Mémoires de Suzon, sœur de D... B...., portier des Chartreux, écrits par elle-même ; où l'on a joint la Perle des plans économiques ou la Chimère raisonnable. Anonyme Londres, 1778 PRÉFACE. Ces Mémoires n'auroient jamais vu le jour, si j'avois pu résister aux instances d'une personne à qui j'ai les plus grandes obligations & avec qui je passe une vie paisible & agréable. Que dis-je ? Vous n'auriez jamais connu, mon cher Comte, le dépôt que m'a confié mon amie, si vos bontés pour moi & vos procédés généreux n'avoient excité ma confiance. Dès que je vous les eus communiqués, vous me fîtes voir si clairement combien ils pouvoient être utiles aux jeunes personnes, qui ne sont jamais assez en garde contre les séductions des hommes, pour résister à tous les piéges qu'ils leur tendent, que je me déterminai enfin à les rendre publics : mais il est bon de vous instruire, cher Lecteur, comment ces Mémoires sont tombés entre mes mains. Ce fut au moment où Suzon partoit pour ce lieu affreux, dont la vue seule effraie les passans, où l'œil ne voit qu'horreur, où les cris perçans des malheureuses victimes qu'il renferme dans son sein, déchirent les entrailles des personnes les moins sensibles, que je reçus ce cher dépôt. Tiens, me dit mon amie que de cruels satellites arrachoient de mes bras & de ceux de son frere Saturnin, reçois ce gage précieux de mon amitié... Les malheurs de Suzon ne devoient finir qu'avec sa vie... Plût à Dieu que ce dernier malheur termine ma carriere... Sa douleur, sa beauté dont rien n'avoit pu, pour ainsi dire, ternir l'éclat, auroient adouci les tigres les plus furieux : mais que des satellites, en exécutant les ordres dont ils sont chargés, aient jamais témoigné la moindre compassion, ce phénomene surprendroit avec raison. Ces monstres ne pourroient jamais faire leur cruel métier, si en endossant l'habit qu'ils portent, ils ne se dépouilloient de tout sentiment d'humanité. Dans la crainte qu'ils ne soient pas capables au besoin d'exercer les plus grandes cruautés, leurs chefs n'emploient que des hommes qui se sont la plupart signalés par des forfaits. Mais revenons à ma chere Suzon. Cette tendre amie étoit déjà loin de moi, & il me sembloit encore que je la voyois me tendre les bras ; mes cris, mes sanglots se faisoient entendre jusques dans la rue, où le peuple attroupé insultoit encore au malheur de mon amie. Je voulois fuir de ce lieu d'horreur ; mais les forces me manquerent. Je sentis mes jambes chanceler sous moi, bientôt une sueur froide me couvrit tout le corps. Enfin, je tombai sans connoissance sur le plancher. La quantité de monde qui étoit dans notre rue excita la curiosité du Comte de C qui passoit par hazard dans ce moment : il s'informa de ce qui étoit arrivé, désirant de savoir d'où partoient les cris qu'on lui dit avoir entendus, il se fit jour au travers de la foule & parvint jusques dans ma chambre. J'étois alors entourée de cinq ou six femmes qui employoient tous les secours que leur imagination pouvoit leur suggérer, pour me tirer de l'état où j'étois. Le Comte voyant le peu d'efficacité de tous leurs remedes, sortit de sa poche un flacon qui contenoit un élixir si spiritueux & si salutaire aux personnes qui se trouvent mal, que j'en eus à peine sur les levres que la connoissance me revint aussi-tôt. Le Comte fut la premiere personne qui frappa mes regards. Quelle fut ma surprise, en voyant un Seigneur dont l'air noble & majestueux en imposoit aux femmes qui m'entouroient, oublier lui-même son rang & sa qualité, pour me procurer des secours ? Que de noblesse il montroit dans ses regards ? Que de sensibilité son visage annonçoit Combien sa voix étoit propre à remettre le calme dans mon ame Il me parut, en un mot, un Ange descendu du Ciel, pour me retirer de l'abîme où mon malheur m'entraînoit. Consolez-vous, Mademoiselle, me dit le Comte de C ; ce qui vient de vous arriver, loin de rendre votre sort malheureux, va peut-être le faire changer de face, sur-tout, si vous voulez être sage. Je veux vous mettre pour toujours dans le cas de n'avoir rien à redouter des caprices de la fortune. Je vais, au sortir d'ici, vous louer un appartement que je ferai meubler par mon tapissier, & je viendrai moi même ce soir vous chercher pour vous y conduire, & vous en rendre la maîtresse. Ce discours me surprit tellement que je ne trouvai point d'expressions pour remercier ce Seigneur de cette générosité inattendue. La profonde révérence que je fis, indiquoit seulement que la proposition ne me déplaisoit pas. Le Comte s'en contenta & sortit un instant après, sans paroître étonné de mon silence. Quant à moi, quoique toujours affligée de la perte de mon amie, m'occupai à faire un paquet de mes hardes. Dans le moment que ce généreux Seigneur sortoit de ma chambre, la vieille Sibylle, chez qui nous étions, ma chere Suzon & moi, & qui m'avoit débauchée de chez mes parens, entra aussi rassurée depuis le départ des Archers, qu'elle avoit paru effrayée à leur arrivée. Elle me demanda si la personne qu'elle venoit de rencontrer sortoit d'avec moi, & quel bénéfice sa visite avoit produit. Un très-grand, Madame, lui dis-je, aussi-tôt, le babil m'étant revenu, je lui fis le détail de sa douceur & de sa sensibilité, & je n'omis pas sur-tout de lui parler de la proposition qu'il m'avoit faite de m'entretenir. Il y avoit trop long temps que je désirois de quitter cette méchante femme, pour chercher à adoucir le chagrin que devoit lui occasionner notre séparation. Malgré tous les soins qu'elle prit pour cacher la douleur que lui causoit cette nouvelle, elle en étoit trop étonnée pour qu'elle pût me voiler une partie de son trouble. À la fin cependant, faisant un effort sur elle-même, elle me dit avec une sorte d'intérêt : tu n'as pas surement eu la folie de refuser une proposition aussi avantageuse. Je te l'avois toujours bien dit, ma chere Rosalie, que je serois la cause de ton bonheur. Je te crois trop raisonnable pour ne pas convenir que tu n'aurois jamais dû, ni pu prétendre à un pareil sort, si tu fusses restée chez tes parens. Reproche-moi donc, me dit-elle d'un ton mielleux, de t'avoir arrachée des bras de ta famille ? Elle auroit encore parlé plus long-temps, selon sa louable coutume, que je n'aurois pas prêté plus d'attention à ce qu'elle disoit. J'étois trop occupée de tout ce qui venoit de m'arriver, pour répondre à cette femme, dont le caquet m'avoit de tout temps ennuyée. Voyant à la fin que par mon silence je paroissois faire peu de cas de tous ses discours, elle réveilla mon attention, en me rappellant que nous avions un compte à régler ensemble. Je le sais, Madame, lui dis-je, & soyez bien persuadée que je ne sortirai point de chez vous, que vous ne soyez satisfaite. Les Meres