OPUSCULE D'UN CÉLÉBRE AUTEUR EGYPTIEN. CONTENANT L'HISTOIRE D'ORPHÉE, PAR LAQUELLE ON POURROIT SOUPÇONNER QU'IL EST PEU DE FEMMES FIDELES. A LONDRES. M. DCC. LII. AVERTISSEMT. UN de mes amis ayant hérité d'une Terre, il a trouvé dans le Château une ancienne Bibliothéque, qu'on n'avoit peut-être pas visitée depuis plus de soixante ans, parmi un tas de Livres rongés par la poussiere il s'est rencontré un Manuscrit Egyptien qu'il m'a montré: je l'ai lû, & je lui en ai rendu compte. Il m'a prié de le traduire; je l'ai fait: il veut maintenant le faire imprimer malgré toutes les raisons que je lui donne pour ne pas donner au Public un Ouvrage si mauvais & si peu utile: j'avertis donc tout Lecteur que c'est contre ma volonté que cet Ouvrage verra le jour. S'il m'en croit, il s'en tiendra à la lecture de cet Avertissement, par-là, il évitera l'ennui dont je voudrois le sauver, si la curiosité prévaut, qu il ne s'en prenne qu'à à lui seul; a mon égard me voila à l'abri de sa mauvaise humeur, & peu m'importe de la maniere dont il jugera d'un Opuscule dont le sort devoit être la pâture des Rats. LETTRE De M. le Comte de *** à M. le Duc de ***. Vous allez être content, Mosieur, je vous envoye la Traduction de ce vieux Manuscrit Egyptien que vous trouvâtes l'année passée dans votre Bibliothéque: je ne veux pas m'en faire un mérite auprès de vous, mais la peine que cet Opuscule m'a couté est inconcevable. Il y avoit des feuilles entieres presqu'effacées par le tems, & je ne scai si je n'ai pas mal deviné plusieurs endroits, peut-être interprétés loin du sens de l'Auteur; quoiqu'il en soit, j'ai remplis mes engagemens, & je me trouverai fort heureux si je puis contribuer à votre amusement, & par - là vous prouver l'attachement sincere & inviolable avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur, Votre très-humble & très-obéissant Serviteur. OPUSCULE D'UN CELEBRE AUTEUR EGYPTIEN. NE' de parens assez riches pour jouir des commodités de la vie, trop sages pour désirer tout ce qui tendant au faste, ne sert souvent qu'à troubler la tranquillité de nos jours, assez honnêtes gens pour s'être acquis avec justice cette réputation de probité qui fait la satisfaction la plus réelle de ceux qui la méritent, je de vois être heureux; je jouinois d'une vie paisible: les passions n'avoient jamais eu d'empire sur mon cœur, l'ambition n'avoit jamais empoisonné les douceurs de mon sommeil, ni mêlé l'amertume dans les plaisirs innocens qui occupoient mon oisiveté, l'avouerai - je? je n'étois pas content. Il manquoit quelque chose à mon bonheur: l'uniformité de ma situation me levenoit insipide: mon ame s'ennuyoit de son indolente enveloppe; insensible à tout, elle ne goutoit qu'imparfaitement le plaisir de l'existence; les passions sont des défauts sans doute lorsque portées à l'excès elles conduisent l'esprit au point de se méconnoître, qu'elles l'absorbent sous le poids de la matiére, & qu'elles lui enlévent enfin les facultés de son essence; mais au contraire, quand leur empire n'est pas despotique, les impressions de désirs modérés, portent à l'ame cet agrément de variété seul capable de la satisfaire: ce mouvement qui conduit au bien être, me manqua aussitôt que j'eus perdu la divine Zeleusis; qui auroit pû me tenir lieu d'elle? Sa mort m'accabla; je tombai dans le désespoir; mon ame fatiguée de ce corps dont les organes immobiles s'opposoient à son bonheur, voulant se délivrer d'un poids si onéreux pour retrouver d'ame d'une femme de la perte de laquelle je ne pouvois me consoler, profita de la liberté que lui avoit donnée la divine Osiris de se dépouiller de la matiére qui l'embarassoit, & de se purifier par cette séparation. Elle prit donc son essort, & abandonnant les parties terrestres qui l'environnoient, elle suivit le sort des esprits, & s'élevant tout-à-coup au-dessus de ce qui étoit étranger à son espece, elle se trouva dans le séjour des Ames qui séparées de leur individu jouissent du bonheur de la liberté, débarassées des liens qui les retenoient antérieurement attachées à l'humiliante nature. Je parcourus en un instant cette immensité de vuide qu'occupent les substances spirituelles: rendues à elles mêmes, elles sont heureuses: les peines attachées à l'humanité dont elles font la comparaison avec l'indépendance de leur existence présente, ajoutent aux douceurs de leur être cette satisfaction dont jouit le Nautonier, qui rendu au Port malgré l'orage après avoir cent fois envisagé les horreurs de la mort, voit impunément de dessus la rive les efforts inutiles des flots, qui un moment auparavant menaçoient de l'ensevelir. Le seul désir qui m'embarassoit étoit de rencontrer l'ame de l'adorable Reine d'Egypte; j'errois de tous les côtés pour y parvenir: j'en vis une qui voltigeoit, je la joignis; mais hélas ce n'étoit pas Zeleusis: c'étoit celle qui autrefois occupoit le corps d'Orphée. Je m'attachai à la considérer; elle s'arrêta & me parla en ces termes: Iu vois en moi la substance divine qui présidoit à l'Etre du Chantre de la Thrace, né d'Apollon & de Clio. La Divinité puissante que nous adorons donna aux organes du corps dans lequel j'habitois cette disposition nécessaire à la perfection des talens. En peu de tems je devins le plus habile Musicien de la Thrace; ma voix enchantoit les cœurs, & le son de ma lyre remplissoit les esprits de cette aimable volupté qui ne laissant plus de place à aucune autre sensation suspend les chagrins les plus violens. Je ne bornois cependant pas là les dons que le Ciel m'avoit prodigué, l'étude de la Philosophie faisoit ma plus chére occupation, & je ne regardois la Musique que comme un amusement