HISTOIRE DE JACQUES FERU, ET DE VALEUREUSE DAMOISELLE AGATHE MIGNARD.
Ecrite par un Ami d'iceux.
Avec des Airs notés.
A LA HAYE, Et ſe trouve à PARIS, Chez CUISSART, Pont-au-Change, à la Harpe.
M. DCC. LXVI.
CEs Mémoires ſont tirés d'un Manuſcrit fort ancien, puiſqu'il eſt du quatorziéme ſiécle. On a même été obligé d'y faire pluſieurs changemens pour le rendre intelligible. L'Hiſtoire de Pierre le Long ſera cauſe qu'on fera ſouvent de pareilles recherches; mais il ſera difficile d'en trouver d'un ſtyle auſſi agréable. Du moins, on aura le mérite de ſervir de luſtre à cet ingénieux Ouvrage.
VOus m'avez fait lire Pierre le Long; vous avez voulu que j'écrive dans ce genre, j'ai eſſayé de vous ſatisfaire: daignez donc accepter une plaiſanterie que vous avez fait naître, & ne doutez plus du pouvoir que vous avez ſur moi. En rendant ceci public, je ne ſens que l'avantage de publier auſſi les ſentimens d'eſtime & d'amitié que je vous ai voués, & avec leſquels je ſerai toujours, MADEMOISELLE, Votre très-humble & très-obéiſſante ſervante, ***.
D'Aucuns s'émerveilleront ſans doute que je ſois aſſez oſé pour écrire une Hiſtoire, puiſqu'en ſuis moi-même tout ébahi; car, à dire vrai ſuis plus adroit à tirer arquebuſade, qu'à toucher une lire; icelle ne rend ſous mes doigts que des ſons diſcordans. Mais pour parler d'un ſien ami, faut-il donc être en acointance avec les Muſes? Nul beſoin ne le requerre. Pource, je crois, le cœur ſeul ſuffit. “ O mon féal! toujours le “mien eſt à toi! bien que tu ſois trépaſſé! & puiſque n'ai plus l'heur de „te voir, je vais me remémorer les “gentils inſtans qu'ai paſſé près de toi, “qui ſont les plus doux de ma vie.
OR c'étoit ſous le Régne du bon Roi des Francs, Charles huit, dit le Courtois, que moi Ambroiſe Incour, m'acointai de Jacques Féru; lui, & puis moi, ſervions ſous les ordres de Sire de la Trémoille, qui, par ſa rare vaillantiſe, fut ſurnommé le Chevalier SansReproche, ſurnom qu'en ſon armée un chacun mêmement tâchoit de mériter. Après que ledit Sire eut gagné la bataille du Cormier en Bretagne, nous eûmes un peu de répit. Lors m'aviſai de la courtoiſie de Jacques Féru, m'advenoit mille fois plus que pas un de nos Gendarmes. Ses propos étoient gentils, ſa figure mignarde, ſes actions allegres; bref, me pris d'affection pour icelui: ce qui ſervit à l'aggrandir encore, c'eſt qu'il arriva qu'un ſien ami prit querelle avec un des miensDonc ils ſe gourmandent; ne voilà-t-il pas qu'iceux veulent que Féru, & puis moi, ſoyons témoins. En outre, ils nous exhortent mêmement de nous battre pour paſſer le tems; mais nous, ſans faire ce que requeroient ces forcenés, nous deviſons, tenons propos joyeux; ce qui grandement courrouça nos dueliſtes, leur prenoit fantaiſie de jetter leur ire ſur nous, quand leur dis:
“Braves Compagnons, trève à fâcheries quelconques, votre courage „on connoît. N'en avons-nous pas “donné moult preuves enſemblement? “Donc, faut le réſerver contre les “ennemis de notre Prince. Vous allez “vous entretuer pour une égrillarde qui “peut-être ſe gauſſe de vos débats, “avec un Jouvencel plus à ſa guiſe “que vous. En tout faut imiter les Héros; ſçavez que la conſtance n'eſt le “partage d'iceux.
Après ce colloque, on quitta ſa pertuiſane, puis un chacun s'achemina vers ſon manoir.
UN jour il advint que vis l'ami Féru dans une très-grande détreſſe: lors lui dis: „qu'avez donc, l'ami? vous, que “de coutumance, on voit joyeux & “diſpos, vous voilà tout en déconfort. “Ce peut-il qu'auriez des angoiſes & “que m'en feriez ſecret, à moi qui ſuis “vôtre? A ce dire, faiſant ſortir profond ſoupir de ſa potrine: liſez ce qu'écrit la mere à moi, dit mon féal: “puis donnant miſſive, je lus ce qu'allez voir.
LETTRE
De Dame Féru, à Meſſire ſon fils Jacques Féru
ON a ſçu vos ébats avec la grande Jeanne. Du depuis un chacun dit, que ne méritez plus d'avoir pour Femme Damoiſelle Agathe: icelle de vous ne ſe plaint aucunement; mais Meſſire ſon pere ſe courrouce, & dit, que ja n'aurez ſa Jouvencelle: à celle fin de prouver ce, voilà qu'il l'accorde aux Suppliques d'un riche Citadin, qui la pourchaſſe depuis qu'êtes à guerroyer. Comme ne vous enquétez plus de ladite Damoiſelle, crois bien que déloyale ſeulement pour elle n'avez ſouvenance aucune de ſa courtoiſie. Quoique ſoit, vous avertis toujours pour que vous aviſiez ce que ferez. N'en ſuis ne plus ne moins votre mere, comme êtes mon cher fils.
“Vous avez donc une mie, dis-je “à Jacques? Las! oui, me répond-il, “& la perle des mies, tandis que ſuis “deloyal en ſon endroit, le plus deloyal qui fut onc. Ah! ſi vous ſçaviez tous les méfaits de votre ami, “plus ne ſerois votre féal.“ Puis ſe détournant de moi, vis bien que c'étoit pour me cacher qu'il larmoyoit; ce qui étrangement me mut de pitié. Lors le preſſai d'épancher ſon cœur dans cetui d'un ami. Auſſi fit-il, comme verrez ſi liſez.