Abbesses de ce pays ont toutes la sage précaution que les filles qui sont chez elles leur doivent, afin d'avoir un prétexte pour les retenir. J'avois affaire à une femme qui savoit trop bien son métier, pour être exceptée de la regle générale : je ne m'attendois pas, à la vérité, en me rappellant les profits que j'avois faits, être redevable d'une somme bien forte. Le contraire cependant arriva. J'eus beau crier : il en fallut passer par tout ce qu'on voulut. En un mot, le mémoire fut arrêté. Sur le soir le Comte arriva, ainsi qu'il me l'avoit promis ; il me gronda de ce que je paroissois toujours affligée, Reprenez, Mademoiselle, me dit-il, reprenez votre gaité : votre amie n'est pas perdue pour vous. J'aurois même déjà obtenu sa liberté, si la maladie qu'elle a ne s'y étoit opposée. Je vous promets qu'elle sera libre aussi tôt après son entiere guérison. J'appris alors de mon cher Comte que Suzon n'avoit été prise, que parce qu'elle avoit donné la vérole à un jeune homme de famille, & que ce jeune homme avoit porté des plaintes à la Police contre elle. Cette nouvelle me fut d'autant plus agréable, que j'espérois faire part de mon bonheur à mon amie, & qu'elle me prouvoit que mon cher Comte commençoit déjà à chercher des occasions de me faire plaisir. Il m'assura, en des termes qui me peignoient son amour, qu'il auroit pour moi tant d'égards & de complaisances, qu'il espéroit bientôt bannir de mon esprit tous les chagrins que j'avois éprouvés. Ce qui vous surprendra peut-être, cher lecteur, c'est que personne n'a jamais été plus exact à tenir sa parole. D'abord il paya tout ce que je devois ; il poussa même le désintéressement jusqu'à vouloir que le paquet qui renfermoit mon linge & mes habits, fût donné à mon hôtesse. Mais j'étois bien éloignée d'y consentir. Je voulois que ces mêmes habits, en me rappellant l'état d'où j'avois été tirée, servissent aussi à me faire ressouvenir de mes devoirs. Tout fut donc porté, selon mes desirs, dans le carrosse du Comte, qui nous attendoit à la porte, & qui nous mena au fauxbourg S. Germain, où mon appartement avoit été loué. Les meubles qui le garnissoient étoient simples, mais propres & choisis avec goût. Ce ne fut que quelque temps après mon arrivée dans ce quartier, que j'examinai tout ce qui composoit mon mobilier. J'avois passé ce jour-là par trop d'épreuves différentes pour faire une remarque. Mes domestiques n'étoient point nombreux. Aurois-je pu désirer plus de monde pour me servir, qu'un laquais, une femme de chambre, & une cuisiniere ; moi, qui la veille me serois trouvée au comble du bonheur, si je m'étois vue une simple servante à mes gages ? Je tairai tout ce que leur dit le Comte pour les engager à être exacts à leur devoir, afin de ne point ennuyer le lecteur par mille détails inutiles ; & je vais passer à la maniere dont se termina la soirée. Nous soupâmes de très-bonne heure ; pendant tout le repas, mon amant chercha, par tant d'agaceries, à faire renaître ma joie, que je ne pus m'empêcher de rire à quelques-unes de ses folies. Il auroit été impossible, quand il m'en auroit beaucoup coûté pour me contraindre, de ne pas au moins affecter un air gai. Les complaisances & les attentions du Comte exigeoient sans doute ce sacrifice. Nous étions à peine sortis de table, que vis mon amant se disposer à se retirer. Quoi de si bonne heure, lui dis-je, M. le Comte ? Oui, ma chere Rosalie, me répondit-il ; vous devez avoir besoin de repos ; demain je pourrai, sans vous incommoder, rester plus long-temps avec vous ; mais il y auroit du danger pour votre santé de le faire aujourd'hui. Mettez-vous au lit dès que je serai sorti, & tâchez de bien dormir. Aussi-tôt il vint m'embrasser, & se retira. Avec quelle surprise je le vis partir malgré toute la bonne opinion que me donnoit de lui une conduite aussi retenue, j'étois bien éloignée de penser qu'un Seigneur riche, aimable, âgé de vingt-deux ans, pût avoir autant d'égards & de ménagemens que lui, pour une fille qui étoit en sa puissance, & qu'il avoit retirée d'un lieu de débauche. Ce que je vais dire étonnera encore plus, sur-tout ces vieillards décrépits, qui emploient le souffle de vie qui leur reste à être les bourreaux des filles, qui ne cessent de les tourmenter & de les faire servir à leurs goûts lubriques : que dis-je ? qui cherchent en vain, par des attitudes fatigantes & aussi maussades que leur figure, à ranimer un feu que l'âge a pour jamais éteint dans leurs veines. Dans quel étonnement, dis-je, je te jeterois, cher lecteur, si je te disois que mon amant a vécu avec moi une année entiere, avec les mêmes égards & les mêmes déférences qu'on a pour les filles les plus honnêtes. Je dis plus : il a voulu devoir à l'amour tous les plaisirs qu'il a goûtés & qu'il goûte continuellement dans mes bras. Vous riez sûrement de sa conduite ; vous le comparez à ce Marquis de Rozelle, qui vouloit prendre pour femme une Actrice de l'Opéra, que le prétendu repentir de sa vie passée lui faisoit paroître plus estimable que si elle n'eût jamais fait de fautes. Soyez de bonne foi, vous croyez même lui faire grace en le comparant à un jeune homme nouvellement sorti de son Collége, qui, tourmenté par la passion de l'amour, n'ose faire les premieres avances à une femme, & trembleroit même de lâcher un propos équivoque qui pourroit l'offenser. Dans quelle erreur grossiere vous êtes, & combien vous êtes loin de juger du cœur de mon amant Il vouloit, en me témoignant beaucoup d'estime, m'apprendre que le moyen le plus sûr pour lui plaire étoit de m'estimer assez moi-même pour ne pas lui manquer. Si cette voie peut quelquefois faire donner lourdement dans les piéges des femmes, elle est cependant beaucoup plus sûre pour l'homme qui ne se laisse pas aveugler par la passion, que tous les moyens qu'on emploie ordinairement. La jouissance d'une femme, dont on peut se dire aimé avec raison, & qu'on estime & qu'on aime soi-même, n'a-t elle pas mille fois plus de charmes que toutes ces liaisons qui n'ont pour base qu'un intérêt vil & sordide ? Mes sentimens étoient si bien d'accord avec ceux de mon cher Comte, qu'il est impossible que la fortune rassemble jamais deux êtres plus faits l'un pour l'autre : aussi quelle différence on trouvera entre toutes les femmes entretenues & moi toutes n'aiment & n'estiment dans leurs amans que l'argent qu'ils leur donnent, & que les présens qu'ils leur font. Le plaisir qu'elles trouvent à leur être infidelles en a porté plusieurs à se faire baiser par le dernier des laquais, faute de pouvoir donner leurs faveurs à d'autres. Au reste, il faut convenir que les hommes en général le méritent bien ; ils auroient même tort d'exiger qu'un sexe plus foible que le leur, les fît souvent rougir de leur