutes tes actions, ne conſulte que „ce que te dictera ton cœur; je le „connois vertueux.“ A ces mots il embraſſe ſa fille, & expire dans ſes bras.
Henriette fut inconſolable de ſa mort, il ſemblait qu'elle prévoyait les malheurs qui l'attendaient. Souvent elle répétait ces paroles terribles: Une main qui me fut chere. Ciel! ſur qui tombent mes ſoupçons!
En effet, Madame de Wolmar s'était priſe d'une paſſion violente pour un jeune homme qui venait depuis quelque tems au château. Réſolue de l'épouſer, elle avait fait prendre à M. de Wolmar un poiſon lent, qui l'avait enfin conduit au tombeau. Il avait été préparé par ſon homme-d'affaire, qui était tout entier à elle.
O! mon pere, s'écria Henriette, un jour qu'elle ſe croyait ſeule dans un cabinet de verdure, qui était au bout du jardin; ô mon pere ſe peut-il que la mort vous ait enlevé à ma tendreſſe? Quelles ſuites funeſtes elle va avoir pour moi! Hélas! j'euſſe été trop heureuſe. Ma mere me hait; que lui ai-je donc fait pour qu'elle me haïſſe? Victime toujours préſente à ſon caprice, elle ſemble prendre à tâche de m'affliger, de me tourmenter. Une joie maligne brille dans ſes yeux, quand elle m'a fait eſſuyer quelque peine. Plus je l'aime, plus je la reſpecte, plus je m'empreſſe à prévenir ſes deſirs, plus elle ſouffre de voir mon attachement. Elle voudrait pouvoir étouffer dans mon cœur cette tendreſſe filiale, ce don précieux de la nature, ce ſentiment inné, comme elle a ſçu arracher du ſien celui de mere. Et vous, digne objet de mon amour, vous que je n'oſe nommer, que ne pouvez-vous lire dans mon cœur! Hélas! j'aime ſans eſpoir. Quand vous ſçauriez tout ce que je ſens pour vous, que vous m'aimeriez autant que je vous aime, mes malheurs n'en feraient qu'augmenter. J'étois née pour le bonheur, l'affreux trépas me l'a ravi pour jamais....
Elle s'arrête à ces mots, & elle tire de ſon ſein un portrait qu'elle y tenait caché. C'étoit celui du Chevalier de Meillecour, le même qu'aimait Madame de Wolmar, & dont je parlerai tout-à-l'heure. Elle l'avait peint elle-même: d'une main tremblante elle le porte à ſa bouche, elle eſſuie des larmes qui coulent malgré elle, & ſe diſpoſe à aller rejoindre la compagnie.
Elle était nombreuſe ce jour-là. Depuis la mort de M. de Wolmar, ſon épouſe donnait réguliérement à jouer chez elle trois jours de la ſemaine. Elle ne penſait qu'au jeu & à ſes plaiſirs, & ne ſe ſouvenait qu'elle avait une fille que pour la chagriner.
Après le dîner, on ſe mit à jouer.Différentes parties furent liées. Henriette évita de faire la ſienne, & profita du tems où tout le monde était occupé, pour ſe retirer, dans le deſſein de ſe livrer à ſes réflerions.
Parmi tous ceux qui étaient reçus chez Madame de Wolmar, le Chevalier de Meillecour y allait le plus ſouvent. Le château de ſon pere, qui n'était éloigné que d'un quart de lieue, lui en procurait la facilité. Il y avait un an qu'il était de retour de Paris, où il avait fait ſes exercices, & ſon pere ſe propoſait de lui acheter une Compagnie dans le Régiment de B....
Ce jeune homme joignait à une naiſſance illuſtre, toutes les qualités qu'on pouvait deſirer. Il était très-bien fait; ſon humeur était enjouée; ſon eſprit juſte & badin ſe plaiſait à s'égayer dans ces jolis riens, qui raniment la converſation, lorſqu'elle commence à languir par la profondeur ou le ſérieux de la matiere que l'on traite; & ſaiſiſſait avec préciſion le point épineux d'une difficulté, qu'il développait avec la clarté la plus grande.
Il fut remarqué de la jeune de Wolmar. Il l'avait aimée dès la premiere fois qu'il l'avoit vue; mais il n'avait pas encore déclaré ſon amour. Henriette l'avait aimé de même; elle voyait bien qu'il l'aimait, & quoiqu'elle eût ſouhaité qu'il ſe fût déclaré, elle évitait avec ſoin de ſe trouver ſeule avec lui. Elle appréhendait que ſa mere ne vînt à s'appercevoir de leur amour; non que le Chevalier de Meillecour ne fût un parti très-ſortable pour elle; mais elle étoit ſûre que Madame de Wolmar, dans la ſeule vue de la chagriner, lui aurait défendu l'entrée de chez elle. Henriette voyait ſon amant, & elle était contente.
Le Chevalier de Meillecour avait, comme Henriette, trouvé le moyen de ne pas jouer. Réſolu ce jour-là de déclarer ſon amour, il n'avait point perdu de vue ſa maîtreſſe. Il la vit ſortir & la ſuivit ſans qu'elle s'en apperçût.
Placé derriere une charmille, il avait été témoin du chagrin & du diſcours de ſon amante. Vingt fois il avait été tenté de s'offrir à ſes yeux, & de lui faire l'aveu de ſa paſſion, & vingt fois il n'avait oſé le faire. La timidité eſt toujours compagne d'un amour véritable; l'on appréhende de bleſſer par un aveu indiſcret la pudeur de celle que l'on aime: cet aveu eſt pourtant bien naturel!
Nos Petits-maîtres tournent en ridicule la timidité des amans; mais nos Petits-maîtres l'ont-ils jamais été? Leur cœur émouſſé par les plaiſirs, eſt-il capable de rien ſentir? L'amour, cette paſſion de l'ame, n'eſt chez eux qu'habitude & finit par leur être inſipide. La facilité qu'ils ont à Paris de ſatisfaire leurs deſirs, les rend inſolens, & ils viennent au point de s'imaginer qu'à moins de bruſquer une intrigue d'amour, d'inſulter des femmes, ils paſſent pour des Héros de Roman, pour des vrais ſots.
Dans l'inſtant que Mademoiſelle de Wolmar fit entendre par ſon diſcours qu'elle aimait, le jeune de Meillecour allait enfin ſe hazarder. Une lumiere affreuſe paſſe tout-à-coup dans ſon cœur. Ciel! que vient-il d'entendre? J'ai donc un rival, s'écrie-t-il! Henriette, ſe peut-il que votre cœur ſi jeune encore ſe ſoit déjà donné? Ah! que ne connais-je le mortel heureux qui le poſſéde, ce fer le lui arracherait bientôt!
Il ſe retirait, il jettait pour la derniere fois la vue vers l'endroit où était ſa maîtreſſe: quelle ſituation! quel moment! c'eſt ſon portrait qu'il voit dans ſes mains, c'eſt lui-même, il ne peut ſe méconnaître. Voler aux pieds de ſon amante, lui faire l'aveu le plus tendre, la conjurer avec larmes de lui pardonner ſa hardieſſe, lui déclarer qu'il ſçait ſon ſecret, lui proteſter qu'il n'en abuſera jamais, eſt l'ouvrage du même inſtant. Henriette éperdue tombe ſur un banc de gazon; une pâleur mortelle prend la place du vif éclat de la roſe, ſes beaux yeux ſe ferment à la lumiere, elle s'évanouit.
Meillecour ſe releve, d'une main que guide le reſpect, il lâche le lacet d'Henriette, il lui fait reſpirer d'un flacon qu'il porte ſur lui; elle ſoupire & revient à elle.
Ah! Chevalier, quoi! c'eſt vous, c'eſt vous que je vois! vous m'aimez!... Vous m'avez ſurpris mon ſecret, je ne vous cacherai point que je vous aime, mon cœur ſans détours, ne connut jamais le menſonge, & l'abhorre. Mais que prétendez-vous? --- Vous adorer le reſte de ma vie. -- Meillecour, que ce moment qui nous eſt ſi cher, nous deviendra peut-être fatal! quelle ſuite de maux j'enviſage! Vous connaiſſez Madame de Wolmar; gardez-vous qu'elle ne s'apperçoive de notre intelligence. Elle eſt pénétrante; le moindre geſte, le moindre coup d'œil nous décélerait; & nous ſerions perdus. Je ne ſçais quel ſort elle me prépare; quel qu'il ſoit, je ne ſerai jamais qu'à vous.
Elle s'éloigne à ces mots: Meillecour va lui répondre, elle eſt dejà au château. Immobile, il la ſuit des veux; il ne peut s'arracher de l'endroit charmant qu'elle vient de quitter, il ſemble qu'il l'y croit encore préſente.
On trouvera étrange qu'Henriette déclare ainſi ſon amour la premiere fois qu'elle voit ſon amant & qu'il lui parle du ſien. Une fille doit-elle ſans rougir faire l'aveu de ſa tendreſſe? Ne doit-elle rien aux bienſéances, à la pudeur? Miſérable préjugé, Roi deſpotique du vulgaire, verrai-je donc toujours encenſer tes Autels, t'immoler les plus précieuſes victimes? N'ouvrira-t-on jamais les yeux ſur ton affreuſe tyrannie? Quoi! les femmes auront un cœur ſuſceptible des mêmes paſſions que celui des hommes, & peut-être encore plus aſſervi à leur empire, & il ne leur ſera pas permis, on leur fera un crime de jouir des mêmes droits qu'eux? Cette loi eſt horrible & le tyran le plus barbare ne la porterait pas.
Elevée par un pere philoſophe, & philoſophe elle-même, Henriette ne ſavait dire que ce qu'elle penſait, heureux ſi tous les mortels agiſſaient comme elle! Il était cinq heures du ſoir; le jeu était fini, & l'on ſortait pour faire un tour de promenade. Meillecour craint qu'on ne le ſurprenne & qu'on ne lui faſſe quelques plaiſanteries ſur l'endroit ſolitaire où il ſe trouve; il ſe hâte d'en ſortir, & gagne une allée oppoſée à celle où tout le monde était.
Il fut bientôt remis du trouble où l'avait jetté la ſcéne qui venait de ſe paſſer, & il joignit la compagnie. Il chercha envain Henriette; elle s'était retirée dans ſa chambre, ſous prétexte d'une petite indiſpoſition. Il lui fut impoſſible de la voir le reſte de la ſoirée. Enfin tout le monde ſe ſépara. Madame de Wolmar qui fit ſigne à Meillecour de reſter, le jetta dans le plus grand embarras. Chevalier, lui dit-elle en le faiſant entrer dans la ſalle, on m'a propoſé pour vous un parti très-ſortable; c'eſt une femme qui a paſſé ſa premiere jeuneſſe, mais qui eſt encore fraîche & qui peut ſe vanter de quelque beauté. Elle jouit de vingt mille livres de rente & n'a qu'une fille, qu'elle fera religieuſe dès que ſon mariage ſera prêt à ſe faire.
La foudre qui gronde ſur la tête du voyageur épouvanté, & qui tombe à chaque inſtant devant lui, ne l'interdit point autant que le fut Meillecour. Qu'avez-vous donc, reprit Madame de Wolmar, que vous ne répondez rien? La propoſition que je vous fais vous déplairait-elle? Non, Madame, répartit Meillecour, qui avait eu le tems de ſe remettre, & qui comprit que c'était d'elle-même qu'elle venait de parler; non, Madame; loin de me déplaire, elle m'eſt agréable, & je me trouve extrêmement flatté que vous ayiez daigné vous en charger. Mais je ſuis encore jeune, de plus je dépends d'un pere... Chevalier, quelle faible digue vous m'oppoſez! Je me charge de faire conſentir votre pere à ce mariage, & de le conclure avant huit jours, ſi vous voulez. Meillecour allait répliquer, mais les domeſtiques qui vinrent à ſervir, firent ceſſer la converſation.
Monſieur le Chevalier, dit Madame de Wolmar en élevant ſa voix, j'eſpere que vous voudrez bien ſouper avec moi. --- . Volontiers, Madame; & ils ſe mirent à table.
Dès qu'ils furent ſeuls; il eſt inutile, dit-elle, Chevalier, de diſſimuler plus long-tems avec vous. Cette femme dont je vous parle, c'eſt moi-même. Ma fille m'ennuie, ſa philoſophie m'excéde, & j'ai réſolu de m'en défaire à quelque prix que ce ſoit. Elle m'a bravée du vivant de ſon pere, elle apprendra quels ſont mes droits ſur elle. --- Quoi! Madame, Mademoiſelle de Wolmar en aurait-elle jamais douté? La douceur de ſon caractere eſt incompatible avec ce que vous me faites entendre. Vous les avez, ſans doute, ces droits, & ils ſont fondés ſur ce qu'il y a de plus ſacré. Mais les Souverains, mais Dieu lui-même, ne les donnent aux peres & meres que pour qu'ils s'en ſervent à faire le bonheur de leurs enfans. Qu'il eſt barbare d'abuſer de ſa puiſſance pour faire le malheur des autres! En cloîtrant Mademoiſelle votre fille, peut-être l'allez-vous rendre le plus infortuné de tous les êtres. Quel ſupplice que des vœux qui pour jamais nous enchaînent malgré nous, dans un lieu qu'on regarde comme une priſon affreuſe!
Le déſeſpoir, la rage, ſuivent de près l'inſtant cruel où on les a prononcés, & l'on maudit mille fois ceux qui nous ont forcés à les faire. J'accepte, continua-t-il, en s'appercevant qu'il avait peut-être pris le parti d'Henriette avec trop de chaleur, & craignant de faire ſoupçonner quelque choſe à celle qu'il avait le plus d'intérêt de tromper, j'accepte ce que vous me propoſez; mais s'il faut l'acheter au prix de la liberté de Mademoiſelle de Wolmar, je n'y conſentirai jamais. Ecoutez la nature, conſultez les inclinations de Mademoiſelle votre fille, &, ſacrifiant vos déplaiſirs, ſi jamais elle fut capable de vous en donner, vengez-vous en la rendant heureuſe.
Madame de Wolmar qui l'écoutait avec impatience, & dont la colere était prête d'éclater, fit tomber adroitement la converſation ſur autre choſe. Un quart-d'heure après ils ſe leverent de table, & le Chevalier lui ayant promis de revenir le lendemain, partit pour ſe rendre chez lui.
Dès que Madame de Wolmar ſe vit ſeule; je n'en puis plus douter, s'écria-t-elle; l'ingrat aime ma fille; il n'a feint d'acquieſcer au mariage que je lui propoſe, que pour me tromper. On ne prend point avec tant de chaleur l'intérêt d'une perſonne pour laquelle on n'aurait que de l'amitié. Celle-ci eſt de glace, l'amour eſt tout de feu. Ah! monſtres, vous vous aimez; craignez ma fureur, craignez une amante mépriſée & qui peut tout ſur vous.
Elle était dans des tranſports extrêmes, & ſe promenait à grands pas. Enfin elle prit le parti de ſe coucher; mais ce ne fut que pour réfléchir aux moyens de les perdre.