MON ami print la parole, & dit: Suis né à Paris, comme ſçavez. Mon pere, qu'eſt deffunt, me laiſſa quelques biens, que ſur mer il gagna. Ma mere, qui grandement me chérit, onc ne voulut me laiſſer courre même riſque; ne put m'empêcher pourtant de ſuivre les étendards de Sire de la Trémoille. Or touchois ja à ma dixneuvieme année, ſans que Dame, ni Damoiſelle quelconque, euſſent troublé ma fantaiſie. Toutefois courtois j'étois avec toutes, & me plaiſois grandement à leur entour. Les hantois de préférence à mes plus chers camarades; ſur-tout une mienne couſine, d'humeur plaiſante au poſſible. Pluſieurs Cavaliers la pourchaſſoient (en tout honneur s'entend): icelle, d'humeur folichonne, appréhendoit les entraves d'hymen. Jurer à un homme d'être ſienne, ſans reſtriction, lui ſembloit jurement haſardeux. D'aucuns crurent que c'étoit moi qui l'induiſois dans de tels penſers. Deux de ſes amoureux m'encontrent un jour me diſent paroles meſſéantes. Je réponds comme il eſt requis en cas pareil. Un d'iceux m'attaque. Je me deſfends, comme penſez. L'autre eſt aſſez felon pour ſe mettre de la partie; de ſorte qu'avois plus de beſogne que n'en pouvois faire. Beaucoup me regardent, mais aucuns ne me ſecourent; ſi ce n'eſt belle Damoiſelle, que mon bon Ange, faut le croire, conduiſit à mon entour. Mue de compaſſion de me voir ja tout empourpré de mon ſang, elle fend la preſſe, diſant: Quoi! vous “laiſſez occire ainſi ce blond jouvencel? Puis ſe mettant tout juſtement derriere un de ces laches, voilà qu'elle empoigne de ſes deux mains la garde de ſon épée, & lui arrache, comme il m'en alloit pourfendre l'eſtomach; puis ſerrant ladite épée, de ſes doigts mignons, elle la rompt, la jette au loin, diſant: Allez, méchant, ne devez plus “porter des armes; trop indigne vous “en êtes „. Tous deux tournent le dos, & s'en vont honnis d'un chacun, tandis qu'Agathe Mignard (ſe nomme ainſi cette loyale Damoiſelle) s'attire l'admiration de tous, d'autant que pas un n'avoit eu le courage d'agir mêmement.
Pour moi, plus ne m'appercevois du ſang qu'avois perdu; cetui qui me reſtoit prenoit nouvelle vigueur près de la belle Agathe. Tombant à deux genoux aux pieds d'icelle qu'embraſſai fortement:“O Dame incomparable! m'écriai-je, ces jours dont ſuis redevable “votre courtoiſie, ſouffrez que vous conſacre, & que ſois votre ſerf “juſqu'au dernier ſopir „. Puis m'apperçus que ſon beau bras étoit enſanglanté, pource que le fer dont icelle s'étoit ſaiſie étoit tranchant; ce qui me cauſa grande douleur. M'apperçus auſſi que ſon teint blémiſſoit: bref, on nous fait entrer dans une ſalle baſſe, où il ſurvint un panſeur. Agathe envoya querir Meſſire ſon pere, qui ravi d'aiſe fut des proûeſſes de ſa jouvencelle, eſtimant le courage plus que choſe quelconque. Auſſi jadis ſon métier étoit d'en voir. Moi me dépitois contre ma grane débilité, qui me força de quitter une famille à laquelle déſirois déja d'être adjoint. Fallut au plutôt m'éconduire chez Madame ma mere, puis me coucher.
ARrivé que je fus chez ma mere, grandement je m'étendis ſur la généroſité d'Agathe, ne pouvois parler que d'icelle; & quand n'en diſois rien, c'eſt qu'on ne vouloit me laiſſer parler à cauſe de mon mal. Malgré ce, ſa douce image ne me quittoit ne plus ne moins que ma chemiſe; toujours mon penſer me portoit vers elle. Si ſon merveilleux courage me touchoit, certes n'oubliois pas non plus ſon gentil corſage, ſa peau blanche, & qui paroiſſoit bien doucette, ſon pied mignon, ſon bras rondelet, ſes blondes treſſes; bref, ſa voix argentine ...... ſi bien que me voulois mal d'être giſant dans un lit, tandis que m'auroit fallu être aux pieds d'icelle, qui ſi gaillardement expoſa tant de charmes pour moi chétif: mais j'eus pourtant un grand reconfort, comme allez voir.
N'eus beſoin de prier beaucoup me mere d'aller chez pere Mignard s'enquêter de ſa jouvencelle; de ſon chef y fut ſouventes fois Madame ma mere. Pere Mignard, non moins civil, à ſon tour me fait viſite. Moi tout auſſitôt lui parlai de la Dame de mes penſées, lui témoignai le deſir qu'avois de ſçavoir nouvelles de ſa ſanté. Elle eſt guarie, “dit pere Mignard . Moi n'en veux rien croire.“ Oh bien, ajoute icelui, “incrédule que vous êtes, quand la “verrez le croirez-vous? car vois bien “que faudra vous la mener „. Que cette tant douce parole me cauſa d'allegreſſe! Mes forces preſque aux abois reprinrent leur vigueur coutumiere: mais quel baume reſtaurant ſe gliſſa dans mes veines, quand l'autre demain vint cette douce amie! ... Malgré ma redevance envers icelle, voilà que d'un air benin, elle approche de ma couche & s'enquête de mon état; moi n'ai plus que la faculté de ſentir, la joye me ſuffoque; Pere Mignard laſſé de mon idioterie, ſe met à deviſer avec Madame ma Mere, puis me voilà comme ſeul avec ma mie. Ses douces œillades me réconforterent; j'oſai lui dire le ſecret de mon cœur. Mais point ne vouloit me croire, & de cette voix qui diſtiloit miel & ſucre dans tous mes ſens, elles prononça paroles, non conſolantes; “Crois bien qu'honnête garçon vous êtes, Meſſire Jacques, diſoit icelle: mais tout adoleſcent eſt enclin à la vanité; ce pouvoit-il pas que me “croyez férue de votre mérite, pour ce que j'ai eu l'heur de vous ſecourir? “Dieu ſçait pourtant que lors que “vous vis entouré de ces vauriens, c'étoit bien la premiere fois que voyois “votre face: ce qu'ai fait pour vous, “las! l'aurois fait pour tout autre: ſuffit d'être chrétienne pour ce... Eh! n'appréhendez pas, dis-je en l'interrompant, que Jacques Féru ſoit vani“teux; ne voit que trop qu'il n'a l'encontre de vous plaire; quoique ce, ne “pouvez empêcher que ne ſois vôtre; “& veuillez ne veuillez pas, toujours “le ſerai. „Ma belle amie ne dit rien plus, mais ſes yeux craignoient l'encontre des miens: ſes joues rondelettes ſe coloroient; ce que je prins pour bon ſignal. Quoique jeunet encore, ja me connoiſſois en amoureuſes feintiſes.