inconstance. Comme ils sont moins tourmentés par le desir de remplir le vide de leur cœur, que par l'envie, en changeant de maîtresses, de satisfaire leur passion brutale, qu'ils volent de conquêtes en conquêtes, une seule ne pourroit jamais se prêter à leurs goûts aussi bizarres qu'extraordinaires, trop heureux si par quelque maladie cruelle ils ne paient un jour bien chérement les plaisirs de l'inconstance. Combien ils ont à redouter le sort de ma chere Suzon, qui est morte, ainsi que je l'ai appris, huit jours après notre séparation, dans l'Hôpital de Bicêtre, pour avoir trop négligé d'arrêter les progrès de sa maladie. Sa perte me sera toujours d'autant plus sensible, que j'ai perdu en elle ma meilleure amie. Elle étoit moins débauchée par goût que par tempéramment. Son cœur malgré la vie qu'elle menoit depuis long-temps, lorsque je commençai à la connoître, n'étoit pas plus corrompu que si elle eût toujours eu une conduite réguliere : enfin c'étoit moins pour l'argent qu'elle retiroit du commerce des hommes, qu'elle se livroit à eux, que pour le plaisir qu'elle trouvoit dans la jouissance. Avec moins de passions, elle n'auroit eu aucun des vices qu'on reproche aux femmes. Elle étoit de bon conseil, & m'a souvent donné des avis dont j'aurais bien fait de profiter. Comme elle ne remarquoit en moi aucun penchant pour le malheureux état que j'avois embrassé, elle m'a plusieurs fois conseillé de retourner chez mes parens. Une résolution aussi généreuse auroit trop coûté à mon amour-propre pour l'exécuter, & j'aurois mieux aimé être mille fois plus malheureuse que je ne l'étois, plutôt que de rentrer dans ma famille. Quoique ma chere Suzon soit perdue pour moi sans retour, c'est dans la lecture de ses Mémoires que je trouve des leçons plus instructives que dans tous les livres que je lis : c'est en voyant le tableau de ses foiblesses, que j'apprends à être toujours en garde contre les miennes : Aussi je les ai toujours dans les mains dès que je suis seule. Chaque anecdote de sa vie est pour moi tous les matins un objet de méditation. Un jour que j'étois absorbée dans les réflexions que m'occasionnoit cette lecture, & que je tenois les Mémoires de Suzon à la main, le Comte entra dans ma chambre. Comme ma femme de chambre qui venoit de sortir de mon appartement, en avoit laissé la porte ouverte, il fit si peu de bruit, qu'il étoit près de moi, que je ne m'en étois pas apperçue. Mon premier mouvement fut de cacher le cahier sous le coussin de mon fauteuil. Mais il n'étoit plus temps ; il avoit été témoin de mon embarras à son arrivée, & avoit remarqué le mystere que je voulois lui faire. Cette précaution inutile ne servit qu'à le chagriner, & qu'à lui faire voir le peu de confiance que j'avois en lui. L'air froid avec lequel il m'aborda contre son ordinaire, me l'annonçoit assez. Mais je feignis de pas m'en appercevoir. Comment vous portez-vous aujourd'hui, me dit-il ; avez-vous bien dormi cette nuit ? Il m'auroit fait encore, je crois, cent autres questions aussi indifférentes, si j'avois pû les soutenir & si je n'avois rompu cette maussade & insipide conversation. Qu'avez-vous, M. le Comte, aujourd'hui, lui dis je ? L'altération qui paroît sur votre visage, ces soupirs qui s'échappent malgré vous, vos yeux qui évitent de rencontrer les miens, en un mot tout ce que je vois m'accable de douleur, & sembleroit m'annoncer que j'ai déjà eu le malheur de vous déplaire. Parlez, mon cher Comte, dussiez-vous prononcer l'arrêt de ma mort, il seroit moins dur pour moi de l'entendre de votre bouche, que de demeurer dans l'état où vous avez la cruauté de me laisser. J'accompagnai ces dernieres paroles d'un torrent de larmes. Mon Amant ne put voir mes pleurs sans s'attendrir. Pourquoi vous chagriner ainsi, me dit-il, ma chere Rosalie ? Les sujets de plaintes que j'ai à former contre vous, me chagrinent, mais ne peuvent jetter aucune espece de soupçon, ni sur votre probité, ni sur votre amour pour moi. À la vérité, je me rends justice & je sens qu'il n'y a pas assez de temps que je vous connois, pour que vous m'ayez accordé toute votre confiance, malgré tout ce que j'ai fait pour vous prouver que je n'en étois pas indigne : d'ailleurs je sens qu'on redoute toujours avec raison l'indiscrétion des jeunes gens de mon âge. Je suis donc fâché du mystere que vous me faites ; mais je me garderai bien d'exiger de voir ce manuscrit que vous avez caché à mon arrivée. Puis prenant insensiblement un ton plaisant ; peut-être est-ce, me dit-il, le tableau de vos foiblesses dont vous aurez fait l'esquisse ? Dans ce cas, je ne suis plus si étonné du desir que Vous avez qu'il soit ignoré de toute la terre. Dejà même je me reproche d'avoir pû vous laisser entrevoir que je ne voulois pas que vous eussiez des secrets pour moi : ceux-là sont privilégiés & très-privilégiés ; car je sais combien il en coûte à une jolie femme d'avouer qu'elle s'est quelquefois mal défendue contre les hommes. Que vous êtes loin de deviner, mon cher Comte, lui dis-je, ce que contient ce cahier vous avez beau affecter beaucoup d'indifférence à le lire ; il vous sera fort difficile de me faire accroire que vous ne brûlez pas d'envie de l'avoir entre les mains, ou du moins, tout me le persuade. Le chagrin que vous avez d'abord témoigné en me le voyant cacher ; le ton plaisant que vous venez de prendre, depuis que vous vous êtes apperçu que vous m'aviez fait de la peine, sont autant de moyens que vous employez pour satisfaire votre curiosité. Tenez, lui dis-je, je ne veux pas vous faire languir davantage : voilà ce que vous avez tant désiré. Puissai-je, en déposant dans votre sein le secret d'une amie dont la perte m'affligera toujours, vous prouver combien je suis fâchée d'avoir pû manquer un instant de confiance en vous Puisse votre Amante par ce sacrifice, vous faire voir qu'elle ne veut jamais avoir rien de caché pour vous Le Comte fit d'abord des difficultés pour prendre ce cahier, m'assurant qu'il ne se pardonneroit jamais le chagrin qu'il m'avoit causé, & que dans la suite il ne seroit plus aussi curieux. Comme je voulois absolument qu'il prît connoissance des Mémoires de ma chere Suzon qui avoient donné lieu au mouvement de jalousie qu'il avoit éprouvé, il y consentit, après s'être fait long-temps prier, mais à condition que je les lirois moi-méme. Après bien des je ne veux pas... je les ai déjà lus... il fallut céder ; parce que, disoit-il, le son de ma voix portoit dans son ame le plus grand ravissement. Ce compliment étoit bien propre à flatter la vanité d'une femme & sur-tout d'une jeune personne ; mais pour dire la vérité ce n'étoit qu'un prétexte honnête pour colorer le désir qu'avoit mon Amant de ne laisser échapper aucune des impressions, que