MA-GAKOU HISTOIRE JAPONNOISE, TRADUITE Par l'Auteur D. R. D. S. La Critique embellit les plus simples propos, Et l'admiration est le style des Sots. Desin. Imp. A GOA, Par exprès commandement de l'Empereur. 1752. EPITRE DEDICATOIRE A l'Ombre de Lamekis, Voyageur Egyptien. Ombre trois fois illustre du docte Lamekis. C'EST à vos voyages extravagans que je dois, l'amour que j'ai pour la Folie, cette Histoire est l'essai d'une imagination qui aspire à devenir aussi déréglée que la vôtre; puissent l'étude & le tems fondés sur le goût d'un Siécle éclairé, me mériter la vingt-septiéme partie des suffrages dont vous jouissez dans le souterrain Littératre que votre Ombre embellit encore aujourd'hui. Gardez-vous, grand & sublime Lamekis, de m'envoyer des présens; singulier dans mes projets, je fronde les usages établis, & je vous adresse gratuitement l'Histoire de Magakou Je suis de votre Ombre, le plus obéissant serviteur. Place réservée à une Preface, qu'on se dispose à insérer à la huitiéme Edition de cet ouvrage. Nota: qu'elle sera extraordinaire, car l'Auteur ne dira ni bien de son livre, ni sottises du Public. AVANT-PROPOS Très-nécessaire à ceux qui n'entendent pas la Langue Japonoise. IA-KAGOU, passoit pour le Citoyen plus riche du Japon, & ce qui étonnera, le plus honnête homme Receveur des Douanes de l'Empire, il avoit acquis des biens immenses, & une réputation de probité, qu'on accorde rarement même a la vertu opulente. Maga-kou, son fils unique, fut élevé avec les soins qu'on doit à un jeune enfant destiné à remplir une des premieres Places de l'Empire, l'usage Asiatique est en cela bien différent de celui de l'Europe, toutes les Charges sont vénales dans le Japon, & avec de l'argent, le dernier des Citoyens, peut espérer le premier rang, dans colui des trois Etats qu'il veut choisir; sages Européens, que vos maximes sont différentes! Le mérite fait tout chez vous, & l'argent que vous regardez comme la source des crimes, n'excite que votre indignation, jusqu'à quand, illustres Japonnois, mes chers compatriotes vendrez-vous les dignités de l'Empire? Faut-il que des Bonzes ignorans achetent le droit d'ouvrir les portes d'or du Temple sacré de Brama , que des Citoyens peu expérimentés payent la fantaisie de faire égorger cent mille hommes, ou d'enlever au très-pacifique Empereur de la Chine, des Provinces où nous n'avons aucun droit? Faut-il enfin que des enfans sortis à peine des écoles de Zamaël , puissent avec la fortune de leurs Peres, s'asseoir sur les Lions rouges , au rang de nos intégres Satrapes . Après cette exclamation, très-intéressante pour ceux qui aiment les réfléxions, je dirai que le fils de Ia-kagou, fut mis au sortir de Zamaël, entre les mains d'un vieillard respectable, qui joignoit la fortune ne lui ayant pas permis de juger les hommes, ou de commander les Armées, il avoit brigué pendant dix ans la Place de Surveillant de Ma-gakou, qu'une Maîtresse de son Pere lui avoit enfin obtenu. Ce Gouverneur, dont la Charge étoit d'orner l'esprit de son Eléve, par la connoissance des Sciences utiles, ou d'arrêter la fougue des passions toujours impérieuses à cet âge, s'appercevant que les inclinations de Ma-gakou étoient opposées aux principes qu'il vouloit lui donner, il essaya un ton sévére qui pût en imposer, mais l'Eléve indocile annonça à son Gouverneur qu'il le chasseroit, s'il s'avisoit encore de lui donner des leçons, le Gouverneur qui avoit intérèt de conserver sa Place, devint le complaisant d'un homme dont il devoit être le Mentor, Ma-gakou livré à lui-même, abandonna les Sciences, s'adonna absolument à la Lecture dangereuse des Romans & des Contes de Fées, que deux ou trois Auteurs composoient exprès pour le réjouir. Ia-Kagou, qui dépensoit mille darigues par mois, pour l'éducation de son fils, se persuada qu'il en avoit profité, & en le supposant un sujet accompli, il lui proposa de se marier, Ma-gakou aimoit les femmes, mais il craignoit de hair la sienne, d'ailleurs il avoit la manie de voyager, ces considérations l'engageren à presser son Pere de suspendre son hymen, Ia-Kagou en feignant de condescendre aux désirs de son fils, chercha dans l'Empire une fille vertueuse, qui pût réunir toutes les perfections qu'on désire dans une maîtresse, Goa lui en offrit vingt, mais la répugnance de Magakou les refusa toutes, les vertus des unes, les défauts des autres, lui servoient également d'excuses, & ce ne fut qu'après avoir vu la plus belle personne de l'Empire, qu'il promit à son Pere de se marier, pourvû qu'il lui permît de faire auparavant un voyage au Temple du bonheur. Ia-Kagou se rendit aux volontés de son fils, mais il exigea qu'avant son départ, il promettroit sur les Autels de Brama, de s'unir à son retour à la Lelle Famaga, le titre de belle n'étoit point ici un éloge fade qu'on prodigue à toutes les femmes, & dont elles sont presque toujours les dupes; l'extrait d'une Lettre par un Missionnaire Chinois, écrite à un de ses amis, a Bingal, fera connoître la belle Famaga, beaucoup mieux que tout que je pourrois en dire. Goa le 7. de la Lune de Na-Gi-Ki, le Soleil se couchant dans le sein sacré de Brama. “J'assistai hier, Docte & Illuminé Zerbi-Gou , à la cérémonie des augustes fiançailles de l'illustre fils du bienfaisant Receveur des Douannes, avec la vertueuse Famaga: si Brama nous permet d'admirer quelquefois ses Créatures, souffrez que je porte vos pieux hommages aux pieds de cette incomparable beauté, je vais la peindre telle qu'elle s'est présentée aux yeux du serviteur indigne qui vous écrit. „Famaga joint à l'avanta„ge d'une taille au-dessous de la médiocre des yeux très-petits, elle a la tête grosse, les cheveux rouges, les oreillles longues, le nez épaté, la bouche grande, les dents bleuës, & le visage d'un livide admirable, ceux qui ont eu le bonheur de baiser ses grands pieds, assurent que son esprit répond à l'élégance de sa figure, puisse Brama nous ménager dans la demeure céleste une Divinité semblable! Après ce portrait d'autant moins suspect, qu'il part d'un Missionnaire voyageur, qui n'a jamais menti, il est aisé de croire que Ma-gakou promit sa main & son cœur à la belle Famaga. L'objet de son voyage, au Temple du bonheur, intéressoit sa famille, & il l'allarmoit en même tems, les dangers des chemins, les longueurs de cette caravanne, pouvoient jetter de l'incertitude dans le cœur de l'impatiente Famaga, & éloigner par là une alliance qu'on souhaitoit avec ardeur; Ma-ga kou dissipa les inquiétudes de son Pere; il lui promit que si dans huit jours il n'arrivoit pas au Temple du bonheur, il renonçoit à ses projets, & qu'il reviendroit jouir au centre de sa famille, des divins appas de son épouse; Pegadon , son surveillant fut nommé pour l'accompagner dans ce voyage, son occupation pendant la route devoit être de payer les Auberges, d'égayer son Maître avec des vieux Contes, dans lesquels il glissoit à propos quelques traits de Morale, tel est le pénible emploi d'un Gouverneur en campagne; le jour fixé pour le départ, Magakou demanda la permission de voir Famaga, l'usage la lui accordoit, mais à condition qu'il ne lui parleroit point, l'amant qui se piquoit de discrétion, promit d'obéir, Famaga arriva, elle ouvrit sa grande bouche & des pleurs coulerent de ses petits yeux, il n'en fallut pas davantage, pour engager Ma-gakou de rompre le silence, il avoit déja la bouche ouverte pour s'expliquer, quand le surveillant de Famaga, portant la main à sa langue, la lui tira avec tant de cruauté, qu'elle lui fit verser des larmes. La crainte d'essuyer un nouveau supplice de ce genre, ôta à Ma-gakou l'envie de tenter une seconde conversation, il obtint seulement la permission de baiser la ceinture de la robe de son amante, faveur dautant plus extraordinaire que dans le Japon, elle ne s'accorue qu'à ceux qui sont forcés de garder le silence pour avoir trop parlé; le fils de Ia-Kagou, touché d'une grace aussi flatteuse, baisa cinq fois le pouce de la main gauche de son Pere, & partit. MA-GAKOU HISTOIRE JAPONNOISE, CHAPITRE PREMIER. Comme quoi Ma-gakou sortant de Goa, est arrêté par la vertu d'un Talisman. MA-gakou, étoit à peine à trois lieues de la ville, qu'il tomba dans une sombre mélancholie, ses gens en furent allarmes, & la douleur passa jusques dans l'ame de ses coursiers & semblables, remarque élégamment l'Auteur, à ceux d'Hypolite, ils partageoient la douleur de leur Maître. Pegadon allarmé de l'état de son Eléve, quitta le ton sérieux par lequel il avoit débuté, il fit quelques vieux Contes, qui augmenterent agréablement la fureur de Magakou, le Gouverneur inquiet, d'avoir vu ses plaisanteries sans effet, ordonna au conducteur du Char de doubler le pas, les coursiers immobiles s'arrêterent, on eut beau les frapper, ils bravoient le Dieu , qui dans ce désordre affreux , s'abaissoit à piquer leurs flancs poudreux . On crie, on menace envain, tout devient inutile; les chevaux resterent dans le même état, Ma-gakou interdit, gardoit un silence profond, son Gouverneur prenoit la liberté de l'interroger, ses esclaves osoient le regarder, mais toujours sombre, il étoit tout entier à sa douleur, sans vouloir même qu'on en démêlât la cause. Pegadon prit alors sur lui de taire une priere à Gimanda , ce Dieu qui préside aux voyages, ne répondit à l'invoca nion, que par une pluye de sifflets de fer blanc qui vint inonder la campagne, où l'Equipage ou voyageur attendoit un tems plus heureux pour suivre sa route; Magakou étonné, porta la main à sa tête pour appuver son bonnet, mais ses doigts meurtris par les sifflets, furent les avant-coureurs d'un malheur qu'on développera peut-être dans le cours de cette histoire véritable. Cette pluye dura vingt-sept minutes, les Peuples des lieux voisins, informés de cet orage singulier, en chercherent la cause dans Mathieu Lansberg , mais cet Astronome n'ayant pas eu l'esprit de prévenir un événement naturel, on courut à l'Almanach des Théâtres , ouvrage prophétique, qui annonce tout ce qui a été dit il y a longtems, le Bramine Astrologue, qui fabrique ce Calendrier avec Privilége , ayant eu la discrétion de passer sous silence une chose qu'il ignoroit, on n'eut pour derniere ressource, que les petites affiches dans lesquelles on ne trouva pas plus d'éclaircissement que dans les ouvrages précédens. Les Japonnois indignés de l'ignorance des Astronomes, prirent le parti de se rendre aux lieux où l'orage étoit tombé, de quel étonnement ne furent-ils pas frappés, à la vué des sifflets, chacun en amassa autant qu'il put en porter, & n'eut rien de plus pressé que d'aller à Goa les vendre à des Européens, qui ne passent les mers, que pour acheter ces bagatelles merveilleuses, auxquelles le luxe & le caprice donnent un cours nécessaire; un Français, que la soif de l'argent, bien moins que l'intérêt public, avoit attiré dans le Japon, fit une pacotille de tous les sifflets, & les apporta à Sipra , où il s'associa avec quelques Auteurs modernes qui eurent la complaisance de prouver par leurs ouvrages, la nécessité de cet instrument; mais laissons les sifflets en Europe, ne perdons pas de vue le triste Ma-gakou. Ce jeune homme, qui crut que la fin de l'orage alloit lui rendre la tranquillité, remonta dans son Char, & il prit sans aucun projet un des sifflets qu'il y trouva, mais il n'en eut pas plûtôt fait entendre quelques sons, que Pedagon se mit à faire des cabrioles, & à suivre en sautant le Char, qui alloit avec une rapidite extraordinaire. Cet événement si opposé à celui qui venoit de frapper Ma-gakou dérida son front, Pegadon sembloit par ses postures singuliéres, le prier de suspendre des sons qui faisoient son supplice, mais le voyageur qui vouloit fuir des lieux qui avoient porté le chagrin le plus