GUari je fus bientôt, parce que le cœur me diſoit, que point ne déplaiſois à ma mie; mais le cœur nous trompe par fois. Cette douce mie, ſi courtoiſe, ſi pitoyable, ne donnoit nul allegement à mes peines, pour ce que n'avoit de fiance aucune aux maux qu'amour cauſe. Quoiqu'âgée de 17 ans, icelle croyoit que c'étoit par us & coûtume qu'on aimoit, & non par redevance envers Dame nature. Dans mon dépit je maudiſſois ſon innocence, bien qu'un chacun la déſire dans ſa Dame. Oh quel métier que cetui d'aimer! à mon dire c'eſt bien le plus rude de tous. Voyant que fortement je me dolentois, Damoiſelle Agathe m'éconduit vers ſon Pere; comme ſi les amans onc ſe ſoucient d'iceux; diſoit ma mie, que Fille honnête ne pouvoit engager ſon cœur, sle vouloir de ſes parens, comme ſi le avoit le tems d'attendre. Oh! que cette honnêteté me cauſa d'angoiſes!
Fus trouver un jour Pere Mignard, pour lui donner aſſûrance que n'aurois d'autre femme que ſa gentille Damoiſelle, ſi toutefois il l'adhéroit; ſinon que reſtrois jeune homme tant qu'aurois ſouffle de vie: ce qu'ayant oui Pere Mignard, en eut quelqu'émouvance: plus enclin il étoit à la tendreté que ſa jouvencelle: donc me dit, que vouloit bien me la bailler, me croyant bon compagnon, & preux Chevalier en point; mais que falloit attendre encore parce qu'icelle étoit par trop jeunette. Sans m'aviſer de disgracier mon futur beau-Pere, tout de ſuite je cours vers ma belle amie, lui faire part du tant doux eſpoir dont on leurroit mon amour: authoriſée qu'elle étoit par Meſſire ſon Pere, fut plus accorte envers moi, mais pas tant qu'auroi voulu; toujours ſon honnêteté gourmandoit mon vouloir; bien que voyois ſouvent ma Dame, n'avois pas encore tout ce que déſirois: me ſemble qu'aurois été content, ſi ſeulement j'avois ſçû quand ſeroit tout-à-fait mienne; donc le demandai à Pere Mignard: le bon-homme gauchiſſant dans ſa réponſe, dit que ſeroit tems aſſez quand madite Dame auroit vingt-cinq ans. A ce dur propos, j'eus peine à cacher mon ire: comme icelui faiſoit le diſeteux, ce peut qu'appréhendoit les frais d'un acoutrement nouvel. Las! nul beſoin n'en avoit ma mie, nature l'avoit trop bien acoutrée: croyoit peut-être auſſi que prenois femme pour avoit dot; ſe trompoit grandement: qu'eſt-ce qu'or & argent, aupres d'une mie? Lors fus conter mes doléances à Madame ma Mere. Ne voilàtil pas qu'auſſi elle dit qu'étois par trop adoleſcent pour me marier, moi ſçavois bien le contraire.
Sur ces entrefaites on parle de batailler. Sire de la Tremoille nous ordonne de cheminer vers la Bretagne, comme ſçavez, mon féal. On ne peut que je crois me taxer de couardiſe; mais fus contriſté au poſſible, quand fallut quitter mon amie, n'ayant d'icelle aucune aſſûrance ſi je lui advenois, & ne ſçachant quand ſeroit mienne; épandis donc moult pleurs, tant amour nous rend piteux; le voyage voire même ne me donnoit nulle oubliance de mon mal. Mes camarades ſurpris de ma dolence, s'inquietent qu'eſt que c'eſt qui la cauſe: quand ſçurent que c'étoit les rigueurs de ma Dame, iceux firent des riſées de mes angoiſes; incrédules qu'ils étoient, ne croyoient ni aux eſprits, ni à la vertu des Damoiſelles: ne diſoient-ils pas ces gauſeux, que ſi ma chere Agathe n'avoit émouvance aucune de mes peines, c'eſt qu'étoit plus accorte pour autre ami, que n'étoit jouvencelle tant jeunette, qui n'eût le ſien. Croyez bien que n'avois foi quelconque à ces blaſphêmes, pourtant par fois cela troubloit mon penſer. Arrivés en Bretagne, voilà que nous ſéjournons à S. Brieu, Gentille Ville, où ſe trouvent plus gentilles Damoiſelles encore: mes camarades, poſſédés que je crois du malin eſprit, me firent comparoître devant ces gentilles Bretonnes, qui douces au poſſible, eurent politeſſe bien grande pour moi; & moi qui ne voulois paroître incivil, répondis courtoiſement à la courtoiſie d'icelles: puis leſdits camarades les previnrent que jovial j'étois; & comme ſçais qu'en tout faut complaire aux Dames, de mon mieux je fis pour les éjouir: mais las! bientôt ce fut ſans feintiſe, car il advint qu'elles m'éjouirent auſſi; ce peut-il autrement? comment ne s'amuſer près de ce ſexe tant benin? s'il eſt ſecret pour ce, voudrois bien l'apprendre: vous dirai donc que ne lui trouve défaut aucun; tout me plaît dans icelui, ſes devis, ſes propos, ſes clameurs, ſes dépitemens, ſon babil, ſon ſilence, ſa ſimpleſſe, ſa joye, voire même ſes détreſſes que reſſent mêmement; de-rechef, le dis, mon ami, tout me paroît plaiſant dans le gentil ſexe féminin, ſi ce n'eſt toutefois les cruautés de ma mie: oh! qu'il eſt donc difficile avec de tels penſers, de n'être enamouré que d'une en tout! Or ſus, pour continuer ma déloyale hiſtoire, faut que ſçachiez, l'ami, que de toutes les Damoiſelles de S. Brieu, une entr'autres, nommée Jeanne, dite Bon-Port, eut plus de gracieuſeté pour moi que pas une, & pour cetuite raiſon en eus plus auſſi pour icelle.