le récit des différentes aventures d'une femme que j'avois beaucoup aimée devoit faire sur moi. MÉMOIRES DE SUZON, SŒUR DE D.. B..... Portier des Chartreux. S i mon frere Saturnin existe encore, & qu'il lui prenne, comme à moi, l'envie de faire les Mémoires de sa vie, je suis très-persuadée qu'il trompera son Lecteur, s'il est question de sa Sœur Suzon dans le narré de sa vie. Comme il me croit fille du bon homme Ambroise, il ne manquera pas de transmettre son erreur à la postérité. C'est pour désabuser le public, que je vais faire un aveu qui coûteroit à tout autre, mais que la vérité m'arrache malgré moi. D'ailleurs, n'est-ce pas une folie, que de rougir d'une chose qui n'a pas dépendu de moi d'empêcher. Je ne suis donc pas fille du bon homme Ambroise ; il y avoit même déja long-temps que ce vieillard ne s'occupoit plus qu'à cultiver son jardin, quand je vins au monde. Sa femme depuis long-temps étoit un terrein dont la culture étoit trop difficile pour son âge. J'ose même assurer qu'il seroit toujours demeuré inculte, si ma mere n'eût eu soin de le faire défricher : ma naissance donc l'étonna tellement, que ce ne fut qu'au bout de huit jours qu'on put déterminer Ambroise à signer l'acte de mon baptême. Dans ce temps-là, le Pere Alexandre, vieillard respectable en apparence, mais le plus grand paillard de son Couvent, venoit fréquemment à la maison : il employa toute sa rhétorique pour appaiser le bon homme Ambroise, qui ne vouloit rien moins qu'assommer ma mere. Pourquoi, lui disoit-il, faire cette injure à votre femme, qui mene la meilleure conduite ? Vous êtes bien injuste Croyez-vous donc que vous êtes le premier homme qui auroit baisé sa femme en dormant ? Êtes-vous donc venu jusqu'à votre âge, sans savoir qu'il est arrivé à quelques personnes qui couchoient habituellement avec des femmes, de chercher machinalement à soulager les besoins de la nature, pendant des nuits qu'elles étoient couchées avec quelqu'un de leur sexe ? Comme cela n'étoit jamais arrivé à Ambroise, dont les nuits n'étoient point assez longues pour le reposer des fatigues du jour, il le regardoit comme impossible. Le Pere Supérieur avoit donc beau se servir de tous les lieux communs que lui fournissoit son imagination fertile : il lui représentoit en vain qu'il occasionneroit beaucoup de scandale dans son village, s'il persistoit dans son refus ; qu'en déshonorant ma mere, il se déshonoroit lui-même, & qu'il étoit à craindre que par sa conduite il ne fût cause de sa mort. Plût à Dieu, s'écria Ambroise, que je fusse débarrassé de cette carogne là ; car on ne me retirera jamais de l'esprit que je ne suis pas moins J... F.... que Saint Joseph lui-même. Le Pere Alexandre, en habile Orateur, profita des armes que lui fournissoit Ambroise, & lui dit : Eh bien puisqu'il n'est pas possible de vous dissuader, & que vous prétendez avoir reçu le même traitement que ce grand Saint, pourquoi ne vous conduisez-vous pas comme lui ? Il n'a pas à la vérité, été fort content de ce que le Saint-Esprit avoit fait sa besogne ; mais au moins il s'est soumis aux décrets de la Providence qui le vouloit ainsi : aussi sa prudence & sa résignation lui ont mérité une place dans le Ciel ; si Dieu a également permis que votre femme vous cocufiât, serez-vous moins cocu pour n'avoir point signé l'acte de baptême de votre enfant ? Tenez, croyez-moi, pere Ambroise, un homme sensé, dans la crainte d'apprêter à rire aux autres, fait toujours très-peu de bruit en pareil cas. Ces derniers argumens firent tant d'effet sur l'esprit du bon homme, qu'il prit enfin son parti, & quitta le Révérend Pere Alexandre, pour aller à la Paroisse ou je fus bien duement légitimée. En son absence, le Révérend qui avoit plus de raison qu'aucun de son Couvent, qu'on ne dévoilât pas le mystere de ma naissance, se seroit payé sur ma mere des peines qu'il s'étoit données pour remettre le calme dans la Maison, si la breche que j'avois faite en venant au monde, eût été réparée. Ma mere, en femme reconnoissante, lui fut toute sa vie bon gré de la chaleur qu'il avoit mise à prendre sa défense ; tant qu'il vécut, elle le distingua toujours des autres Peres de son Couvent. Étoit-ce, me dira le Lecteur curieux, parce que dans les combats de Cythere il pouvoit être comparé au Grand Alexandre ? Non, ce vieillard usé par l'âge & la débauche, traînoit, m'a-t-on dit, un membre plus propre à donner des regrets que de l'amour. Il falloit avoir autant de ressources dans l'imagination qu'en avoit ma mere, pour redresser la cheville ouvriere du Pere Supérieur : encore se trouvoit-elle fort heureuse, quand après un assaut plus fatigant que voluptueux, ils arrivoient au terme désiré. La pure reconnoissance étoit donc la base de leur liaison ? Non, l'intérêt seul entretenoit leur commerce. La passion de Toinette (c'étoit le nom de ma mere) pour les hommes, ne l'aveugloit pas au point de traiter sans distinction tous ceux qui lui rendoient visite. Un Moinillon, par exemple, étoit si mal reçu chez elle, qu'il n'osoit s'y présenter deux fois. Il n'en étoit pas de même d'un Supérieur, & sur-tout d'un Procureur de Couvent. L'argent qu'ils recevoient, soit pour faire dire des Messes, soit pour faire du bien aux pauvres, étoit employé à acheter ses faveurs. Je crois même que ma mere se seroit lassée à la fin du mets frugal que lui servoit le Pere Alexandre, si elle n'eût eu soin d'appaiser son appétit dévorant avec cinq ou six autres personnes qui venoient fréquemment à la maison. À la vérité, elle ne fut point forcée d'en venir à une rupture ouverte avec ce vieux paillard, qui eut la générosité de mourir un an après ma naissance, pour faire place à des champions plus redoutables. Le Pere Polycarpe, en sa qualité de Procureur, devint le tenant de la maison d'Ambroise. À présent que je sais apprécier le véritable mérite des hommes, j'avoue qu'on ne pouvoit faire un meilleur choix de toutes les façons. Sa taille presque gigantesque, son œil enflammé, son regard hardi, ses sourcils noirs & épais, ses membres nerveux ; en un mot, tout en lui annonçoit un athlete redoutable. Cet invincible Hercule auroit effrayé tout autre que Toinette ; mais elle étoit incapable d'une pareille lâcheté. Plus accoutumée à avancer qu'à reculer, cet ennemi lui parut à peine digne de se mesurer avec elle : elle étoit sûre, sinon de le vaincre, du moins de le lasser. Je puis même dire pour sa justification, qu'ayant quelquefois été témoins de leurs combats, mon frere & moi, je n'ai jamais vu ma mere céder un pouce de terrein. Le Pere, au contraire, quand il sentoit ses forces s'épuiser, préféroit une retraite glorieuse, à une honteuse suite ; l'ennemi cependant, en sortant de la place levoit encore sa tête altiere & montroit, malgré