Il était à peine ſept heures du matin, lorſque Henriette vint ſouhaiter le bon jour à ſa mere. C'était un devoir qu'elle lui rendait ſcrupuleuſement. Vous vous êtes levée bien matin, lui dit Madame de Wolmar; votre indiſpoſition d'hier a été bien-tôt paſſée. Oui, Madame, lui répondit Henriette; (car le mot mere lui était interdit: cette marâtre eût rougi ſans doute de s'entendre appeller d'un nom ſi doux, & qu'elle méritait ſi peu:) oui, ma maladie était légere & je me trouve beaucoup mieux. --- J'en ſuis charmée: laiſſez-moi & revenez dans une heure.
Un tel ordre inquieta Henriette. Elle ne paraiſſait devant ſa mere qu'à l'heure des repas, encore rarement, ou quand il y avait compagnie. Que veut-elle de moi, diſait-elle en s'en allant? Meillecour a ſoupé hier avec elle; ſe ſerait-il trahi, ſçaurait-elle ce qui s'eſt paſſé entre nous? .... Ciel! .... Elle était dans cette perplexité, lorſqu'on vint l'avertir que ſa mere l'attendait.
Madame de Wolmar avait refléchi ſur le parti violent qu'elle s'était propoſé, & avait réſolu de prendre celui de la diſſimulation. Feignons, dit-elle, Henriette eſt ſincere, je vais tout ſçavoir, & j'agirai en conſéquence.
Henriette s'était hâtée de ſe rendre à ſes ordres. Dès qu'elle parut: approchez, Mademoiſelle, j'ai quel-que choſe à vous communiquer. Vous voilà grande & d'un âge à choiſir un état. Le mariage vous conviendraitil? Il ſe préſente pour vous un parti convenable, décidez-vous; je ſuis prête à vous l'accorder. Madame, lui dit Henriette, ce que vous me propoſez demande de la réflexion; je vous prie de m'accorder du tems pour le faire & pour connaître du moins l'objet que vous me deſtinez. ------ Non: il faut vous décider tout-à-l'heure, ou vous réſoudre à partir dans deux jours pour un couvent. Le jeune homme que je vous deſtine me convient, & c'en doit être aſſez, je crois, pour qu'il n'éprouve point vos refus. Monſieur de Meillecour eſt d'une naiſſance au moins égale à la vôtre, & s'il n'eſt point auſſi riche que vous, il a de ſa mere une fortune honnête, & ſon pere n'a point d'autres enfans que lui.
Au nom de Meillecour, Henriette avait treſſailli; un vif incarnat s'était peint ſur ſes belles joues. Elle s'était remiſe auſſi-tôt, mais Madame de Wolmar, qui avait toujours les yeux ſur elle, avait déjà remarqué ſon trouble. Elle n'en fit cependant rien paraître, & continuant ſur le même ton: eh bien! à quoi vous déterminez-vous? --- Madame, à ce qui vous fera le plus de plaiſir. Vos volontés ſeront pour moi des loix, que je me ferai toujours un devoir de ſuivre & de reſpecter. Henriette allait ſe jetter aux genoux de ſa mere; mais un coup-d'œil que lui lança celle-ci, lui fit connaître qu'elle ſe trompait, qu'on avait cherché à pénétrer ſon ame, & que ſon émotion, au nom de Meillecour, y avait découvert une grande partie de ſon ſecret. Elle était dans un trouble inconcevable; ſa mere qui ſe contenait à peine, lui ordonna de monter à ſa chambre.
Meillecour avait paſſé la plus cruelle de toutes les nuits. Sa maîtreſſe arrachée de ſes bras, & conduite dans un couvent, pour y finir une vie malheureuſe, avait ſans ceſſe été préſente à ſon imagination. Armé de ſon épée, il l'avait deux fois enlevée aux barbares miniſtres de la vengeance, & deux fois il avait été forcé de céder la victoire. Ce ſonge affreux le réveille; il s'agite, il ſe tourmente.
Riviere, ſon fidéle Domeſtique, & qui couchait tout proche de ſa chambre, accourt auſſi-tôt. Qu'avez-vous donc, Monſieur, lui dit-il? Rien, mon cher Riviere, rien. Mon pere eſt-il levé? ---- Non, Monſieur; il n'eſt encore que cinq heures. --- . Tant mieux: Nous allons partir pour la chaſſe. Il ſe hâte de s'habiller, Riviere court en faire autant; ils prennent leurs fuſils, & déjà ils ſont dans la campagne.
Ils avaient fait un chemin conſidérable, lorſqu'ils ſe trouverent auprès du château de Madame de Wolmar. Meillecour s'arrête à ſa vue. Je ne ſçais quoi de ſiniſtre l'empêche d'entrer dans le parc. Il en avait déjà trois fois fait le tour, & allait ſe retirer. Il apperçoit ſa maîtreſſe à ſa fenêtre: la tête appuyée ſur ſa main, elle lui paraît réfléchir profondement. Meillecour quitte ſon fuſil, n'examine point ſi on le ſuit, ſi on le voit, il vole à la chambre de ſon amante, il eſt à ſes genoux. Qu'avez-vous, Mademoiſelle, s'écrie-t-il? Ah! je vous ai perdue. J'ai pris hier votre défenſe contre votre mere, je l'ai priſe avec trop de vivacité; l'amour m'animait. Madame de Wolmar vous ſacrifiait au mariage qu'elle me propoſe avec elle; je vous voyais enlever à ma tendreſſe; une priſon horrible vous dérobait pour jamais à mes yeux & à mes recherches, ai-je pu me taire? J'ai promis, pour lui donner le change, d'accomplir cet hymen que j'abhorre; elle a changé de converſation, & nous nous ſommes quittés aſſez froidement. Je ne doute plus qu'elle ne ſçache notre ſecret; l'état où je vous vois ne me le confirme que trop.
Ah! Meillecour, répondit Henriette, avec quelle adreſſe elle m'a trompée ce matin! Elle m'a propoſé de me marier; & avec qui? avec vous, cher amant, avec vous. Jugez de ma ſurpriſe. Mon trouble m'a décélée. J'allais me jetter dans ſes bras, lui découvrir mon ame; un regard ſévere m'a fait voir, mais trop tard, le piege qu'on m'avait tendu. Elle m'a fait ſortir de devant elle, auſſi inſtruite que ſi je lui euſſe tout avoué.
L'état où était ſon amant, celui où elle était elle-même, avait empêché Henriette de demander à Meillecour par quel hazard il ſe trouvait dans ſa chambre, & de réfléchir au danger où il l'expoſait, ſi on venait à l'y voir. Elle allait lui en faire des reproches; Madame de Wolmar entre, elle voit le Chevalier auprès de ſa fille, & qui baiſait une de ſes mains dont il s'était ſaiſi. Qu'on juge de la ſurpriſe de nos amans, qu'on juge de la fureur de cette mégere. La rage étouffe ſa voix; elle ne peut rien exprimer pour trop ſentir. Henriette & Meillecour anéantis, n'oſent lever les yeux ſur elle: ils n'ont rien à ſe reprocher, mais l'innocence craint l'ombre même du crime. L'apparence était contr'eux, n'était-ce pas aſſez pour les confondre?
C'eſt donc là, fille indigne, s'écria enfin Madame de Wolmar, c'eſt donc là cette philoſophie dont tu te pares? Tu n'affectes un air de prude que pour voiler tes intrigues, la honte & l'opprobre dont tu me couvres...... Et toi, ſors d'ici, ſéducteur infâme: tu ne dois qu'à ta naiſſance, dont tu es indigne, de ne pas laver dans ton ſang l'outrage que tu me fais; mais je ſçaurai m'en venger.
Meillecour aſſis auprès d'Henriette qui était évanouie, ſe leve à ces mots. Il oublie l'état où eſt ſa maîtreſſe, pour ne ſonger qu'à la juſtifier en rejettant tout ſur lui. Il parle, mais on ne l'écoute point. Madame de Wolmar, d'une voix effrayante, appelle ſes gens; trois laquais montent auſſi-tôt. Saiſiſſez-vous de ce monſtre, dit-elle, en montrant Meillecour, & jettez-le hors de chez moi. Ils ſe mettent en devoir d'exécuter les ordres qu'on leur donne. Arrêtez, leur crie le Chevalier, craignez ma fureur; & il tire à l'inſtant ſon couteau de Chaſſe; ce fer immolera le téméraire qui oſera m'approcher. Madame refuſe de m'entendre: je ne veux que lui dire un mot. Les apparences la trompent, & ſur leur faux rapport elle va perdre ſa fille...... Les laquais, qu'animent les regards de Madame de Wolmar & les menaces de Meillecour, ſe jettent tous trois ſur lui; il en bleſſe un, & veut s'échapper de leurs bras en ſautant en arriere; il tombe, on le déſarme, & accablé ſous le nombre & les coups de ces barbares, il eſt porté ſans connoiſſance hors du parc.
Henriette n'était point revenue de ſon évanouiſſement. Cette ſcene affreuſe s'était paſſée ſans qu'elle en eût rien entendu. Madame de Wolmar, ſans pitié pour ſa fille, l'avait ahandonnée, dès qu'elle avait vu enlever le Chevalier. Henriette, en ouvrant les yeux, ſe trouve ſeule dans ſa chambre. Un couteau de chaſſe caſſé auprès d'elle, du ſang qu'elle apperçoit, la mettent dans un état plus facile à imaginer qu'à décrire.
Qu'es-tu devenu, cher amant? Et elle verſe un torrent de larmes. Serait-ce ton ſang que je vois? Ma mere..... je n'oſe dire barbare, je lui dois mon reſpect...... Ma mere aurait-elle employé la violence pour t'arracher de ces lieux? Je n'en puis ſupporter l'affreuſe idée. Percé de coups, peut-être expires-tu dans ce moment.... Ma mort ſuivra de près la tienne. Eh! pourrais-je te ſurvivre? Pourrais-je reſpirer un air que tu ne partagerais plus avec moi? O amour! quelle deſtinée horrible tu me prépares, ſi le premier inſtant où je brûle de tes feux eſt marqué par des maux ſi cruels!
Madame de Wolmar ne laiſſa pas long-tems Henriette dans ſes réfléxions. Elle avait proſité du peu d'inſtans où elle l'avait laiſſée ſeule, pour faire apprêter une chaiſe de poſte. Allons, Mademoiſelle, lui dit-elle en entrant, & lui jettant un regard où ſa fureur paraiſſait toute entiere; ſuivez-moi, venez expier à jamais votre crime & ma honte. Henriette la ſuit ſans répliquer, & elles ſont déja dans la chaiſe.
Pendant près de deux jours que dura leur voyage, elles ne ſe dirent rien. Henriette pouſſait des ſoupirs, verſait des larmes, qui ne faiſaient ſans doute qu'endurcir, qu'irriter ſa barbare mere. Un cœur ſourd aux cris ſi puiſſans de la nature, n'entend point la voix de la pitié.
Elles arrivent enfin à L.... & ne mettent pied à terre qu'à la porte du couvent, où Henriette va être renfermée. Madame de Wolmar fait venir la Supérieure, elles parlent bas toutes deux un inſtant, & celle-ci d'un air myſtique fait entrer auſſi-tôt dans l'intérieur de la maiſon la malheureuſe victime qu'on lui dévoue.
Le marché avait été bien vîte conclu: en deux mots, Madame de Wolmar avait fait entendre ce dont il était queſtion, & avait promis quinze mille francs pour la dot de ſa fille, dont elle avait payé deux mille d'avance.
Elle n'avait rien dit à Henriette lorſqu'on l'avait ſéparée d'elle, ſans demander à la voir, elle l'abandonne à toute ſa douleur, au déſeſpoir peut-être, monte dans ſa chaiſe & part pour ſe rendre à ſon château.
Meillecour n'était revenu de ſon évanouiſſement que plus d'une heure après. Il voit Riviere à côté de lui: qu'as-tu fait d'Henriette, lui demanda-t-il?. De Mademoiſelle de Wolmar? --- Oui. -- . Ah! Monſieur, j'ai vu ſortir une chaiſe du château; Madame de Wolmar, Mademoiſelle ſa fille..... --- N'acheve pas. O ciel, marâtre impitoyable! Tu m'enleves donc tout ce que j'aime! Henriette! Dieu! Mais à quoi ſervent mes plaintes? .... Cher Riviere, ſeconde la fureur qui me guide, viens arracher ma maîtreſſe des mains de ſon bourreau.
Ils n'avaient point de chevaux, & la chaiſe avoit une heure d'avance ſur eux. Le Chevalier ſe déſeſpérait. Son domeſtique, qui n'oſait fronder ouvertement ſa réſolution, l'engage à retourner au château de ſon pere, qui devait aller ce jour la à C..... petite Ville voiſine. Il nous ſera aiſé, dit-il, pendant ſon abſence, de faire ſeller des chevaux & d'exécuter votre projet. Meillecour avait de la peine à ſe rendre à cet avis; enfin il l'écoute, & ils ſe metttent en chemin.
La fatigue qu'avait ſupportée les Chevalier, les tranſports auxquels il s'était livré, lui donnerent une fievre terrible. Son ſang qui bouillonne dans ſes veines, y allume un feu qui le dévore: en entrant chez lui, une ſueur froide coule de tous ſes pores, il tombe dans un état à faire craindre pour ſes jours, & l'on eſt obligé de le mettre au lit.
Son pere était encore au logis; on lui annonce la ſituation du Chevalier, il vole auprès de ſon lit. Ce pere tendre, le cœur ſerré par la douleur, peut à peine demander à ſon fils ce qui l'a mis dans cet état. Meillecour ne répond rien. Il fait ſigne qu'il veut être ſeul & qu'il a beſoin de repos. Son pere ſe retire & va donner des ordres pour qu'on faſſe venir un Médecin.
Il appelle Riviere: mon ami, lui dit-il, qu'eſt-il donc arrivé à mon fils? tu ne l'as point quitté; tire-moi de l'inquiétude horrible où je ſuis. --- Je vais vous dire tout ce que je ſçais, Monſieur; & il lui fait un récit de ce qui leur eſt arrivé. Ah! je n'en puis douter, s'écria ce pere malheureux: Meillecour aime Mademoiſelle de Wolmar. Il n'aura point fait confidence de cette paſſion à la mere; elle l'aura découverte, les aura peut-être trouvés enſemble, & cette femme impérieuſe aura tout employé pour s'en venger. Je la connais; elle pouſſera ſon reſſentiment auſſi loin qu'elle le pourra. Le Médecin arriva ſur ces entrefaites. Il le conduiſit lui-même à la chambre de ſon fils. Monſieur Loyſeau (c'eſt le nom du Médecin) tâta le poulx du malade qu'il trouva extrêmement agité; il lui ordonna une ſaignee, qui fut faite une heure après.
Le Chevalier demandait à chaque inſtant des nouvelles de ſa chere Henriette, & perſonne ne lui en pouvait donner. Riviere qui le voyait empirer de jour en jour, inventa une hiſtoire qui lui fit recouvrer la ſanté. Monſieur, lui dit-il un jour, (c'était le huitieme de ſa maladie, & il était un peu mieux,) je paſſais hier tout proche du château de Madame de Wolmar, j'ai apperçu Mademoiſelle ſa fille qui ſe promenait dans le parc; j'ai été vers elle, & m'étant fait connaître pour vous appartenir, elle m'a demandé de vos nouvelles. Je lui ai répondu que vous étiez malade depuis huit jours. Elle a changé de couleur & m'a fait mille queſtions, ſur leſquelles je l'ai ſatisfaite: enſuite elle a tiré ſes tablettes & vous a écrit. Tenez, m'atelle dit, portez ceci à votre maître, mais ne le lui donnez que lorſqu'il ſera rétabli. Je vous permets de lui dire que vous avez une lettre à lui remettre de ma part, mais je vous défends de la lui rendre avant le temps que je vous preſcris. Toute groſſiere qu'une ſemblable hiſtoire paraiſſe, elle eut l'effet qu'on en attendait.