vif au fond de son ame, continuoit à siffler, les coursiers plus ardens doubloient le pas, & le Gouverneur suivoit en cabriolant toujours. Ce manége qui dura pendant trois heures, fut suspendu par la curiosité de Magakou, ou plutôt par le pouvoir du talisman dont on a parlé à la tête de ce Chapitre; arrivé à la porte d'un Palais superbe, sur le Frontispice duquel il vit les bustes de Pallas & de Momus , qu'une main hardie avoit honoré de ses peines , expression nouvelle qui veut dire ou à peu près, que ces deux figures étoient gravées, à cet aspect, il fit arrêter son Char, & s'appuyant sur Pegadon, qui avoit repris son allure ordinaire, il s'approcha pour lire ces vers Japonnois, que je traduis en Français pour la commodité de ceux qui n'entendent pas le Grec. Les habitans de ce charmant Palais, Amoureux sans aimer, Monarques sans Empire, Obligés par Etat de remplir vos souhaits, Pour de l'argent, font pleurer & font rire. Cette inscription dont Magakou ne comprenoit pas le sens, l'engagea à recourir aux lumieres de son docte Gouverneur, qui après bien des conjectures assez vagues, osa avancer qu'il croyoit que ce Palais étoit l'azyle d'un certain nombre de Rois & de Princesses, gagés par le Pubue qu'ils amusoient, ou qu'ils attristoient, suivant les vuës qu'on avoit en y entrant, que Brama, dit Ma-gakou, ne jette sur mon individu, que le quart de la portion de soleil qu'il répand sur le reste de la nature; s'il m'arrive jamais de donner de l'argent pour pleurer, les hommes n'ont-ils pas assez de chagrins particuliers, sans chercher encore à s'attendrir sur le malheur des gens qu'ils ne verront jamais, sortons donc, car je crains la tristesse. Venez, dit alors un Auteur qui entendoit raisonner le Voyageur, on joue ma Piéce, & je vous proteste que vous trouverez de la bonne plaisanterie. Ma-gakou tira quatre Dariques de sa poche, & il entra avec ta suite dans le Palais. CHAPITRE II. Comme quoi Ma-gakou, qui vouloit rire, pleura beaucoup. Après avoir passé une Gallerie immense, le Voyageur arriva dans la grand'Salle du Palais; ses yeux éblouis d'un Spectacle brillant, parcouroient avidement les différentes Places de ce séjour enchanté, Pegadon, que j'ai peint comme un homme d'esprit & de pénétration, soupçonna alors qu'il étoit à la Comédie, & il partit de là pour promettre beaucoup de plaisir à son Eléve. Le lieu destiné à placer ceux qui devoient réjouir le Public, étoit entouré d'une double balustrade qu'occupoit un tas d'esclaves: Quoi dit le Voyageur, les esclaves ont de grands Priviléges danscet-te ville! Qui vous porte à le croire, reprit le Gouverneur? Quoi, repartit Ma-gakou, ne les voyez-vous point ici assis au premier rang? Est-ce donc pour amuser des esclaves, que ce Palais est ainsi décoré? Ne vous y trompez pas, Seigneur, répondit Pegadon; ces gens qui occupent à ce moment les premieres places, sont payés pour cela; les Grands de la ville, ou ceux qui sont assez riches pour le paroître, curieux d'étaler des robes éclatantes, veulent être placés sur les gradins les plus élevés, & comme ils ne pourroient avoir ces Places par eux-mêmes, sans contrevenir à l'usage qui veut qu'on arrive tard, ils envoyent un esclave qui les représente. Et ces femmes, reprit l'Eléve, dont la parure est si brillante & le teint si fleuri, sont-elles aussi des esclaves? Non, répondit le Gouverneur, mais elles ne viennent dans ce Palais, que pour en faire; leurs yeux complaisans errent de tous côtés, jusqu'à ce que fixés sur celui qui leur plaît, elles puissent le trouver assez aimable, pour lui ôter l'envie de vouloir leur paroître tel à l'avenir, mais encore quelles sont ces femmes? Leur état, répartit Pegadon, est l'indépendance, & leur occupation le plaisir, quoiqu'elles soient presque toutes d'une naissance différente, elles concourent au même but. outes ces petites chambres à jour sont indistinctement occupées par des Princesses, des Financieres & des Chanteuses d'Opéra, pour deux dariques, la femme d'un Commis des Gabelles de l'Empire peut s'asseoir à côté de celle du premier Ministre; je vois que vous me serez nécessaire, repartit Ma-gakou, continuez à m'instruire utilement, je commence à vous trouver supportable; quels sont ces hommes diversement vêtus, qui s'agitent si violemment dans cette espéce de Place qui est au-dessous de nous? A leurs clameurs, je les prendrois pour des esclaves, votre erreur seroit grande, répondit Pegadon, ce petit nombre d'hommes que vous voyez là, tient tout le monde en respect; Souverains des habitans de ce Palais, ils les admettent, ou les proscrivent au gré de leur caprice, car pour ne rien vous cacher, je dois vous prévenir que la Place qu'ils occupent leur donne seule le droit de iuger, le mérite y a rarement part; cette Place, reprit Ma-gakou, est apparemment fort chère; non, Seineur, repartit le Gouverneur, on y entre pour six Zanit ; & il n'y a pas de porte-faix en cette ville, qui n'ait le droit en payant cette petite somme, de rejetter un bon Acteur, ou d'en applaudir un mauvais; Etrange singularité des Japonnois, continua Pegadon en moralisant; on ne voit qu'abus & inconséquence dans leur conduite; le jugement des hommes & de leurs ouvrages sera-t-il toujours abandonné à la Place, & ne le donnera-t-on jamais aux talens? Parce que jadis il n'y avoit pour les Auditeurs, que l'enceinte que ces hommes occupent, & que composant tout le Spectacle, la liberté de juger leur appartenoit de droit, ils ont conservé cet ancien Privilége, & ils en jouissent aujourd'hui avec l'indiscrétion attachée à un Peuple mutin & leger. Le Gouverneur alloit poursuivre, quand on leva le rideau, deux esclaves entrerent sur la Scene; interdits à la vué des Spectateurs, la parole leur manqua, & je présume qu'ils n'auroient pu continuer, si du fond d'un souterrain d'où il sortoit de la fumée & du feu, une voix cassée ne leur eût inspiré ce qu'ils devoient dire; revenus de leur surprise, ces deux esclaves montrerent beaucoup plus d'esprit qu'ils n'en avoient ordinairement; dirent des choses, qu'il étoit censé qu'ils devoient ignorer, ce qui persuada avec raison, que la voix qui partoit du souterrain, étoit la voix d'un Dieu Bel-esprit. Ces personnages, qui étoient venus sans sçavoir pourquoi, partirent de même, un troisiéme leur succéda, il joignoit au dehors d'une fatuité agréable, les talens qu'il faut pour paroître ce que l'on veut être, celui-ci parla avec tant d'aisance, dit des choses qui étoient si propres à son caractére, qu'on soupçonna qu'il pouvoit se passer des inspirations du Dieu; amante, du moins celle qui ne pouvoit plus l'être, puisqu'elle étoit sa femme, parut avec lui; quelle douceur dans les plaintes? Quelle tendresse dans les reproches; le Public intéressé dans leur querelle, auroit souhaité qu'ils s'aimassent, si l'usage n'y avoit été contraire; une rivale arriva, elle joignoit les graces du naturel, aux charmes de la beauté, si son aspect émut les cœurs, quelles impressions ne fit pas sur eux le ton enchanteur de la voix la plus tendre? Jusques-là, on avoit entendu des choses frivoles, sans être plaisantes, & presque toutes déplacées; le Peuple rioit, parce qu'il avoit payé pour cela, mais les gens d'esprit, un peu plus difficiles à remuer, étoient dans un calme qui annonçoit moins encore la tranquillité que la douleur; un homme d'affaires entra; le froid qui régnoit le frappa, & voulant servir l'Auteur qui ne l'avoit placé là, que pour réchauffer sa Piéce, il chargea par des contorsions & des exclamations outrées, un rôle déjà trop chargé par lui-même; mais le froid empira, & il devint enfin général, losqu'une mère éplorée entra, un mouchoir à la main; elle venoit plaindre les égaremens d'un fils qu'elle aimoit, & elle peignoit sa situation avec des couleurs si frappantes, que l'assemblée partageant sa douleur, fondit en larmes, Ma-gakou outré d'être triste, jura contre l'Auteur; mais les pleurs qui accompagnoient les plaintes, sembloient faire l'éloge de celui même qu'il vouloit blâmer. La Comédie se termina par des maximes que personne n'écouta, les femmes sortirent, la populace se retira dans une maison ouverte à tout le monde, pour y entendre disserter son Orateur, & les Grands entrerent dans une chambre qui joignoit le Théâtre, & que l'usage destinoit aux arrangemens. CHAPITRE III. Comme quoi le voyageur est emporté dans une petite maison d'où il revient sans parler. A peine Ma-gakou y parutil, qu'une jeune personne qui plaisoit sans être belle, lui fit une revérence profonde, cette prévenance n contraire aux mœurs Asiatiques, surprit ce jeune homme, un point qu'il oublia de répondre à la civilité qu'on venoit de lui faire, mais on ne se rebuta point, & une seconde révérence plus profonde attira Ma-gakou près de la Dame polie, Pegadon qui connoissoit le danger, voulut vainement le retirer; l'Eléve indocile étoit amoureux, & il ne s'agissoit plus que de convenir des conditions qui devoient le couronner. Une compagne assez complaisante pour sacrifier des restes de prétentions au plaisir d'obliger une amie qui lui avoit fait accorder ses grandes entrées au Palais, offrit la petite maison de son amant, c'est un Seigneur discret, qui m'aime assez, dit-elle, pour permetrre que je fasse le bonheur de deux jeunes aimables, Ma-gakou répondit à ce compliment, par une révérence décontenancée, & donnant la main à la beauté qu'il s'étoit soumise, il la fit monter dans son Char, avec Delaniga , (c'est le nom de sa compagne.) Arrivés tous les trois à la petite maison de l'amant de Delaniga, Ma-gakou se jetta aux genoux de Bazika , (sa coquette s'appelloit ainsi) & voulut que le plaisir scellât son bonheur, mais l'instant n'étoit pas encore arrivé, & les préliminaires n'étant point remplis, on arrêta l'empressement du voyageur, & on proposa une partie de Comète en attendant qu'on servît; le maître de la petite maison s'excusa de ne pas jouer, sur l'obligation où il étoit d'écrire à un de ses amis; Ma-gakou fit la chouette aux deux femmes, & l'amant de Delaniga écrivit sa Lettre; un petit-maître qui s'étoit douté du Quadrille, entra à petit bruit dans le Salon où l'on étoit, & après s'être appuyé quelques instans derriere le fauteuil de son ami, il lui arracha sa Lettre; l'autre qui avoit des raisons importantes pour que ses secrets ne perçassent point, fit des instances inutiles, le petit-maître ne voulant rien entendre; & en nous annonçant la Lettre la plus délicieuse du monde, il lut ce qui suit: LETTRE. “Que votre vie, mon cher ami, est différente de la mienne? tranquille au sein de la Chine, vous jouissez d'un objet qui vous plait, tandis que des arrangemens qui m'accablent, me forcent de recevoir dans mes bras une femme que je n'aime point. Je soupe comme à mon ordinaire à ma petite maison, mais Bazika que j'adore, va passer au sortir de la table, dans les bras d'un étranger qu'elle aime, on me traînera aux pieds d'une maîtresse dont l'âge respectable m'effraye...