VOus dirai donc, pour l'acquit de ma conſcience, mon bon ami, que ladite Jeanne étoit bien advenante, ſa taille étoit haute, ſon poil noir; malgré ce, n'avoit rudeſſe quelconque aucun ne s'en plaignoit, tant grande étoit ſa complaiſance; toutefois ſes mignardiſes n'ôterent pas entierement de mon penſer ma chere Agathe; me remémorois par fois, que devois la vie à cette honnête Damoiſelle: las! quand près d'icelle j'étois, onc ne ſongeois à d'autres: ſeulement aurois voulu que plus accorte elle fût pour mon amour; quoique ſoit ne lui aurois manqué que je crois, ſans ce mal-encontreux voyage de Bretagne; l'heur ſeulement fut pour notre preux Général, qui gagna la Bataille. En cheminant, maintes fois écrivis à ma mie, mais du depuis qu'ai failli, ne ſuis plus aſſez oſé pour le faire: de vrai lui dirai-je que mon ame s'eſt conſervée pour icelle, non pollue; tandis que Madame ma Mere toujours m'a commandé de ne ja mentir, me flattois que le bruit de mes méfaits n'iroit juſqu'à ma mie, que revenu de mon enivrement rien ne m'empêcheroit d'être ſien. Me trompois lourdement, comme voyez, l'ami, puiſque du tout elle eſt inſtruite, & que Meſſire ſon Pere va la bailler pour femme à autre ami; ce que ne ſouffrirai pas deu, (continue Féru, tout enrougi par ſon dépit,) non ne le ſouffrirai onc, quand ſçaurois m'attirer l'ire d'un chacun, voire même celle d'Agathe. Oh! que ſens bien maintenant qu'elle ſeule eſt ma mie! ne puis tant ſeulement ſupporter le penſer, qu'autre que Jacques dira qu'elle eſt ſienne .... Las! veuillez donc me conſeiller, mon très cher, que faire en ce mal encontre?
Trouvai l'ami Féru grandement fautif envers la généreuſe Agathe, mais ne le blâmai aucunement; ſe blamoit aſſez le pauvret, ſon cœur tant étoit navré, qu'aurois bien voulu lui porter allégement. Lui conſeillai d'aller plein de ſa repentance aux pieds de ſa Dame; mais n'oſoit pas, trop honteux il étoit: fut réſolu qu'il écriroit au Pere, & puis à la fille, & que me chargerois des miſſives; à celle fin que puiſſe le défendre. Donc demandai un congé, & pris mon élan devers Paris.
FUs voir mere Féru, dès que je fus arrivé, je ſçus par icelle le déſaroi de mon pauvre ami: ſçus auſſi que Pere Mignard ne vouloit onc en ouir parler. Ce donc je m'ébahiſſois grandement à mon dire, on doit pardonner toute faute que mêmement on a pû commettre. Nonobſtant ce, fus chez ledit Pere Mignard, & trouvai ſa gentille jouvencelle ſeulette: malgré les vanteries que Féru m'avoit faites de ſa mie, en la voyant vis bien qu'il n'avoit tout dit: mon cœur plus que mes yeux encore, ſurprins de tant de gentils appas, me diſoit que c'étoit grande félonie d'en perdre ſouvenance: loin d'oublier telle mie pour toute autre, aurois oublié toute autre pour icelle, voire même, qu'étois près d'oublier mon ami; las! aurois bien mieux aimé parler pour moi que pour icelui, le blâmois trop pour trouver bonnes raiſons pour l'innocenter; tout ceci fut donc cauſe que reſtai ne plus ne moins qu'une ſtatue: toutefois je reprins courage: l'honneur qui fait mouvoir tout les cœurs François, au mien cauſa quelqu'agitement; & ſans oſer regarder en face cette toute belle, lui dis donc: “Oh! Dame incomparable! ſouffrez “que vous préſente l'humble ſupplique “d'un mien ami, qu'eſt dans la détreſſe “du depuis qu'il s'eſt attiré votre ire, “par la tant rare courtoiſie dont vous “lui donnâtes moult preuves. Le pauvret vous conjure d'être mu de ſa “repentance; & de ne ja ſeconder le „grand courroux de Meſſire votre Pere. Ah! ſi ſçaviez combien de paſſions nous pourchaſſent, ſeriez moins “ſurprinſe du manquement de Jacques. “Quoique ſoit, cetui qui gît là-haut, “pardonne; par ainſi pardonnez donc, “belle Dame, vous qu'êtes un de ſes “plus beaux ouvrages.
Puis la priai de fixer ſes doux regards, ſur ce que lui préſentois: ne vouloit pas, mais fis ſi bel & ſi bien, qu'icelle lut ce qu'allez lire.
COMPLAINTE DE JACQUES Féru, Le plus contrit des ſerviteurs de belle & honnête Damoiſelle Agathe Mignard.