sa défaite, un air menaçant. J'avois à peine sept ans, que je commençois à remarquer que ma mere avoit plus d'égards pour le Pere Polycarpe, que pour tous ceux qui lui rendoient visite ; & cette prédilection ne se faisoit jamais mieux voir, que lorsque le bon homme Ambroise étoit absent. Les autres me plaisoient beaucoup plus ; ils me paroissoient plus honnêtes, plus doux & plus respectueux vis-à-vis de ma mere ; mais ce n'étoit pas des respects qu'il lui falloit ; cette monnoie n'avoit point de cours auprès d'elle. D'ailleurs la figure, qui pouvoit alors décider mon choix, étoit encore un avantage qu'ils avoient sur le Pere Polycarpe, dont toute la personne ressembloit à un satyre. En un mot, il me sembloit plus propre à faire peur qu'à plaire. À présent que je raisonne, je juge bien différemment : un homme, fût-il plus laid qu'un diable, doit l'emporter sur ses rivaux quand on a lieu de soupçonner qu'il a abondamment tout ce qui est nécessaire pour contenter une femme. Je détestois ce vilain Moine à tel point, que j'étois jalouse des caresses que ma mere lui faisoit. Plusieurs raisons m'avoient fait concevoir de la haine contre lui : premierement, son air dur & méchant ; ensuite, il ne paroissoit jamais à la maison que je ne fusse condamnée à une sorte de punition qui me déplaisoit beaucoup. Je ne savois à quoi attribuer ce châtiment qu'on me faisoit subir toutes les fois qu'il nous rendoit visite ; & je le regardois comme une injustice criante. À la vérité, il étoit bien dur pour moi d'être condamnée pendant presque des journées entieres à une prison des plus sombres & des plus affreuses, pendant que tous mes camarades d'école étoient à jouer & à se divertir. L'endroit où j'étois retirée n'étoit d'ailleurs propre qu'à m'inspirer de la terreur. J'y étois à peine, que j'entendois pousser des soupirs, des hélas & des plaintes, dont je ne pouvois interpréter le sens. Je m'imaginois qu'ils n'étoient excités que par le mal que ce vilain Moine faisoit à ma mere. Combien j'étois éloignée d'en deviner la véritable cause ; Pourquoi, disois-je un jour à ma mere, souffrez-vous chez vous le Pere Polycarpe ? Il n'y vient jamais qu'il ne nous cause du chagrin à vous & à moi. Si j'étois à votre place, je vous jure que je lui ferois défendre la porte par mon pere. J'ai même conçu le dessein de lui en parler dès ce soir, quand il reviendra de son travail. Gardez-vous-en bien, me dit ma mere. Si vous le faites, malgré ma défense, vous pouvez vous attendre d'en être punie & très-rigoureusement. Étonnée de la menace de ma mere, & ne pouvant concevoir les raisons de sa conduite, je ne cessois de lui répéter les mêmes raisons. La crainte de m'affliger vous empêche de convenir de ce qui en est, lui disois-je : mais tenez, j'ai prêté hier l'oreille fort attentivement à tout ce qui se passoit dans votre chambre ; & j'en crois ce que j'ai entendu, je soupçonne qu'il a dû vous faire beaucoup de mal : car j'ai fort bien compris que vous lui disiez : arrêtez, finissez... & puis après... & vîte donc... dépêchez-vous... je me meurs... Or, quand on souffre à ce degré d'être sur le point de mourir, n'est-ce pas une preuve que la maladie ou la douleur que nous ressentons sont très-considérables ? Si ma mere écouta pendant long-temps mon petit caquet, ce n'étoit que parce qu'elle cherchoit à deviner dans ce que je lui disois, si je n'étois pas plus instruite que je ne paroissois l'être... Voyant à la fin que je n'étois pas assez familiarisée avec le mensonge, pour chercher à pallier la vérité, elle répondit à toutes mes questions d'une maniere assez satisfaisante en apparence ; mais il est plus vrai de dire qu'elle les éluda avec beaucoup d'adresse. Par exemple, me dit-elle, si le Pere Polycarpe te renvoie dans le cabinet, & te punit toutes les fois qu'il vient, c'est qu'il devine avec beaucoup de sagacité toutes les sottises que tu as faites dans la journée, ou plutôt c'est qu'il les voit empreintes sur ton visage. Je menois une vie très malheureuse & fort triste auprès de ma mere. Comme elle n'aimoit que ses plaisirs, elle s'occupoit peu de mon bonheur. Pour surcroît de malheur, toutes les fois qu'il ne venoit personne à la maison lui présenter son offrande, j'étois sûre de recevoir quelques paires de soufflets. Elle auroit au moins dû sentir qu'elle mettoit ses Chevaliers à des épreuves si fréquentes, qu'ils devoient avoit besoin de repos ; que son petit tempéramment auroit lassé une compagnie de Grenadiers les plus aguerris. Mais non, ses desirs étoient trop brûlans ; son con, qui donnoit le branle à toutes ses autres facultés, la maîtrisoit trop, pour qu'elle se contînt dans les bornes de la modération. J'aurois bien desiré qu'on eût continué de me permettre d'aller jouer avec les enfans de mon village, Toinette elle-même ne s'y opposoit pas ; la méfiance dans laquelle elle étoit à mon égard, étoit une raison pour y consentir ; mais les parens des autres enfans ne pensoient pas malheureusement de même : tous avoient défendu, sous les peines les plus rigoureuses, que je fusse associée à aucune partie de jeu. Je pleurois, je gémissois du mépris que mes camarades avoient pour moi, depuis qu'on nous avoit surpris dans une grange occupés à des jeux qui m'amusoient autant qu'ils déplurent à tous ceux qui avoient des enfans dans notre bande. Comme la plus grande, j'étois chargée d'imaginer & de varier les plaisirs de la petite société. Tantôt j'étois une mere de famille ; tous mes camarades devenoient mes enfans, tous me devoient des égards & du respect. Lorsqu'il leur arrivoit d'y manquer, le fouet étoit la punition ordinaire : avoient-ils négligé de faire la tâche que je leur avois imposée, ils subissoient le même châtiment. Quelquefois j'établissois une école : les filles comme les garçons y étoient admises : pour dire la vérité, j'aurois été très-fâchée qu'on n'eût pas souffert ceux dont la societé me plaisoit le plus dès ce temps-là. Les fautes les plus légéres comme les fautes les plus graves, étoient également punies. Je présidois à cette école. J'imposois les punitions & fustigeois les coupables. Jamais Collége de l'Université de Paris n'eut une regle aussi sévere que celle que je faisois observer dans ma petite académie. Jamais aussi les écoliers n'eurent autant de plaisirs à l'enfreindre. Quelle joie je ressentois moi-même, quand tous sembloient s'être donné le mot pour faire des fautes qui méritoient châtiment alors affectant un air de sévérité, je les faisois venir auprès de moi : en un instant tous les jupons étoient retroussés, toutes les culottes baissées jusqu'aux talons ; dans cette état de nudité je les plaçois sur une même ligne. Est-il un bonheur comparable à celui que je goûtois en considérant tous ces