“ Le petit-maître alloit continuer, quand Delaniga se leva en fureur, & arracha ce funeste billet, qui en lui annonçant un perfide, lui rappelloit des idées qui auroient été désagréables même à une femme aimable. La Comète fut interrompuë, le soupé renvoyé, Delaniga livrée aux pleurs, partit en jettant un regard de fureur sur l'ingrat qui la trahissoit, & qui n'obtint son pardon, qu'en lui envoyant le lendemain une robe d'or, tirée de la Manufacture de Empereur. Ma-gakou consterné regardoit Lazika, celle-ci qui crut que la décence l'obligeoit à vanger son amie, joua la fureur à son tour, & partit de la petite maison, appuvée sur son amant. Remontés dans le Char, Bazika ordonna au conducteur de prendre la route de sa maison, prêts à y entrer, ils furent arrêtés par une vieille femme, qui vint dire avec mystére, que Monsieur venoit d'arriver, & que l'impatience où il étoit, le mettoit dans une colère dont les suites étoient à craindre: est-ce votre Pere, dit bonnement Ma-gakou? Plût à Brama, repartit Bazika; celui qui m'attend est un Officier de l'Empereur, qui me donne cinq cens Dariques par mois, pour que je lui sois uniquement attachée, je les prends, & je tiens parole, lorsque je m'y vois forcée comme aujourd'hui; adieu cher Ma-gakou, comptez que je partage sincérement les regrets ausquels je vous vois en proye. Quoi, dit le Voyageur étonné, vous seriez capable d'aimer un autre homme que moi, après toutes les protestations que vous m'avez faites? .... Bazika leva les épaules en souriant, & quitta le crédule Ma-gakou. Que faisoit alors le triste Pégadon? Accablé d'inquiétudes & de douleurs, ses cris aigus frapperent Ma-gakou, qui errant au hazard fut charmé de retrouver son Gouverneur, auquel il demanda un azile où il pût tranquillement réfléchir sur la fausseté des femmes, Pegadon qui craignit d'abord que les choses n'eussent été plus loin, fut désabusé par le récit que lui fit son Elève, & il le conduisit à l'instant sous une ten-te superbe où il passa la nuit, j'ignore à quoi faire, dormitil? Veilla-t-il, fit-il la conversation avec quelqu'un? ou parla-t il seul? Voilà ce que je n'ai pu découvrir, s'il étoit permis d'exposer des conjectures dans une histoire où tous les faits doivent être sacrés, je dirois qu'il est à présumer que l'esprit du Voyageur échauffé par la perfidie de Bazika auroit bien pu l'engager à l'apostropher pendant la nuit. CHAPITRE IV. Comme quoi Ma-gakou trouve en s'acheminant le Palais de la Fée Chicorée. MA-gakou se leva à la pointe du jour, on attela les coursiers, & on partit. La nuée des sifflets revint à l'esprit du Voyageur, il ne put s'empêcher de craindre quelques événemens plus funestes encore, Pegadon à qui il fit part de ses allarmes, employa sa tranquille éloquence pour le rassurer, & peut-être auroit-il eu de la peine à v parvenir, si un azile enchanté, le centre de la volupté & de l'esprit n'eût dissipé sa crainte, en lui ouvrant un chemin aux plaisirs. On entroit dans ce Palais bâti à la Moderne par une por-te de cristal émaillé sur laquelle on avoit gravé tous les attributs qui caractérisoient la Fée. Chicorée étoit née sous des auspices malheureux, la Déesse Citrouille qui présida à sa naissance la condamna à ne vivre que de chicorée pendant tout le tems qu'elle resteroit fille , & elle lui prédit qu'elle mourroit trois jours après qu'elle seroit mariée, laide d'ailleurs, jusqu'à la difformité, elle n'avoit pour réparer les désagrémens de sa figure, qu'une taille de vingt-deux piés, & un esprit supérieur qui triomphoit dans tous les genres, à l'âge de trois ans Chicorée avoit fait un Poëme épique qui lui avoit attiré les hommages de tous les Sçavans de l'Asie. La prédiction prononcée à sa naissance l'avoit allarmé, non qu'elle eût ambitionné un époux, elle avoit trop d'esprit pour ignorer qu'un mari n'est guères fait pour rendre une femme heureuse, mais l'idée de la volupté avoit remué son cœur dès l'âge où les autres filles s'ignorent, & voulant sçavoir si la prophétie de Citrouille, en lui interdisant le mariage, lui fermoit le chemin des plaisirs, elle avoit osé invoquer une seconde fois la Déesse qui calma ses inquiétudes, en lui annonçant que sans contrevenir à un oracle irrévocable, elle pourroit rendre les Mortels heureux, pourvu que ses faveurs ne s'étendissent que sur un homme qui auroit donné des preuves publiques de son esprit, le contraire arrivant, elle étoit menacée d'une métamorphose qui devoit la priver de son être. Chicorée fut consolée des malheurs de sa situation par le lénitif que l'Oracle y apporta; & elle n'eut d'autre objet que de faire de sa retraite un séjour encnante qui pût attirer tous les beaux esprits du Japon. Depuis trente ans, ses vuës avoient été remplies, & il y avoit très-peu d'Auteurs dans Goa, qui n'eussent partagé la couche de la Fée Chicorée; dès l'instant qu'on apperçut le Char de Ma-gakou. On fit ouvrir la porte de cristal, preuve singulière de la complaisance de la Fée qui crut reconnoître deux Savans illustres dans Pegadon & dans son élève; les courtiers de la littérature, les colporteurs des ouvrages scandaleux, & les Auteurs de petites lettres contre les ouvrages qui ont réussi, étoient obligés de passer sous une voute de chenilles qui n'étoit soutenuë que par des crapaux & des serpens. Ma-gakou arrivé à la premiere cour, fut reçû par un Bramine révérentieux qui faisoit les honneurs du Palais de la Fée, & qui vivant depuis vingt ans avec elle dans un commerce uni, étoit réputé sans conséquence ; remis par le Bramine à la seconde cour, il fut conduit à l'antichambre de la Fée par un Poëte Lyrique qui contrefaisoit une Epigramme contre un Musicien qui s'en vangeoit en refusant un Poëme qu'il venoit lui présenter. Magakou & son Gouverneur furent annoncés, la Fée ordonna sur le champ qu'on les présentât. Chicorée ne refsembloit point à ces grands impérieux qui ne font attendre dans une Anti-chambre que pour flatter leur vanité, ou honorer leur indolence en affectant des occupations qu'ils ne connoissent pas. Les Voyageurs ne furent pas plutôt entrés qu'elle les fit asseoir près d'un Canapé de velours bleu sur lequel les plus beaux vers des lragédies modernes étoient brodés en fil d'or, on en comptoit jusqu'à trente depuis dix ans. Il est vrai que Chicorée qui n'aimoit pas les hors d'œuvres avoit supprimé tous ces vers ronflans qui portent avec eux une maxime. En quel genre, dit la Fée, en s'adressant à Ma-gakou: travaillez-vous? Chantez-vous les Dieux & les Héros avec Homére? Pleurezvous avec Euripide? ou riez-vous avec Ménandre? Le Voyageur interdit gardoit un silence profond; lorsque la Fée continuant à lui parler, lui dit en baissant la voix, je connois votre goût, tendre avec Anacréon, vous vous plaisez à chanter l'amour & les graces. Je vous avouerai de bonne foi, reprit Magakou, que quoique je sois née à Goa, je n'entends point la langue que vous me parlez à ce moment. Cet Homére & tous ceux avec lesquels vous avez la bonté de me soupçonner d'être en liaison, sont des êtres imaginaires pour moi. Quoi, repartit la Fée, vous ne seriez point Auteur? Ah! Destin, pourquoi le conduisoistu dans ce Palais? Convenez cependant, continuoit-elle en cherchant à se faire illusion, convenez que vous avez au moins donné quelque Ouvrage dont le mauvais sort vous empêche de faire ici l'aveu? Parlez; confiez-vous à Chicorée, elle vous aime, le mot est lâché, attendez tout d'elle. Sensible à vos bontés, autant que je puis l'être, répondit le Voyageur, je dois renoncer, s'il faut les mériter par le titre d'Auteur, j'ignore l'art de presser le bon sens dans des mots, & je ne connois la Prose que pour les besoins de la Société; il n'est point Auteur, reprenoit la Fée en regardant le ciel; il n'est point Auteur? Ah! Dieux du Japon, cruelle Citrouille, séparez-vous toujours les talens de la figure? Et ne peut-on être beau avec de l'esprit! Une foule de beaux-esprits qui faisoient alors leur cour à Chicorée, & qui avoient des prétentions décidées du côté des agrémens de la figure, firent sentir à la Fée qu'elle ne les flattoit point, mais celle-ci s'excusa sur sa confiance à un vieux proverbe Indien. C'est un bel-homme, donc il est bête qui a passé jusqu'en Europe . Ma-gakou qui crut que le principe des bonnes fortunes etoit de se donner une femme célébre, fit des mines à Chicorée, qui trop émue déja par l'aspect de ce jeune homme osa y répondre; ses yeux fixés sur le Voyageur, ne voyoient plus Citrouille ni sa redoutable prédiction; & peut-être alloit-elle en défier les effets, si le Bramine son ami qui s'appercevoit du trouble que Ma-gakon jettoit dans son ame, ne lui eût fait sentir que sa vie étoit encore nécessaire à l'instruction du monde. Soit vanité, ou désir de vivre, Chicorée parut plus tranquille, elle voulut même pour affermir le calme qu'elle croyoit gouter, qu'on éloignât le Vovageur, & pour le faire avec bienséance, elle recommanda à un Poëte chargé des honneurs de sa Cour, de montrer à l'Etranger toutes les curiosités du Palais. Ma-gakou suivit le Poëte qui le mena d'abord à la rive d'un canal immense sur lequel les Auteurs célébres s'embarquoient pour l'immortalité; ce canal étoit couvert de vingt galiottes, armées, toujours prêtes à voguer. Les mauvais Poëtes qui avoient joui de quelque gloire servoient de rameurs; on y voyoit beaucoup de personnages vantés dans le dernier Siécle réduits à ce pénible emploi; le Voyageur assura même à son retour qu'il y avoit reconnu quelques modernes usurpateurs de réputation que la saine politique devroit punir comme voleur publics. En quittant le canal, on mena l'étranger dans un bosquet orné des statuès des hommes, dont les écrits toujoursutiles avoient respecté les mœurs. Ces statuës étoient posées sur le dos des Auteurs obscènes qui leur servoient de piedestaux; mais comme le nombre de ces derniers l'emportoit de beaucoup sur les autres; on occupoit ceux d'entre eux qui joignoient à l'esprit, la orruption du cœur à reforer leurs ouvrages. Regnier déchiroit ses fatyes les plus estimées, Moliere ont le piedestal étoit déja réparé dans l'allée des génies créateurs; supprimoitces traits qui partoient moins de son cœur que de la licence de son siécle. Regnard presque toujours indécent dans la plaisanterie revoyoit toutes ses Comédies, & en retranchoit ces phrases obscènes qui allarment la pudeur; Lafontaine qui s'étoit imaginé de bonne foi que la pureté de ses mœurs avoit passé dans tous ses contes, ne les corrigeoit qu'avec peine. Rousseau qu'on a osé traiter il y a quelques mois de versificateur sans génie & sans philosophie, qui a fait moins de bonnes odes que M. de V. n'a fait de bonnes Tragédies , Rousseau toujours attaqué & toujours triomphant effaçoit les trois quarts de ses épigrammes, & arrachoit de son livre les couplets odieux qu'on lui a si faussement attribués. Ma-gakou en quittant le bosquet entra dans une gallerie ornée en marqueterie de Stras, & de clinquant; il s'aperçut qu'il y manquoit quantité de piéces, & en demanda la raison à son conducteur, qui lui dit que cette gallerie étant commune à tous les Auteurs tragiques ils venoient y prendre à leur gré ces morceaux éblouissants qui excitoient l'admiration de la populace; à côté on voyoit une autre gallerie décorée de toutes sortes de portraits; elle étoit destinée aux Auteurs comiques qui étoient obligés de rapporter après la chûte de leurs piéces qu'ils en avoient enlevés, c'est ce qui faisoit que la gallerie étoit toujours complette. On sortoit de-là par un souterrain orné de trumeaux & de tables de marbre, on voyoit dans le milieu de cet endroit obscur trente jeunes gens prêter une attention pesante, à un homme qui écrivoit mal, & qui dissertoit bien, énergique dans l'expression, singulier dans le propos, & souverain dans la décision, Ma-gakou le prit pour le Gouverneur de ce souterrain, mais la vanité de l'Orateur rejettant ce titre, il usurpoit celui d'Aristarque; c'étoit à côté de cet azile ténébreux qu'on forgeoit ces armes défensives & offensives que l'on appelle cabales . Que de gens au maintien doux, & au ton de probité venoient en acheter pour faire tomber des hommes avec lesquels ils vivoient depuis long-tems? combien d'Auteurs l'assurance sur le front, & la crainte dans le cœur, se glissoient dans le souterrain, pour y prendre clandestinement des armes qu'ils méprisoient en public, parce qu'elles leur servoient en secret? CHAPITRE V. Comme quoi Ma-gakou en quittant le Palais de la Fée Chicorée est transporté dans l'Isle des Fées scavantes. LE