Eſt-il bien vrai, s'écria le Chevalier! mon cher Riviere, tu aurais une lettre d'Henriette! Elle ſerait au château de ſa mere!... Ne me trompestu point? ---- Non, Monſieur: fiez-vous à moi, tranquilliſez-vous, portez-vous mieux, & tous vos deſirs ſeront remplis.
La cauſe une fois détruite, l'effet s'évanouit bientôt. En trois jours le jeune de Meillecour recouvra une ſanté, ſinon parfaite, du moins telle qu'on la peut deſirer après huit jours d'une fievre preſque continuelle. Le quatrieme jour de ſa convaleſcence, il demanda à Riviere la lettre de ſa chere Henriette: celui-ci refuſa d'abord de la lui donner, & le pria de ne le point contraindre à paſſer les ordres qui lui étaient donnés. Amant tendre & reſpectueux, le Chevalier n'oſa inſiſter davantage, & attendit en ſilence qu'il fût entiérement rétabli. Cela ne fut pas long: au bout de huit jours de convaleſcence, il fut auſſi-bien que s'il n'eût point été malade. Ce fut alors qu'il preſſa ſon Domeſtique de lui remettre cette lettre. Riviere n'ayant plus de prétexte de reculer, fut contraint d'avouer que c'était un menſonge qu'il avait fait; mais que le voyant à l'extrêmité, il s'était cru tout permis pour lui ſauver la vie. Tu n'as donc pas vu Henriette, lui dit Meillecour, après l'avoir régardé long-temps en ſilence. Ah! cruel, que t'aije fait pour me tromper ainſi? Mais ne crois pas m'avoir arraché à la mort par ton indigne ſupercherie; e veux ſçavoir, je ſçaurai à quel-que prix que ce ſoit le deſtin de ma maîtreſſe, ou je me délivrerai d'une vie qui m'eſt odieuſe ſans elle.
Monſieur de Meillecour le pere, était dans une chambre à côté de celle où ſe tenait cette converſation. Il entre: ah! mon fils, mon cher fils, quels projets formez-vous? Quoi! la douleur de perdre une maîtreſſe vous ferait attenter à vos jours? Eh! vous appartient-elle cette vie pour en diſpoſer à votre gré? N'eſt-elle pas au Prince qui nous gouverne? Chaque citoyen lui eſt reſponſable du ſang qui coule dans ſes veines. Si la vie vous eſt devenue inſupportable, allez la perdre avec honneur en défendant, en vengeant votre patrie. C'eſt là qu'il eſt beau de s'immoler. Je bénirai en gémiſſant la cauſe qui me privera de ce que j'ai de plus cher au monde. --- Ah! mon pere, ſi vous connaiſſiez... -- Plus de faibleſſe, mon fils, ou je vous renonce. Si celle que vous aimez eſt telle qu'elle m'a toujours paru, j'en ſuis ſûr, elle blâmerait vos tranſports, votre douleur, & vous en aimerait moins. Je ne condamne point l'amour: maître une fois de lui-même, il porte aux plus grands exploits; mais eſclave de ſes faibleſſes, il n'eſt plus qu'un vil objet de mépris, qui dégrade l'homme & l'abrutit.
Ce diſcours enflamme le jeune de Meillecour. Oui, mon pere, j'embraſſe avec ardeur le parti que vous me propoſez. Servez-moi auprès de Madame de Wolmar, comme je vais ſervir mon Roi, & nous ſerons contens l'un & l'autre. Sans renoncer à l'amour, j'abjure à jamais ſes foibleſſes. Je vais me rendre digne de vous & de celle que j'aime, ou je mourrai victime de mon devoir.. Les larmes aux yeux, Mr. de Meillecour embraſſe ſon fils & lui promet de remplir ſes vœux.
Tandis que tout ceci ſe paſſait au château de Meillecour, Madame de Wolmar, de retour dans le ſien, & ne voyant perſonne, s'occupait depuis quinze jours à chercher les moyens de completer ſa vengeance. Henriette renfermée dans un couvent ne la ſatisfaiſait qu'à moitié, elle voulait que le Chevalier fût auſſi ſa victime.
Il y avait dans le pays un jeune homme, qui, à la faveur d'un de ſes amis, chez lequel il était venu paſſer quelque-tems, avait eu entrée chez Madame de Wolmar, dont il était devenu éperduement amoureux, & cherchait à lui inſpirer la même paſſion. Il était d'une famille noble du Dauphiné. Il avait perdu au jeu la plus grande partie de ſon bien, & ne ſubſiſtait plus que de la bourſe de ſes amis. Ce fut ſur lui que Madame de Wolmar jetta les yeux. Elle réſolut de l'épouſer, pourvu qu'il la vengeât. Pour cet effet elle lui écrivit pour l'engager de paſſer chez elle, & il s'y rendit dès le lendemain.
Monſieur, lui dit-elle, après l'avoir fait aſſeoir, j'ai cru m'appercevoir, aux ſoins que vous me rendez, que vous avez quelques vues ſur moi.
Il ne dépend que de vous de les remplir. Ma fille enlevée par un jeune homme qui l'a ſéduite & déshonorée ſans doute, ne me laiſſe que le deſir de la venger; j'en aurai la puiſſance ſi vous daigniez me ſéconder. Ma main eſt à ce prix, décidezvous. ---- Mon parti eſt tout pris, Madame; commandez, & vous me verrez répandre le ſang de votre ennemi, ou expirer ſous ſes coups. Nommezlemoi, je pars à l'inſtant. Vous allez être ſurpris, répartit Madame de Wolmar, au nom du lâche raviſſeur C'eſt le Chevalier de Meillecour. -- .. Le Chevalier, Madame! ... Oui, lui-même. Après avoir mis ma fille en ſûreté, il eſt revenu chez ſon pere pour mieux couvrir ſon crime. --- Mais la Juſtice.... -. Eh! Monſieur, j'aurais pris cette voie ſi j'euſſe eu des témoins. Envain je me ſuis informée ſi quelqu'un en avait connoiſſance, perſonne n'a pu m'en donner le moindre indice. Il ne me reſte donc plus qu'à me venger moi-même, ou du moins qu'à guider le bras qui doit me venger. C'eſt le vôtre que j'ai choiſi, Monſieur: je vous le répéte, à ce prix, ma main & toute ma fortune ſont à vous. (Dormont, c'eſt ainſi que ce Gentilhomme ſe nommait,) promit que dès le lendemain il irait chercher leur ennemi commun, & ſe retira.
Madame de Wolmar paſſa une nuit plus tranquille qu'elle n'avait fait depuis long-tems. L'eſpoir de voir bien-tôt ſa vengeance remplie, calma pour quelques momens cette ame impérieuſe & cruelle.
Le ſoleil dorait à peine le ſommet des montagnes, lorſque Dormont ſortit pour aller trouver le Chevalier. Il paſſa chez Madame de Wolmar; elle était levée; ſi-tôt qu'elle le voit: eh bien? ---- J'y cours, Madame. Elle ſe jette à ſon cou & l'embraſſe avec tranſport; il ſemble qu'elle veuille faire paſſer ſon ame dans la ſienne pour l'enflammer davantage. Il n'en avait pas beſoin; l'amour qu'anime l'eſpérance, porte dans nos cœurs un feu qui les embraſe. Voilà les hommes! eſclaves ſerviles d'un ſexe dangereux, ils ſacrifient l'amitié, la nature même à leur aveugle paſſion. Dormont s'arrache des bras de Madame de Wolmar; il ſemble courir à une victoire aſſurée.
Le tems le plus beau du monde, invitait à prendre le plaiſir de la chaſſe. Il s'attendait à y rencontrer le jeune Meillecour: il connoiſſait la fureur du Chevalier pour cet amuſement. Par le plus grand hazard, celui-ci n'y fut point ce jour-là. Dormont roda envain aux environs du château de Meillecour juſqu'à près de onze heures. Enfin fatigué d'attendre, il entra dans une Auberge & écrivit ces mots.
BILLET.
Vous avez couvert d'opprobre déshonoré une Famille que j'eſtime. C'eſt dans votre ſang que je prétends laver la honte qui en réjaillit ſur moi. Je vous attendrai à huit heures au bout de votre parc, du côté du couchant. Je ſerai ſeul.
Il fit porter ce billet par un domeſtique de l'Auberge, & retourna chez ſon ami, à qui il ne dit rien du rendez-vous qu'il venait de donner.
Lorſqu'on apporta ce billet au Chevalier, il était encore avec ſon pere. Celui-ci l'ouvre: que devient-il après l'avoir lu! Quoi! s'écria ce vieillard infortuné, tout conſpire donc à m'arracher le cœur? Tenez, mon fils, liſez, & voyez ſi vous êtes coupable de ce dont on vous accuſe. Non, mon pere, répond le Chevalier; on me calomnie; mais on me demande du ſang & il faut que j'en verſe. Mere, indigne de l'être, c'eſt peu d'avoir immolé ta fille, tu en veux auſſi à mes jours! mais ton attente n'eſt pas encore remplie. Le lâche qui te prête ſon bras, éprouvera auparavant ce que peut le mien guidé par l'amour & par l'honneur. Que dites-vous de l'honneur, repliqua le pere, & en quoi le faites-vous conſiſter? A-t-il jamais commandé qu'on s'entregorgeât? Plus cruels que les animaux les plus féroces, c'eſt donc à verſer leur ſang que les hommes font conſiſter la véritable gloire? Coutume affreuſe & barbare! juſques à quand aſſervirastu les mortels à ton empire! Ne comprendrontils jamais qu'il eſt plus grand de pardonner une offenſe, que de chercher à s'en venger! Non: mon fils, non, vous n'irez point, vous ne ſuivrez pas un faux préjugé. La loi du Prince le défend; mais quand elle le tolérerait, ne ſerait-ce pas aſſez de penſer que c'eſt dans le ſang de ton ſemblable que tu cours tremper tes mains? Cruel! ne ſerait-ce pas aſſez de la volonté d'un pere, qui ne te le permettra jamais? Le Chevalier, réſolu de ſe trouver au rendez-vous, ne réplique rien: il paraît même entrer dans les vues de ſon pere, pour en venir plus facilement à bout. Votre volonté eſt ma loi, lui dit-il; je ſens que mon ame, qu'entraînait un faux inſtinct de gloire, cede ſans effort à vos raiſons. Je fais plus, je mépriſe l'offenſe & je plains l'offenſeur.
L'air de vérité avec lequel le jeune de Meillecour prononce ces dernieres paroles, en impoſe au vieillard, qui embraſſe ſon fils, & le ſerre dans ſes bras avec cette affection que reſſent un cœur vraiment ſatisfait. Le Chevalier ſaiſit cet inſtant, il déchire le billet & jette les morceaux par la fenêtre.
Nous étions à la fin de Septembre, où la nuit commence à venir de bonne heure: le Chevalier qui s'attendait que ſon pere le ferait garder à vue, & qu'on ne le laiſſerait point ſortir, ne parut pas vouloir le tenter; il ſe retira au contraire dans ſa chambre plutôt que de coutume, afin de ne donner aucun ſoupçon. Les fenêtres n'étoient pas fort hautes, & l'on pouvait facilement ſauter dans le jardin ſur lequel elles donnaient. Ce fut la route qu'il choiſit pour exécuter ſon projet.
A peine était-il ſept heures & demie qu'il partit. Il trouva Dormont qui l'attendait. Allons, lui dit Meillecour, en mettant l'épée à la main, nous nous expliquerons après: je n'ai pas beaucoup de temps, on vient peut-être après moi. Interdit de ce bruſque abord, Dormont n'a que le temps de ſe mettre en défenſe. Ils ſe chargent tous deux avec une égale fureur. Il y avoit dejà long-temps qu'ils ſe battaient, ſans que ni l'un ni l'autre fuſſent bleſſés. Le Chevalier, moins robuſte que ſon adverſaire, commençait à ſe laſſer. Il voit tout le danger auquel il s'expoſe. La ruſe ſupplée à la force. Meillecour ſe découvre tout entier: dupe du ſtratagême, Dormont ſe précipite ſur lui; le Chevalier s'efface auſſi-tôt, & s'élançant ſur ſon ennemi, il lui plonge ſon épée au travers du corps.
Etonné du coup terrible qu'il venait de porter, il ſe retirait à grands pas. Au détour d'un des murs du parc, il ſe trouve aſſailli par quatre hommes maſqués, qui ſe jettent en même tems ſur lui, le déſarment, lui bandent les yeux, & le portent dans une chaiſe, qui était dans un bois à quelques pas de-là.
Ces gens dévoués à Madame de Wolmar, qui avait promis de les récompenſer généreuſement, avaient ordre de ſe ſaiſir du Chevalier, ſuppoſé qu'il ſortît vainqueur du rendez-vous, où elle ne doutait point qu'il ne ſe trouvât. Ils avaient ſuivi Dormont ſans qu'il s'en fût apperçu, & avaient paſſé tout le jour dans le bois.
Il y avait une heure au moins que la chaiſe roulait: le Chevalier, à qui ſes raviſſeurs avaient eu la précaution de lier les mains & de bander les yeux, ne ceſſait de leur dire: Lâches, quel eſt donc mon crime? De quel droit m'arrêtez-vous? Où me conduiſez-vous? Si vous en voulez à ma vie, que ne m'attaquez-vous comme le téméraire à qui je viens de donner la mort; je ſçaurai vous faire, ainſi que lui, repentir de votre hardieſſe. On le laiſſait exhaler ſa fureur, & on ne lui répondait rien.
Enfin la chaiſe s'arrête, on le deſcend à terre, & il eſt conduit dans une eſpece de tour où on l'enferme ſoigneuſement. Livré à lui-même, il ſe perd dans un abyme de réflexions. Les mains liées & les yeux bandés, comme je viens de le dire, il reſte quelque tems immobile au milieu de ſa priſon. Enfin, le déſeſpoir s'empare de ſon cœur; la rage lui donne des forces qu'il n'a point encore éprouvées, il rompt ſes liens, arrache le bandeau qui lui couvre les yeux, & court vers l'endroit où il préſume qu'eſt la porte. Il la cherche long-tems; enfin il la trouve. D'un bras vigoureux il la ſecoue, elle réſiſte, il redouble, il s'épuiſe en efforts inutiles, & eſt forcé d'abandonner ſon entrepriſe.
Il était deux heures du matin, il s'aſſied à terre, il va réfléchir ſur ſon affreuſe ſituation; mais le ſommeil, qui malgré lui vient fermer ſa paupiere, en le livrant à une eſpece de mort, lui fait bientôt oublier, avec l'univers, les maux cruels dont il eſt accablé.