culs plus jolis les uns que les autres. Les côteaux les mieux cultivés, les montagnes couronnées d'arbres toujours verds, ont-ils jamais rien offert qui réjouisse plus la vue que cette chaîne de promontoires blancs comme l'albâtre Si j'étois forcée d'admirer les jolies fesses des petites filles, leur contour, leur délicatesse, leur chûte ; celles des petits garçons excitoient mes adorations : leur forme mâle, leur fermeté, me paroissoient fort au-dessus de ces foibles agrémens. Semblable à un officier qui fait avec soin la revue de sa troupe, la moindre beauté, comme le moindre défaut, ne pouvoit échapper à mes yeux pénétrans. Après avoir vu les médailles d'un côté, les autres faces excitoient ma curiosité : les garçons m'offroient alors des beautés qui me ravissoient. L'éguillette qui pendoit à leur ceinture, les deux glands qui l'ornoient fixoient mon attention & me paroissoient des ornemens bien propres à relever les charmes de leur taille. Cette différence dans la formation des hommes d'avec celle des femmes, mettoit mon esprit à la torture. Plus j'y réfléchissois, & moins je pouvois en découvrir la raison : je sentois bien qu'il en existoit une, mon cœur me le disoit ; mais la nature alors ne m'avoit pas encore donné les leçons propres à la deviner. Mes amusemens, mes jeux avec mes camarades, tendoient trop à échauffer mon tempérament, pour que je demeurasse long-temps dans cette ignorance parfaite. Un jour que je revenois à la maison, l'imagination échauffée par tout ce que j'avois fait avec mes camarades & par les objets qui m'avoient frappée, je ne trouvai personne au logis. Ambroise étoit comme à son ordinaire occupé dans son jardin, Toinette étoit sortie depuis le matin : lassée apparemment d'attendre depuis deux jours des secours dont elle avoit grand besoin, elle étoit allée faire une visite dans le Couvent des Cordeliers. J'étois accoutumée à ses absences. Ses prétextes vis-à-vis d'Ambroise, qui se plaignoit quelquefois de ses fréquentes sorties, étoient tantôt, ou qu'elle alloit faire ses dévotions, ou bien qu'elle reportoit le linge qu'on lui avoit donné à faire. Accoutumée à mentir, pour couvrir la jolie vie qu'elle menoit, il auroit été fort difficile de la mettre en défaut. Que dis-je ? Ambroise l'auroit surprise couchée avec quelque Moine, l'auroit même vu besogner en sa présence que soit elle ou soit les Moines qui avoient beaucoup de poids sur son esprit, lui auroient fait entendre qu'il avoit tort de prendre de l'humeur, qu'il devroit au contraire les remercier de la peine qu'ils prenoient de cultiver un terrain qui deviendroit nécessairement en friche comme tant d'autres, malgré sa bonté, si leur état ne les obligeoit à aider & soulager leurs freres dans leur travail. En lui citant ce passage de l'Écriture-Sainte, si connu de tous les hommes & si bien pratiqué par les Moines, Crescite & Multiplicate ; qui doute qu'Ambroise, qui avoit toujours en vue de plaire à Dieu, ne les eût priés à mains jointes, de l'acquitter, vis-à-vis de l'Être-Suprême, d'une dette dont il se reconnoissoit insolvable ? Il y avoit une heure que j'étois à la maison & personne ne paroissoit. Ennuyée d'attendre, fatiguée de l'exercice que j'avois fait avec mes camarades, j'étois assise sur un mauvais lit de sangles. En proie à mille pensées différentes, sans pouvoir me fixer à une seule, mon esprit bourrelé, depuis long-temps, ne me donnoit pour tout produit que beaucoup d'incertitude & peu d'idées satisfaisantes : enfin pour mon bonheur, quelques baillemens, avant-coureurs d'un sommeil prochain, m'annoncerent que j'avois besoin de repos. Je m'étendis sur mon lit ou je ne tardai pas à m'endormir. SONGE· Il paroît incroyable qu'un enfant dont toute la machine est encore foible, puisse jouir d'un sommeil profond après des secousses aussi violentes & aussi répétées que celles que j'avois reçues. Sans l'expérience que j'en fis, il ne paroîtroit gueres raisonnable d'espérer, que le plus grand calme pût succéder rapidement à une tempête furieuse, & de croire qu'une jeune fille dont le tempéramment s'annonce par des désirs aussi ardens qu'inconnus, pût tomber dans un repos ou plutôt dans un anéantissement aussi parfait de toutes ses facultés. J'avois à peine fermé les paupieres, que je fis un reve si agréable & si instructif, qu'il n'est jamais sorti de ma mémoire. Il me sembloit que j'étois étendue sur un riche sopha, semblable à ceux que j'avois vus chez ma marreine : que j'avois les cuisses extrêmement écartées, une jambe pendante & l'autre soutenue sur les coussins : dans cette voluptueuse attitude, je voyois un enfant, beau comme l'amour, porté dans les airs, & dirigeant sa course vers moi. Il paroissoit par son air tendre & amoureux, & par ses regards passionnés, m'inviter de prendre part au plaisir qu'il vouloit me procurer ; plus il approchoit de moi, plus mes yeux avides de l'examiner le considéroient attentivement, Grand Dieu quelle fut ma surprise, en le voyant monté sur un coursier d'une espece bien singuliere Le jeune Écuyer tenoit d'une main une bride, & de l'autre un fouet dont il frappoit sans pitié sa monture. Mon étonnement augmenta de beaucoup quand je fus à portée de découvrir quel étoit ce nouveau Pégase ; je lui trouvois bien de la ressemblance avec cette charmante éguillette que j'avois eu tant de plaisir à considérer, & qui tenoit à la ceinture des enfans de mon âge : cependant, sa grosseur, sa longueur, sa tête fiere & rubiconde, le poil noir & touffu qui le couvroit & déroboit presque à la vue deux énormes pelotons, tout me faisoit craindre de me tromper. En le voyant approcher du bosquet de Cythere, je voulois fuir, mais les forces me manquerent. Semblable aux Béliers dont Îles Anciens se servoient pour abattre les murailles, cet animal furieux & terrible, battoit la brèche en ruine, les obstacles ne faisoient que ranimer son courage. Pour donner plus de force aux coups qu'il frappe, il recule en arriere, s'élance avec rapidité, brise la barriere qui avoit résisté trois fois à ses attaques, & se plonge en m'arrachant un cri perçant, dans la fontaine du plaisir. L'amour, fier de sa victoire, me tenoit étroitement serrée dans ses bras, appliquoit sur mon sein des baisers enflammés & me promettoit, pour me dédommager de la douleur qu'il m'avoit fait souffrir, d'augmenter encore la dose des plaisirs que je goûtois. Bientôt me sentant inondée d'une liqueur chaude & abondante, toutes les facultés de mon con, furent absorbées & je perdis toute connoissance. Ce plaisir que je n'avois jamais ressenti jusqu'alors, avoit été trop grand, pour que mon illusion & mon sommeil continuassent. En ouvrant les yeux je m'apperçus avec surprise que j'étois nue jusqu'à la ceinture, & que mon doigt qui