voyageur qui se ressouvint qu'il avoit promis à son pere, de revenir à Goa si dans huit jours il n'étoit point arrivé au temple du bonheur, remercia le conducteur de son attention, le pria de le mener chez Chicorée pour prendre congé d'elle. La Fée l'attendoit dans un cabinet de Jasmin couvert de renoncules; elle y avoit fait préparer une colation où le goût & la magnificence regnoient à l'envi; le cabinet qui n'avoit que vingt piés de hauteur n'ayant pas permis à la Fée de s'y tenir droite, elle étoit nonchalamment couchée sur un lit de roses blanches, entouré d'un double rideau de jonquilles; Ma-gakou demanda à boire, Chicorée qui attendoit ce moment avec impatience, ordonna à un colporteur qu'on lui servît de l'eau d'hipocrène; il y avoit dans les jardins de la Fée un fil de cette eau précieuse qu'elle réservoit pour les cas pressants; puisse-tu, dit-elle, eau sacrée, inspirer à ce moment le mortel aimable que je veux élever jusqu'à moi? Ma-garou sensible à ce doucereux propos, se jetta aux genoux de Chicorée, & peut-être auroit-il souffert que ses mains lui manquassent, si la Fée qui prévoyoit le danger où les transports du Voyageur alloient le jetter, ne l'eût contraint de se relever; Pedagon qui mangeoit de bonne foi abandonnoit son Eléve à lui-même; Ma-gakou but une caraffe de l'eau divine; transporté tout-à-coup, il demanda un crayon, mes vœux vont donc être remplis, s'écria Chicorée, l'Etranger sera Auteur? Attente vaine; les idées confuses du Voyageur ne pouvant se développer, il auroit épuisé la source de l'Hipocrène avant de faire un vers. Chicorée qui vit que tous ses efforts devenoient inutiles, jetta un regard tendre sur Magakou, & le frappa d'une baguette d'orange par la vertu de laquelle il fut transporté avec tous ses gens dans l'Isle des Fées Sçavantes; pussentelles, dit la Fée en suivant des yeux le char de l'Etranger qui perçoit les nues, te donner les talens que le Destin exige de ceux qui aspirent au désir de me plaire. Ma-gakou arriva tout stupéfait au rivage de l'Isle où Chicorée le réléguoit; informé par le Grand Atlas que son Gouverneur portoit toujours avec lui, qu'ils étoient dans l'Empire des Fées savantes, ils demandérent à être présentés à la Souveraine; mais la garde qui veilloit aix barrières, les ayant repoussé avec impétuosité, ils nommerent la Fée Chicorée ; à ce nom respectable, la garde prit les armes, & après avoir salué trois fois les Etrangers, elle leur apporta un tas de porte-feuilles de chagrin sur lesquels ils se reposerent, ce sont les carreaux de cette Isle. Des Lecteurs impatiens demanderont d'abord quelle étoit cette garde, & sans vouloir qu'une notte intéressante en fasse le détail; ils exigeront d'abord qu'on leur dise que les satellites de l'Isle des Fées Sçavantes étoient composées de l'élite de tous les beaux-esprits clandestins du Japon, qui ayant eu le malheur d'échouer dans les productions qu'ils donnoient sous leurs noms, portent aujourd'hui les armes au service des Fées pour lesquelles ils combattent avec succès. La Souveraine de l'Isle informée de l'arrivée de Magakou l'envoya complimenter par une de ses sujettes; celle-ci qui étoit de toutes les Academies du Japon, assomma le Voyageur des lieux communs de la vieille Rhétorique, & son Gouverneur y répondit par autant de sadeurs. Magakou bien encensé, & n'en valant pas mieux, parvint à la grille du Palais de la Fée Souveraine, le nom de Chicorée, redoutable dans cette Isle, fit franchir les trois quarts d'un cerémonial fastueux, l'ennui des Princes, & l'admiration du peuple hébêté. Le Voyageur passa la cour, traversa la gallerie avec la précipitation d'un Courtisan qui joué l'importance, & se présenta à Souveraine; la Fée se remua sur son siége sans se lever, fit une révérence indolente à Magakou, & lui dit sans parler qu'il pouvoit s'asséoir; ne jugez point du caractere de Souveraine par sa conduite avec l'Etranger; cette Fée avoit le meilleur cœur du monde, & en se prêtant à l'étiquette, elle en méprisoit la froideur embarrassante; mais elle étoit Souveraine; & ce titre voilant sa bonté naturelle déroboit aux yeux du peuple des vertus que les Princes ne sont jamais maîtres de faire éclater. La Souveraine tenoit appartement avec ses Dames d'Atour ; tenir apartement chez elle, c'étoit s'occuper avec ses Dames à tirer des Brochures anciennes & presqu'ignorèes, tous les traits qui faisoient pensée on Epigramme , & qu'on remettoit au sortir du Cercle aux Invalides de l'Etat, qui étoient oblgés de leur donner une tournure nouvelle. L'heure du Concert annoncée, on passa de l'appartement de Souveraine à la Salle destinée à ce Spectacle; Magakou suivit la Cour dont il avoir fixé l'attention, on prétend même que la Fée coquet-te lui fit des prévenances; mais attendons la fin du Concert pour développer l'aventure. Souveraine ne fut pas plutôt placée, que le Concert commença. La Musique de cette Isle n'étoit point cette harmonie tendre, voluptueuse & expressive qui glissant sur l'esprit, frappe directement le cœur; des Fées Sçavantes vouloient de la Musique difficile; & pour que leur goût fût rempli, elles avoient soin de composer des Poëmes singuliers dont les pensées gigantesques, & la versification dure prêtoient au talent du Musicien. Du Concert on alla à la promenade; la Fée coquette toujours étourdie par excès de prudence, tomboit à chaque pas, & l'indolent Magakou ne la relevant point, elle s'égaroit à tout moment dans un labyrinte où elle étoit forcée de se trouver; Coquette après avoir tenté inutilement toutes les agaceries qu'une femme employe pour séduire un jeune homme, courut après la dignité en jouant un air dédaigneux qui n'eut pas plus de succès que les mines; la Fée étoit laide, supposé qu'on pût l'être avec de l'esprit, mais le nombre excessif des hommes qu'elle avoit subjugués lui avoit fait soupçonner des agrémens, & se croyant jolie, elle ne pouvoit se persuader qu'on lui résistât faire des avances en pure perte, & affecter le mépris sans succès; c'est à peu près tout ce qu'une femme peut employer avec quelqu'un qui n'est pas intéresse; il reste cependant encore les ressources de l'esprit, & ce moyen fut le dernier que Coquette mit en œuvre. Souveraine qui depuis un moment avoit fait quelques questions à Ma-gakou sur le projet de son voyage dans l'Isle, & sur les honneurs qu'on lui avoit rendus dans le Palais de la Fée Chicorée, eut quelques soupçons que cette Fée lui envoyoit lEtranger, & elle s'arrangea en conséquence; mais pour cacher ses desseins aux yeux de sa Cour, elle prétexta une affaire, & laissa Ma-gakou avec les autres Fées. CHAPITRE VI. Comme quoi Ma-gakou est enchanté par la Fée coquette, avec laquelle Souveraine le surprend. COquette qui n'avoit plus à craindre les yeux perçans de Souveraine, se livra aux accès du bel-esprit; anecdotes jolies dont ses aventures fournissoient le fond; Epitres amusantes dont elle avoit hérité de son grand-pere qui étoit sans contredit le plus bel-esprit de son siécle; piéces fugitives qu'elle croyoit avoir faites; tous ces trésors prodigués vainement la jetterent dans un désespoir, qui l'auroit porté à des extrémités dangereuses, si elle avoit pû quitter un instant les prétentions que la vanité peut-être, autant que le goût, lui donnoit sur l'étranger. Quel parti prendre, disoit-elle, avec un homme assez présomptueux pour mépriser mes charmes, ou assez sot pour ne pas voir que je veux lui plaire? il est encore une ressource à ménager; employons-la; mais périssons, si elle ne réussit point. A ces mots Coquette qui dans tous ses projets affectoit toujours de n'en avoir aucun, demanda la main à Ma-gakou, qui connoissoit trop les bienséances pour la lui refuser; -elle le conduisit dans son appartement sous le prétexte de lui faire voir un Cabinet rempli de morceaux rares. Ma-gakou à peine entré s'occupoit à considérer toutes les curiosités de l'appartement de Coquette, la Fée défespérée de ne point jouir seule de ses regards; imagina qu'il étoit important qu'elle se trouvât mal; elle feignit une failesse dans laquelle elle tomba avec beaucoup d'art. L'imbécille Ma-gakou qui crut le mal dangereux appella du monde, les gens de la Fée monterent, Coquette qui vouloit tout éprouver, se trouva mieux, & les renvoya; furieuse, comme on peut se l'imaginer, d'avoir vue sans effet une faiblesse qui lui avoit toujours réussi; elle s'assit nonchalament sur un Canapé, le centre de ses plaisirs, sa tête appuyée sur son bras droit, laissoit voir une gorge dont la blancheur pouvoit au moins faire soupçonner quelqu'autre mérite; Ma-gakou toujours sot croyoit que les Canapés étoient faits pour le repos, & il alloit sortir dans la crainte de troubler Coquette, si elle n'avoit eu l'art de le retenir. Asfis prés d'elle, il rompit le silence qu'il gardoit avec une bêtise asfommante; mais les questions déplacées qu'il faisoit à la Fée sur le prix de toutes les curiosités qui le frappoient, souleverent la colere de celle-ci; & je ne doute pas que Ma-gakou n'en eût été la victime, si elle n'eût préféré le foin de le fixer au plaisir de punir un ingrat qui l'offensoit. Entre toutes les questions intéressantes que le Voyageur faisoit à la Fée, il s'en trouva une, qui décida beaucoup, quoiqu'elle semblât ne mener à rien; les Spectacles exciterent sa curiosité, & il voulut sçavoir si on jouoit la Comédie dans l'Isle. Vous arrivez à propos, dit Coquette, pour envoir représenter une en cinq Actes que l'on répéte actuellement. Excusez, reprit l'Etranger, l'idée seule de la tristesse me chagrine, & je n'aime point à pleurer; je crois vous avoir prévenu, repartit Coquette, que la Piéce que je donne est une Comédie, & j'en fais de fort amusantes. Ah, si vous en faites, repartit Magakou, qui commençoit à devenir galant, je m'apprête à y rire; & pour justiner votre idée, répondit la Fée, je vais vous taire un sacrifice rare, & qu'on n'obtient que dans les cas pressans; vous m'entendez, je pense; pas trop, dit Ma-gakou, mais c'est si votre Comédie que vous voulez avoir la complaisance de me lire, je l'entendrai avec plaisir. Coquette lui serra alors la main en feignant de l'appuyer sur lui pour se lever, & courut à un tiroir d'où elle tira un morceau de marqueterie composé de différentes piéces rapportées, dont la diversité formoit un ensemble singulier. Voici, Seigneur, l'ouvrage merveilleux dont on parle depuis si long-tems dans cette Isle. Penelope , continua historiquement Coquette, pour amuser ses amans faisoit une tapisserie dont la fin devoit décider son cœur; mais la bonne femme avoit de vieux préjugés, & elle détruisoit pendant la nuit l'ouvrage du jour. Moins ridicule que l'épouse d'Ulysse, je vous présente une Piéce le fruit du matin, & la récompense de la nuit.... Sans vous interrompre, reprit le Voyageur, ce discours est un peu énigmatique, & j'aime la clarté... Je ne m'en suis que trop apperçu depuis que j'eus l'honneur de vous entretenir, répondit froidement Coquette, & c'est dans la seule vûé de jetter des clairs dans mon propos , que je vous apprends que tous ceux qui ont eu le bonheur de me plaire, ont été obligés de payer cet avantage, par une tirade dans ma Piéce; est-elle longue, repartit Ma-gakou qui s'enhardis soit? Il n'y a que quinze cent vers, répondit la Fée; ce qui feroit selon votre calcul, re prit le Voyageur.... Une impertience que vous voulez me lâcher, dit Coquette; ménagez vos discours, ou vous me mettrez dans le cas de me débarrasser avec éclat de vos importunités. Ma-gakou qui étoit extrêmement tranquille soûrit au propos, & n'y répondit rien, Coquette lut le titre de sa Comédie en rougissant, tel qu'un Auteur qui sent des remords en peignant les vices qui lui sont propres. Le premier égaya tristement