Cependant Henriette était dans ſon couvent; toujours tourmentée par la Supérieure, qui lui rappellait à chaque inſtant les volontés de ſa mere. Madame de Wolmar, lui diſaitelle, veut que vous ſoyez Religieuſe: ferme dans ſes réſolutions, rien, m'écrit-elle, ne la fera changer; il faut vous ſoumettre à ſes ordres. Images de Dieu ſur la terre, nos parents ſont les interprêtes de ſes loix ſuprêmes: leur réſiſter, c'eſt déſobéir au Ciel. A ce diſcours Henriette reſtait immobile & ne répondait rien. Elle levait les mains vers ce Ciel, que l'on atteſtait, & ſon ame s'exhalait en ſoupirs.
Un jour qu'elle était ſeule: Oui, cher amant, s'écria-t-elle en eſſuyant ſes larmes, je te l'ai promis, je te ſerai fidelle.. Mon Dieu, l'on veut que je me donne à toi, que je me conſacre à toi ſans reſerve! Eh! quel cœur irais-je porter aux pieds de tes Autels! un cœur ſouillé du plus affreux parjure. Quel que ſoit le ſerment qui nous lie, qui le viole eſt indigne de voir le jour. Non; mon Dieu, tu ne le voudrais pas: jaloux de nos hommages, on ne t'en doit préſenter que de purs. Créature vile & abjecte, l'Homme n'eſt point fait pour partager avec toi. Et peuventils te plaire ces ſacrifices que te font tous les jours tant de malheureuſes victimes de la politique? Elles t'euſſent aimé, elles t'euſſent adoré dans l'état où tu les appellais; elles t'abjurent peut-être, expirantes ſous le poids des chaînes dont elles ſont chargées.
Mademoiſelle de Wolmar avait conſervé le portrait de ſon amant. Il avait été juſqu'à ce jour preſque ſon unique compagnie. Elle ſortait rarement de ſa chambre, ſi ce n'eſt pour aller au réfectoire ou aux offices, où on l'obligeait de ſe trouver. Elle y paraiſſait avec cet air languiſſant & abattu que donne une douleur vive, & qu'on voudrait cacher, & ſe retirait chez elle auſſi-tôt qu'elle en avait la liberté. Une jeune Penſionnaire, qu'elle avait priſe en amitié, venait la voir quelquefois. Cette Demoiſelle était fille d'un riche Négociant de B... (Adélaïde étoit ſon nom.) C'était bien le meilleur naturel qu'on puiſſe trouver. Les cœurs tendres trouvent un plaiſir inexprimable à compatir au ſort des malheureux. Son ame partageait la douleur de ſon amie, quoiqu'elle en ignorât entiérement la cauſe. Henriette n'était point de ces femmes qui croient ſoulager leurs maux en les confiant à tout le monde. Son chagrin était dans ſon cœur; elle ſouffrait même de voir qu'il paraiſſait aſſez pour qu'Adélaïde s'en apperçût.
Henriette & Adélaïde ſe promenaient un jour, & celle-ci preſſait ſon amie de lui découvrir le ſujet de ſes larmes. Eſt-ce que vous n'avez pas de confiance en moi, lui diſait cette aimable fille? Mademoiſelle de Wolmar vaincue par des queſtions ſi ſouvent réitérées, & plus encore par la tendre affection qu'elle avoit pour elle, alloit enfin la contenter. Elles s'étaient aſſiſes dans une eſpece de boſquet, lorſqu'elles furent ſurpriſes par Sœur Sophie, jeune Religieuſe, qui avoit fait ſes vœux il y avoit environ un an. Depuis long-temps elle cherchait l'occaſion de ſe lier d'amitié avec Henriette. La douleur où celle-ci était plongée, intéreſſait ſon cœur, dont les bleſſures étaient à peine guéries. Votre chagrin ne ceſſera donc jamais, lui ditelle. Je ne vous vois jamais que la triſteſſe peinte ſur le front. Ah! chere Henriette, que ne montrez-vous votre ame! peut-être pourrais-je apporter quelque remede à vos maux. Dès l'inſtant que vous êtes arrivée ici, votre ſort m'a touché. J'ai toujours été votre amie ſans vouloir vous le déclarer. J'ai reſpecté votre douleur: j'ai craint de l'accroître en vous en demandant la cauſe. Mais elle eſt à ſon comble: trois mois n'ont pu la diminuer & elle va vous conduire au tombeau. Hélas! mes maux ont été peut-être plus cruels encore que les vôtres. Sophie s'était jettée dans les bras d'Henriette, & la preſſait contre ſon ſein.MadeMademoiſelle de Wolmar n'était point préparée à cet aſſaut. Son cœur d'accord avec ſa bouche, rompt enfin un ſilence qu'elle avait gardé trop long-tems.
Après qu'elle eut ceſſé de parler, Sophie & Adélaïde la plaignirent ſincérement. Mais, reprit la premiere, Monſieur de Meillecour ne ſçait point ce que vous êtes devenue, vous ignorez vous-même où il peut être; que ſçavez-vous s'il vous demeurera toujours fidele? Si quelqu'autre objet? ... Ah! mon cœur en eſt le garant, interrompit Henriette; il n'eût jamais aimé le Chevalier, ſi le Chevalier eût jamais pu le trahir. Il m'a donné ſa foi, il a reçu la mienne; &, j'en ſuis ſûre, en pleurant ſa perte, s'il ne m'eſt jamais rendu, je n'aurai point à pleurer ſon inconſtance. ---- Votre paſſion vous aveugle, ma chere amie. Les hommes ſont trompeurs; je ne l'ai malheureuſement que trop éprouvé. Sophie allait raconter ſon hiſtoire; mais l'heure de la récréation étant paſſée, elles ſe ſéparerent, en promettant de ſe rendre le ſoir après ſouper dans l'appartement d'Henriette. Il était dix heures quand elles ſe raſſemblerent. Elles avaient laiſſé coucher tout le monde, afin de n'être point interrompues. Elles fermerent la porte ſur elles, & Sophie commença ainſi.
Nous demeurions à un château que mon pere avait à quelques lieues de Grenoble. Reſtée ſeule avec lui, j'avais à peine douze ans, lorſqu'au lieu de me faire apprendre ce qui convenait à mon ſexe, il me fit faire un habit d'homme, & me mena à la chaſſe avec lui. Il l'aimait extraordinairement: j'y pris goût, & bien-tôt je n'eus plus d'autre occupation. Le Marquis de Sol... venait ſouvent chez mon pere; il partageait ſa table & ſes plaiſirs. Un jour il amena ſon fils; ce jeune homme, dont la figure était des plus intéreſſantes, me frappa d'abord. J'avais atteint ma quinzieme année;cet âge où les paſſions tumultueuſes viennent aſſiéger le cœur, encore trop faible pour réſiſter à leurs efforts. A la vue du jeune Marquis, je ſentis ce que je n'avais jamais éprouvé, je n'oſai pendant tout le dîner jetter les yeux ſur lui. La rougeur, compagne de l'innocence & de la timidité, peignait ſur mon viſage le trouble de mon ame. Le jeune Marquis s'en apperçut. Plus âgé que moi, il vit tout ce qui ſe paſſait dans mon cœur & réſolut de pouſſer l'aventure. On partit pour la chaſſe. Je tirai plus de dix coups de fuſil ſans rien tuer. On me fit la guerre ſur ma maladreſſe; je répondis en bégayant que les armes étaient journalieres & que je n'étais point dans mon jour. Nous rentrâmes ſur le ſoir. Le jeune Sol.... n'avait pas été plus heureux que moi: ce me fut une conſolation dans mon malheur. Nos hôtes ſouperent & coucherent au château. Je paſſai la nuit à réflechir. Mon pere eſt un homme ſans façon, & qui dit tout ce qu'il penſe. Il m'avait appris ce que c'était que l'amour, pour me mettre, diſait-il, en garde contre ſes embûches. Je ne doutai plus que je n'aimaſſe le Marquis. Oui, dis-je en moi-même, c'eſt de l'amour que je ſens pour lui.. Ah! s'il m'aimait, que je ſerais heureuſe! Je m'endormis dans cette penſée. Il v avait à peine deux heures que je repoſais, lorſqu'on vint frapper à ma porte. Allons, Mademoiſelle, dit une voix, que je reconnus pour être celle du Marquis, il eſt temps de partir; il fait grand jour. Je répondis que j'allais me lever, & je fus bien-tôt habillée. Je trouvai mon Pere & nos deux hôtes tout prêts. Nous prîmes un verre de liqueur & nous montâmes à cheval. Nous devions chaſſer au ſanglier. Il y avait une heure que nous battions la forêt, lorſque nous vîmes nos chiens en pourſuivre un qui venait droit à nous. Le Marquis de Sol.... & ſon fils s'étaient éloignés, & j'étais à une portée de fuſil de mon Pere. Ce ſanglier étant paſſé proche de moi, je tirai ſur lui & le bleſſai. L'animal furieux ſe retourne; il apperçoit mon pere, court à lui & veut s'élancer ſur ſon cheval, qui ſe cabre à ſa vue, & jette bas ſon cavalier. Mon pere allait être dévoré. La nature allarmée ne connaît point d'obſtacle: je ſaute à bas de mon cheval & vole à ſon ſecours. Le ſanglier qui me voit accourir, vient à moi: intrépide, je mets un genouil à terre, & l'attends la pointe au corps, (j'avais tiré mon couteau de chaſſe:) il ſe précipite deſſus & ſe le plonge lui-même dans le cœur. Il tombe bientôt, ſe roule dans la pouſſiere, & perd enfin la vie avec ſon ſang. Relevé de ſa chûte, mon pere accourait pour me défendre; quelle fut ſa ſurpriſe & ſa joie lorſqu'il vit cet animal féroce étendu à mes pieds. Il me demanda ſi je n'étais pas bleſſée, je lui répondis que non, & il ſe précipita dans mes bras. Cependant le Marquis & ſon fils nous avaient apperçus de loin: ils venaient à toute bride. Mon pere court au-devant d'eux. Ah! leur crie-t-il, ma fille vient de porter un coup terrible; elle a tué ſeule un ſanglier énorme. Ils me féliciterent ſur ma victoire. Le jeune Marquis ſur-tout vanta mon courage. Qu'on aime à s'entendre louer d'une perſonne qui nous eſt chere!, ma joie était inexprimable. Il fut queſtion d'emporter notre chaſſe: nous la mîmes avec aſſez de peine ſur mon cheval: je montai derriere mon pere, & nous prîmes la route du château.
Nos hôtes y reſterent encore deux jours, pendant leſquels mon amant trouva le moyen de me déclarer ſon amour.. Il me preſſa de lui dire s'il était aimé. La maniere dont je reçus l'aveu de ſa tendreſſe, ne lui fit voir que trop qu'il ne m'était pas indifférent., Je vais partir, me dit-il avec chagrin, & je ne vous reverrai peut-être de long-tems. -- Et qui vous en empêchera? Faut-il que Monſieur votre pere vous amene pour que vous veniez nous voir? Mon pere vous aime & vous eſtime; vous lui ferez toujours plaiſir, quand vous voudrez venir ici. Il reçut avec tranſport la permiſſion que je lui donnais, & nous nous quittâmes très-ſatisfaits l'un de l'autre.
Il partit enfin & emporta avec lui mon cœur & ma tranquillité. Je fus huit jours ſans revoir mon amant; mais je ne paſſai pas un quartd'heure ſans qu'il fût préſent à ma penſée. Le jour ſon image me ſuivait dans les bois, la nuit je lui parlais ſans ceſſe. Avec quel plaiſir je lui découvrais mon cœur, je lui montrais tout l'amour qu'il m'avait inſpiré!
Il vint me voir le neuvieme jour. Il me trouva ſeule. Mon pere était allé voir un de ſes amis, & ne devait revenir que le ſurlendemain. Je le reçus avec cet air ſatisfait que donne la vue de ce qu'on aime. Il vint à moi les bras ouverts & m'embraſſa.. Aurais-je dû prévoir que le monſtre ne venait que pour me deſhonorer!
Pendant le ſouper il me propoſa d'aller tuer un lievre le lendemain. Nous partirons, me dit-il, à la pointe du jour, & nous reviendrons pour dîner. J'acceptai avec plaiſir: je lui fis couvrir un lit, il fut ſe coucher, & moi, de mon côté, je m'enfermai dans ma chambre.
Je vous l'ai déjà dit, c'était en habit d'homme que j'allais à la chaſſe; j'en pris un verd ce jour-là, je m'en ſouviendrai toute ma vie. Il était environ cinq heures quand nous partîmes. Nous chaſſâmes ſix heures entieres. Nous ſuivions un ſentier dans un petit bois. L'ombre, le ſilence, un verd gazon parſemé de fleurs champêtres, tout invitait à s'y repoſer. Le Marquis me le propoſa: j'étais excédée de fatigue & de chaleur; je ne fis aucune difficulté., L'innocence eſt loin de ſoupconner le crime, J'étais avec un Gentilhomme, quand j'aurais eu la moindre défiance, je l'aurais rejettée comme un outrage que j'aurais fait au ſang qui coulait dans ſes veines. Voilà le préjugé, interrompit Henriette; hélas! tel qu'on mépriſe parce qu'un hazard heureux ne l'a point fait naître parmi ce petit nombre d'hommes, qui n'ont ſouvent dû qu'à la force, l'empire qu'ils ont uſurpé ſur le reſte des humains, ferait baiſſer les yeux à celui qui s'enorgueillit le plus de ſa nobleſſe. Nobles, c'eſt à vos ſentimens ſeuls qu'on devrait vous reconnaître; l'homme qui les oublie, s'avilit d'autant plus, que ſon ſang eſt plus illuſtre, il deshonore ſes ayeux, & doit rougir de les nommer.
Nous nous aſsîmes donc, reprit Sophie; le Marquis tira une petite bouteille de ſa poche, & me demanda ſi je voulais prendre un doigt de liqueur, en attendant que nous euſſions gagné le château, qui était éloigné de nous de plus d'une demi lieue. Je n'eus pas plûtôt avalé de cette liqueur traîtreſſe, qu'une douce chaleur pénétra tout mon corps. Il ſemblait que la volupté même eût paſſé dans mes veines & qu'elle circulât avec mon ſang; les yeux humides, je fixais le Marquis, qui jettait ſur moi le regard du deſir: bien-tôt le ſommeil vint fermer ma paupiere & je m'endormis profondément. C'était-là où m'attendait le traître que j'aimais. Il déboutonna ma veſte; ma gorge totalement découverte devint ſa proie. Toute entiere en ſa puiſſance, il va mettre le comble à ſon crime. Aux efforts qu'il fait, je ſors de l'eſpece de léthargie où j'avais été plongée. Que devins-je? Ah! Dieu! quand je me vis dans les bras de ce monſtre: je fis l'impoſſible pour m'en arracher; je n'en pus venir à bout. Le barbare s'était trop bien précautionné. Epuiſée, je m'évanouis: il eut le loiſir d'aſſouvir ſa brutalité. Pendant mon évanouiſſement il diſparut.
Revenue à moi, je me trouvai dans un état horrible; loin cependant d'en être accablée, furieuſe, je me levai. La rage dans mon cœur prit la place de l'amour. Je jurai de laver dans le ſang du perfide mon injure & ſon crime. Je retournai au château: j'y trouvai mon pere, qui était revenu plutôt que je ne l'attendais. Il me demanda ſi j'avais été ſeule à la chaſſe. Je lui dis avec le plus de tranquilité que je pus affecter, que le jeune de Sol..... était venu avec moi, qu'il m'avait quittée pour retourner chez lui où il avoit affaire. Mon pere prit cela comme je le lui diſais, & n'en demanda pas davantage.