chatouilloit encore les levres de mon con, avoit donné lieu à ce songe agréable. C'étoit donc à lui seul que j'étois entiérement redevable de ce bonheur inattendu, que je croyois devoir à cet enfant charmant. Soit crainte cependant de me tromper, soit pour graver plus profondément dans ma mémoire cette leçon que la nature seule m'avoit donnée, mon doigt officieux recommença sa besogne ; aussi-tôt mon ame put à peine suffire aux délices que ce frottement lui causoit. Cette heureuse découverte m'indiquoit à merveille qu'une fille qui est maitrisée par son tempérament, comme la plupart le sont, peut se soulager de temps en temps. Qu'on n'aille pas m'objecter que cela offense Dieu ; car si ce que disent les Casuistes est vrai, pourquoi l'Être Suprême auroit-il attaché tant de plaisir à la désobéissance ? Seroit-ce pour nous porter lui-même à enfreindre ses loix ? Pourquoi dans la formation de la femme, auroit-il placé le centre du plaisir dans un endroit où la main se porte sans peine & machinalement dans les démangeaisons cuisantes ? seroit-ce pour avoir occasion de nous punir d'avoir suivi en tout les loix de la nature, de cette bonne mere qui indique si bien à ses enfans les moyens de rendre leur existence heureuse ? Dites plutôt, hommes fourbes & trompeurs, que c'est pour satisfaire votre avarice, que vous prêchez une doctrine contraire aux loix que Dieu grava dans le cœur de tous les hommes. Quand vous avez pu abuser de la foiblesse d'esprit, soit de votre auditoire, soit de vos pénitens, au point d'engager par vos discours hypocrites à déshériter, les uns leurs enfans & leurs femmes, les autres leurs freres & leurs parens, dans la vue de plaire à Dieu par cette injustice : n'êtes vous pas mille fois plus heureux qu'une pauvre fille qui par sept à huit décharges a fatigué ses dix doigts ? Croyez-vous que vos Couvens seroient si riches, que les repas que vous donnez dans vos cellules seroient si délicatement servis, si au lieu de représenter l'Éternel toujours précédé par la vengeance, armé de foudres & de tonnerres, vous nous le montriez comme un pere qui chérit également tous ses enfans, & qui ne les a mis au monde que pour les rendre heureux ? Si vous étiez amis de l'humanité, vous entendroit-on si souvent vous époumoner pour nous prêcher une morale dure & rebutante, pour nous faire une description aussi fausse que dégoûtante du Paradis & de l'Enfer ? Auriez-vous enfin imaginé ce Purgatoire dont l'invention vous a procuré plus de richesses que le Perou n'en pourra jamais produire ? Croyez-moi, quittez ce langage, & que les Chaires ne retentissent plus désormais que de ces mots : Foutez, mes cheres freres, foutez, si vous ne croyez pas qu'il y ait d'autres moyens de vous rendre heureux. Et vous dont le tempérament devance cet âge d'or heureux, où les amans viennent en foule vous faire la Cour, vous demander à cueillir cette précieuse pomme pour laquelle nos premiers peres eurent tant de goût, pelottez en attendant partie, ou pour parler plus clairement, branlez-vous. Je crois inutile de vous conseiller de préférer pour cette besogne, le plus long, de vos doigts ; toutes celles qui feront usage de ma recette, n'ont besoin de l'avis de personne pour se déterminer dans le choix des moyens de rendre le plaisir plus sensible. Ce godemiché qui servoit de monture à l'Amour, seroit à la vérité bien plus propre à faire goûter à une fille les joies du Paradis ; car les doigts d'une femme n'auront jamais cette grosseur, cette longueur, & sur-tout cette roideur que j'avois tant admirée. Si dans mon songe il m'avoit fait goûter tant de plaisir, comment pourroit-on exprimer celui qu'il feroit en réalité ? Comme ces instruments, qui représentent si au naturel, le vit d'un homme, sont très-rares, en ce qu'ils se font dans les couvens, sources de toutes les inventions qui tendent à se procurer les plaisirs de la chair, je conçois que toutes les filles ne peuvent être pourvues de ce meuble utile. Mais dans ce cas, elles ont leur dix doigts. Si un seul doigt ne remplit pas assez la mortaise, elles n'ont qu'à faire comme moi. J'en ai employé deux à la fois, & souvent trois, sur-tout lorsque je sens que le plaisir commence à s'émousser. Cependant, pour dire la vérité, tous ces différens moyens appaisent plutôt les desirs qu'ils ne les satisfont. C'est un incendie dont on arrête les progrès ; mais qu'on n'éteint pas entiérement. Il y avoit long-temps que cherchant à deviner pourquoi cet outil que l'amour avoit entre les jambes, étoit si différent de celui des enfans de mon âge, j'examinois s'il n'y auroit pas moyen de leur faire acquérir cette qualité si essentielle dans les combats amoureux, lorsque ma mere entra dans ma chambre & mit fin à toutes mes réflexions. Le lendemain, je fus à peine levée, que je me hâtai de rassembler mes camarades. Il me tardoit bien de les voir réunis dans cette grange ou nous avions coutume de jouer. Comme tout ce qui s'étoit passé la veille m'avoit ouvert les yeux sur bien des choses, je désirois de revoir un petit garçon tout nud ; ce qui ne fut pas difficile. Lorsque notre bande joyeuse fut arrivée au rendez-vous ordinaire, je proposai pour amusement de faire notre école : personne ne s'y opposa, & l'on me pria même de continuer d'en être la maîtresse, ce que j'avois bien prévu. L'enfant de qui je voulois examiner scupruleusement les pieces, pinça à propos sa camarade, & me fournit par cette faute, l'occasion de lui faire subir la punition ordinaire. Déjà sa chemise relevée jusques sur ses épaules, étoit attachée par quatre fortes épingles ; déjà caressant ses fesses fermes & rondes, je dévorois des yeux mille beautés ravissantes, lorsque la mere de ce même enfant entra avec tant de précipitation dans cette grange, qu'elle étoit près de moi, que je ne m'en étois pas encore apperçue. Alors une grêle de coups de pieds & de coups de poings des mieux appliqués, tomberent sur son fils & sur moi. Les autres enfans craignant le même sort, sortirent avec précipitation. & se retirerent chez eux. Je fus ramenée par cette meme femme chez ma mere, qui fut obligée de me punir, pour faire voir qu'elle étoit aussi scrupuleuse sur cet article, qu'aucune femme de son village. Cette histoire fut bientôt connue de tout le monde. Le Curé même fit un fort mauvais sermon le Dimanche suivant, dans lequel il exhortoit les parens de ne pas permettre à leurs enfans de me fréquenter. Cette défense rigoureuse de la part du Curé & des parens m'étonnoit beaucoup. Je ne pouvois concevoir pourquoi tout le monde se réunissoit pour défendre des jeux dans lesquels, moi & tous mes camarades, nous n'avions trouvé aucun mal jusqu'alors, pour lesquels nous avions tous la même volonté & les mêmes désirs ; en un mot, qui nous