propre à rassembler les esprits dissipés par un travail plus abstrait. Cet Art que j'avois poussé à sa perfection, s'il est possible à un mortel d'y atteindre, délassoit mon imagination & renouvelloit pour ainsi dire à mes organes leur aptitude aux impressions de l'ame: mon premier soin fut de connoître le principe de ma création. L'existence me paroissoit si précieuse, que je ne pouvois comparer à rien l'obligation que j'avois à l'Etre supérieur qui en étoit la premiere cause; je voulus approfondir toutes les obligations que j'avois au Créateur, la vérité se présentant à mon esprit par degré, j'apperçus le rayon de lumiere qui y conduit. Je ne vis plus ces Etres malfaisans & imparfaits qui induisent les hommes au mal & qui les entraînent. Je ne vis plus cet assemblage défectueux de crimes, de vertus, de bonté, de caprice, enfin le caractere odieux qu'on imprime à ces Divinités payennes & fantastiques qu'on s'étoit efforcé de me persuader supérieures en tout à mon espece; je ne vis plus dis-je dans Taikma qu'un Etre bon, parfait, insusceptible d'aucun défaut, un Etre qui ne m'avoit produit à la lumiere que pour faire ma félicité; enfin je conçus tout le bonheur de le servir. Je ne fus pas longtems sans comprendre que la vertu est le seul bien après lequel on doit soupirer. J'étois rempli de cette idée lorsque le fils de Vénus se présenta à moi avec tous ses charmes, ce Dieu parla à mon cœur, il l'inspira, & sa victoire fut complette. La charmante Zirphée fut la premiere qui conduisit mes pas encore chancelans sur le chemin des plaisirs: elle n'avoit point cette beauté dont l'élégante régularité inspire plutôt le respect que l'amour: elle n'en plaisoit que d'avantage; les graces l'avoient formée pour être aimable, tout peignoit en elle le sentiment, & ce même sentiment répandu sur son visage donnoit un heureux préjugé de la tendresse de son cœur. Je l'aimai: que ce mot exprime foiblement l'ardeur de l'amour que j'avois pour elle; peu accoutumé au désir de plaire, je craignois de ne pas réussir; la timidité me donnoit cet air de contrainte qu'on prend si souvent pour la modestie, & qui ajoute de nouveaux charmes à la jeunesse, Zirphée vouloit être aimée, mais elle craignoit l'amour : ce Dieu pour se vanger de son insensibilité lui fit partager avec moi la flamme qui me consumoit: trop sensible pour ne le pas paroître; elle me donnoit en tout tems la préférence sur mes rivaux. Elle prêtoit une oreille attentive à mes chansons, elle les écoutoit avec plaisir & cherchoit à les apprendre: quelquefois elle me faisoit l'aveu de sa tendresse, bientôt elle rougissoit, & son trouble m'assuroit de la vérité de ses paroles: l'amour qui nous enflammoit s'augmentant par dégré, nous ne fûmes pas longtems maîtres de nous cacher nos sentimens: elle ne me laissoit plus ignorer ceux qu'elle avoit pour moi sans être épouvantée de son aveu, elle me le répétoit & se trouvoit soulagée par cette confidence; depuis que je vous connois , me disoit-elle un jour, j'aime la solitude, les louanges que donnent les autres hommes à ma beauté ne me touchent plus ... Ah mon cher Orphée si vous me trouvez belle, que m'importe leurs suffrages! Le vôtre ne me suffit-il pas, puisque je vois tout dans vous seul: mon amour ne peut être plus grand, il fait mon bonheur, puissiez-vous le partager avec moi; je désire trop ardemment pour ne pas craindre... Arrêtez Belle Zirphée, m'écriaije, cessez d'accabler par vos soupçons l'Amant le plus tendre; si vous m'aimiez comme vous le dites ne me croiriez-vous pas digne de vous, & le serois-je si je cessois jamais de vous aimer? Ah détournez de votre esprit cette pensée qui me fait injure: rendez plus de justice à ma fidélité, & connoissez mieux la puissance de vos charmes; non, vous ne m'aimez pas, continuai je; peut-être un autre occupe - t - il dans votre cœur une place qui n'est due qu'à ma tendresse: en effet, ne m'en avez vous pas cent fois refusez le prix. Cruelle Zirphée vous êtes insensible à ma douleur, mes larmes ne vous touchent pas. J'en répandois pendant ce dialogue: attendrie par ces propos, ma Maîtresse avoit les yeux baissés, sa respiration précipitée m'étoit une preuve de l'agitation de son ame; son cœur palpitant me donnoit un heureux préjugé de l'effet de mon discours: je voulus en recueillir le fruit; je pris sa main tremblante; je la portai à ma bouche, je la couvris des baisers les plus amoureux; bien-tôt revenu de mon extase je levai les yeux pour chercher les siens, & y lire mon bonheur: mais quel fut mon embarras quand je la trouvai évanouie. Les pâleurs messagères de la mort n'étoient pas peintes sur son visage, il sembloit seulement qu'elle dormoit. Peu accoutumé à ces sortes d'événemens, son état m'effraya: aller chercher du secours, c'étoit trop risquer. Quel parti prendre? Je crus que le feu qui me consumoit pourroit rappeller ses esprits: je colai sur sa bouche un baiser de flâme; ce premier expédient ne m'ayant pas réussi, j'en essayai plusieurs autres; le Dieu cause de cet accident m'inspira, je suivis son conseil, & bien-tôt ma Maîtresse revenant à elle-même: Ah cruel, s'écria-t-elle, que t'avois-je fait pour profiter de ma foiblesse. Crains la colere de Diane, protectrice de l'innocence: sans doute elle se vangera sur toi du crime que tu viens de commettre, & moi malheureuse, que vais-je devenir: comment oserai - je paroître devant les hommes après m'être rendu l'objet de leur mépris!Appaisez votre colére, belle Zirphée, répondis-je, pardonnez une faute que vous ne regarderiez pas comme telle, si vous aviez pour moi les mêmes sentimens que j'ai pour vous: ne craignez pas Diane, ne brûlat-elle pas