Le château de Sol.... n'était qu'à une lieue de chez nous. Je voyais, preſque tous les jours, quelqu'un de cet endroit. Comme on ſçavait que le Seigneur était de nos amis; ceux à qui j'en demandais des nouvelles n'y trouvaient rien de ſurprenant. Quinze jours après ma funeſte aventure, j'appris que le Marquis de Sol..... venait d'acheter à ſon fils un Régiment, & que celui-ci devait partir dans deux jours pour s'y rendre.
Je montais preſque tous les jour, à cheval, ainſi je pouvais, ſous prétexte d'une partie de chaſſe, aller attendre mon ennemi, ſans que mon pere ſoupçonnât rien de mon deſſein. Je pris deux paires de piſtolets & je partis à la pointe du jour. Je ſçavais le chemin que devait prendre le Marquis; je fus l'attendre à une demi lieue de chez lui, au coin d'un bois qu'il fallait néceſſairement qu'il traverſât.
Il n'y avaît pas un quart-d'heure que j'y étais lorſque je le vis venir. Il était ſuivi d'un domeſtique. A ſon approche je ſentis ma fureur redoubler. Je m'étais maſquée pour n'être pas reconnue. Je réſolus de laiſſer paſſer le Marquis & de jetter bas ſon domeſtique; pour n'avoir pas deux ennemis à combattre. Je tirai ſur lui & le manquai: effrayé, il s'enfuit à toute bride. Son Maître qui s'était retourné au bruit du coup, vint à moi le piſtolet au poing. C'eſt à toi que j'en veux, lui criai-je, & à l'inſtant je pouſſai mon cheval contre lui. Il tira le premier, la bale perça mon chapeau, mais ne me bleſſa point; plus heureuſe que lui, je lui caſſai la tête. Il tomba expirant de deſſus ſon cheval Je fus à lui démaſquée: monſtre, lui dis-je, te voilà puni de ton crime; c'eſt ainſi que je venge l'affront que tu m'as fait. Il me tendit une main tremblante & mourut ſans pouvoir prononcer une ſeule parole. Pour moi je ne ſongeai qu'à m'éloigner au plus vîte de ce lieu fatal.
Mon pere me vit arriver; la mort était dans mes yeux. Qu'as-tu donc, s'écria-t-il? Que t'eſt-il arrivé? Je ne réponds rien, je deſcends tremblante de cheval, & il m'aide à gagner la ſalle. Lorſque j'eus repris mes ſens: ah! mon pere c'en eſt fait, il faut que je m'arrache à ce que j'ai de plus cher au monde, il faut que je vous quitte, & je n'ai point une heure à moi Faites mettre les chevaux à la chaiſe, je vais pendant ce temps-là vous apprendre tout. Il ſortit & rentra auſſi-tôt.
Il s'était aſſis à côté de moi & tenait une de mes mains. Inquiet, il cherchait à lire d'avance dans mes yeux ce que j'allais lui dire. Je lui fis un recit de tout ce qui s'était paſſé entre le Marquis & moi, & de la vengeance que j'en venais de tirer. Il était ſi interdit de ce qu'il entendait, qu'il ne put que m'embraſſer, les larmes le ſuffoquaient. Pars, s'écria-t-il; dérobe-toi à la ſévérité des loix. Ah! ma fille, qu'astu fait?.... Mon devoir. On vint avertir que la chaiſe était prête: je m'y rendis auſſi-tôt & fis fouetter vers L... Il était midi quand je partis; nous ne nous arrêtâmes point de toute la nuit, & le lendemain de bonne heure nous arrivâmes ici. Je renvoyai la chaiſe & je cherchai dans le jour-même un endroit où je puſſe être en ſûreté.
Je choiſis ce couvent. Mon pere m'avait donné des lettres de change, je les envoyai recevoir peu de jours après mon arrivée. Je m'étais fait donner un appartement, & j'étais ici en qualité de penſionnaire. Les premiers jours, où, livrée à moi-même, je me rappellais ce que je venais de faire, il me ſemblait que c'était un ſonge. Je les avais paſſés aſſez tranquillement, bientôt cet amour que je croyais éteint, ſe ralluma avec plus d'ardeur. L'image ſanglante du Marquis me pourſuivait ſans ceſſe. Furieuſe, je m'élançais pour le frapper encore, & auſſi-tôt il me ſemblait entendre une voix qui me criait: arrête, arrête, malheureuſe; c'eſt ton amant, c'eſt l'idole de ton ame. Je paſſai quatre mois dans cet état horrible. Je me reprochais la mort du plus perfide des hommes. Je voulus pluſieurs ſois attenter à mes jours: le ciel, le juſte ciel, eut pitié de mes maux. Le calme le plus heureux ſucceda à tant d'orages. Je ne comptais reſter ici qu'autant de temps qu'il en faudrait pour arranger mon affaire, ſuppoſé qu'on en découvrît l'auteur. Sur ces entrefaites mon pere m'écrivit que je pouvais revenir en toute ſûreté. Je n'avais été aucunement ſoupçonnée. Le domeſtique que j'avais manqué, avait publié qu'ils avaient été attaqués par des voleurs, & l'on n'avait point fait d'autres recherches.
De ſi bonnes nouvelles me firent prendre ſur le champ le parti de retourner chez mon pere. Je n'y avais pas paſſé huit jours, que je tombai dans une mélancholie affreuſe. Je vis mon amour prêt à ſe rallumer pour la ſeconde fois. Ces lieux où j'avais vu le Marquis, le rappellaient ſans peine à ma mémoire. Je le vois, dis-je un jour à mon pere; le ciel me punit; je viens le braver juſques ſur les lieux encore fumans de mon crime. Je dois l'expier; & c'eſt en me conſacrant pour jamais à Dieu que j'en puis eſpérer le pardon. Mon pere n'y conſentit qu'avec peine: il n'avait que moi. Ce ne fut qu'à des prieres réitérées que je dus enfin la permiſſion qu'il m'en donna. Je partis; & après un an que je paſſai dans la plus grande ſécurité, je fis mes vœux. Depuis ce tems, aucun remords ne m'a pourſuivie; je vis tranquille, & je puis dire heureuſe.
Sophie finit ainſi ſon hiſtoire. Il était tard, ces aimables filles ſe ſéparerent; on ſe promit un ſecret inviolable ſur tout ce qu'on venait d'entendre, & l'on ſe jura une amitié ſincere.
Henriette ne put dormir de toute la nuit. Au ſouvenir de l'hiſtoire de Sophie, un tremblement univerſel s'emparait de ſon corps, ſon cœur palpitait. Hélas! ſe diſaitelle, d'où vient que je friſonne? Je n'ai rien à craindre de ſemblable. Mes maux ont une cauſe toute différente de ceux de Sophie, pourquoi donc ceux-ci m'affectent-ils ſi fort? Elle ne ſçavait que penſer de l'état où elle ſe trouvait, & était loin d'imaginer que ce fût là un préſentiment des nouveaux malheurs qui l'attendaient.
Le Pere du Chevalier de Meillecour, inquiet de ſçavoir ſi ſon fils était couché, était monté à ſa chambre, à deſſein de s'en éclaircir. Il avait une double clef; il ouvre la porte. Ah! ciel, il eſt parti! ..... Il eſt parti, répete Riviere, qui le ſuivait. ---- Oui, mon cher Riviere: cours vîte, arrache mon fils à la mort, arrache-le au crime, plus affreux encore: & lui indique le lieu du rendez-vous. Riviere ne replique rien; il prend avec lui deux domeſtiques & des flambeaux, & vole à l'endroit fatal.
Le Chevalier venait d'être enlevé lorſqu'il arriva. Riviere ne trouve que Dormont qui reſpirait encore. A la lueur des flambeaux, il entr'ouvre une paupiere appéſantie par le ſommeil de la mort. Il veut parler. Sa langue glacée ſe refuſe à ſes efforts. Un moment après, raſſemblant toutes les forces de ſon ame; qui que vous ſoyez, dit-il d'une voix mourante, tous vos ſecours me ſont inutiles: je ſens que je n'en puis revenir. Je pardonne ma mort à mon ennemi...... Ma témérité a reçu la peine...... & il expire en prononçant ces paroles.
Riviere qui vit qu'il n'en pouvait rien tirer davantage, retourna rendre compte de ce qu'il venait de voir à Monſieur de Meillecour.
Dès que ce vieillard l'apperçut: hé bien! quelles nouvelles? ---- De cruelles, Monſieur. ----- Ah? mon fils eſt mort. Non, repartit Riviere; mais j'ignore ce qu'il eſt devenuJ'ai trouvé ſon ennemi étendu par terre, & qui eſt expiré peu de minutes après notre arrivée. J'en ai tiré quelques paroles; mais elles ne donnent aucun éclairciſſement ſur le ſort de mon maître. Je prévois qu'après avoir percé ſon adverſaire, il aura pris la fuite. Nous recevrons ſûrement de ſes nouvelles ſous peu de jours.
Monſieur de Meillecour, privé de ſon fils, ſon unique conſolation & le ſoutien de ſa vieilleſſe, était réduit au déſeſpoir. Hélas! diſait-il, j'ai prévu le coup fatal qu'il me porte. Livrée à ſes fougueux deſirs, la jeuneſſe ſuit aveuglément le torrent qui l'entraîne: dans combien d'abîmes ne la précipite pas ſon imprudence!, Mon fils, qu'avait guidé juſqu'alors la vertu même; ſouillé du plus abominable de tous les crimes, d'un homicide affreux, va errer loin de ſa patrie, en proie aux remords rongeurs, tourment mérité du coupable. Cachons, mon cher Riviere, cachons ſon aventure cruelle. Le ciel propice à mes vœux me le rendra peut-être bientôt. Je rappellerai dans ſon cœur cette vertu qui n'en eſt qu'exilée. Un cœur né vertueux peut s'égarer; mais tôt ou tard il revient à lui-même, & la vertu reprend tous ſes droits.
Vain eſpoir! vieillard infortuné, ton fils ne te ſera pas ſi-tôt rendu; au pouvoir d'une furie infernale, il faut qu'il ſe prépare au plus cruel des tourmens.
Madame de Wolmar le retenait depuis ſix mois dans cette tour dont j'ai parlé ci-deſſus. Un homme maſqué lui portait tous les jours de quoi vivre. Il avait ordre de le faire ſans parler. Envain le Chevalier lui avait demandé mille fois quel était l'endroit où il était retenu, & par quel ordre; il n'en avait jamais pu rien apprendre: promeſſes, prieres, menaces, tout avait été inutile. On lui donnait ſa nourriture par une eſpece de guichet, & l'on ſe retirait auſſi-tôt.
Les premiers jours de ſa priſon, le Chevalier n'avait voulu rien prendre, il était réſolu de ſe laiſſer mourir de faim. Mais bientôt la nature affaiblie chercha malgré lui ce qui pouvait la ranimer.La Religion, dont les principes une fois gravés dans le cœur, ſont ineffaçables, lui reprocha le nouveau crime qu'il voulait commettre. Il reprit peu-à-peu ſes forces, & attendit avec conſtance qu'il plût au ciel de lui rendre ſa liberté. Il la recouvra dans le moment qu'il s'y attendait le moins.
Madame de Wolmar allait ſouvent voir ſa victime. Elle la contemplait à loiſir ſans en être apperçue. Un jour qu'elle vit le Chevalier aſſis ſur ſon lit, dans cette tranquilité que donne l'eſprit, quand une fois il s'eſt mis au-deſſus des malheurs; c'en eſt trop, dit-elle; ſa captivité loin de lui être inſupportable, ſemble avoir de quoi lui plaire. Avec quelle conſtance il ſe voit privé du ſeul bien précieux à l'homme, du bien qu'il cherche à ſe procurer au péril de ſa vie même! Réveillons cette inſenſibilité où le plonge l'habitude de ſouffrir. Sa vie eſt dans mes mains; mais ſon trépas me vengerait-il pleinement? Non: ce ſerait me dérober plus de la moitié de ma vengeance. Vengeons-nous, mais par un ſupplice plus cruel que la mort même, par un ſupplice proportionné à l'offenſe qu'il m'a faite. Elle remit au lendemain à exécuter le projet qu'elle venait de former.
Des quatre hommes dont elle s'était ſervie pour enlever le Chevalier, trois avaient été ſacrifiés à ſa ſûreté: un ſeul reſtait auprès d'elle. Complice de tous ſes crimes, elle ne craignait pas qu'il révélât ſon ſecret. Monſieur de Meillecour, perſuadé que ſon fils était paſſé dans le pays étranger, n'avoit fait aucune recherche; il n'avait même oſé en faire, crainte qu'on ne ſoupçonnât le Chevalier du meurtre de Dormont, dont on avait juſqu'à préſent ignoré l'auteur. Ainſi abandonné de l'univers, le jeune de Meillecour reſtait expoſé à toute la fureur de ſon ennemie.
Dès qu'il fut jour, Madame de Wolmar fit appeller ſon hommed'affaires, ce complice dont j'ai parlé. (Brunet était ſon nom.)
Monſieur Brunet, lui dit-elle, je vous ai toujours vu attaché à mes intérêts: je veux enfin reconnaître les ſervices que vous m'avez rendus; la récompenſe qui vous attend paſſera votre eſpoir. Montons dans ma chaiſe, & je vous dirai ce dont il eſt queſtion.
Ce Monſieur Brunet était celui qui portait à manger au Chevalier. Il eut ſoin de lui en donner pour pluſieurs jours, ſuivant l'ordre qu'il en avait reçu de Madame de Wolmar; il fit enſuite atteler les chevaux à la chaiſe, & partit avec elle.
Auſſi-tôt qu'ils furent en route: je vais retirer ma fille du couvent, dit Madame de Wolmar; je vous la donne; mais il faut que nous la forçions à vous épouſer en préſence de ſon amant. C'eſt à ſes yeux même que je veux qu'elle vous donne la main. Si elle le refuſe, ſi rien ne peut l'y contraindre, la mort du Chevalier, en la mettant au déſeſpoir, me vengera de l'un & de l'autre. Je ferai rentrer Henriette dans ſon couvent, pour n'en jamais ſortir, & ma main, au défaut de la ſienne, ſera votre recompenſe.
Monſieur Brunet, ébloui par cette offre, promit tout ce qu'elle voulut. Ils arriverent à L.... le lendemain de leur départ. Ils deſcendirent à une Auberge, & Madame de Wolmar ayant pris un caroſſe de remiſe, ſe rendit au couvent où était ſa fille.
Elle demanda à parler à la Supérieure, qui fit venir auſſi-tôt Henriette. Cette aimable fille n'apperçut pas plutôt ſa mere, qu'oubliant tous ſes chagrins, elle ſe précipita dans ſes bras..Un bon cœur ne peut ſe démentir. Madame de Wolmar reçut ſa fille avec affection & l'embraſſa. Henriette était pénétrée juſqu'aux larmes d'un accueil ſi tendre, & qu'elle croyait ſincere. Enfin, Madame de Wolmar prit la parole: Madame, dit-elle à la Supérieure, je viens chercher Mademoiſelle; je veux lui faire voir un parent qui eſt arrivé depuis peu de l'armée; je vous la ramenerai ſous quinze jours. Elle dit en même-temps à Henriette d'aller chercher quelques hardes dont elle pourrait avoir beſoin. Celle-ci ne fut pas long-temps à revenir, elles prirent congé de la Supérieure, & furent trouver Monſieur Brunet qui les attendait. Ils paſſerent tous trois le reſte du jour à L.... & le lendemain ils partirent pour le château de Wolmar.