Ma-gakou qui s'endormit pésament au second, moment heureux dit la Fée, je puis vous mettre à profit sans manquer à l'austère décence de mon séxe! Qu'il est beau, s'écrioit-elle en le regardan tendrement, pourquoi Brama lui a-t-il refusé cette intelligence?... Pourquoi, mais c'est me perdre dans des réfléxions inutiles, poursuivit Coquette en s'interrompant, goûtons la vertu du charme; & jettons dans le cœur de Etranger un feu que je pourrai seule éteindre. Immédiatement après cette résolution la Fée prononça quelques paroles Arabes, avança trois pas, & en portant la mainsur une boëte de nacre de perle qui renfermoit le feu dont elle vouloit brûler Ma-gakou; elle se trouva elle-même enveloppée dans le charme; & sa raison troublée lui fit oublier que la porte de son cabinet etoit ouverte. Souveraine, comme on l'a dit dans le Chapitre précédent, avoit des desseins sur le Voyageur, étonnée de ne point l'avoir vue à son soupé, elle quitta la table sous le prétexte d'une migraine, & feignant de se retirer dans son appartement, elle se rendit à celui de la Fée Coquette, dont elle connoissoit l'humeur tendre. Ah Dieu! Quelle fut sa surprise à la vûe de l'enchatement? Irrésolue sur le parti qu'elle avoit à prendre, tantôt elle vouloit profiter de l'égarement dans lequel leurs sens étoient plongés pour les immoler tous deux, tantôt suspendant sa fureur, elle se plaisoit à trouver Ma-gakou innocent, & Coquette étoit seule coupable à ses yeux; c'est trop différer, continuoit Souveraine, vengeons-nous! Quand l'amour est extrême, il est plus doux de faire périr son amant, que de sçavoir qu'il vit pour une autre.... Mais que dis-je, poursuivitelle, le Voyageur sçait-il que je l'aime? Et quand même il connoîtroit mon cœur, peut-il me trahir, s'il ne m'aime pas? Soyez tranquille, Magakou, le coup qui va percer ma rivale doit vous épargner. A ces mots Souveraine regarda trois fois les cieux, remua sa baguette d'acier, & Coquette tut métamorphosée en Loge de Spectacle; punition d'autant plus cruelle, qu'elle lui rappelloit l'idée des plaisirs qui la fuyoient pour toujours. La métamorphose de Coquette dissipa le charme de Ma-gakou, qui ne rappella ses esprits égares que pour les envelopper dans un nouvel enchantement; mais tranquilles au sein de leur délire, ces deux amants bravoient les baguettes & les talismans. Revenus de leur trouble ils se jurerent un amour éternel; ferment d'usage qui ne mene à rien; mais que les femmes exigent moins pour attacher un amant, que pour s'assurer de sa discretion; après beaucoup de protestations aussi frivoles, qu'ils se promettoient bien de violer tous deux. Souveraine fit passer ses Gardes en revué devant Ma-gakou, honneur singulier qu'on ne rendoit qu'aux Etrangers de distinction, le combla de présens, l'enchanta une seconde fois, & le laissa partir. CHAPITRE VII. Comme quoi Ma-gakou, en quittant l'Isle Sçavante est porté dans le Palais de la Fée Ponpon. QUel plaisir, dit Magakou à son Gouverneur, de voyager dans le Pays des Fées, il n'y a que quatre jours que nous avons quitté Goa, & nous touchons aux pays limitrophes du Temple du Bonheur; le plaisir, répondit Pegadon, que l'Isle Savante avoit excedé, seroit parfait, si on n'étoit pas obligé de l'acheter par tant d'ennuis; si vous pouviez vous imaginer quel fond de legereté, de jalousie, d'inconséquence, j'ose même dire de stupidité, j'ai trouvé dans toutes ces femmes d'esprit, vous auriez au moins la complaisance de plaindre les momens qe j'ai été forcé de passer avec elles; je connaîs le Sexe; une longue expérience m'a éclairé sur tous ses travers, & je suis assez raisonnable pour ne l'estimer que ce qu'il vaut; utile à nos plaisirs, il arrache nos hommages dans l'instant même que nous sçavons qu'il en est indigne, nous devient-il indifferent; l'âge, la sagesse nous éloignent-ils de son commerce nous le jugeons avec les yeux de l'impartialité, & le mepris suit. Ah Pegadon, reprit le Voyageur, vous avez de l'humeur, ou vous connoissez bien peu les femmes? que ce Sexe charmant est différent du portrait de ceux que vous en taites? un pinceau aussi grossier me feroit soupçonner que vous n'avez pas toujours vêcu dans un monde digne de vous. Jeune encore, je suis dans l'âge où il semble qu'il est permis de parler des femmes avec peu de ménagement; cependant je crois les connaître assez pour devoir être offensé de la façon injurieuse avec laquelle vous les traitez; ames de nos plaisirs, guides de nos premiers pas dans le monde, Nous devons à leurs soins notre éducation & notre fortune; sensibles à notre attachement, elles le payent d'un retour dont notre fourberie & notre inconstance les rendent presque toujours victimes! où puise-t-on la décence? le bon goût, l'esprit & la délicatesse, si ce n'est dans le commerce d'un sexe respectable, qui seroit parfait, si nous eussions moins de défauts? Après ce portrait qui ressembloit peu aux femmes que le Voyageur avoit vu chez Chicorée, & dans l'Isle Savante, il se trouva à l'avenue d'un Jardin immense dont un large fossé défendoit l'entrée; une vielle Fée qui étoit dans l'intérieur du Jardin l'apperçut, & lui fit un signe qui lui annonça qu'il alloit entrer; dans le moment un Pont de gaze soutenu par huit pilliers de dentelles de Malines , & orné d'une rampe de falbalas de taffetas couleur de Rose déchiqueté en nœud d'amour, s'offrit aux veux de Ma-gakou, le voyageur surpris ne marchoit qu'à tâtons; la crainte d'être précipité dans le fossé, l'engagea à s'appuyer sur la rampe, mais quel fut son étonnement de voir sortir d'un des plis du falbalas qu'il venoit de toucher, un Char de mousseline brodée en or & trainé par six Papillons qui le porterent dans neuf secondes aux portes de l'appartement de la Fée Ponpon ; c'est de ce Palais que les agréables de Goa tirent toutes les modes. La Fée Bavarde , nom propre à presque toutes les Fées, mais qu'on avoit donné singuliérement à la vieille, dont on vient de parler, parce que entée sur quelques bons mots, qu'elle a volé dans des soupés fins, elle s'est acquise la réputation d'une Fée d'esprit; éloge trivial que notre complaisance prodigue par intérêt à des femmes, qui semblables à Bavarde, n'ont qu'un fond d'effronterie soutenue par une expérience immémoriale. Pour faire entrer le voyageur dans l'appartement de Ponpon, je dirai que Bavarde ouvrit les deux batans d'une porte de lustrine Jonquille, aux deux côtés de laquelle on avoit peint en pastel un Chat, & une Epagneulle. La Fée reçut Ma-gakou avec une considération qu'elle n'avoit que pour les jeunes gens, elle auroit même eu la bonté de se lever, si Bavarde, n'eût trouvé sur l'agenda du mois. Nota, que le 17 Madame sera malade , cette réflexion mettoit la Fée dans son lit, & sans la nécessité de sa maladie, on auroit pû croire qu'elle n'y restoit que par vanité; car elle vétoit au mieux , comme vous en allez juger. Le lit de Ponpon soutenu par quatre Pagodes Chinoises, que la Fresnaye avoit du moins vendu pour telles, formoit une alcove dont les rideaux de satin blanc taillés en découpures, donnoit une entrée au jour, & souvent quelque chose de plus à la curiosité; la Fée appuyée sur dix carreaux de plumes de cigne jouoit avec les cordons de sa sonnette, dans la seule vie de montrer un bras décharné sur lequel on decouvroit quantité de veines très bien conditionnées, car Ponpon elle - même se les faisoit; après quelques excuses sur le négligé affreux dans lequel on la surprenoit; elle gronda Bavarde de l'indiscrétion qu'elle avoit commise, quand on a près de trente ans, disoit la Fée, doit-on risquer de se faire voir dans son lit, sans appréts, sans toilette!... j'ai passé une nuit épouvantable; sans fermerl'œil, oh je suis sure que je fais peur; vite un miroir , Bavarde obeit; Ponpon en faisant semblant de s'arranger, tâchoit de se jetter dans ce désordre aimable qui prête les agrémens de l'art à celles qui sont privées de ceux de la nature, mais ses efforts furent inutiles: & après avoir dit, qu'elle n'étoit pas reconnoissable , elle demanda à Magakou, s'il ne la trouvoit pas d'une pâleur affreuse; le voyageu qui les bonnes fortunes donnoient un ton de facilité, répondit sans ménagement à Ponpon; la Fée en fut irritée, & elle voulut être pâle, malgré la varieté des couleurs dont son visage étoit chargé; de ces propos vagues, elle passa à des matiéres importantes au moins dans la situation où elle étoit, car il est bon de dire que Ma-gakou lui plaisoit déja moins. Le voyageur insensible aux attraits que Ponpon vouloit avoir, ne répondoit à toutes ses questions qu'avec ce ton distrait qui désespere toujours les femmes qui ont de l'expérience; la Fée indignée de voir ses agaceries inutiles, se détermina à se porter bien, Bavarde transposa la notte de l'agenda, & Ponpon jouit alors d'une santé aussi jolie qu'une femme de condition peut l'avoir. La Fée qui ne cessoit d'être malade, que pour gouter les charmes d'un état plus doux, voulut se lever, mais auparavant elle fit apporter fur son lit son Chat & son Epagneule, auxquels elle dit d'un ton de mignardise beaucoup de folies entortillées dans des choses assez raisonnables; après sa harangue qui parut d'autant plus ennuyeuse à Ma-gakou, que chaque phrase étoit interrompue par un baiser; elle les remit à Bavarde qui voulut aussi avoir l'air des les caresser, mais le chat l'égratigna, & l'épagneule lui mordit la main gauche, avec tant de violence, qu'elle fut obligée de suspendre ses fonctions ordinaires pendant très-long-tems; cet accident parut heureux à Ponpon, Bavardene pouvant la coëffer, elle se persuada que l'Etranger voudroit bien prendre ce soin; mais Magakou étoit fort gauche, & très-peu galant; de sorte que plus la Fée sembloit embarassée, plus il la plaignoit; & des plaintes dans ces circonstances ne font qu'augmenter l'embaras, parce qu'elles le montrent irréparable. Ponpon se coëffoit mal, Bavarde regrettoit sa main secourable; & Ma-gakou moins assis que couché sur un tas de carreaux de marte - zibeline; prenoit part à leurs malheurs, avec ce sang froid plus sensible que le malheur même. La Fée chargea sa tête de fleurs d'Italie, auxquelles elle communiquoit une odeur fort agréable pour ceux qui aiment les parfums, elle mit un bonnet à la Rhinoceros qui ne lui couvrant que le tiers de la tête, laissoit voir beaucoup de cheveux blancs qui justifioient que Ponpon touchoit à sa trentiéme année, comme elle l'avoit modestement remarqué dans son début avec le Voyageur; elle s'arma tour à tour de differens pinceaux trempés dans des couleurs qui formant un mêlange de rouge, de bleu & de blanc, rendoient la Fée hideuse avec plus d'éclat; l'envie de paraître jolie enlaidit des femmes dont la figure seroit supportable, si l'art ne la gâtoit point, je connais cent Japonnoises belles jusqu'à l'instant qu'elles ne prétendent pas l'être, & qui deviennent affreuses aussi-tôt qu'elles ont travaillé à s'embellir, Ponpon sans rouge n'étoit que laide, les apprêts la rendoient horrible. Après ce prélude dont les lenteurs assommoient l'impatient Voyageur, la Fée prit ses dents, peignit ses lévres, & ses sourcils, retoucha aux veines de ses bras, & demanda qu'on lui passât une robbe; Bavarde la présenta à Magakou qui s'excusant sur sa maladresse, mit Ponpon dans la nécessité de s'habiller elle-même. CHAPITRE VIII. Comme quoi Ma-gakou est introduit dans la grotte de la Fee Ponpon; où il s'y passe des choses ausquelles il ne s'attendoit pas. LA Fée n'eut pas plutôt parcouru tous les trumeaux de son appartement, qu'elle entra dans uncabinet de verdure où l'Etranger la suivit, Bavarde qui supposa que sa présence seroit inutile dans le tête-à-tête s'occupa à broier avec sa main droite les couleurs dont elle crut que