1. COUPLET.O douce amie! ô ma tant belle!Toi qu'il eſt vrai j'ai pu trahir;Croirois-je qu'une amour nouvelleDe mes méfaits va me punir?Onc n'attendrai dans ma détreſſeQue tu rejettes ce lien;Mais pourras-tu, gente Maitreſſe,Moleſter un cœur qui fut tien?2. Las! ſi voyois ma repentance,Et d'ardeur mon cœur ſe mouvoir;Ja le tien par accoutumancePrendroit pitié de mon douloir:Ah! ſi d'une autre jouvencelle,Ton ami fût énamouré;Récomparant Agathe à elle,Son amour plus eſt aſſûré.3. Pardonne donc, tant douce mieA qui ne vit plus que pour toi;N'aurois-tu veillé ſur ma vieQue pour la mettre en deſaroi?S'il faut qu'autre ami te poſſedeEt que leurré ſoit mon déſir;Point ne prendrai d'autre remedeVoyant ſon heur, que de m'occir.
Tandis que liſoit la jouvencelle, ne pouvois m'empêcher de la regarder: ſes yeux étant baiſſés, me croyois bien en ſûreté. Donc, je vis que quelques larmes couloient dans iceux, que ſon eſtomac ſe mouvoit .... Bref, ne plaignois plus tant l'ami Féru, puiſqu'il cauſoit de l'émoi à ſi gente perſonne: le tançois même tout bas, de l'avoir accuſée de rudeſſe. Larmes plus précieuſes qu'or & diamant; ſi par adventure, vous vous étiez épandues pour Ambroiſe Incour, onc les plus riches Potentats ne pourroient ſe dire plus chanſeux qu'icelui!
Quand la Damoiſelle eut fini de lire:“Se peut, dit icelle, que Jacques “ait de la repentance, mais du “depuis ſon manquement, mon honoré Pere mêmement ſe trouve en “droit de manquer; que votre ami “l'appaiſe, après je verrai ce que ferai: ſçavez, Meſſire, que fille honnête “en tout doit complaire à cetui qui l'a “engendré: n'irai pas faire choir ſon courroux ſur mon chef, en faveur “dudit Jacques, qui a demérité mon affection. Il eſt coupable, diſois-je. Puis ne diſois plus rien, pour ce que ne pouvois plus rien dire: fauſſant ma promeſſe, ne ceſſois de regarder cette dangereuſe Damoiſelle; diſant à part moi, eſt elle donc ſi belle? Las! bien mieux auroit valu m'enfuir; quoique ne ſoit le fait d'un brave Gendarme. Voilà que Pere Mignard arrive, & que la jouvencelle s'en va, diſant: parlez à Meſſire mon Pere. Moi tout contriſté m'anonce comme ami de Féru; ce qui rechigna la face du bonhomme, & tout en rechignant lut ce que lui préſentai, & que voici.
LETTRE
De Jacques Féru, naguère dit le Jovial, & qui s'eſt acquis le ſurnom de larmoyant, du depuis qu'il a encouru l'ire de ſon honoré Père, Meſſire Mignard.
Bien que m'ayez retiré ce doux nom, & qu'ayez dit à d'aucuns qui me l'ont redit, que ne ſerois point votre fils, ſouffrez qu'en mon penſer je croye encore l'être; & ſongez qu'ayant perdu Pere en bas-âge, il m'étoit bien conſolant d'en retreuver un dans votre courtoiſie. Donc, mon honoré Pere, gromelez contre votre fils, châtiez-le, mais appellez le mon fils; ayez ſouvenance que jeuneſſe eſt fautive. Vous qui fûtes jadis du tant noble métier des armes, ayez ſouvenance auſſi combien de licence il entraîne: que de méfaits vous ſont conſeillés! que de félons exemples vous ſont donnés. Voire méme par de preux Chevaliers, fidelles à leur Prince, mais deloyaux pour leur mie. Las! ſi par inadvertance, ai failli envers la mienne, par la grande repentance qu'en ai; ſens bien que ne faillirai plus. Veuillez donc me rendre votre benignité coutumiere; & dire à votre jouvencelle, que toute de même elle faſſe. Ah! ſi lui ordonnez de prendre autre ami, ſi obéiſſante elle eſt, que le fera? Donc faudroit lui dire auſſi que pour derniere grace, demande qu'icelle aſſiſte à mes funérailles; Jacques ne peut vivre ſans ſa mie, puiſque c'eſt ſon ame.
De ce, Pere Mignard n'eut émouvance aucune; ébloui qu'il étoit par les richeſſes du Citadin.“ Voilà de “mes Amans du jour, ce dit-il, qui „toujours veulent s'occir, & toujours “ſont pleins de vie. N'en ſera ne plus “ne moins; ne donne point ma jouvencelle à de tels étournaux; ſera en “plus ſûres mains avec le Mari que lui “baillerai, s'il n'a blonde criniere, “ſens raſſis il a; toujours ſera le tourtereau de ma fille. Il n'y a Jean ni “Jeanne qui tienne, ne ſuivra les conſeils des pervers, pour fauſſer ſa foi. Quidam de diſcourtoiſe mine vint nous interrompre, à qui Pere Mignard dit: venez çà, mon Gendre. Moi confus de ce qu'on préfere ce viſage à mon ami, je tire ma révérence puis je m'en vais.
LOrs, fis ſçavoir à l'ami Féru ce qu'étoit arrivé, mais ne lui dis pas tout, trop honteux j'étois de ma foibleſſe envers Damoiſelle Agathe. Ledit ami me recrit longue jeremiade; en ſus, icelui diſoit qu'alloit partir pour Paris, que quartier d'hiver il y feroit. Moi crus bien faire, que de montrer ceci à ſa Dame; donc, je prends l'entour de ſon logis, & la treuve encore ſeulette. Toujours belle, toujours advenante me complaiſois tant à la voir, que cherchois ſes beaux yeux, loin de les fuir: auſſi tout comme deux flambeaux rayonans, ils conſumoient ma potrineLui dis donc, qu'avois reçu nouvelle de l'ami, dont lui ferois part ſi tel étoit ſon vouloir; que verroit bien, qu'il l'aimoit ſans feintiſe.... Mais m'interrompant la jouvencelle, dit que n'en doutoit aucunement; mais que falloit bien obéir à ſon honoré Pere qui lui deſtinoit autre ami. Voulus encore intercéder pour le mien, pour ce que me ſentois étrangement animé. Parlai donc beaucoup, ſans ſçavoir trop ce que diſois. Aveugle que j'étois, croyois toujours parler pour l'ami ..Mais aux paroles ſe joignent les geſtes expreſſifs, faut le croire; car Agathe effrayée appelle du ſecours. A dire vrai, elle s'effrayoit trop-tôt; puis me dit que ſuis deloyal envers icelle, deloyal envers mon ami, & mille fois plus déloyal qu'icelui, qui onc ne fut ſi oſé.