Henriette y paſſa huit jours ſans voir ſon prétendu parent. Pendant ce temps-là ſa mere lui fit les meilleurs traitemens. O cœur humain! labyrinthe impénétrable! Pourquoi ne peut-on lire ſur le front des hommes les complots horribles que forment leurs ames perverſes? Madame de Wolmar embraſſait ſa fille, elle eût voulu pouvoir l'étouffer.
Le moment fatal approchait où ce monſtre allait mettre le comble à ſes crimes. Suivie de deux domeſtiques & de ſon complice, elle monte à la priſon du Chevalier, & ſe la fait ouvrir. Cet endroit était aſſez bien éclairé: Meillecour fait un cri de ſurpriſe en voyant entrer Madame de Wolmar. Il veut ſe précipiter ſur elle; les trois ſatellites, qui la ſuivaient, l'en empêchent; ils ſe ſaiſiſſent de lui, & l'attachent étroitement à un des coins de la tour, où il y avait un anneau de fer. Le Chevalier accable de reproches ſa barbare ennemie; celle-ci, ſans rien répondre, fait ſigne à ſes gens de la ſuivre, & fait refermer la priſon.
Meillecour ne ſavait que penſer de cet évenement: il n'ignorait plus le lieu où il était; mais il n'en était pas plus avancé. Il ne fut pas long-temps à être éclairci du ſujet pour lequel on l'avoit attaché.
Madame de Wolmar revint bientôt. Elle était accompagnée de ſa fille. Elle la fait entrer avec elle dans la priſon du Chevalier. Contemple, lui dit-elle, contemple l'auteur de tes maux. Je le tiens ici enchaîné, & il n'en ſortira jamais. Je vais me venger de vous deux d'une maniere qui me ſatisfaſſe entiérement. Elle frappe du pied; Monſieur Brunet avoit le mot; il entre. Allons, Mademoiſelle, reprit Madame de Wolmar: donnez la main à Monſieur Brunet; c'eſt lui que je vous deſtine pour époux. Henriette regarde ſa mere quelque temps en ſilence. Non: dit-elle enfin; non, Madame: J'ai promis ma foi à M. de Meillecour, & je la lui garderai juſqu'au dernier ſoupir. Une priſon horrible & perpétuelle me ſerait moins affreuſe que l'indigne hymen que vous me propoſez. Je ſaurai que mon amant reſpire, qu'il m'aime, & contente de mon ſort, je n'en murmurerai jamais.
Il ſerait trop doux, repliqua Madame de Wolmar: l'indigne objet de ton amour, immolé à tes yeux, va être ton premier ſupplice..... Barbare! s'écrie Henriette, & elle ſe laiſſe tomber à la renverſe. Monſieur Brunet, qui était près d'elle, la reçut dans ſes bras. Cependant Madame de Wolmar court ellemême chercher le poiſon qu'elle deſtine à l'infortuné de Meillecour.
Celui-ci avait inutilement fait tous ſes efforts pour rompre les liens qui l'attachaient. Réduit au déſeſpoir, il fixait Monſieur Brunet, qui, reſté immobile, regardait alternativement le Chevalier & Henriette, qui était revenue à elle. Non: s'écria-t-il; tant de ſcélérateſſe n'entra jamais dans mon cœur. Le procédé de Madame de Wolmar révolterait le dernier des hommes. Ne craignez rien, Mademoiſelle; je n'abuſerai point de l'avantage qu'on me donne ſur vous. Et vous, Monſieur, continuatil, je vais me rendre digne de votre pitié, & de votre amitié peut-être, quand vous verrez de quelle façon j'en vais agir avec vous. Coupable inſtrument de votre captivité, c'eſt à moi de briſer vos chaînes. Sauvez-vous; dérobez votre tête à la plus perfide des femmes. Les plus grands crimes lui ſont familiers. Ceux qui vous enleverent avec moi, il y a environ ſix mois, ont reçu la mort pour prix de leurs ſervices. Nous avons enſeveli ce ſecret fatal avec eux. Son époux lui-même, Monſieur de Wolmar, a péri victime de ſa paſſion pour vous. Sa fureur aveugle ne reſpecte plus rien. Complice de tous ſes forfaits, elle m'immolerait bien-tôt à ſa ſureté, ou il faudrait la prévenir. Un nouveau crime m'eſt affreux: il vaut mieux fuir; je vais dans quelque coin du monde me ſouſtraire au chatiment que je mérite, en abandonnant un monſtre qui ſeul m'a rendu coupable.
Il dit, & ſe hâte d'aller détacher le Chevalier, qui ne pouvait revenir de ſa ſurpriſe.
Dès que le jeune de Meillecour ſe vit libre, il courut vers ſa Maîtreſſe. Il s'était jetté à ſes genoux & baiſait une de ſes mains avec tranſport. Hâtez-vous, lui dit Monſieur Brunet; vous n'avez pas un inſtant à perdre. Quoi! s'écria le Chevalier, vous voulez que je m'arrache à ce que j'ai de plus cher. Henriette, je pourrais vous abandonner! ah! que plutôt la mort! .... Non; Chevalier, interrompit Henriette, partez; vous ne pouvez reſter ici ſans vous expoſer, ſans m'expoſer moi-même à toute la fureur de ma mere. Ne craignez rien pour moi, quelque barbare qu'elle ſoit, elle n'oſera tremper ſes mains dans ſon propre ſang. La nature ſe révol-te à l'idée ſeule qu'on s'en forme. Si elle ne me punit qu'en me cloîtrant, comme elle a déja fait, ſoyez ſûr que je ne ferai jamais de vœux, & que je vous garderai juſqu'à la mort la foi que je vous ai promiſe.
Meillecour la regardait ſans rien dire & ſoupirait. Eh bien! dit-il enfin: fuyons donc, dérobons-nous tous deux à ſes emportemens: mon pere va devenir le vôtre, vous vivrez.... Non, répartit Henriette, n'attendez jamais que je faſſe une pareille démarche; l'amour, je le ſens, l'emporte dans mon cœur ſur le devoir. Mon ſort eſt affreux; n'importe: je m'y ſacrifie toute entiere. Je ſerais indigne de vous; je n'aurais pas plutôt acquieſcé à votre deſir que vous mépriſeriez ma faibleſſe. J'étais à L..... dans le couvent des U.... j'eſpere y retourner. Mais ſoit qu'on m'y remene, ou que j'aille dans quelqu'autre endroit, je trouverai moyen de vous donner de mes nouvelles. Retirez-vous chez votre pere & les y attendez. Epargnez Madame de Wolmar; elle eſt coupable je le ſçais, elle vous a outragé indignement, mais elle eſt ma mere; partez, Chevalier; & elle l'embraſſa en le baignant de ſes larmes.
Meillecour partit enfin, le déſeſpoir dans le cœur: il ſe retirait à petits pas; il eût ſouhaité que Madame de Wolmar eût pu le rencontrer. Il quittait à regret un lieu où il laiſſait la moitié de lui-même.
Il deſcendit cependant ſans obſtacle, & à la faveur de la nuit, qui commençait à étendre ſes voiles, il eut le bonheur de ſe ſauver ſans être vu de perſonne. Il prit la route du château de Meillecour, où il arriva peu de tems après.
Il était à peine ſorti de la tour lorſque Madame de Wolmar y arriva. Elle apportait le breuvage fatal. Elle monte à la priſon. En y entrant, elle voit Monſieur Brunet debout devant Henriette, & qui s'entretenait avec elle. Elle jette en même tems un coup-d'œil vers l'endroit où elle croit trouver le Chevalier; elle n'apperçoit que les cordes qui l'attachaient. Interdite, elle laiſſe tomber le vaſe qu'elle tenait. Qu'eſt devenu mon priſonnier, demandetelle à ſon complice? L'auraiton laiſſé échapper? Me trahiraiton? Perfides, rendez-le-moi, ou craignez ma fureur. Vous l'eſpérez envain, lui répartit Monſieur Brunet, ſans s'émouvoir. Il eſt parti & c'eſt moi qui l'ai détaché. Je déteſte le jour où je fus aſſez lâche pour ſervir votre vengeance. Votre fureur n'a plus rien de ſacré. Je vous abandonne aux accès de votre rage. Qu'elle s'aſſouviſſe, ſi elle l'oſe; je n'en ſerai plus du moins l'aveugle inſtrument.
Il ſort en diſant ces mots. Madame de Wolmar, livrée à ce que la fureur a de plus terrible, vole ſur ſes pas, après avoir enfermé Henriette.
Elle l'eut bientôt atteint. Traître, tu me quittes donc? Va, emporte des richeſſes dont je t'ai comblé. J'ai voulu te rendre heureux, la perfidie eſt le prix dont tu paies mes bienfaits. Elles me ſeraient odieuſes ces richeſſes, répartit Monſieur Brunet, puiſque je ne les devrais qu'au crime; je ne veux que ce qui m'appartient légitimement: demain nous réglerons enſemble.
Il était environ ſept heures du ſoir: il ſe retira dans ſa chambre où il eut ſoin de s'enfermer. Il connoiſſait Madame de Wolmar. Tel eſt le ſort des coupables, de ſe craindre mutuellement. Le crime ne forma jamais de ſociété durable; la vertu ſeule a ce droit..
M. Brunet, paſſant tout-à-coup du comble du ſcélératiſme, au plus ſublime effort de vertu, ſurprendra ſans doute mes lecteurs. M. Brunet, né honnête homme, ne s'était corrompu qu'à l'exemple de Madame de Wolmar. En le mettant de ſon ſecret, elle l'avait pour ainſi dire forcé de l'imiter. Que ne peut ſur nous une femme, qui ayant le droit de nous commander, parce que le ſort nous a ſoumis à elle, emploie l'or, ce puiſſant moteur, & les promeſſes les plus ſéduiſantes, pour nous faire condeſcendre à ſes deſirs? Je l'ai dit, les principes de l'honneur une fois gravés dans notre cœur, ne s'effacent jamais tout-à-fait. Le feu qui eſt ſous la cendre, au moindre jour qu'on lui donne, produit les plus vives étincelles, & cauſe quelquefois le plus grand embraſement..
Madame de Wolmar, étourdie d'une révolution ſi ſubite, paſſa la nuit dans une inquiétude affreuſe.
Cependant Henriette était dans la priſon du Chevalier. Le ſort de ſon amant l'occupait toute entiere. Hélas! diſait-elle, par quel événement était-il donc tombé entre les mains de ma mere? Il a ſouffert une priſon affreuſe; je lui dois tout mon amour ..... Sort cruel, ne nous as-tu réunis qu'afin de nous ſéparer pour jamais?. Ah! s'il en eſt ainſi, puiſſe la mort finir bientôt toutes mes peines. L'homme faible ne l'enviſage qu'avec crainte; celui qui penſe, la voit venir d'un œil ſec. Séparation inſenſible de l'ame d'avec le corps, elle eſt le terme de nos malheurs, & le commencement de ce repos inaltérable, dont le germe eſt dans notre cœur, dont nous croyons ſouvent jouir, & que nous cherchons toujours vainement.
A ſon réveil, Madame de Wolmar apprit le départ de Monſieur Brunet. Elle frémit à cette nouvelle: mais réſolue de ſe donner la mort, ſi ſes crimes étaient découverts, elle ſe remit auſſi-tôt. Elle ſe tranſporta à la tour. Henriette la vit arriver ſans émotion; elle était préparée à tout. Que voulez-vous de moi, Madame, lui dit-elle? Ta perte. Suis-moi; & elles deſcendirent enſemble. Je ſçais ton amour pour le lâche que je tenais dans mes fers. Il m'eſt échappé, mais tu me reſtes; & c'eſt en te rendant malheureuſe toute ta vie, que je remplirai du moins une partie de ma vengeance. Tu vas rentrer dans le couvent pour y prononcer les vœux de n'en jamais ſortir. Tant que je vivrai, je verrai ton infortune, & je ſerai contente; & ſi après la mort on eſt capable de quelque ſentiment, je jouirai du plaiſir de ſavoir que tu y ſouffres, & qu'il n'eſt point de remede à tes maux. Elle dit, & elle quitta Henriette pour aller donner ſes ordres pour leur départ.
Elles partirent une heure après. Henriette ſuivait en victime la barbare qui l'immolait. Elles arriverent au couvent, & Madame de Wolmar, après avoir laiſſé le reſte de la dot de ſa fille, & recommandé qu'on lui fît prononcer ſes vœux le plutôt qu'il ſerait poſſible, retourna chez elle.
On annonça à Henriette, huit jours après ſon arrivée, qu'elle prendrait l'habit dans un mois, & l'on fixa à quatre ſa profeſſion.
Henriette avait formé ſon projet; réſolue de l'exécuter, elle ſe ſoumit à tout ce qu'on exigea, avec l'apparence de la meilleure volonté. Adélaïde & Sophie, l'allaient voir ſouvent. Elles étaient ſurpriſes de la voir ainſi déterminée à embraſſer un état pour lequel elle leur avait toujours paru avoir le plus grand éloignement.
Le terme expiré, Henriette prit l'habit: on en donna avis à Madame de Wolmar, & du temps où elle devait prononcer ſes vœux. Cette marâtre impitoyable, en s'applaudiſſant de ce commencement de victoire, répondit qu'elle ſe rendrait à L.... au jour marqué.
Le Chevalier de Meillecour avait été très-bien reçu de ſon pere. Ce vieillard reſpectable, qui avait pleuré la perte de ſon fils, l'embraſſait avec tranſport. C'eſt ma déſobéiſſance, ô mon pere! qui a cauſé tous mes malheurs. -- N'en parlons plus; ton répentir efface ton crime. Il fut l'ouvrage de l'imprudence & non de la perverſité de ton cœur. Apprends-moi ſeulement ce qui t'eſt arrivé depuis ton départ. Le Chevalier lui raconta auſſi-tôt de quelle maniere il avait été enlevé par les ordres de Madame de Wolmar, & le traitement qu'il en avait reçu pendant ſon ſéjour dans la priſon. Mais, ajouta-t-il, on m'a recommandé de l'épargner, & je lui pardonne tout; oui, mon pere, je lui pardonne. Cependant je crois devoir éviter les nouvelles tentatives qu'elle pourrait faire contre moi, ſi elle vient à ſçavoir que je ſuis ici. Ses fureurs ſont extrêmes, & le crime ne lui coûte rien. Je me tais: vous fremiriez d'horreur. Permettezmoi d'aller paſſer quelque tems à Paris. Mademoiſelle de Wolmar doit retourner à L.... dans un couvent où ſa mere veut qu'elle ſe faſſe Religieuſe, & elle m'a promis de me donner de ſes nouvelles. Si vous en recevez, ô mon pere! faites-les moi tenir auſſi-tôt. Je vous donnerai mon adreſſe, dès que je ſerai arrivé. Mais tu aimes donc toujours Mademoiſelle de Wolmar! Eh! qui pourrait ne la pas aimer? Son cœur eſt le ſanctuaire même de la vertu. --- Et ſi elle fait ſes vœux? Non, mon pere, elle m'a juré qu'elle n'en prononcerait jamais.