des mêmes feux pour Endimion, & put-elle résister aux traits de l'amour: qu'avons-nous à appréhender, puisque ce Dieu m'inspire, il nous protégera sans doute:les yeux de ma maîtresse étoient cependant baignés de larmes, elle ne me répondoit rien, & je voyois avec chagrin les marques de la douleur répandues sur son beau visage. Je commençois moi-même à me repentir d'avoir suivi les conseils de ma passion, lorsque Zirphée me regardant tendrement sembla me demander de me rendre une seconde fois coupable; j'obéis: mais loin de m'attirer sa colére: Mon cher Orphée, me ditelle, que je serois heureuse, si je pouvois compter sur votre constance, cette vertu me seroit d'autant plus agréable en vous qu'elle est rare dans les autres hommes. Pour moi je sens que je vous serai toujours fidèle, rien ne pourra jamais me faire changer: j'en atteste les Dieux témoins de notre bonheur réciproque, ils sont trop justes pour ne me pas punir si je devenois parjure; ah puissent sur moi les Divinités épuiser les supplices du Tartare, m'écriai-je aussitôt si je cesse un instant de vous adorer, oui je vous adore, c'est l'hommage qu'on doit aux Dieux, & vous êtes la seule Mortelle qui ressemble parfaitement à Vénus. Le crépuscule du soir qui préparoit à l'obscurité, mit fin à notre conversation, & nous obligea de nous séparer, non sans répandre des larmes & nous promettre de renouveller nos plaisirs. Le matin les vit renaître comme le soir les avoit vû finir. L'aimable volupté se présentant à moi avec tous ses charmes, je concevois alors toute la reconnoissance que je devois à l'amour. Cet agréable commerce dura trois mois: pendant cet espace de tems nos desirs loin de s'affoiblir prenoient de nouvelles forces: j'aimois Zirphée, elle partageoit l'amour que j'avois pour elle; pouvoit-il manquer quel-que chose à mon bonheur. L'inconstance seule pouvoit v mettre obstacle; mais hélas, Zirphée que j'adorois, qui m'avoit cent fois juré l'amour le plus tendre, devint parjure. Je la trouvai un jour triste & rêveuse: Qu'avez - vous belle Zirphée, lui dis-je, vous craignez de me regarder; je ne vois plus en vous cette tendre amante prête à me faire éprouver de nouveaux plaisirs; ne suis-je donc plus digne de votre tendresse; ai-je fait quel-que chose qui puisse vous déplaire? parlez, je sçaurai punir le coupable; je préférerois la mort à votre indifférence: elle me regardoit d'un air interdit, & son silence ne me prouvoit que trop son changement: vous ne me répondez pas, continuai-je, vous m'assurez donc que je suis le plus malheureux de tous les hommes; c'en est assez, vous voulez ma mort, vous serez contente: croyez-vous que je puisse survivre à votre infidélité. Ne m'accusez pas, repliqua-t'elle: si je suis inconstante, m'en croyez-vous la cause? l'Amour conduit mon inclination à un autre objet; j'aime Iphis: ce jeune Berger a sçû l'emporter sur vous: cet ascendant qu'il a sur moi part de la Divinité qui a sçû nous unir; vous devez respecter ses decrets: c'est elle qui parle, obéissez: il faut nous séparer, & laisser le champ libre au nouveau vainqueur. Croyez-vous que je puisse vous obéir, cruelle Zirphée, m'écriai-je; non, je vous suivrai par-tout, & je troublerai du moins les plaisirs de mon rival, si je ne puis être assez heureux pour vous toucher. Votre conduite ne serviroit qu'à m'irriter, reprit la parjure avec vivacité, & loin de conserver pour vous aucun sentiment de tendresse; je vous regarderois comme un tyran qui me deviendroit odieux; oubliez-moi, si vous pouvez, & sur-tout ne me voyez jamais.Elle n'eut pas plutôt prononcé ces derniers mots qu'elle s'éloigna de moi. Je restai alors dans une situation peu facile à être définie; j'étois, pour ainsi dire, accablé sous le poids du chagrin qui me dévoroit. Zirphée infidèle, me disois-je en moi-même, Zirphée qui craignoit mon inconstance, qui me juroit, il va peu de jours, un amour éternel, elle est heureuse & je languis: pourrai-je survivre à mon infortune! Non, sans doute, mais si je succombe, je veux entraîner dans ma perte un rival odieux; je percerai le sein de l'Amant & de l'Amante & je mourrai content: mais je m'égare, reprenois-je aussitôt, oublions cette inconstante Maîtresse, les justes Dieux puniront son parjure par le repentir, & je serai vengé. Monesprit agité flottoit ainsi entre le desir de la vengeance & le mépris; le tems mit fin à l'embarras de mon ame, je commençai alors à jouir de cette aimable sécurité, heureux fruit de l'indifférence, les doux plaisirs de l'étude avoient succédé à toute autre passion: je me félicitois de mon retour; plus j'envisageois les peines de l'Amour, plus je chérissois mon état présent; je vouois aux Muses un culte détaché d'aucun autre sentiment; je bravois l'Amour, il me paroissoit n'avoir plus aucune puissance sur mon ame; que je connoissois peu ce Dieu! il sçut bientôt me prouver son empire sur les cœurs. Euridice étoit charmante, on ne pouvoit la voir sans l'adorer; mais le respect qu'on avoit pour elle épouvantoit l'Amour. Elle étoit l'image de la sagesse; cette aimable naiveté, simbole de l'innocence, étoit peinte sur son visage. Elle plaisoit parce qu'elle ne se soucioit point de plaire: elle n'étoit point semblable à ses compagnes: celles ci demandoient les suffrages, & sembloient les exiger: Euridice, au contraire, étoit redevable de sa beauté à la seule nature; son esprit trop supérieur pour n'être pas simple, étoit toujours au niveau de ceux à qui elle parloit: on sortoit d'auprès d'elle pénétré d'amour - propre; elle pensoit pour les esprits médiocres, & leur approprioit ses pensées: elle raisonnoit avec ceux dont l'imagination plus élevée