Las! lui auroit pardonné plutôt qu'à moi; en cas pareil, faut-être amant aimé pour être abſout. Qui fut bien confus? c'eſt Ambroiſe. Les yeux fichés en terre, n'oſois me mouver. Ne trouvois rien à dire pour ma défenſe, tant les méfaits nous coupent la parole: la jouvencelle avoit raiſon, me trouvois bien coupable envers Féru. Ah! ſi l'avois vû dans le moment, la foudre, ou bien des revenans, m'auroient cauſé moins de frayeur! toutefois, je reprins mes forces, mais ce fut pour m'éloigner de ce qui me les faiſoit perdre, & promis bien à cette dangereuſe Dame de ne la voir onc de ma vie.
QUand fus ſeul avec moi-même, ne pouvois me conſoler d'avoir été déſireux de la Dame de mon ami: pour m'en châtier fortement, fis vœux en mon penſer de ne plus voir femme aucune; puis donnant l'eſſor à mes angoiſes, je m'écriois: Quel danger as-tu donc encouru, Ambroiſe? Siéges & “Batailles ſont moins périlleux pour “toi que les beaux yeux d'Agathe! O “mon féal! peu s'en eſt fallu que je „n'aye oublié ma redevance envers “toi. Mais vangé tu ſeras, onc n'entendras parler d'un deloyal: ne l'accable pas de ton ire, eſt aſſez puni d'être privé des doux regards d'Agathe. O amour, illuſoire fantaiſie! faut-il que banniſſiez la ſainte amitié de nos cœurs? ... Non, amitié ſera plus forte. Mais las! ... fuirai les gentils appas d'Agathe.
Quand pere Mignard rentra en ſon logis, fut bientôt imbu de ce qui s'étoit paſſé, ce qui fort le courrouça contre Féru & puis contre moi, fit ſerment de rompre avec l'ami, puis fit tout préparer pour les noces de ſa Jouvencelle. Lors quand ſçus le malencontre qu'avois porté aux amours de mon féal j'eus redoublement de repentance: de ſuite quittai Paris; mais n'oſois retourner à l'armée, craignois trop de rencontrer cetui, que naguere je recherchois, tout en me contriſtant; tournai mes pas vers la Touraine, & dans une épaiſſe forêt qui s'y treuve, j'aviſai ce que deviendrois. Las! ne pouvois rien réſoudre tant déconforté j'étois. Trouvai dans ladite forêt petite cahute, qui me parut propre à gîter la nuit: bref, fus m'approviſionner à la ville voiſine, & me voilà Hermite.
Pendant ce tems, Damoiſelle Agathe voit à ſon dam, que tout ſe prépare pour ſon hymen, acoutremens, feſtins, ménétriers, tout eſt en branle, chacun s'éjouit, ſinon icelle. Las! ne ſe ſoucie de mariage, & bien moins encore du marié, en le recomparant à Jacques, le trouvoit bien déplaiſant. Cetui-ci étoit volage, c'eſt vrai; mais repentant, ſon humeur étoit accorte, & ſa face benigne, ſi bien que tout ceci agite le penſer de la Jouvencelle, ne peut ſe réſoudre icelle d'en parler à Meſſire ſon pere. Trop de timidité nuit par fois: Agathe ne parle, mais agit. Tout juſtement la veille de ſes nôces, elle fuit de la maiſon, accoutrée en Jouvenceau, pour tromper ceux qui pourroient pourchaſſer ſes attraits. Qui fut bien ébahi? c'eſt Meſſire ſon Pere, lors qu'icelui treuva ce qui ſuit dans la chambrette de la JouvencelleMeſſire mon pere, Vous écris le penſer de mon cœur, pource que n'oſerois vous le dire, crains trop votre courroux, & ſens bien que ne le mérite; mais las! veuillez m'entendre, faut, dites-vous, jurer au mari que vous me baillez, que l'aimerai toujours; ne peux dire ce mentir, c'eſt trop grand péché; me retire en lieu ſaint, prier Dieu, ou le grand Saint Georges, de changer mon penſer, ou bien le vôtre; quand ſçaurai votre ire adoucie, vous ferai ſçavoir où git votre Jouvencelle, qui toujours vous obéira, ſi ce n'eſt quand lui commenderez de prendre ami, qu'icelle ne peut aimer.
PEre Mignard ſe courrouça grandement à l'encontre d'Agathe, & puis à l'encontre de Jacques Féru, tant il croyoit qu'icelui avoit occaſionné la fuite de ſa Jouvencelle, vit bien pourtant ſon innocence, quand le vit arriver ce même jour-là, tout eſſouflé, demandant ſa mie; mais ledit Pere voulant qu'un chacun eût le cœur navré comme icelui, eut bien la rudeſſe de dire à ce pauvre garçon, que ſa Dame étoit mariée, & que plus ne s'en enquête. Oh! c'eſt à préſent que ne puis peindre l'extrême angoiſſe de mon féal. M'a dit du depuis, qu'il ſe poignit l'eſtomach, & dit mainte fois ſa coulpe; puis, ſuivant conſeil de ſon dépit, vouloit s'occir, lors diſoit:
1. Faut mourir, j'ai perdu ma mie,Plus de plaiſirs jamais n'aurai;Tous ils giſoient au cœur de mon amie;Elle me l'ôte, ailleurs n'en chercherai;Faut mourir, j'ai perdu ma mie.2. Adieu, joye & mélancolie,Faut tout quitter, bons & méchans;Adieu ſur-tout, amis de tromperieQui m'induiſiez à trahir mes ſermens;Faut mourir, &c.3. O! ma Dame, vous ſacrifieCes jours pour qui prites ſouci;Las! ne pourriez me rendre encore la viePuiſque je ſçai qu'avez un autre ami,Faut mourir, j'ai perdu ma mie.