Nous ſommes faibles pour ce qui nous eſt cher: M. de Meillecour conſentit à tout ce que voulut ſon fils, & le départ de celui-ci fut fixé au ſur-lendemain.
Il y avait quinze jours que le Chevalier était à Paris. Il avait reçu une lettre de ſon pere à qui il avait écrit ſon arrivée. Envain il chercha dans cette lettre des nouvelles de ſa chere Henriette; on ne lui en diſait pas un mot.
Un jour qu'il ſe promenait aux Tuileries, & qu'il ſongeait aux moyens qu'il pourrait employer pour poſſéder ſa Maîtreſſe, il fut abordé par le jeune Comte de Ch.... Eh! bon jour, Chevalier; mais, c'eſt un miracle que de te voir à Paris. Tu viens vivre, n'eſt-il pas vrai? car on ne fait que végéter dans vos Provinces. Ma foi, vive Paris: c'eſt le centre des plaiſirs & l'aſtre vivifiant de la nature. A peine avait-il donné le tems au Chevalier de lui répondre, que ſe trouvant à la porte, il fit avancer ſa voiture, s'élança dedans, & fit monter Meillecour avec lui.
Ils s'étaient connus en faiſant leurs exercices, & avaient été fort bons amis.
Mais, où me menez-vous, dit enfin le Chevalier à ſon ami? Souper chez la Baronne de Nor.... nous y trouverons bonne compagnie, & nous y ſerons bien reçus.
La Baronne de Nor.... était une Femme de ving-cinq ans & veuve depuis ſix mois. Elle était jolie, & nombre de ſoupirans lui faiſaient la cour. Mais réſolue de ne ſe point remarier, elle ne les écoutait que pour s'amuſer. Maîtreſſe d'une fortune immenſe que le vieux Baron, ſon époux, lui avait laiſſée en mourant, elle s'en ſervait à jouir de la vie agréablement. Après avoir fait ſa partie, elle retenait ſouvent quatre ou cinq amis avec qui elle ſoupait.
Lorſque le Comte & le Chevalier arriverent chez elle, ils la trouverent ſeule contre l'ordinaire. Elle tenait un livre qu'elle poſa auſſi-tôt qu'elle les apperçut. Elle fut audevant d'eux, & les reçut avec cette affabilité, cette aiſance qui caractériſent les femmes comme il faut, & ſur-tout celles de la Capitale.
Je vous préſente un de mes bons amis, dit le Comte de Ch..... & nous venons vous demander à ſouper. Vous voyez que j'en agis ſans façon. Voilà comme j'aime que l'on ſoit, dit la Baronne, après avoir fait donner des ſieges au Chevalier & au Comte. De la liberté par-tout. A quoi bon ce cérémonial qui nous gêne & dont nous obſedent tant de gens? C'eſt ce qui me fait écarter les femmes de ma ſociété. Leurs politeſſes fades & guindées me tranſportent dans une ſphere toute oppoſée à mon caractere. Je ſuis obligée de répondre ſur le même ton; & de fadeurs en fadeurs, de complimens en complimens, j'en viens au point de m'ennuyer à la mort avec elles. Auſſi leur langue s'exerce-t-elle à loiſir contre moi; mais peu m'importe la calomnie; j'ai pris le parti de me mettre audeſſus.
En effet, dit le Chevalier, qui n'avait point encore parlé. A quoi ſervirait de chercher à la confondre? C'eſt une hydre toujours renaiſſante. Ah! pour le coup, interrompit le Comte de Ch.... ſi le Chevalier s'en mêle, la diſſertation n'eſt pas prête à finir. Laiſſons les femmes & leur caquet, croyez-moi, Madame, & amuſons-nous à faire un tri. Il aimait beaucoup le jeu, la Baronne ne le haïſſait pas, & le Chevalier faiſait ſa partie comme un autre.
Ils ſe mirent donc à jouer. La Baronne perdit, & perdit en femme qui ſçait perdre. On vint avertir qu'on avait ſervi. Ils ſouperent voluptueuſement. La Baronne fit, on ne peut pas mieux, les honneurs de ſa table. Elle chanta, & pria Meillecour de chanter. Il ne ſe fit pas preſſer. Il choiſit une chanſon qu'il avait faite pour ſa Maîtreſſe pendant ſon ſéjour dans la priſon. Elle était ſous un nom ſuppoſé: la voici.
CHANSON.
Je n'ai des yeux, charmante Liſe,Que pour admirer tes appas;Mon ame, vivement épriſe,N'exiſte plus où tu n'es pas.Si d'une beauté que l'on vanteLe hazard me fait voir les traits;Qu'elle éblouiſſe, enleve, enchante,Je ne lui trouve aucuns attraits.Je n'ai des yeux, charmante Liſe,Que pour admirer tes appas;Mon ame, vivement épriſe,N'exiſte plus où tu n'es pas.
On applaudit à ſa chanſon & au goût avec lequel il la chanta, & après que le Comte eut auſſi chanté la ſienne, on ſe mit à cauſer. Inſenſiblement la converſation retomba ſur les femmes. Le Chevalier prit leur parti contre ſon ami, qui les maltraitait fort.
En vérité, dit le Comte, je te trouve un excellent apologiſte. Tu fais des femmes le tableau le plus brillant. Tu en ménages les jours avec un art qui n'eſt qu'à toi, & que j'admire d'honneur. Ah! mon cher ami que tu les connais peu! Ce n'eſt chez elles que tracaſſerie, intrigue, interêt, coquetterie. La femme eſt l'aſſemblage complet de tout ce qui peut faire le tourment d'un homme aſſez ſot pour donner dans ſes pieges. Il en peut être quelqu'une qui reſſemble à ton tableau; mais mon cher, que cet oiſeau eſt rare! ou pour mieux dire, c'eſt le phénix, qui ne doit ſon exiſtence qu'au cerveau creux de nos fabuliſtes inſenſés. Paix, paix, je veux être ton Mentor, je ne te donne pas huit jours, Chevalier, pour être entiérement revenu de ton erreur, & penſer en tout comme moi.
Il faut, Monſieur le Comte, dit en riant la Baronne, que vous ayez été furieuſement maltraité par les femmes. Tout au contraire, répartit-il en l'interrompant: j'en ai été aſſez favoriſé, mais je n'ai jamais trouvé chez elles de véritable amour. Cette paſſion de l'ame eſt trop forte pour leurs faibles organes. J'y ai été trompé: j'ai ſouvent cru en voir les ſymptômes, les effets les moins équivoques; mais, ſemblables à l'éclair, dont la lumiere vive & brillante frappe & ſe diſſipe à l'inſtant, je les ai vus paraître & bientôt s'évanouir. Je veux à ce ſujet vous raconter une aventure qui m'eſt arrivée il n'y a pas un an.
J'étais aux Français: on donnait Zaïre ce jour-là. Vous connaiſſez cette Piece, il eſt inutile que je vous en faſſe l'analyſe; il ſuffit de vous dire qu'au moment où Oroſmane reproche à ſa Maîtreſſe de ne le pas aimer, j'entendis d'une loge voiſine de celle où j'étais placé, une voix qui s'écria: Il eſt bien injuſte! belas! elle n'aime que lui, elle ne veut vivre que pour lui.
Je fus curieux de ſçavoir quelle était la perſonne qui venait de prononcer ces paroles. Je me baiſſai, & vis bientôt une jeune Dame qui eſſuyait des pleurs, qui coulaient malgré elle ſur des joues qui euſſent fait honte au plus vif éclat de la roſe. Deux grands yeux noirs & bien fendus étaient couronnés par les plus beaux ſourcils du monde. Sa taille paraiſſait fine & déliée. Qu'une belle en larmes trouve bien vîte le chemin du cœur! La cauſe qui faiſait couler les ſiennes, toucha le mien: je devins amoureux à l'inſtant. Une femme, dis-je en moi-même, ſi ſenſible aux peines d'autrui, doit être capable de ſe prendre d'une belle paſſion, d'une paſſion ſolide & durable. J'allais faire bien d'autres réflexions, car, quoiqu'étourdi, je réfléchis quelquefois; mais la piece qui vint à finir, m'obligea de les interrompre. Le reſte du ſpectacle m'ennuya à la mort. J'eus cependant la vue toujours attachée ſur ma belle inconnue. Je vis avec plaiſir que ces ris, ces éclats immodérés, qu'arrachent quelques balivernes dans les ſublimes Comédies en un acte, n'excitaient chez elle aucune ſenſation. Elle était tendre, elle voulait quelque choſe qui émût l'ame, & de pareilles fariboles ne ſont pas faites pour y aller.
Enfin la toile tomba. Je me hâtai de ſuivre cette Dame, qui s'était déjà levée, & qui s'en allait avec une autre, que j'ai ſçu depuis être une de ſes amies. Je fus aſſez heureux pour voir tomber une des boucles d'oreille de mon inconnue. Je la ramaſſai; mais je me gardai bien de la lui rendre auſſi-tôt. Je formai le deſſein de la porter chez elle.
Ces deux Dames allaient monter dans leur équipage; j'appellai mon Laquais, & lui ordonnai de les ſuivre. Il ſuffit, Monſieur, me dit-il, & auſſi-tôt il s'élança derriere la voiture & diſparut comme un éclair. Je connaiſſais le talent de ce garçon pour de ſemblables commiſſions, & je ne doutai point qu'il ne me ſatiſfît pleinement à ſon retour.
Je me rendis droit chez moi; je montai dans ma chambre où je commandai qu'on me laiſſât ſeul.
Mon Laquais fut long-temps à revenir; je m'impatientais: Enfin il parut. Eh bien! qu'as-tu découvert?vert? ----- Ah! Monſieur, la charmante perſonne! elle eſt ma foi divine. ---- Après, je ſçais tout cela -- J'étais donc monté derriere ſon caroſſe, un Laquais eſt venu s'y placer à côté de moi: j'ai reconnu Saint-Jean, & nous avons renouvellé connoiſſance. Mon ami, lui ai-je dit, il faut me faire un plaiſir. Je ſuis ici pour ſçavoir quelle eſt cette jeune Dame qui eſt dans l'équipage, & où elle demeure. Tu ne pouvais pas mieux t'adreſſer, m'atil répondu. Cette Dame eſt une jeune veuve que le vieux Marquis de.... ſon époux, s'eſt aviſé de planter là tandis qu'il eſt allé faire un voyage en l'autre monde. Elle a abandonné ſa Province, & vit extrêmement retirée à Paris. Elle a amené avec elle une de ſes amies qui ne la quitte preſque point. Son cocher, deux femmes de Chambre, un cuiſinier & moi, formons tout ſon domeſtique. Elle ſort très-rarement, & c'eſt comme un hazard qu'elle ait été aujourd'hui au ſpectacle. Depuis cinq mois qu'elle eſt ici, je ne ſçais pas ſi elle y a été trois fois. Nous l'appellons Emilie. Elle jouit de vingt mille livres de rente, & attend encore une ſucceſſion conſidérable. Le caroſſe s'eſt arrêté comme il parlait encore. Nous étions rue Saint-Louis au Marais. J'ai remarqué l'endroit où entrait Emilie, & après m'être aſſuré que c'était là qu'elle demeurait, je ſuis vîte accouru, & vous m'en voyez encore tout eſſouflé.
Je ſuis content de toi, lui dis-je; tu me montreras demain cette maiſon. Vas manger un morceau, & dis qu'on me monte à ſouper.
Je mangeai peu, je ne dormis preſque point de toute la nuit. L'image d'Emilie me fut toujours préſente. Je m'aſſoupis cependant ſur le matin. Dès que je fus éveillé, j'appellai mon Laquais. Quelle heure eſtil, lui demandai-je? ---- Monſieur il eſt près d'onze heures. ---- Dépêchetoi donc de m'habiller, & que nous ſortions.
Je me rendis chez ma belle inconnue, où je me fis annoncer. Je la trouvai dans le déshabillé le plus galant. Vous me pardonnerez, lui dis-je, Madame, la liberté que je prends de vous importuner. Hier, en ſortant du ſpectacle, vous avez laiſſé tomber une de vos boucles d'oreilles; je l'ai ramaſſée & viens pour avoir l'honneur de vous la remettre. Elle la reçut en rougiſſant & en bégayant quelques mots que je ne pus entendre. Elle m'offrit un ſiege & je m'aſſis: Nous causâmes quelque-tems; enfin je pris congé d'elle en lui demandant la permiſſion de la voir quelquefois. Elle me l'accorda, comme elle avait reçu ſa boucle d'oreille, c'eſt-à-dire, la rougeur peinte ſur le front, & je partis.
Je lui fis réguliérement ma cour, & je parvins bientôt, ou du moins je crus lui avoir inſpiré la même paſſion que je reſſentais pour elle. Qui n'y aurait été trompé? J'arrivais, on volait au-devant de moi en me tendant les bras. Je cueillais ſur ſa bouche les baiſers les plus délicieux...... Si vous étiez un volage, un perfide! .... Non: je ne le crois pas...... & elle m'embraſſait encore. Je vous avoue qu'elle était mon idole. Je lui aurais ſacrifié ma fortune, mon exiſtence même. Elle avait exigé que mon amour ne parût point devant ſon amie. Cette maudite amie ſurvenait toujours dans les inſtans où je croyais ma Maîtreſſe toute à moi: il ſemblait qu'elle les épiait.
Ennuyé de cette contrainte, & brûlant d'obtenir d'Emilie ce que je n'en avais encore pu avoir, je lui propoſai un jour de venir voir un jardin que j'avais au Fauxbourg St. Antoine. Elle accepta la partie qui fut miſe au lendemain.
Nous étions convenus que je m'y rendrais le premier. Je fis apprêter la la collation. Il y avait une heure que je l'attendais lorſqu'elle arriva. L'amour lui-même avait pris ſoin de la parer. Je ne l'avais jamais vue ſi belle. Je crus toucher au comble du bonheur. Après quelques tours de promenade, nous entrâmes dans un ſalon qu'on eût pris pour le palais de Vénus même. Nous goûtâmes; j'avais fait proviſion d'un vin exquis; je lui en verſai quelques coups, ſes yeux s'enflammerent. Je prends une de ſes mains, je vais.... Que faites-vous, Monſieur, me dit-elle du plus grand ſang-froid? de pareils tranſports me déplaiſent, & je vous prie de les modérer..... Je crus qu'elle plaiſantait; je perſiſte. Je vous parle ſérieuſement, reprit-elle. Je n'accorde de telles faveurs qu'à ceux que j'aime, & je ne crois pas avoir rien fait qui puiſſe vous donner à penſer que ce ſoit vous. Puis prenant un ton railleur: en vérité, Monſieur le Comte, vous êtes un galant du premier ordre. Comme vous vous paſſionnez! Je connais quelques femmes qui aiment qu'on ſe prenne de grande paſſion pour elles, vous pouvez être ſûr que je ne vous oublierai point dans l'occaſion. Elle ſort en diſant ces mots, & monte dans ſon équipage.