approchoit davantage de sa perfection: les Dieux enfin en la formant avoient voulu donner une preuve de leur puissance. J'allois souvent les soirs pour me délasser des fatigues de l'étude de la journée, me promener dans une prairie: là je cherchois à rassembler mes esprits dissipez par le travail, en répétant sur ma Lyre les airs les plus agréables; les jeunes filles de cette contrée venoient écouter mes chansons, & Euridice s'y trouvoit quelquefois avec ses compagnes, elle m'animoit par sa présence, & sembloit prendre plaisir à mes concerts. Je m'apperçus bientôt de l'effet que produisoit sur mon cœur les charmes d'Euridice, je voulus me servir de ma Philosophie pour conserver l'état d'indifférence dont je faisois tant de cas; vains efforts, eit-il possible de résister à l'amour? La raison est un foible obstacle à ses progrès: l'expérience même de sa fatalité ne put rien contre sa puissance. J'aimois Euridice, mais je l'aimois trop pour oser espérer. Je devins triste, & la maladie de mon ame plongea bientôt mon corps dans un anéantissement presque total. Je cherchois la solitude, je fuyois tout ce qui n'étoit point Euridice, je la cherchois partout: lorsque je la trouvois, sa présence m'inspiroit l'amour & le respect, & ces deux sentimens se combattant mutuellement me plongeoient dans les réfléxions les plus cruelles. Rien n'est plus affreux sans doute que d'aimer sans espérance de retour. Le propre de l'amour vertueux est d'inspirer la timidité. Plus on estime l'objet aimé, plus on craint & moins on espere: Euridice s'apperçut de mon accablement.Un jour que je me promenois à l'écart rêvant à la situation de mon ame, elle m'aborda: Orphée, me ditelle, vous êtes plongé depuis quelques tems dans une tristesse continuelle: quels sont les chagrins qui agitent votre ame? Votre lyre ne raisonne plus que de languissans accens: vous cherchez la solitude; mes compagnes étonnées de votre changement, me chargent de vous en demander la cause: cruelle Euridice, repartis-je aussitôt, ne pouvez-vous lire dans mes yeux les sentimens de mon cœur; je jouissois de la plus douce tranquillité. Cet état si désirable repandoit dans mon ame l'aimable sérénité qui paroissoit sur mon visage, ce n'est plus cela: j'aime, & quel objet est ici digne d'amour que vous-même, pourriez-vous vous y méprendre.... Je ne pus continuer, les larmes coupérent ma respiration, & perdant connoissance, je ne revins à moi que quel-que tems après par les soins que prit Euridice elle-même de me rappeller à la lumiere. Ah cruelle, lui dis-je, pourquoi me rendre une vie, qui ne peut m'être que désagréable, si vous refusez de vous intéresser à mon amour: votre état me fait pitié, repartit Euridice; mais que vous serviroit-il que j'eusse pour vous les mêmes sentimens que vous avez pour moi. La vertu s'oppose à votre bonheur, n'espérez jamais que je manque aux loix qu'elle m'impose, cessez de m'aimer Orphée, laissez-vous guider par la sagesse, je veux bien même vous avouer que je ne m'opposerois point à votre amour si cette Déesse y pouvoit consentir.Je voulus ramener Euridice, mais confuse de son aveu elle s'échappa, & ma foiblesse ne me permit pas de la suivre. Cependant les dernieres paroles de cette adorable personne m'avoient donné quel-que espérance, je voulois m'unir à elle par les liens les plus sacrés, & rien dans mon amour ne pouvoit allarmer sa pudeur: je cherchai donc l'occasion de lui déclarer mes sentimens, mais elle évitoit avec un tel soin de se trouver seule avec moi que je fus fort longtems sans pouvoir y réussir: j'y réussis enfin. Je l'apperçus assise au bord d'une Fontaine; je m'approchai, elle voulut encore m'échapper: je la poursuivis; je la joignis, & me jettant à ses genoux, vous voulez donc ma mort, lui dis-je, ç'en est fait, vous allez me voir expirer à vos pieds si vous ne consentez pas à mon bonheur: ma passion n'a rien de contraire à l'austére vertu que vous vous êtes imposée; je veux m'unir à vous par les liens les plus indissolubles, allons aux pieds des Autels de Minerve: c'est-là où je veux vous jurer une foi éternelle. Euridice étonnée de mes transports ne s'opposa pas à mes désirs: elle y mit cependant pour condition que nous irions consulter l'Oracle de la Déesse, & que nous obéirions absolument à ses ordres: elle m'accompagna au Temple, l'Oracle fit une réponse conforme à nos vœux. Nous nous jurâmes mutuellement un amour constant. La vertu seule fait naître des plaisirs parfaits. Je n'ai jamais mieux reconnu cette vérité que dans cet instant. Je jouissois d'un bien que les remords ne rendoient point amer: j'aimois, & la pureté de mon amour lui donnoit de nouvelles forces, une félicité si parfaite ne pouvoit pas durer longtems; les Dieux jaloux de mon bonheur sçurent m'en priver bientôt, le Soleil avoit à peine parcouru les douze signes du Zodiaque depuis notre union, qu'un Roi voisin de la partie de la terre que nous habitons, ayant entendu vanter les charmes d'Euridice , se travestit & voulut en juger par lui-même. Il la trouva si belle qu'il voulut la posséder. Il la fit enlever un jour qu'elle se baignoit dans une Fontaine, une de ses compagnes qui en fut témoin vint m'annoncer cette triste nouvelle: j'en pensai mourir de douleur, & je fus quelques instans accablé sous le poids de mon chagrin, je formai d'abord cent résolutions plus violentes les unes que les autres & qui tendoient toutes à m'arracher la vie; enfin je m'arrêtai à celle-ci, je pris le parti d'aller trouver le Roi, cause de mes malheurs, ne doutant pas que touché par mes larmes, il ne me rendît Euridice; je par vins à son Falais; je me jettai à ses pieds; je les embrassai & je