Après ce, il ſonge s'il déchargera ſa carabine, ou bien s'il tirera ſa pertuiſanne .... Mais tout-à coup il s'aviſe qu'il eſt Chrétien.“ O malheureux, “ſe dit-il! perds-tu ſouvenance que t'e“baptiſé, ta vie eſt à cetui qui t'en “laiſſe jouiſſance tant que ſon vouloir “le requérera. Ne peux en diſpoſer, “c'eſt bien aſſez voirment de s'être attiré l'ire de ſa Dame, ſans encourir encor celle de ſon Dieu! Vivons “pour ſouffrir .... Mais ſi mes camarades me voyent plorer ma mie, ſe „gauſſeront encore de moi: eh bien, „laiſſons ces pervers. Enrôlons nous “dans la Milice Chrétienne. Cela dit, „s'achemine le déſolé Jouvencel devers Amboiſe, réſolu de s'enfermer “dans un Couvent de Minimes qu'étoit dans ladite Ville. Or pendant qu'il fait alte dans un bois au loin, il entend gentille voix féminine qui ſe dolente; auſſi-tôt il hauſſe le col pour mieux ouir, retient ſes ſoupirs, s'approche en tapinois ſur le bout du pied, à celle fin que la Pélerine toujours croye être ſeulette. Ne pouvoit la voir; mais entendit bien ceci.
ROMANCE.
1. DAns tes amours, pourquoi, pauvrette,Choiſir Jouvencel ſi courtois?Par-là tu vois chaque filletteVouloir faire brêche à ton choix;Jacques peut en voir de plus belles,Mais n'en verra de plus fidelles.2. J'écarte au loin de ma penſéeSon image ſouventes fois;Mais quand l'en crois bien effacéeDedans mon cœur je la revois.Jacques, &c.3. Maints ſerviteurs, contre ma guiſe,Voudroient remplacer mon ami;Mais, las! s'il a de la feintiſe,Que ſeront donc autres que lui?Jacques, &c.4. N'ai plus déſir qu'être MoineſſeDepuis que ſçais qu'il m'a quitté;Mieux vaut rougir de ma ſimpleſſe,Qu'imiter ſa déloyauté.Jacques, &c.5. Veuille le Ciel dans ma retraite,Ne m'eſtre propice à demi,Si toutefois il ne rejetteUn cœur rempli de ſon ami:Jacques peut en voir de plus belles,Mais n'en verra de plus fidelles.
N'aguere, ne pouvois exprimer la détreſſe de l'ami Féru, & à cette heure, ne puis rendre ſa joyeuſeté, puis ſeulement la penſer; fortuné qui la ſent: en effet, croyez-vous, Meſſires les Jouvencels, qu'il ſoit ſymphonie quelconque, récomparable à la voix de ſa mie? Car il eſt temps de vous dire que cette tant douce voix eſt celle de Damoiſelle Agathe, qui, tout en cherchant Couvent de Nones, s'arrête par cas fortuit dans le même bois où étoit ſon ſerviteur. Or depuis ce, crois bien qu'il y a ſympathie entre les Amans. Donc, pour revenir à cette joyeuſe encontre, Jacques a peine à contenir ſon allégreſſe; il retreuve ſa mie, elle eſt ſienne, il a oui de ſes propres oreilles, qu'icelle ne veut choiſir autre ami. Un buiſſon les ſépare; Jacques le franchit comme penſez; mais quelle eſt ſa ſurpriſe de voir un Jouvenceau! Toutefois Féru ne ſe laiſſe pas leurer par l'accoutrement; croit plutôt ſon cœur, qu'eſt toujours l'oracle des amoureux; ſe laiſſe choir aux genoux de ſa Dame, & ne s'en veut relever, qu'icelle ne l'ait abſout. Quand cela fut fait, les voilà qui s'aſſoient.
QUoi! c'eſt vous, Jacques, dit Agathe? Oui, Madame. Où donc allez? J'allois me faire Moine, Madame, pour ce que Meſſire votre pere m'a dit qu'aviez choiſi autre ami en face d'Egliſe. Las! non, ne l'ai voulu; & quand même, ne ſuis ſeule au monde; connoiſſez bien d'autres Damoiſelles, plus accortes ſans doute; quand ne ſeroit que Jeanne Bon Port. Ce peut que connoiſſe Damoiſelles aimables, ajoute Jacques, tout honteux, mais ſçais bien que onc n'en connoîtrai de plus aimée que vous. Or puiſque m'avez pardonné, belle Dame, veuillez donc, je vous prie, perdre ſouvenance du paſſé: dites-moi tant ſeulement où ſe portent vos pas mignons? Dans couvent de Filles, pour ce que vais me faire Moineſſe. Quoi! n'en perdez le vouloir? J'appréhende l'ire de mon Pere: ſi me défend de vous prendre pour ami, crois bien que ne m'empêchera de prendre cetui qu'eſt là-haut. Que feriez à ma place? dites, Meſſire Jacques, ajoute la Jouvencelle d'un ton doucet. Le ſçai bien, mais n'oſerois le dire, Madame. Tout en deviſant le jour baiſſoit. Moi, affublé de mon habit d'hermite, j'étois allé aux entours de la forêt, & j'arrive tout juſtement quand nos deux amans s'y treuverent. Fut bien ébahi de pareille viſion, malgré la confuſion que devois en avoir; je m'en éjouis grandement pour ce que penſois bien, que point ne leur déplaiſoit cet encontre. Toutefois, me détournai d'iceux; mais inutilement: inquiets de ſçavoir où paſſeroient la nuitée, les voilà qui m'entourent pour s'en enquêter. Moi, comme un incivil, continuois de cheminer; point ne s'en ſouciſſent; l'habit ne feſoit le Moine, ils me connurent. Jacques me ſaute au col; Agathe rougit. J'avoue humblement mes méfaits à mon féal, & en demande pardon à ce couple gentil. L'ami fut ſi touché de mon douloir, qu'il treuvoit moult raiſon pour me blanchir. Las! ſçavoit combien notre foibleſſe eſt grande, prenoit pitié de ſes ſemblables, voulut que ſa Dame me pardonnât; mêmement, icelle le fit; mais cette honnête Dame devenoit ſoucieuſe au ſujet de tout ceci. Craignant le dire d'un chacun, & ſur-tout celui de Meſſire ſon pere: “On “croira, ſe diſoit elle, qu'ai donné le „mot à Jacques. Ah! ne puis trop “tôt le quitter; lui plore comme un „enfant; allez donc chez des Nones, „puiſque le voulez, Madame, lui diſoit-il; mais promettez-moi de ne “vous faire Moineſſe.