Ponpon auroit besoin à son retour; & cette peine ne devint pas inutile. Le cabinet de verdure dans lequel Ma-gakou étoit, attiroit seul une admiration que la Fée auroit bien voulu partager; mais le Voyageur obstiné qui ignoroit l'histoire d'Eoypte, ne pouvoit concevoir que des arbres se soutinssent dans les airs sans le secours d'un enchantement; Ponpon fatiguée d'entendre prodiguer à des arbres des suffrages qu'elle croyoit dûs à ses attraits, donna deux coups d'eventail à Ma-gakou qui dans l'instant fut transporté au fond d'une Grotte profonde qui n'étoit éclairée que par des vers luisants. L'Etranger avoit besoin que Pegadon l'éclairât dans une position aussi embarassante, le Gouverneur qui avoit lû Virgile, auroit appris à son éleve que le bonhomme Enée se trouvant dans une Grotte avec la Reine de Carthage.... on devine à peu près ce qu'ils y firent, quoique le Poëte Latin ait eu la discrétion de le cacher; de cet exemple, l'application étoit aisée à faire; mais le Voyageur qui n'avoit pas lu l'Enéide, se coucha sur un gazon de pensées, & s'occupa à réfléchir aux maux qu'il crut que Ponpon lui préparoit, premiere sottise; quand cette idée imbécille le quittoit, il se figuroit que la Fée avoit du goût pour lui, & qu'en y répondant il seroit le maître de sortir de la Grotte, & de commander dans son Palais; mais prêt à se rendre à la sagesse de cette réfléxion; il préféroit le séjour d'un antre ténébreux, à l'humiliation de seconder les vœux d'une Fée qui étoit laide, & vieille. Autre sottise, où donc en seroient nos respectables douairieres, si les jeunes gens deGoa pensoient aussi stupidement que Ma-gakou, où en seroient-ils eux-mêmes? Il ne convient qu'à l'opulence de courir après la beauté; combien de nos jeunes Seigneurs seroient obligés d'aller à pied, s'il étoient assez sots pour être délicats, les vieilles & les laides ne sont bonnes qu'à ruiner, & c'est une petitesse opposée à l'usage de se faire un scrupule là-dessus. Le Voyageur donna à la crainte, ce qu'il devoit à la politique, Ponpon s'approcha de lui, & le baisa si tendrement qu'elle en perdit trois dents que Ma-gakou avala, la Fée enchantée d'un évenement qui mettoit l'Etranger en couroux, leur annonça que les Arrêts du destin le retenoient dans la Grotte, jusqu'à l'instant qu'il remettroit les trois dents au lieu d'où elles étoient sorties. Peste soit de vous, Madame, dit Ma-gakou d'un ton emporté! J'aime mieux périr en m'échappant de cet antre odieux, que d'y retter avantage avec une femme de votre espece. Ponpon irritée de ce discours injurieux; s'éloignant de Ma-gakou, frappa la terre avec sa baguette, & fut transportée dans un bosquet mystérieux, où elle s'occupa à rêver seule sur la conduite de l'Etranger, qu'elle avoit laissé dans la Grotte, & qui s'efforçoit à trouver une issue pour sortir d'un séjour funeste; tentatives inutiles, l'Arrêt étoit porté, & il n'y avoit que le secours de la médecine qui pût lui rendre la liberté; mais par une fatalité singuliere, il n'y avoit pas de Faculté dans un Palais où l'on donnoit tout à la mode & au hazard; Magakou se ressouvint alors que son gouverneur chymiste entê té avoit mangé son bien, à acquerir des connaissances très-vastes dans l'art de fondre les métaux, & il se persuada que Pegadon auroit quelque liqueur divine qui pourroit l'arracher de sa triste situation, en lui faisant évacuer les trois dents de Ponpon, la difficulté étoit d'aller jusqu'à lui, Bavarde le retenoit auprès d'elle, & cette Fée qui avoit un goût déterminé pour les longues conversations, étoit fort éloignée de renvoyer Pegadon. L'Etranger étoit plongé dans ces réflexions, quand Ponpon entra la bouche ouverte faisoit voir une machoire édentée, qui demandoit un remplacement, mais Magakou qui ne pouvoit la satisfaire, la pria avec des instances très-vives, de lui imposer telle autre peine qu'elle jugeroit à propos, pourvû que sa liberté en suivît l'expiation; Ponpon touchée de pitié s'approcha pour baiser de nouveau le Voyageur, Ma-gakou qui appercevoit encore des dents craignit un nouveau malheur, mais l'indulgente Ponpon le rassura, en se les arrachant toutes. Livré alors avec moins de défiance aux caresses de la Fée, il parvient à surmonter sa répugnance, & à mériter sa grace, le Voyageur enchanté de sa conquête, détestoit tous les instans qu'il avoit perdu, Ponpon enfin lui parut charmant, transporté des idées flatteuses qui venoient d'enyvrer son ame, il se jetta aux genoux de la Fée, qui toujours sure de jouir dans le tête-à-tête des suffrages qu'on lui réfusoit en public, voulut bien l'écouter encore; quelle conversation? Que Ponpon y mettoit d'esprit? Ma-gakou n'avoit que le tems d'admirer; & si quel-que fois il vouloit parler, la vivacité de la Fée prévenoit ses réponses, images neuves préparées par la réflexion, mais qui sembloient naître d'un heureux hazard; mouvemens tendres dictés par l'expérience, mais uniquement attribrués à la force de la passion; expressions singulieres acquises par l'usage, & qu'on n'imputoit qu'à la violence d'un sentiment inpétueux. Telle fut la seconde conversation que l'Etranger eut avec Ponpon, honteux de n'avoir pas le tems de dire toutes les jolies choses dont son esprit étoit rempli, il ouvrit une nouvelle carriére à son éloquence, la Fée qui étoit curieuse de sçavoir s'il s'énonçoit avec grace, le laissa parler, mais à peine eut-il proferé trois phrases, que la parole lui manqua, Ponpon qui le fixoit dans cet instant, le fit rougir; envain elle esfaya de lui faire reprendre le fil de son discours en le remettant sur la voie, Ma-gakou interdit ne put poursuivre, & il n'eut que la force d'imputer son silence à l'excès de sa vivacité; ressource usée des mauvais Orateurs, mais à laquelle on ne croit plus. Le Vovageur remis de son étourdissement demanda à Ponpon la permission de prendre congé d'elle; la Fée qui avoit ses raisons pour s'en débarasser, lui donna trois coups sur le revers de la main gauche, qui firent revenir les trois dents qu'il avoit avalé; & par une suite de sa puissance, elle le transporta dans un Salon immense, où elle donnoit audience à tous ceux qui venoient demander des modes, des secrets & des goûts nouveaux. La salle remplie de coquettes, de prudes, de Saldapes & de Bramines, retentissoit des demandes indiscrettes qu'ils faisoient tous à Ponpon uneseule femme parut deplacée dans cette brillante cohue; jeune & belle, elle venoit chercher les moyens de plaire à son époux, Ponpon qui se fit un plaisir de la seconder dans une idée aussi bizarre, lui conseilla de faire rompre son mariage. Après l'audience Ma-gakou demanda son équipage, mais la Fée qui vouloit le faire voyager avec rapidité, fit atteler huit Perroquets à sa Berline, qui le conduisirent dans vingt minutes au Royaume de la Raison. CHAPITRE IX. Comme quoi Ma-gakou arrive à la Capitale du Royaume de la Raison, & se perd dans la Ville, faute de trouver quelqu'un qui pû lui enseigner les chemins. LE Voyageur descendu de la Berline, fit une petite conversation avec ses Coursiers après laquelle il les renvoya. Un Philosophe qui gardoit la porte de la Ville lui fit un accueil très-gracieux; Pegadon voulut s'entretenir avec lui sur les mœurs des habitans, le Sage leva les yeux au Ciel, & quitta les Etrangers, la singularité de ce début excita leur curiosité; car il est bon de dire qu'ils ignoroient où ils étoient. Arrives à la Ville; ils parcoururent une place très-vaste ornée de Maisons, bâties sans faste & élevées de vingt piés au plus, à l'extremité de cette place on voyoit les différens quartiers de la Ville qui paraissoit immense, Ma-gakou qui cherchoit un guide, jetta les veux de tous côtés, sans qu'il pût découvrir personne, la saison étoit très-belle, il se persuada que les habitans de Pays-perdu (c'est le nom de la Capitale du Royaume de la Raison) étoient allés à la campagne, pour y jouir de la promenade ou y voir quelques spectacles curieux, assis sur des bancs mis exprès pour la commodité des Voyageurs, il attendoit que la nuit ramenâtles Citoyens dans la Ville, pour demander un logement quand Pegadon impatient s'avisa de frapper à une porte voisine du lieu où ils étoient; un vieillard ouvrit, & leur offrit sa maison pour azile; las d'être exposés aux ardeurs du Soleil, ils l'accepterent. Le vieillard servit aux Etranger un repas frugal pendant lequel ils leur lut l'histoire de son pays; instruits alors qu'ils étoient dans la Ville de la Raison; la surprise où ils avoient été de la trouver si peu peuplée diminua; Ma-gakou qui vouloit s'instruire demanda s'il y avoit beaucoup de femmes dans ce Pays-Perdu, je me souviens d'en avoir compté jusqu'à trois, répondit le vieillard; mais la mort les ayant enlevé, l'espece manque depuis longtems, & nous n'en voyons plus; une femme est cependant quel-que chose, reprit leVoyageur, & tout pesé, elle est assez necessaire aux plaisirs d'un état, pour qu'on prenne le soin d'en avoir; trop sensés, repartit le vieillard pour ne pas connaître nos besoins, nous sçavons quelquefois les souhaiter, mais où en trouver qui ayent les qualités suffisantes pour acquerir dans cette Capitale les droits de naturalité; j'avoue répondit Ma-gakou que le Japon est d'une très-petite ressource de ce côté-là; mais vous avez l'Europe Pays Fertile qui abonde en femmes raisonnables ... Que dites-vous, jeune Etranger, reprit le sage vieillard, il y a vingt ans que nos Vaisseaux v ont abordé dans la seule vue d'en acheter un nombre assez considérable pour réparer le malheur des tems; mais au nom seul de la Ville la migraine les a surpris, & s'il s'en est trouvé quelques-unes assez courageuses pour entreprendre le voyage, l'air de cette Ville contraire à leur tempérament, les a obligé de reprendre la route de l'Europe, puisse le Dieu qui veille sur cette contrée amener des tems plus heureux? Mais une femme, reprit Magakou qui fait de jolis vers, ou des Romans agréables, n'a-t-elle pas toute la raison qu'il lui faut pour vivre ici, nos correspondans en France, répondit le vieillard, qui ne veullent rien avoir à se reprocher, nous font passer exactement toutes les productions de ces femmes d'esprit; l'envie que nous avons de les trouver telles que notre intérêt l'exigeroit, nous prévient en faveur des ouvrages; mais notre caractére naturel prenant le dessus, nous jugeons avec équité, & nous voyons à regret que la raison sacrifiée à des agrémens frivoles nous prive de tout espoir, folie dans la composition, folie dans les suffrages; nous ne voyons que travers de toutes parts, & nous en sommes éffrayés pour le genre humain. Avez-vous des Auteurs dans cette Ville, dit le Voyageur? Nous n'en comptons plus qu'un; c'est un homme digne de toute la considération que nous lui accordons; Philosophe éclairé, Sage aimable, il s'est acquis par des ouvrages utiles beaucoup de réputation & de fortune, & ce qui vous paraitra rare, ses compatriotes l'estiment, & le voyent triompher sans envie, il y a dix ans qu'il aborda sur cette rive nombre d'Auteurs Européens, les uns avoient des Tragédies nouvelles, les autres apportoient des Opera langoureux, des petits Romans, & surtout beaucoup de piéces fugitives; la précaution qu'ils avoient eue d'amener un Imprimeur, les mit dans le cas de faire paraître leurs productions; un de nos citoyens en acheta un exemplaire, c'est le seul qu'on ait vendu, le reste de l'édition ayant été confisquée comme contraire aux bonnes mœurs, & à la raison, fut déposé dans une Archive publique, & il sert à allumer le bucher sur lequel nous brulons tous les ans l'effigie des Auteurs qui ont écrit contre Brama; gens dangereux seuls cause de la corruption d'un Etat; & quels sont ces Auteurs, demanda Ma-gakou? Puissiez-vous, jeune Etranger, repartit