le suppliai en répandant un torrent de larmes de ne pas me séparer d'une épouse qui m'étoit plus chere que la vie, & de rendre Euridice à ma tendresse, la vraie douleur a une éloquence d'autant plus persuasive, qu'elle est fille de la vérité: elle fit l'effet que j'en avois attendu, le Roi touché de mon amour me permit de voir Euridice & de la ramener avec moi: mais il y mit pour condition que je ne ferois valoir auprès d'elle que mon amour & non les droits d'époux, que pouvois-je désirer de plus! persuadé de la vive tendresse de mon adorable Euridice, je m'en cru déja possesseur; je volai à son appartement, bien persuadé de son consentement, mais quelle fut ma surprise lorsque loin de me montrer ces empressemens si naturels quand on a été longtems séparé d'un objet chéri, elle me reçut avec l'abord le plus glacé. Je lui rendis compte de la grace que le Roi m'avoit accordée, & je la pressai de me suivre: Orphée, me dit-elle, je vous ai aimé, & je vous aimerois sans dou-te encore si je ne connoissois pas le Prince qui nous a séparé; mais un penchant invincible m'entraîne vers lui, & je ne pourrois vivre si j'en étois éloigné, pardonnez cependant mon inconstance; je voulus repliquer, ne m'accablez pas, poursuivit-elle, de reproches inutiles, oubliez Euridice, elle ne mérite plus les tendres sentimens que vous aviez pour elle: à ces mots les Gardes qui étoient restés présens à notre entrevûe m'obligèrent de sortir, & me laissèrent hors des portes du Palais livré au désespoir le plus affreux. Je revins dans mon pays transporté de fureur, là je formai la résolution de détester toutes les femmes, persuadé qu'il ne pouvoit en avoir de fidéles; je fuyois tous les lieux où elles se trouvoient & je les évitois avec soin. Le mépris que j'avois pour elles fut cause de ma mort: un jour qu'elles célébroient les fêtes de Bacchus, elles me trouvèrent au pied d'un arbre chantant sur ma Lyre les douceurs de la paisible indifférence, & les dangers de l'amour; animées par le Dieu qui les inspiroit & par la haine qu'elles avoient pour moi, les Bacchantes me déchirèrent & emportèrent avec elles chacune une partie de mon corps. Tel fut le récit que me fit Orphée de ses malheurs, & de sa fin déplorable. J'allois lui dire combien l'Histoire qu'il venoit de me rapporter m'avoit touché; mais l'apparition imprévûé de l'adorable Reine d'Egypte me coupa la parole, & me fit tressaillir de tant de joie & de plaisir, que toutes mes sensations se tournèrent du côté de cet objet chéri. Je vous retrouve donc enfin, ô ma chere Zeleusis, lui dis-je, après vous avoir tant pleuré; vous souvenez-vous encore de l'infortuné Phares: en perdant la vie n'avez - vous point perdu le souvenir d'un époux qui vous fut si cher, & auquel vous en avez donné tant de marques précieuses. Non Phares, non mon époux bien-aimé, reprit l'ame de mon adorable femme, votre image trop chère a toujours été présente à mon esprit, si vous cherchiez à me rejoindre, je n'étois de mon côté sans cesse occupée que du désir de vous retrouver pour ne plus être jamais séparée de vous; mais hélas ce même amour dont je brûlai sans cesse pour vous y avoit mis un obstacle invincible: rappellez-vous ce jour terrible où je pensai vous perdre, ce jour affreux où combattant ces fiers ennemis de l'Egypte qui vouloient envahir ces vastes Royaumes, vous fûtes précipité de votre char par le géant Tanfocles, vous me fûtes rapporté tout couvert de blessures & prêt à expirer dans mes bras. O Phares, apprenez un secret que je vous ai toujours caché; je portois dans mon sein le dernier soupir de Calbalis, ce premier demi-Dieu de l'Egypte à qui nous devons l'ouverture des bouches du Nil, il m'avoit été transmis par la Reine Kelmalis ma mere qui les tenoit aussi de la sienne: ce Talisman précieux a la vertu de retenir l'ame dans le corps de celui qui le porte quelqu'accident qui lui arrive. Vous alliez mourir; je n'hésitai point; je profitai du seul moment qui vous restoit pour vous sauver la vie; je détachai le cordon où pendoit le alisman & vous le mis au col; à peine y fut-il attaché que vous reprîtes la connoissance & que j'expirai dans vos bras: oui, cher époux, je voulus par le sacrifice que je vous fis dans ce moment de ma vie, vous convaincre combienvous étiez aimé; mais, hélas! que n'ai je point souffert depuis cette cruelle séparation, mon ame plaintive n'a gouté depuis ce moment que la fatale douceur de s'applaudir de vous avoir conservé la vie, & de vous avoir donné une preuve si complette de mon amour.... A peine Zeleusis achevoit-elle ces mots, que Phares jetta un cri de joye & expira: pénétré de reconnoissance & d'amour, il n'avoit pas plutôt entendu quel étoit l'obstacle qui l'empêchoit de se réunir pour jamais à une épouse si tendre, qu'il détacha avec précipitation le cordon où étoit pendu le Talisman & le jetta loin de lui. Enfin s'écria-t-il en mourant, je vais donc être pour jamais avec vous, divine & chére Zeleusis: en effet le corps de Phares tomba, & son ame se trouva réunie à celle de la Reine d'Egypte: la belle Zeleusis pénétrée du sacrifice & de la reconnoissance de son époux, alloit lui dire les choses les plus tendres, quand le Ciel s'ouvrit tout-à-coup avec des éclats de foudre & un million de feux & d'éclairs qui sembloient annoncer le bouleversement de toute la nature. L'ame timide de Zeleusis vouloit s'enfuir & appelloit déjà celle de son époux, une voix sonore, mais douce, leur dit: Arrêtez, ô couple fidèle dont la constance & les vertus méritent des autels. Dans le même moment que ces paroles se prononçoient, les nuées se fendirent, un char environné de rayons brillans dont de foibles