“ Fut réſolu que moi ſeul la conduirois audit Couvent à cauſe de mon habit, qui chez les Nonains eſt en révérence; tant d'honneur me touchoit peu; craignois trop de m'en rendre indigne: pour Agathe, ne me chériſſoit aſſez pour me craindre, aimoit mieux la Jouvencelle être ſeule avec moi, qu'avec ſon ami. Nous cheminâmes un peu tous trois; puis certain clocher contraignit Jacques de s'éloigner; il dit adieu à ſa mie comme ſi ne devoit onc la revoir. Celle-ci lui promit de ſe conſerver ſienne, & d'eſſayer d'amollir Meſſire ſon pere. Bref me voilà ſeul avec cette gentille fuyarde, tout vaniteux de pareil dépôt & de la fiance qu'on me marquoit, ma vertu s'en affermiſſoit, ne me remémorois le paſſé, qu'à celle fin qu'un chacun en perde ſouvenance: quand Damoiſelle Agathe fut en ſûres mains: m'en retournai dans ma Cellule, où m'attendoit l'ami Féru; ladite Damoiſelle fit ſçavoir à Meſſire ſon pere là où elle étoit: y courut bien vîte le bon-homme tout joyeux qu'il étoit de retreuver ſon enfant, voire même qu'il ne ſongeoit à la tancer, tant la nature imprime je ne ſçai quoi de doux, que ne peux trop dire, pour ce que ne ſuis lettré; mais le ſens bien. Toutefois, après les épanchemens, pere Mignard ſermona ſa Jouvencelle; car les peres ne ſont chiches de pareille monnoie, & les enfans, à qui mieux mieux, s'évertuent pour en mériter: après ce, voulut emmener la Damoiſelle; mais cette ci s'en défendoit, diſant que ſe feroit Moineſſe; ce qui fâcha bien pere Mignard, n'aimoit en tout les cloîtrés; & puis en outre, étoit bien aiſe que ſa Jouvencelle eût lignée, la laiſſa encore quelque tems: puis un jour lui dit:“tu peux revenir, Agathe; ne te forcerai point de “prendre ami contre ton gré; & ſi “Jacques t'advient, mieux vaut encore “te le bailler que te voir Moineſſe, “bien que ce Jouvencel faſſe l'amour plus en chaſſeur qu'en loyal amant. Mais ſeras aſſez punie d'être ſienne, ſans que davantage t'en faſſe “reproche quelconque. Serois bien mal “aviſée, mon honoré pere, répond “Damoiſelle Agathe, ſi lorſque je “refuſe le mari que m'offrez, j'allois “en prendre un qui n'a l'heur de “vous plaire: nenni dea, ne le ferai “point; ſuis aſſez chanſeuſe d'être en “grace près de vous, ſans déſirer d'autre encontre ſi ce n'eſt la durée de “votre loyauté.
Toutefois par les ſoins de mere Féru, les méfaits de ſon ſien fils furent oubliés, & d'une voix unanime cetui eut ſa mie: qui fut bien aiſe? Le laiſſe à penſer à l'ami Lecteur. Dans les tranſports de ſa joyeuſeté, l'ami Féru diſoit & puis ſa mie auſſi, car ne pouvois chanter tout ſeul:
DUO.O amour! de tant d'allégreſſeNe puis que te ringracier;Si nous cauſas quelque detreſſe,Sçais bien comment nous en payer:Envers toi ne peut être ingrateUne ame où tu viens te loger:Defie au ſort de m'afligerTant qu'aurai mon Agathe,Si t'aime ton Agathe.
Lors quittai mon hermitage; ne le voulus plutôt, tant me méfiois de moi-même: c'eſt le ſur moyen, dit on, de ne point faillir: ſûr j'étois d'avoir révérence pour la femme de mon ami; mais pour ſa mie n'étoit ſi révencieux: pris donc la coutumance de voir ſans crainte cette gentille femme: dans la ſuite m'acointai avec Dames & Damoiſelles qui m'advinrent, & à qui j'advins, ce peut qu'icelles n'étoient ſi belles qu'Agathe; mais ſuffit que me ſembloient telles.
C'eſt dans l'opinionQue tout git, ce dit-on.
Et puis, reſſemblois un peu à l'ami Feru; Dame cruelle ceſſoit bien-tôt de me plaire. Mais pour revenir à cetui-ci, changea étrangement, ſe corrigea de ſon humeur volage par autre défaut; il devint jaloux: c'eſt ainſi qu'une paſſion en gourmande une autre. Sa douce amie s'en éjouſſoit, elle prenoit ce mal-encontre comme une aſſurance du cœur de ſon ami; fit ſi bien par ſes rares prévenances, que le mal n'empira, & vécurent ainſi dans une grande allegreté; fus toujours l'ami d'iceux, juſqu'au dernier ſopir de mon pauvre Feru, qui fut occis, moi à ſes côtés, à la conquête du Milan, ſous LOUIS XII. Mais aime mille fois mieux finir ſon hiſtoire, que de parler de cet tant piteux trépaſſement.