Immobile & ſemblable à un homme frappé de la foudre, je reſtai comme un terme. Je ne ſçavais ſi je veillais, ou ſi quelque ſonge trompeur occupait ma penſée. Je la laiſſai partir ſans lui pouvoir répondre un ſeul mot. Revenu enfin à moi, je reſolus d'oublier une femme dont j'avais été ſi fort la dupe. Depuis cet inſtant, je me ſuis défié de ce ſexe volage, & ſi j'en ai encore été trompé quelquefois, je puis dire, que j'ai bien eu ma revanche; mais je ſuis bien ſûr que je ne donnerai jamais dans le panneau.
Il ne faut jurer de rien, dit Madame de Nor.... qui s'était beaucoup amuſée de la concluſion de l'aventure du Comte. Monſieur, on n'eſt jamais plus proche du précipice, que lorſque l'on croit en être bien éloigné. Je ſuis bien certaine que Monſieur le Chevalier penſe comme moi ---- Aſſurément, Madame; & ces braves- là ſont ceux qui y ſont le plutôt pris.
Le récit du Comte les avait menés plus loin qu'ils ne croyaient: il était deux heures du matin lorſqu'ils ſe ſéparerent. La Baronne les engagea à la venir voir ſouvent. Ils le lui promirent & ſe retirerent.
Le Chevalier la vit preſque tous les jours pendant ſon ſéjour à Paris. Un ſoir qu'il y avait ſoupé & qu'il en revenait fort tard, il fut attaqué par deux hommes, qui, ayant l'épée à la main, l'obligerent de tirer la ſienne. Ils le chargerent tous deux en même tems. Le Chevalier s'étant mis contre une muraille, pour n'être point pris en arriere, ſe défendit vigoureuſement. Il fut aſſez heureux pour jetter bas un de ces aſſaſſins du premier coup qu'il porta. Dès qu'il ne s'en vit plus qu'un en tête, il ceſſa de ſe tenir ſur la défenſive. Il l'avait déjà bleſſé dangereuſement, lorſque le guet vint à paſſer. On ſe ſaiſit du Chevalier de Meillecour & de cet homme, & on les conduiſit tous deux chez un Commiſſaire. On y tranſporta auſſi celui qui était étendu roide mort à quelques pas de là.
Le Commiſſaire interrogea d'abord le Chevalier. Celui-ci répondit ſans s'émouvoir, qu'il avait été attaqué par deux hommes qu'il ne connaiſſait pas, & qu'il avait été obligé de ſe défendre, mais qu'on pourrait en ſçavoir davantage de celui qu'on avait emmené.
On le fit venir, ou plutôt on l'apporta, car il ne pouvait plus ſe ſoutenir. Le Chevalier lui avait fait deux bleſſures profondes, par leſquelles il perdait beaucoup de ſang. On le preſſa de parler, en le menaçant de le conduire au Châtelet. Hélas! dit-il, je n'ai que quelques heures à vivre, ainſi je n'ai rien à craindre de dire la vérité. Monſieur n'eſt nullement coupable. Nous l'avons attaqué, mon ami & moi, & il n'a fait que ſe défendre. Une Dame que nous ne connaiſſons point nous a payé pour l'attaquer lorſqu'il ſortirait de chez Madame la Baronne de Nor..... où elle nous a dit qu'il était entré. Le ciel, vengeur des crimes, nous a punis.... Je meurs.... En effet, il lui prit une faibleſſe dans laquelle il expira quelques minutes après.
Le commiſſaire en fut fâché. Il aurait voulu ſavoir quelle était cette Dame. Le Chevalier de Meillecour était loin de ſoupçonner Madame de Wolmar; trop éloigné de l'endroit qu'elle habitait, il ne lui vint pas même dans l'eſprit de penſer à elle. On eut beau l'interroger, il proteſta qu'il ne connaiſſait perſonne qui pût en venir contre lui à cet excès.
Cependant on fit tranſporter les deux cadavres dans le lieu où l'on a coutume de les expoſer, après avoir dreſſé un procès-verbal des dépoſitions, & le Chevalier s'étant réclamé du Comte de Ch.... on envoya chez ce Seigneur, qui ſe rendit lui-même chez le Commiſſaire. Sur ſa parole, on laiſſa aller Monſieur de Meillecour, qui n'entendit plus parler de cette affaire.
L'inconnue qui l'avait fait attaquer, était Madame de Wolmar, qui, ayant appris qu'il était parti pour Paris, s'y était rendue en poſte preſque auſſi-tôt que lui. Elle l'avait long-temps cherché aux promenades & aux ſpectacles, & l'avait enfin vu aux Italiens, où le Comte de Ch... l'avait mené un jour pour voir une piece nouvelle.
Elle l'avait donc reconnu, comme je viens de le dire, & l'avait fait ſuivre. Le Chevalier de Meillecour s'était retiré ce jour-là chez lui. Elle le fit épier pendant pluſieurs jours, & ayant appris qu'il allait ſouvent chez la Baronne de Nor.... elle ſe détermina d'autant mieux à le faire attaquer lorſqu'il en ſortirait, que ce quartier était fort éloigné de celui où elle demeurait.
La nuit était preſque commencée lorſqu'on vint lui dire que le Chevalier y était entré. Elle prit ces deux aſſaſſins avec elle & les mena au lieu où ils devaient l'attendre. De retour chez elle, elle fit faire ſa malle, congédia ſon domeſtique & prit la poſte à l'heure-même, pour ſe rendre à ſa Terre de Wolmar.
Elle était à peine hors de Paris, qu'elle eut regret d'avoir confié le ſoin de ſa vengeance à des mains étrangeres. S'ils allaient me trahir, diſait-elle à chaque inſtant? .... Telle était la fureur de cette mégere. La victime immolée de ſes propres mains n'aurait pu même aſſouvir ſa rage, ou les coups qu'elle aurait portés, n'auraient point été aſſez cruels, ou Meillecour y aurait trop tôt ſuccombé.
Le Chevalier voyant que ſa vie n'était point en ſûreté à Paris, & ne recevant point de nouvelles d'Henriette, comme elle le lui avait promis, réſolut de ſe rendre à L.... où elle devait être. Il l'écrivit à ſon pere, & partit deux jours après.
Il s'était retiré chez un ami qu'ils avaient dans cette ville. C'était un fameux Négociant & le pere d'Adélaïde, cette tendre amie d'Henriette, qui, auparavant établi à B.... était venu ſe fixer à L...... où était la plus grande partie de ſon bien. Le jeune de Meillecour n'avait dit à perſonne ce qui l'avait amené à L.... Il avait été déjà pluſieurs fois à l'Office au couvent des U....... Ses yeux avaient cherché vainement l'objet de ſon amour; il n'avait garde de le reconnaître ſous l'habit qui le couvrait.
Un jour qu'Adélaïde était à dîner chez ſon pere, il lui demanda des nouvelles de ſa chere amie, (c'eſt ainſi qu'elle avait coutume d'appeller Henriette:) hélas! réponditelle, tranquille & dans la plus grande ſécurité, elle ſemble attendre avec impatience le tems fixé pour prononcer ſes vœux. Je ne ſçais, mais j'appréhende que ſa vocation ne ſoit forcée, & que le déſeſpoir ſeul ne l'ait portée à prendre ce parti.
Le jeune de Meillecour écoutait avec émotion: ſon trouble le décéla. Monſieur le Chevalier, lui dit le pere d'Adélaïde, il ſemble que vous preniez intérêt à ce que dit ma fille. ---- . Ah! Monſieur, le plus grand du monde. C'eſt de Mademoiſelle de Wolmar ſans doute que Mademoiſelle vient de parler. Quelle autre ſe trouverait dans une ſituation ſemblable? Ah! Mademoiſelle, achevez, n'ai-je plus d'eſpoir? C'eſt vous, Monſieur, dit Adélaïde, qui vous nommez le Chevalier de Meillecour? Et oui, ſans doute, reprit Monſieur .- Ah! ma chere Henriette va renaître, quand elle vous ſçaura ſi près d'elle. Soyez aſſuré, Monſieur, que vous aurez de ſes nouvelles dès demain. On preſſa le Chevalier de raconter ſon hiſtoire, & il ne ſe fit pas long-tems prier.
Adélaïde retourna le même jour à ſon couvent, & fit part à Henriette de ſa découverte. Elle la conjura d'écrire au Chevalier, qui ſe déſeſpérait ſur l'idée funeſte qu'il ſe formait de la voir faire le ſerment de n'être jamais à lui. Il devrait mieux me connaître, dit Mademoiſelle de Wolmar: je lui ai juré le contraire, & mes ſermens ſont inviolables. Mais je pardonne à l'amour cette indigne crainte. Demain je lui écrirai, & vous me ferez le plaiſir de lui donner ma lettre. Dès qu'elle fut ſeule elle lui écrivit en ces termes.
LETTRE.
“Je vous avais prié, Chevalier, “d'attendre de mes nouvelles au “château de votre pere; votre impatience m'a devancée. Je ne vous “en ferai point de reproches; je “connais l'amour: ſans doute, à “votre place, j'en aurais ſait autant. Mais je vous le demande en “grace, ne cherchez point à me voir, “ni à pénétrer mes ſentimens. J'ai “pris l'habit de Religieuſe, & dans „trois mois je dois prononcer mes “vœux. Je vous ferai avertir du „jour; ne vous éloignez point, & “me croyez toujours fidelle.
Henrtte de Wolmar.
Cette lettre fut cachetée & remiſe à Adélaïde le lendemain. Elle ſortit auſſi-tôt pour la porter au Chevalier. Il était ſeul lorſqu'elle la lui donna. Il l'ouvrit avec vivacité & la dévora des yeux. Que devint-il à cette expreſſion fatale! je dois prononcer mes vœux. Elle veut que je la croie fidelle, s'écria-t-il, & elle m'arrache le cœur. Ah! Henriette, que vous ai-je fait? Mademoiſelle, concevez-vous l'horreur de ma ſituation? .... Et il reliſait cette lettre, qui lui paroiſſait une énigme impénétrable. Il voulait écrire à ſa Maîtreſſe pour lui en demander l'explication; l'ordre qu'on lui donnait de ne point chercher à pénétrer plus qu'on ne voulait lui en faire ſçavoir, le retenait auſſi-tôt. Il remercia Adélaïde & la pria d'aſſurer Henriette de ſon attachement. Il réſolut d'attendre le terme fatal qu'on lui preſcrivait. Pendant cet intervalle, Henriette & le Chevalier ſe donnerent réciproquement de leurs nouvelles par le moyen d'Adélaïde, qui venait ſouvent chez ſon pere.
Enfin, le jour qui devait mettre le comble à tant d'événemens arriva. Madame de Wolmar s'était rendue à L..... & Henriette avoit fait dire à ſon amant de ſe rendre à ſon couvent. Tout était préparé pour la cérémonie de ſa profeſſion. Il y avait une aſſemblée nombreuſe, & le Directeur du couvent, qui devait lui faire prononcer ſes vœux, s'était déjà fort étendu ſur le mépris du monde, le danger qu'il y a d'y vivre, & les douceurs de la vie monaſtique.
Henriette, immobile au milieu d'une nombreuſe aſſemblée, ſemblait écouter ce diſcours avec la plus grande attention. Elle fixait le Chevalier de Meillecour, qui était dans l'incertitude la plus cruelle. Madame de Wolmar de ſon côté attendoit avec impatience la fin de la cérémonie. Henriette s'avance d'un pas majeſtueux, elle prend des mains du Prêtre la formule fatale. Un ſilence profond ſuccede à un murmure confus, qui s'était fait entendre un peu auparavant. On écoute, & Henriette, d'une voix ferme, prononce ces paroles: e jure devant Dieu ici préſent, devant vous, ma mere, de ne choiſir, de n'avoir jamais d'autre époux que Monſieur de Meillecour, que voici. Elle lui tend la main; il s'avance, & elle renouvelle ſon ſerment.
Madame de Wolmar, frappée comme d'un coup de foudre, s'évanouit. On la tranſporte dans l'intérieur du couvent. Cette femme était fort replette. Il ſe fit chez elle une ſi grande révolution, qu'elle mourut peu d'heures après, dans les accès de la rage la plus violente.
Telle fut la fin de Madame de Wolmar, fin digne de la vie ſcélérate qu'elle avait menée. Le ciel, vengeur des crimes, patiente; mais enfin, il frappe, & ſes coups ſont d'autant plus terribles, qu'ils ont été plus long-tems ſuſpendus.
Cependant Henriette ayant vu enlever ſa mere, avait volé ſur ſes pas. Elle la baignait de ſes larmes, & allait expirer elle-même ſur ce corps froid & inanimé. La nature ne perd jamais ſes droits. Malgré ce que lui avait fait ſouffrir ſa mere, elle eût donné ſa vie pour racheter la ſienne. On fut obligé de l'arracher de ce lieu funeſte. Son époux l'attendait à la porte du couvent. Ils monterent dans un équipage & ſe rendirent chez Monſieur V avec Adélaïde.
Un tel événement avait fait beaucoup de bruit dans l'aſſemblée. Pluſieurs perſonnes qui apprirent la violence que l'on avait faite à Mademoiſelle de Wolmar, pour lui faire prononcer ſes vœux, approuverent ſon procédé. Toute la Ville ſçut bientôt cette aventure, & elle devint la nouvelle du jour.
Cependant Monſieur V*** à la conſidération de Monſieur de Meillecour, fit tout préparer pour le convoi de Madame de Wolmar. Elle fut enterrée avec toute la pompe qu'exigeait ſon rang.
Le Chevalier, Henriette, Monſieur V*** & ſa fille, partirent quelques jours après pour le Château de Meillecour. Le Chevalier apprit à ſon pere tout ce qui venait de ſe paſſer, & le pria de vouloir bien ſervir de pere à Mademoiſelle de Wolmar. Elle s'approcha de Monſieur de Meillecour, qui l'embraſſa & lui promit toute ſa tendreſſe.
Henriette, qui juſqu'à ce jour avait été inconſolable, ſe rendit aux inſtances du Chevalier; elle eſſuya ſes larmes, & l'on prit des arrangemens pour la mettre en poſſeſſion de ſes biens. Elle avait nommé le jeune de Meillecour pour ſon époux, & aux pieds même des Autels; dès qu'elle put le faire avec décence, elle fit ratifier ſon choix. Ils reçurent la Bénédiction Nuptiale dans la Chapelle du Château de Meillecour.
Monſieur V*** avait paſſé quinze jours avec eux & était retourné à L...... où ſon commerce l'appellait. Adélaïde, liée d'une étroite amitié avec Henriette, ne l'avait point quittée. Elle ne ſe rendit auprès de ſon pere qu'après le mariage de nos amans, pour épouſer un riche parti à qui on la deſtinait.
Epoux heureux, Mademoiſelle de Wolmar & le Chevalier, virent couronner leurs deſirs. Le ciel, propice à leurs vœux, leur accorda pluſieurs enfans. Ils vivaient avec Monſieur de Meillecour, qui, après avoir eu la joie d'embraſſer ſes petits-fils, mourut enfin paiſiblement au milieu de ſa famille, dont il fut juſtement regretté.
Monſieur & Madame de Meillecour ſe diſputerent à l'envi à qui aimerait le mieux les tendres fruits de leur amour. Ils leur donnerent la meilleure éducation, & eurent la ſatisfaction de les voir tous mariés.