Mortels n'auroient pû soutenir l'éclat, parut dans les airs: Approchez, Phares, & vous admirable Zeleusis, modéle des femmes de votre séxe, continua la voix, venez jouir l'un & l'autre de la gloire que vos vertus vous ont méritée, que vos ames rentrent dans ces deux corps que vous voyez sans vie à mes pieds, ce sont les vôtres, pour ne les jamais quitter, pour être éternellement heureux & pour vous aimer toujours, apprenez que je suis Anubis, si connu sous le nom de Calbalis, un décret de la destinée m'avoit promis d'être immortel, pourvû qu'après avoir une fois perdu la vie, la Sultane entre les bras de laquelle je mourois recueillît mon dernier soupir, l'enfermât dans un cœur de cristal préparé pour cet effet, me restât fidéle, & que la vertu de ce Talisman cessât par un sacrifice réciproque de la vie en connoissance de cause, dans ma postérité: cette épouse fidéle a commencé; son tendre amour pour moi lui a fait perdre la vie pour la conserver à une fille unique de mon sang qu'elle sçavoit que j'aimois tendrement. Cette fille chérie, ô Zeleusis, étoit votre mere, vous sçavez que pour vous rendre immortelle elle a cessé de l'être: tant d'actions héroïques ont assuré pour jamais mon bonheur & celui de tout ce qui m'est cher; venez en jouir, venez dans les bras de votre ayeule & d'une tendre mere, prouver à la Postérité que les Dieux récompensent toujours les vertus quand les hommes s'attachent à les aimer, & qu'ils placent leur félicité à les pratiquer. FIN. (a) Ce n'est pas sans des recherches infinies, qu'on est parvenu à apprendre le nom de ce Philosophe, qui a été dans les suites Roi d'Egypte. On a trouvé dans un Manuscrit qui étoit dans le carré de la toilette de la Reine Brunchault, qu'il s'appelloit Phares; qu'à l'âge de 15 ans il se jetta dans le Nil, parce que Zeleusis Reine d'Egypte, dont il étoit éperdument amoureux, lui déclara qu'elle ne donneroit jamais son cœur & sa Couronne qu'à un mortel qui auroit dix pieds de hauteur: il n'en avoit que six, il se crut exclus pour jamais, & ne connoissant de bonheur dans la vie que celui de posséder la Belle Zeleusis, il voulut mourir: heureusement pour lui qu'un vieux Mage se baignoit dans le fleuve quand il s'y précipita: il fit encore mieux que de le sauver; après l'avoir rendu entiérement à la vie en le faisant revenir d'un long évanouissement, il exigea pour prix d'un si grand service, l'aveu de l'importante raison qui avoit obligé le jeune homme à chercher la mort. Phares la rapporta: le Mage sourit, & lui dit que le véritable amour ne trouvoit rien d'impossible, & que l'artifice devoit tenir licu de la réalité. Phares frappé d'une lueur d'espoir se prosterna aux pieds du vieillard en le priant d'ajouter à tant de bontés de sa part celle de lui servir de guide dans une occasion où le bonheur de sa vie étoit attaché; mais, ô prodige! à peine achevoit-il sa priere, que le Mage devint tout-à-coup diaphane, disparut & se perdit dans les airs. Phares frappé de cette merveille, adora l'Auteur de l'Univers, & conçut que la Divinité sous la forme d'un Mage lui avoit apparu: il se retira dans un bois prochain, & après trois ans de méditation sur les moyens de paroître aux yeux de la Princesse dans l'état désiré, il s'avisa enfin de s'attacher aux jambes deux bâtons, avec lesquels il s'exerça si bien qu'il courut au bout de six mois avec autant de vîtesse que l'homme le plus dispos. Sûr de son fait par des expériences réitérées, il se fit faire une longue simare, & un jour que la Reine d'Egypte étoit à la chasse, où elle poursuivoit un cerf, il se mit à le suivre, & le fit avec tant de légéreté & de bonheur qu'il l'arrêta par le bois, & donna à Zeleusis le plaisir de le prendre vivant. Cette action vigoureuse acheva ce que le premier coup d'œil avoit commencé. La Reine que la haute stature de Phares avoit déja touchée; le reconnoissant alors, céda au vif penchant qui agissoit en faveur du jeune homme, & sans lui faire aucune question sur le prodige qui d'un homme ordinaire en avoit fait un géant: elle lui tendit la main, le nomma Roi d'Egypte & l'épousa: il a régné près de cent ans en Egypte sous le nom de Pharaon, & l'on apprend par un Hiéroglyphe de ce tems-là qu'il se conduisit avec tant d'adresse, que ses peuples ont toujours été dans la confiance qu'il étoit un géant, & qu'ils ont toujours ignoré l'artifice qui entretenoit leur illusion. On apprend par le même Manuscrit que Phares est l'inventeur des Echasses. (a) Osiris étoit fils de Jupiter & de Niobé, & mari d'Io si célébre par la maniere dont Jupiter l'enava; il l'épousa lorsqu'elle se rendit en Egypte pour se dérober aux persécutions de Junon, qui ne lui pardonna jamais l'amour qu'elle avoit inspiré au maître des Dieux son époux. Il a fallu bien des recherches pour parvenir à expliquer ce passage: la Fable ne nous apprend point qu'il vait eu une Déesse du nom d'Osiris, mais de quoi la patiere ne vient-elle pas à bout? en consultantl'Auteur de l'Histoire de Lamekis, il nous a fait part d'un Manuscrit Egyptien, par lequel nous apprenons que l'Osiris dont il est ici parlé est une fille d'Osiris fils de Jupiter, laquelle acquit l'immortalité pour avoir guéri Junon d'une indigestion. La Déesse fut si reconnoissante de ce service, qu'elle pardonna en cette considération à Osiris: c'est à cette Déesse qu'on doit l'invention de la Seringue, & c'est la véritable raison qui lui fit élever des Autels en Egypte. L'embarras où je me trouvai en lisant dans le Texte de mon Auteur la Déesse Osiris, Divinité qui ne me paroissoit pas avoir été connuë des Egyptiens en qualité de femelle, me détermina à m'adresser à un de mes amis, homme