le vieillard, ignorer jusqu'à leurs noms; la curiosité emporte quelquefois le plus sage, & on se perd dans le tems qu'on ne vouloit que s'instruire; c'est ce que je ne cesse de répéter, dit Pegadon, que l'envie de disserter commençoit à gagner. Le vieillard qui avoit ses heures marquées pour le repos, se retira dans un Appartement séparé, en promettant à Magakou qu'il lui montreroit le lendemain touts les curiosités de Pays-perdu, le jour parut à peine que l'Etranger se leva, son premier soin fut de se rendre à la chambre du vieillard, & de lui rappeller la parole qu'il avoit eu la complaisance de lui donner la veille. Le Vieillard sortit, & conduisit d'abord Ma-gakou à la Bibliothèque publique; à ce nom leVoyageur se représentoit un Edifice immense superbement décoré, & orné d'un million de volumes; mais quelle fut sa surprise de ne trouver qu'un cabinet de huit pieds de hauteur sur dix de largeur, où l'on voyoit dans une armoire très-simple environ soixante volumes vieux & presque rongés. Quoi, s'écria-t-il, est-il possible que ce soit là cette Bibliothèque publique que vous nous vantez depuis une demie heure, je m'apperçois, répondit le vieillard, qu'elle me paroît trop nombreuse, mais si vous ne voulez pas être injuste, vous conviendrez à l'inspection du Catalogue, qu'il n'y a peut-être pas quatre ouvrages qui ne soient dignes de trouver place ici; ah Seigneur, repartit Magakou, si jamais le destin vous conduit à Goa, je vous ferai voir la Bibliothèque du dernier des Sujets de l'Empereur qui a des prétentions au belesprit; c'est là où je me fais un plaisir de jouir de votre étonnement: Salle superbe, ornée de figures singulières, & vemie avec art; Livres de tous genres, & si bien conditionnés qu'il y a à parier qu'on ne les a jamais lûs; je n'irai point à Goa, reprit froidement le vieilard. Au sortir de la Bibliothéque dans laquelle je doute que cette histoire se trouve un jour, on mena le Voyageur dans une promenade qui passoit pour la plus belle de la Ville; on n'y trouvoit ni Filles d'Opéra, ni PetitsMaîtres; quelques Citoyens venoient y respirer un air pur dans l'étude de la Nature; comme Ma-gakou s'apperçut qu'on ne payoit pas pour s'y asseoir, il crut que cette promenade étoit trop bourgeoise & sortit pour aller à une Assemblée de l'Académie; la Société Littéraire de Paysperdu est peu nombreuse, le Citoyen qui prouve seize quartiers de Noblesse n'y est reçu qu'autant qu'il unit des talens réels à cet avantage frivole. Quatre hommes occupés à s'éclairer mutuellement dédaignoient ces éloges d'usage qui prouvent moins le mérite de celui qui les reçoit que la complaisance de celui qui les prodigue; leurs discours sagement écrits renfermoient des maximes utiles aux mœurs & nécessaires aux progrès des Sciences, on n'y admiroit point ces tours emphasés ni ces antithèses multipliées qui de Goa sont passés jusqu'aux Académies Provinciales. Ma-gakou sorti du centre des Arts, voulut voir le lieu où l'on rendoit la justice, on le conduisit au Temple de Thémis ; la Déesse seule dans son Sanctuaire n'avoit ni Prétres ni victimes; adorée des Citoyens, aucun d'eux ne venoit l'implorer, parce que la probité & la raison les guidant tous, ils n'avoient pas besoin des secours de la Justice pour être heureux; Magakou visita ensuite quelques Edifices publices qui devoient servir à entretenir l'abondance, & maintenir le commerce, si la Ville devenoit une fois peuplée, content en général de ce qu'il avoit vû à Pays-Perdu, il remercia le vieillard des attentions qu'il avoit eués pour lui, & prit la route du Temple du Bonheur qui n'étoit plus éloigné qu'à deux petites journées de la Ville qu'il quittoit. A peine avoit-il fait quatre milles qu'il arriva dans un Bourg assez considérable, & cent fois plus peuplé que la Capitale de la Raison, les maisons de ce Bourg le disputoient par leur Auteur aux montagnes les plus élevées, voisines de la cime des cieux, elles servoient d'azile à un peuple auquel on doit l'origine des Petits-Maîtres, comme on le verra dans le Chapitre suivant. CHAPITRE X. Comme quoi Ma-gakou se trouve dans le Pays des Silphes, & renonce à Famaga. LE Voyageur trouva à la porte du Bourg une corde qui lui parut attachée a une Cloche trop élevée pour être apperçué, curieux de voir si lé signal qu'il donneroit, attireroit quelqu'un, il tira la corde de toutes ses forces, à l'instant un jeune homme habillé de taffetas couleur de rose, qui avoit l'art de voler sans courir les dangers d'Icare qui n'étoit qu'un Silphe manqué , parut aux regards de vagarou; celui-ci étonné de le voir suspendu en l'air, le prit pour un sauteur de cordes, qui échappé de la foire, venoit s'exercer en Province; après avoir demandé à l'Etranger ce qu'il désiroit il lui proposa de l'accompagner au Palais de Zinzolin Gouverneur des Silphes; Pegadon qui se rappella les cabrioles, craignit un nouvel enchantement dont les suites pourroient encore lui devenir plus funestes, & il fit tous ses efforts pour dissuader son Eléve; mais dompteton la Nature? Ma-gakou qui étoit d'un caractère facile & curieux se rendit aux instances de l'Emissaire de Zinzolin , on le fit entrer avec son Gouverneur dans une galere de liége qui s'élevoit en l'air au gré d'un vent impétueux qui lui étoit communiqué par le secours d'un nombre infini de soufflets pressés par les Silphes, ceux-ci la suivoient pour lui fournir le vent jusqu'au moment qu'elle pût débarquer aux portes du Palais de Zinzolin . Un Silphe banni du bourg pour des raisons que le respect qu'on doit au Séxe ne permet pas qu'on divulgue ici, passa en Europe., où il donna l'idée de cette espece de galere; on prétend même que les premieres épreuves qu'il en fit, en présence de l'Intendant de la Marine aërienne justifierent l'utilité de son projet; quelques mois après ces experiences, deux Auteurs jaloux d'arriver à l'immortalité qu'ils croyoient avoir méritée par des succès mandiés, plus honteux que la chûte même, s'embarquèrent sur une de ses galeres, mais à peine furent-ils à dix-sept toises de hauteur, que ceux qui pressoient les soufflets manquants de force, la galere n'étant plus poussée par les vents, fut precipitée sur la voute de la salle des spectaclesqu'elle enfonça, les éclats dispersés sur le parterre écrasèrent tous ceux qui avoient eu la faiblesse d'applaudir aux Piéces des deux Auteurs; ceux-ci que le destin réservoit sans doute à une punition plus frappante, s'accrocherent à une girouette où ils sont encore; ce sont eux qui, jouets aujourd'hui des Comédiens qui les respectoient beaucoup autrefois, marquent les vents contraires & favorables aux Auteurs, les tems nébuleux de cette année n'ont encore annoncé que des chutes. Zinzolin s'amusoit à jouer aux balons avec deux ou trois de ses favoris, lorsque le Silphe conducteur lui annonça Magakou avec son Gouverneur; quant aux Esclaves de sa suite dont jai oublié de parler depuis quelque tems, vous aurez la bonté de vous imaginer qu'au sortir du Palais de la Fee Ponpon, ils furent submergés dans un fleuve d'ambre, Zinzolin quitta sa partie pour faire lui-même les honneurs de sa Cour; on tint appartement ce jour-là, la Jeunesse la plus brillante des deux Sexes étoit réunie au Palais. Jamais un spectacle pareil n'avoit attiré les regards de Ma-gakou, tous les Silphes empressés lui firent ces révérences qui tiennent plus à l'usage qu'au cœur, les uns voltigeoient autour de lui en répétant un air d'un opéra nouveau, d'autres repassoient à six pieds de terre un pas de Ballet, ceux qui jouoient la Gravité nonchalament assis sur un canapé parloient mal des femmes, & soutenoient qu'il étoit assommant de ne pouvoir vivre avec soi-même à trente ans; que les Silphides étoient d'un empressement auprès d'un galant Homme qui avoit la réputation d'être aimable... & qu'enfin leur objection étoit d'un singulier qui n'avoit l'air de rien. Ceux-là occupés à badiner avec leurs nattes, ou à metre leur rouge, persifloient agréablement des femmes qui se vengeoient des mauvais propos sur la bourse de quelques jeunes Silphes qu'elles ruinoient à la comete en public, & ad'autres jeux enparticulier. Les Maris montés a l'Européenne s'éloignoient avec précipitation à l'aspect de leurs Femmes, & celles-ci qui suivoient le bon usage se consoloient de cette absence avec des Amans qu'elles trahissoient, & qui les trompoient à leur tour, ainsi qu'il est de regle. On proposa à Ma-gakou une partie de Traineaux chez Jupiter, ou chez Saturne; mais il étoit peu curieux de se promener dans les Planettes, qu'il avoit parcouru d'ailleurs dans les Mondes de ce sage éclairé, le Nestor du pinde, la gloire de son Siécle & l'admiration de l'Univers sçavant; & il préfera une partie de Tri, jeu renouvellé des Silphes. Lizibane Veuve du Capitaine général des Galeres du Bourg, trouva l'Etranger de son goût, & par un hazard prémédité, elle fut de la partie; l'amour de la Silphide se manifesta d'abord par la per-te d'un sans prendre avec un jeu sûrceux qui voyoient ses cartes lui reprocherent sa maladresse, mais Lizibane en fixant tendrement Ma-gakou prévint qu'elle étoit depuis quelques instans d'une distraction qui ne ressembloit à rien ; le Voyageur à qui les bonnes avantures commençoient à donner un vernis de fatuité, qu'il ne gardera que trop, vit aisément qu'il étoit l'objet des distractions de la Silphide, & comme elle étoit du premier bien , il la seconda en jouant la tendresse; on croit aisément qu'on est aimé de celui qui nous plaît, Lizibane se persuada que ces charmes avoient fixé Ma-gakou, & la veuve agit en conséquence, plus réfléchie sur elle-même, elle eut moins de distraction, mais elle n'en joua pas mieux, toute à l'aimable Voyageur, elle touchoit vingt fois ses mains dans un quart d'heure, sous le prétexte de l'aider à amasser les cartes, tantôt feignant d'être mal assise, elle étendoit ses piés sur ceux de Ma-garou, qui répondoit du même ton, & tous deux rougissoient, la Silphide qui marquoit les tours, abregéa la partie en suprimant un tiers, impatiente de se voir seule avec l'objet de son ardeur naissante, elle alloit le mettre dans le cas de lui offrir sa main, quand un des Pages de Zinzolin annonça que l'Opera alloit commencer, Lizibane qui n'avoit pas prévû ce contre tems, se repentit d'avoir racourci la partie, & comme le spectacle ne se donnoit que pour l'Etranger, elle se détermina à y aller, l'Opéra qu'on soupçonnoit être de Zinzolin tomba, celui-là en attribua la chute au Musicien, le Musicien l'imputa au Poëte, la vérité est que tous deux y avoient contribué, mais qu'aucun ne vouloit se charger des désagrémens de la chute; les Acteurs qui étoient tous desSilphes de condition qui jouoient l'Opéra pour s'amuser en ennuyant les autres, avoient aussi travaillé de leur côté à l'anéantissement de l'ouvrage; Zinzolin qui n'avoit qu'un seul Musicien dans son Bourg, ne se vangea que des Acteurs qu'il exila en Europe, où ils s'unirent à des femmes aimables qui prirent les mœurs des Silphes; c'est à cet événement qu'on doit rapprocher l'origine des Petits-Maîtres & des Caillettes; la chute de l'Opéra avoit dérangé tous les projets de Zinzolin, le souper fut aussi triste que ces parties fines où l'on s'ennuye en croyant s'amuser beaucoup; le feu d'artifice qui réussit mal acheva de désespérer le Gouverneur des Silphes: fatigué des autres & de lui-même, il supposa qu'il étoit malade, & donna par-là congé à toute sa Cour. Lizibane enchantée de l'événement demanda la main de Ma-gakou qui la reconduisit dans son palais; mais comme il ne sçavoit pas marcher dans les airs, & que la Silphide avoit des raisons pour ne point l'exposer dans une galere, elle le fit monter à son appartement par le moyen d'un panier dans lequel Ma-gakou entra: arrivé chez Lizibane, se mettre à ses genoux, lui jurer qu'il l'adoroit, & devenir heureux, fut l'effet d'un moment, mais quel bonheur? Ponpon que le voyageur avoit trouvé fort aimable dans la conversation, n'étoit qu'une begueule indolente en la comparant à la Silphidé, emporté dans les airs avec elle, il ignoroit dans la volupté la plus délicate, qu'il existat quelqu'un sur la terre: Bourg heureux, s'écrioit - il dans ses transports qui préviennent un doux anéantissement, Silphes charmants, c'est à vous que mon ame doit des plaisirs qui lui étoient inconnus, Lizi-bane se livroit aux mêmes acclamations, & trouvoit que le seul Ma-gakou parloit mieux que les Orateurs les plus éloquents du bourg, les Silphes sont amusans dans leurs propos, mais toujours entrainés par le premier objet, ils ne peuvent trauter solidement une matiere, l'Etranger plus habile avoit le talent de tout affronter, & Lizi-bane quoique pétite maîtresse aimoit beaucoup les hommes pénétrans, c'est sans doute à ce même gout que Ma-gakou dut l'offre qu'elle lui fit de partager sa fortune avec lui, le voyageur comblé de la proposition l'auroit acceptée sur le champ, s'il avoit eu l'art de voler, Lizi-bane le rassura bientôt en lui annonçant que tout homme qui s'unissoit à une Silphide par des liens indissolubles, devenoit Silphe au moment de son mariage, soit intérêt, goût ou curiofité, Ma-gakou jura qu'à son retour du lemple du Bonheur, il épouseroit Lizibane, & pour se conformer à l'usage des Silphes, il scella son serment de son sang, que la Silphide avoit eu la complaisance de lui tirer elle-même de la prunelle de l'œit gauche, tout autre sang n'engageant à rien par les Loix de l'Etat, Lizibane munie de cette promesse sacrée, fit descendre l'Etranger dans le panier, & engagea Pegadon qui étoit resté à terre & avec lequel elle s'étoit entretenue par le moyen d'un porte-voix, de faire le reste de leur route à pied; le Gouverneur en fit la proposition à son Elève qui l'accepta, le chemin étoit court, & on le faisoit avec d'autant plus de plaisir qu'il conduisoit au terme. CHAPITRE XI. Comme quoi Ma-gakou arrive au Temple du Bonheur, & ce qu'il y voit. APrès une route tranquille, le Voyageur parvint aux avenues du Temple du Bonheur, un Berceau de citroniers soutenu dans l'air par les Ombres de ces hommes durs qui avoient préféré d'entasser leurs trésors au plaisir sensible de soulager les malheurs, ce Berceau disois-je, conduisoit à la porte du Temple où le Dieu du Bonheur étoit adoré; une Simphonie agréable ne suspendoit ses concerts que pour faire place à des voix mélodieuses qui célébroient leur félicité sur des airs différens, mais toujours gracieux, là on voyoit un Financier couché sur un lit d'or, & occuper tous ses momens à compter l'argent que ses Commis lui apportoient, ici c'étoit une jeune femme qui avoit eu le secret de persuader à son mari qu'elle étoit vertueuse, & qui jouissoit du fruit de son éloquence dans les bras d'unMilitaire aimable, plus loin on appercevoit un Auteur qui sembloit transporté du succès d'une Tragédie nouvelle, à côté c'étoit une Coquette à qui vingt amans venoient tour-à-tour prodiguer l'éloge & la tendresse, vis-à-vis on admiroit un jeune Officier dont le front ceint de laurier bravoit les dangers & les disgraces; ailleurs on voyoit un essain de Petits-Maîtres occupés à lire les billets de leurs Maîtresses, les femmes qui étoient dans le Temple leur faisoient des mines, & paraissoient demander une place dans le Catalogue. On examinoit plus loin des Philosophes qui brisant des vases dorés, se faisoient un plaisir de médire du genre humain en méprisant les richesses & les plaisirs; près d'eux des Ministres aimés du Peuple, & Favoris de leurs Maîtres, comptoient d'un air riant les graces qu'ils avoient accordées;..... ........... .......... .......... .......... ........... Il se trouve ici une lacuné qui n'ayant pas permis au'Traducteur de détailler le reste des heureux, pourra égayer l'imagination de ses Lecteurs à qui on veut bien permettre d'y suppléer: CHAPITRE XII. & dernier. Comme quoi on moralise en faisant semblant de rire. J'Ignore les propos que Ma-gakou tint à Pegadon, mais je sçais que son Gouverneur lui parla ainsi. Qu'il m'est dur, Seigneur, de vous voir prendre ce ton fat la, ressource des Sots, & l'admiration des femmes perdues; contemplez ce Temple, & cedez à l'Empire de la Raison, tous ces gens que vous trouvez heureux, vont se démasquer à vos yeux, souffrez que j'arrache le bandeau & jugez-les. Ce Financier qui vous parut au faîte du bonheur, ne jouit pas de sa fortune, le passé lui donne des remords, & l'avenir jette dans son cœur une allarme qui lui ôte ce repos qu'il affecte; la femme de ce mari complaisant brave dans le sein du plaisir des loix du devoir & de l'hymen, mais dort-elle tranquille; la crainte d'uner infidélité la désespére; l'amour de son époux fait le supplice de son cœur, l'Auteur enyvré de ses succès n'est content qu'à vos yeux, assez raisonnable pour juger qu'il ne doit son triomphe qu'à la cabale, il est dévoré de ses regrets que l'ainé voudroit cacher, mais qui percent par la force de la vérité, c'est Pradon applaudi qui envie le sort de Racine qu'on abandonne, la Coquette trouve son tourment dans les choses qui la flattent, indignée sécretement des travers de ceux qui la pourchassent elle préféreroit un ami qu'on acquiert par un mérite réel, à ce tas d'Adorateurs qu'elle ne doit qu'à ses mines, le Militaire couronné des Palmes de Bellone, ne les soutient qu'en tremblant, la jalousie des courisans, l'envie de ses camarades, & les caprices du sort l'inquiettent; plus occupé à se soutenir dans le cœur d'un Prince qui l'aime, que contre les ennemis de l'Etat, il ne voit partout que des précipices qui lui cachent le bonheur dont il devroit jouir, les Petits-Maîtres malheureux même par le cas qu'on fait d'eux, sont presque toujours assez sages pour déplorer leurs propres écarts, ennemis de la mode qui les asservit, ils voudroient quelquefois quu leur fût permis de penser, pour devenir raisonnable impunément; ces Philosophes ne sont que de faux sages qui ne combattent les passions, que lorsqu'ils ne peuvent plus s'y livrer; Sénéque a composé son Traité du mépris des richesses sur une table d'or. Les Ministres comptent les graces qu'ils ont accordées, mais assez malheureux pour craindre la voix du peuple, ils sont encore plus sensibles à ses vaines déclamations, qu'aux éloges des adulateurs qui les environnent, & qui les trahissent presque toujours. Concluez de-là, Seigneur ... A ce moment Pegadon & son éléve furent enlevés dans les airs par huit Silphes qu'on présume que Lizi-bane avoit détachés à cet effet; point d'impatience, on ne tire que douze mille exemplaires de cet ouvrage, & à la seconde édition, on pourroit bien apprendre les suites d'une Histoire aussi intéressante. FIN. Zamaël est le Collége le plus considérable de Goa, c'est là où des Bramines moestes apprennent à leurs Eièves le Grec & le Caldéen qu'ils ne doivent jamais parler, ou l'Histoire de l'Empire des Cambrisiens qu'il est inutile qu'ils connoissent. Ce sont les Armes de l'Empereur du Japon qui sont brodées sur les siéges des Saldapes. C'est ce qu'on appelle à Goa un premier Domesuique, & en Europe un Gouverneur. * Usage etoit à Goa par l'Empereur Ana-Kigazai qui ayant eu le bonheur de toucher cinq fois du pouce de la main gauche la prunelle de l'œil droit de l'incomparable Princesse de Bestanga, ordonna en mémoire de cet événement que les fils au lieu de toucher à l'avenir la main de leur peres, seroient obligés de baiser cinq fois le pouce de leur main gauche, ou de mordre le talon du pied droit de ceux qui n'auroient pas le pouce requis par la Loi. * Les Japonnois croyent que les Animaux & en particulier les Chevaux ont une ame semblable à la nôtre, pour justifier cette créance ridicule, ils citent les quatre vers suivans de la Phédre de Racine traduite en Japonnois par une Interprête qui ne sçavoit pas la Langue Françoise. Ses superbes Coursiers qu'on voyoit autrefois Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix, L'œil morne maintenant, la tête baissé, Sembloient se confarmer à sa triste pensés. C'est à cet orage funeste que Zo-gonik le Corneille des Japonnois attribue l'origine de sifler les mauvaises Piéces, comme on le verra dans le détail de circonstances de cette époque. * On n'avoit pas encore placé des Satellites dans les Parterres du Japon, quand l'Auteur composa ce Chapitre; ainsi on dira à l'avenir que le Parterre tranquille par la force des armes, deviendra un lieu respectable sitôt qu'il aura acquis les connoissances nécessaires pour juger. Le grand Ki-bilou , ce fameux Etymologiste qui a balancé longtems la réputation de Menage, prétend que c'est de cette punition que la Fée a pris le nom de chicorée ; le cas est trop embarassant à résoudre, le Lecteur trouvera bon que dans des matières de cette importance je le renvoye aux Originaux. * Nous jugeons par ce trait, que si l'Auteur & le Traducteur avoient eu une figure avantageuse, ils auroient discretement supprimé le proverbe. * Quoique Rousseau ait été condamné par un Arrêt respectable comme Auteur de ces mêmes Couplets, il seroit injuste de conclure qu'il les a réellement faits, quand on aura des preuves du contraire. Rousseau absent ne pouvoit renverser les dépositions des témoins sur lesquelles les Juges doivent prononcer; mais les piéces justificatives trouvées à sa mort assurent son innocence. Boindin qui avoit des raisons personnelles pour croire Rousseau coupable, a prouvé que ce grand homme n'a jamais fait les Couplets. * Le goût des Français n'approchoit-il pas un peu de celui des Fées? * L'Auteur part de-là pour assurer que suivaut les régles d'un calcul exactement combiné; la Fée avoit 48 ans, vous le sçavez bien Mesdames. * C'est depuis cet événement, que l'usage des évantails a passé en Europe; s'ils n'ont point, comme ceux de Ponpon, la vertu de transporter un homme dans une Grotte, nos Dames leur connaissent des avantages qui menent plus surement au même but. Il est aisé de voir que Ma-gakou n'avoit pas voyagé en Europe; & surtout.... devinez le reste, si vous êtes assez raisonnable pour convenir que vous ne l'avez jamais été. Voici pour vous confirmer dans cette idée, des discours prononcés aux Académies d'An****, de N**, de R**, &c. &c. &c. _ _ _ _ _ _ _ _ Rien n'est plus en état de contribuer à l'accroissement des beaux Arts, que l'Etablissement des Académies; mais il en est des Lettres comme des Plantes, ce qui croît en pleine terre en Italie, ne végéte à Paris que par les secours réitérés d'une chaleur etrangère; tirez de là une conséquence juste; & croyez que bien des petites Provinces où nous voyons des Sociétés Littéraires, ne peuvent jamais parvenir à saisir ce vrai goût qu'on ne trouve que dans la Patrie des Arts; l'Auteur de cette histoire n'étoit surement d'aucune Académie, mais le Traducteur qui est intéressé à penser différemment, croit que la remarque est trop générale; il citeroit même des autorités puissantes, s'il ne craignoit que la modestie de ses amis n'en fût blessée, les beaux-esprits sont si délicats sur cet article, qu'on ne sçauroit trot les ménager. Zu-li-zo-pu-ka-ché, l'Auteur le plus célèbre du Japon, prétend dans le centvingtneuviéme volume de l'histoire des galanteries de l'Impératrice Si Zagama qui mourut à quatorze ans, que c'est dans ce même fleuve que tous les Petits-Maîtres de Goa alloient se baigner, pour acquérir le droit de donner des maux de tête aux maris incommodes dont ils vouloient se défaire, sans doute dans l'intention........ Le feuillet a été déchiré en cet endroit par une femme dont le mari n'aimoit pas l'ambre.