fort éclairé sur les Antiquités, & Sçavant du premier ordre, il me donna la note que l'on vient de lire; mais malgré son autorité je ne puis m'empêcher de croire que c'est une faute du Copis-te qui aura sans doute écrit la Déesse Osiris au lieu du Dieu Osiris qu'il devoit mettre; en effet Diodore de Sicile raconte dans son Histoire Universelle Edition in-folio imprimée en 1604. page 18. la mort de ce Roi de maniere à ne nous pas laisser douter de son séxe, il dit que pendant qu'Osiris régnoit en Egvo-te & selon l'équité des Loix, Typhon son frere, homme violent & impie le tua & divisa son corps en vingt-six parties dont il en donna une à chacun de ceux qui avoient conjuré avec lui, pour les engager par-là, en les rendant également coupables, à le soutenir dans la possession du Royaume d'Egypte qu'il usurpa; mais Isis femme & sœur d'Osiris & son fils Orus vangerent sa mort & firent mourir Typhon & tous ses Conjurés, après les avoir vaincus. Isis ramassa toutes les parties du corps de son mari hors celles que la pudeur cache, qu'elle ne put retrouver, parce qu'aucun des Conjurés n'avoit voulu s'en charger; pour cacher la maniere dont elle desiroit l'ensevelir & rendre en même tems son tombeau célèbre & recommandable dans toute l'Egypte, elle eut recours à cette adresse. Elle fit faire autant de figures de cire mêlées d'aromates & de la grandeur d'Osiris, qu'elle avoit trouvé de parties de son corps. Elle mit une de ces parties en chaque figure, & appellant chaque Société de Prêtres en particulier, elle leur fit jurer qu'ils garderoient le secret sur la confidence qu'elle alloit leur faire. Là-dessus elle assura chacune de ces Sociétés qu'elle l'avoit préférée à toutes les autres pour être la dépositaire du corps entier d'Osiris; qu'ainsi c'étoit à eux à le porter dans le lieu qu'ils desservoient, & à se charger de son culte. Quelques Auteurs prétendent avec assez de fondement que toutes les parties séparées d'Osiris avoient été jettées dans le Nil par les Conjurés, & qu'Isis s'étoit servi, pour les retirer, d'un filet & d'un croc, ce que paroissent confirmer la plûpart des figures d'Isis qui nous restent de l'Antiquité, sur l'épaule desquelles on remarque la représentation d'un filet, & qui portent à leur main celle d'une espéce de crochet. Voyez Kircher, Œdipus Egiptiacus & le Voyage de Chaw. (b) La Déesse Osiris qui aimoit tendrement les peuples de l'Egypte, à cause du zéle avec lequel ils entretenoient son culte, leur accorda le privilége de quitter leur corps quand ils en seroient embarrassés, & à leurs ames de parcourir l'immensité des Cieux pendant un siécle. Ces heureux peuples jouirent de ce précieux droit; mais Aspalis ayant perdu la belle Bezaline qu'il adoroit, par la piqûure d'un Aspic qui s'étoit malheureusement trouvé dans une corbeille de fleurs dont il lui avoit fait présent, ce tendre amant en fut si pénétré qu'il voulut se percer de son poignard, mais une main divine l'arrêta. Il reconnut alors Osiris, qui lui dit de se dépouiller de son corps & de faire passer son ame dans celui de sa maîtresse qu'il ranimeroit par-là: Aspalis transporté suivit le conseil de la Déesse, & devint femme. Dans le moment que ce prodige s'opéroit, l'ame de Bezaline qui n'avoit pas cessé depuis la séparation de son corps d'être autour de son amant, voyant ce que venoit de faire pour elle le fidele Aspalis, passa dans le corps qu'il venoit d'abandonner. En faveur de ce miracle d'amour la Déesse permit aux Egyptiens de suivre un si bel exemple. (a) On trouve écrit dans l'Histoire qui a pour titre les Amusemens des Dieux, les merveilles que la douceur des sons d'Orphée opéra dans tous les lieux où son destin le conduisit. Voici quelques particularités sur ce sujet qui ne sont pas connués. Orphée entrant un jour dans une grande Ville où l'on solemnisoit la fête de son pere Apollon, lil se sentit épris d'un si grand zéle, qu'après avoir fait trois cullebuttes au milieu de la place, où toute la Ville étoit assemblée, il prit sa lyre & en tira des sons si pressans que trois mille huit cens femmes grosses que la solemnité du jour y avoient attirées y accouchèrent à la fois en chantant l'hymne du divin Orphée. Ce prodige fut suivi d'un autre, à peine les nouveaux nés furent-ils délivrés, qu'ils se prirent par la main, & dansèrent un Rondeau autour du Chantre de la Thrace. Le peuple persuadé par cette merveille qu'Orphée étoit un Dieu, l'enlevèrent & le placèrent pour l'adorer au-dessus d'une Tour. L'Auteur remarque habilement que c'est cet événement qui a donné lieu dans les suites de placer des chœurs dans les Tragédies, & autrefois ils étoient chantés par des enfans. A la sortie d'un sombre bois dans lequel Orphée s'étoit enfoncé un jour pour faire un sacrifice à Priape, il trouva dans la plaine deux armées qui en étoient aux mains. Il crut devoir unir sa lyre aux instrumens de guerre qui excitoient les troupesau combat. A peine en eut - il touché que tous les arbres de l'épaisse forêt qu'il venoit de quitter accoururent & se mirent à danser, les armées effrayées de ce prodige voulurent s'enfuir, mais la mer voisine qui avoit été aussi attirée par ces sons merveilleux arrivant à grands flots les submergea, & sans la main d'Apollon, Orphée en auroit été englouti: dans son effroi il demanda au Dieu son Pere que la Nature fût à l'avenir insensible à ses chants, & c'est depuis ce tems que ces prodiges tant vantés n'eurent plus lieu. (a) Tous les Philosophes ont prétendu que le rayon de lumiere dont il est ici parlé, est une de ces pensées innées qui ne deviennent efficaces qu'autant que des méditations profondes les développent, mais c'est un pur galimathias; voici le mot de l'énigme. Il y avoit un Temple en Egypte consacré à la Vérité. Il étoit élevé dans un labyrinthe, peu de Mortels en connoissoient les détours; au lever du Soleil on prétendoit que le troisiéme de ses rayons en indiquoit la route, & c'est de ce rayon qu'Orphée prétend ici parler. (a) Les Egyptiens croyoient que Taikma étoit le Dieu Chef de toutes les Divinités & le Créateur de l'Univers. Ils prétendoient qu'il ne l'avoit créé que pour le rendre heureux, & qu'à la fin du monde tout ce qui existe auroit une sensation propre à goûter le bonheur. (a) Rien de plus malheureux qu'un Mortel qui se croit délivré des préjugés: il veut en vain le persuader, il se décéle en proposant sans cesse les doutes & les remords qui l'accompagnent en tous lieux. Il n'y a pas longtems qu'un de ces prétendus esprits-forts, se trouvant à l'extrêmité, déclara hautement que dans le fond du cœur, il avoit toujours crû à la Justice Divine, & que c'étoit par air & pour se faire considérer qu'il avoit toujours voulu la nier. (a) Le portrait que fait ici Orphée de sa premiere Maîtresse est bien peu ressemblant. Zirphée étoit la fille du Berger Coridan si célèbre par ses malheurs: elle étoit vaine, artificieuse & l'une des plus coquettes de la contrée: c'étoit par vanité qu'elle feignit des complaisances pour Orphée: elle ménageoit dans ce tems-là trois amans ausquels elle faisoit accroire que chacun d'eux étoit le préféré. (a) Toute femme qui écoute & qui répond, veut qu'on lui parle encore & qu'on espère davantage. On a répété tant de fois à ce séxe imprudent que tout amant est unséducteur, un trompeur qui cherche à le surprendre; d'où vient donc que tant de femmes sont séduites & qu'elles s'en plaignent? Est-ce qu'il y a du plaisir à être trahies, ou seroit-ce un prétexte pour s'en consoler avec un séducteur plus aimable! (a) Une Princesse du Pérou née extraordinairement curieuse s'avisa un jour après son dîner de se jetter sur son sopha & de feindre d'y dormir, un jeune Ecuyer qui par les devoirs de sa Charge ne la quittoit jamais s'éloigna d'abord par respect: la jeune Princesse fâchée de cette retenué changea d'attitude, mit son beau bras pardessus sa tête, sous lequel elle entrevoyoit sans être vue le jeune homme; une partie de ses charmes l'attira auprès d'elle, il étoit dangereux de les considérer: il alloit hazarder un baiser, il s'étoit mis à genoux pour le dérober, la Princesse en fut si émué qu'elle s'évanouit.... (a) Rien de plus adroit que cet-te manière de confoler une jeune personne qui se reproche d'abord une foiblesse; l'exemple prouve si bien que lorsque la galante Rasimé monta sur le Trône de Bagdad, toutes les femmes de la Ville qui jusques-là ignoroient jusqu'au nom de l'amour, devinrent si sçavantes dans ses mystères qu'avant la fin de l'année elles en donnoient des leçons publiques. (a) La premiere condition que met une femme en pareil cas, c'est qu'on lui sera fidéle, & se propose pour exemple pourquoi? C'est qu'elle croit dans ce moment son état le plus heureux; mais à peine a-t-elle réfléchi sur les circonstances de son bonheur qu'elle conçoit qu'il pourroit l'être davantage: l'impossibilité de la chose avec un seul amant qui peut venir à manquer, fait qu'elle assigne d'abord la survivance de son cœur, & cela se fait sans y penser. (a) Oui du côté de Zirphée, mais à l'égard de l'Amant, pure présomption de sa part. La preuve en va suivre. La Bergere qui en jugea bien plus sainement prit ses mesures pour que ses plaisirs ne souffrissent pas du déchet. C'est Orphée lui - même qui va nous l'apprendre (a) Denys le Tyran en dit un jour autant à la femme d'un Sénateur qui avoit eu quelque complaisance pour lui, & qui s'en repentant ne vouloit plus le revoir. Elle lui répondit, Mourez si vous en avez le courage, nous y gagnerons tous deux. Le Tyran étonné reparit, il n'y a qu'une femme capable de répondre avec cette inhumanité. (a) Les Egyptiens prétendoient que l'Amour étoit de toutes les Divinités la principale, & leur opinion étoit qu'il falloit céder au penchant qui entraînoit, à moins qu'on ne voulût encourir l'indignation de cette Divinité. (a) Eloge outré. Il n'y a point de femmes jolies qui ne s'occupent du soin de plaire & de celui d'être aimées. Laodice Prêtresse du Temple de Delphes, la plus sage de toutes les femmes comme la plus belle, étoit deux heures tous les matins à sa toilette pour être vuë deux minutes, d'un jeune Ministre du Temple qui en étoit épris, & auquel elle n'accorda jamais que cette faveur. (a) M. de Voltaire tout admirable qu'il est, n'a peut - être jamais écrit une plus jolie phrase; ce n'est point là du persifflage comme nos écrits modernes en sont remplis; tout est aujourd'hui vernis, plus ou moins beau, le reste est misère & pauvreté. (a) La véritable Philosophie n'est pas de raisonner mais de s'éloigner des occasions qui mettent en danger le cœur ou la probité. Le mot de Philosophe doit signifier un mortel plus rempli d'orgueil & d'amourpropre qu'un homme ordinaire: j'ai examiné, considéré, étudié, ceux qui se sont crûs Philosophes & qui se le disent, je n'ai trouvé que des sots qui ne croyent ni ne pratiquent aucune des maximes dont ils font le pompeux étalage. (a) On sera peut-être étonné que ceci soit contraire aux sentimens des Poëtes, qui prétendent qu'Euridice fut piquée par un Serpent, qu'elle mourut de cette blessure, qu'Orphée la retira ensuite des Enfers, & la reperdit par son imprudence. Mais je prie le Lecteur de faire attention que je ne suis précisément que le Traducteur; je laisse à juger qui a tort ou des Poëtes ou du Manuscrit Egyptien qui me sert d'original.