amusoient tous généralement. Comme je ne connoissois pas encore toutes les entraves que le préjugé mettoit au bonheur de l'homme, je regardois l'action de nos parens comme bien méchante & bien injuste. À présent que j'y réfléchis encore, il me semble que nous devons nous en prendre à nous-mêmes, si nous ne sommes pas heureux sur la terre. Oui, l'homme même a forgé de ses propres mains son malheur, & aiguisé les traits qui doivent lui percer le cœur. Ne seroit-il pas à désirer qu'il n'eût jamais suivi que l'instinct de la nature, plutôt que de s'être soumis à des loix & à des coutumes qui n'ont été inventées que pour le malheur de l'humanité ? Mais, me dira quelque Jurisconsulte entiché de son art, ces mêmes loix & ces mêmes coutumes que vous condamnez, sont le lien de la société. Eh que m'importe la dissolution entiere d'une société dont tous les membres sont malheureux ; où chaque individu, presqu'en naissant, est obligé de faire le sacrifice de ses goûts, de ses désirs & de ses passions, pour ne point détruire un préjugé plus cruel & plus barbare que les hommes auxquels il doit sa naissance ? Apportons-nous ce préjugé en venant au monde ? Non la preuve que j'en puis donner, c'est que ma petite république prenoit le plus grand plaisir aux jeux que j'avois imaginé ; avant qu'on lui en eût fait concevoir de l'horreur, & que dans la suite aucun enfant ne vouloit plus venir avec moi. Cependant Dieu a fait naître tous les hommes avec les mêmes inclinations & les mêmes desirs ; en voulant les corriger, nous les détruisons presqu'entiérement, & les remplaçons par des vices qui dégradent & déshonorent l'humanité. À qui donc enfin ce maudit préjugé doit-il sa naissance ? Au premier homme, qui, pour être différent des autres, foula sous les pieds les loix sacrées de la nature. Ne vaudroit-il pas mille fois mieux ressembler aux sauvages, qui sont erans & vagabonds dans les déserts, sans loix, sans usages & sans préjugés ces fléaux du genre humain ? Ils coulent des jours heureux & tranquilles. L'opprimé a-t-il jamais habité sous leur cases. Si elles ont quelquefois retenti de leurs cris, peut-on douter que ce soit de ceux que leur arrachent les maux physiques. Il est temps de finir cette longue digression, & de passer à des faits moins ennuyeux pour le lecteur, On sent très-bien que mon séjour à la maison devenoit de plus en plus dangereux. À mesure que j'avançois en âge, Toinette, qui avoit plus de raison que personne, de desirer, mon éloignement, auroit bien voulu pouvoir me mettre dans un Couvent ; mais ses moyens ne lui permettoient pas de faire cette dépense. Comme ma marreine avoit une terre auprès de notre Village, elle se détermina à lui faire une visite & à l'engager de s'intéresser à mon éducation. Il est bon de prévenir le lecteur, que ma mere avoit été femme de chambre de Madame d'Inville, & je crois qu'il ne sera plus étonné de la jolie vie qu'elle menoit, après avoir été dix ans à une si bonne école. Elle seroit demeurée toute sa vie au service de ma marreine, si, contre l'ordinaire des femmes qui savent goûter, tous les plaisirs de l'amour sans en jamais ressentir les amertumes, elle ne fût devenue enceinte. Alors pour éviter tout scandale, il fallut la marier. Ambroise, comme un autre S. Joseph, fut jugé seul digne d'unir sa destinée à celle de Toinette. Il ne tarda pas à se repentit de l'avoir emporté sur ses rivaux, en se voyant pere d'un enfant que, malgré sa bonhomie, il ne s'attendoit pas devoir paroître trois mois après son mariage. Comme l'enfant mourut presqu'en venant au monde, on lui fit accroire tout ce qu'on voulut, & que ne fait-on pas pour tromper les maris ? Il faut convenir qu'il a été fort difficile de trouver le véritable pere de cet enfant, tant il y avoit de gens qui y avoient travaillé. C'étoit à Madame d'Inville que ma mere étoit redevable de son mariage avec Ambroise. C'étoit une dot de 1500 livres qu'elle lui avoit donnée, qui avoit aveuglé le bonhomme & lui avoit fait regarder comme la plus grande calomnie tous les propos injurieux que l'on débitoit dans le Village. Combien l'argent a fait & fera de cocus ? Il auroit été impossible que Madame d'Inville en eût agi moins généreusement avec ma mere, qui savoit toute sa vie, & qui auroit pu la trahir, sans les différens présens qu'elle recevoit & qui lui ôtoient toute envie de jaser, d'ailleurs elle sentoit plus que personne tout le prix de la discrétion. C'étoit aussi pour n'avoir point à redouter ma langue, qu'elle cherchoit à m'éloigner de la maison à quelque prix que ce fût. Je n'étois pas moi-même fort mécontente d'en sortir. Je menois une vie trop malheureuse dans notre Village, pour desirer d'y rester. Si je sortois, l'on me montroit au doigt avec toutes les marques qui accompagnent le mépris. Si je restois à la maison, ma mere, quand elle étoit seule, me faisoit souffrir de l'humeur qu'elle avoit de ne pas recevoir de visites. À quoi passiez-vous donc votre temps, me dira le lecteur ? J'avois pour tout plaisir mes dix doigts, que je fatiguois tour-à-tour. En un mot, je me branlois du soir au matin. Je le faisois tant & si souvent, que ce plaisir n'avoit presque plus rien de piquant pour moi ; ma santé même périclitoit chaque jour de ce petit manége. Encore que cette ressource fasse passer aux filles des momens bien doux, je leur conseille cependant d'en user plus modérément que moi, sur-tout si elles doivent être long-temps réduites à ce régime. À trop user de ce plaisir on l'émousse, la santé s'affoiblit ; il est même à craindre qu'après avoir trop fatigué tous les ressorts de la machine, il n'occasionne son entiere destruction. Il faut pour thermometre sûr, consulter moins son appétit, qui est toujours très-grand dans une jeune personne, que ses véritables besoins. Alors on sera toujours très-sûr que le tempérament, loin d'en souffrir, ne fera qu'y gagner. Je souhaite que les jeunes Demoiselles profitent, en passant, de cet avis. S'il déplaît à celles qui ont des besoins toujours renaissans, il pourra du moins être utile à d'autres, dont les desirs ne sont pas aussi violens. L'usage immodéré des remedes les plus salubres, peut les rendre aussi dangereux à la santé que les poisons les plus pernicieux. En enseignant aux personnes de mon sexe les moyens d'engourdir leurs passions, je serois au désespoir qu'on pût me reprocher que j'eusse été cause de la perte de quelques-unes. Le but que je me propose, en donnant au public les Mémoires de ma vie, est d'être utile à tout mon sexe, bien loin de chercher à lui nuire. Mais c'est assez raisonner sur cet article ; d'ailleurs de quelle utilité tous mes raisonnemens pourroient-ils être à celles qui, comme moi, apporteroient en naissant des passions que les jouissances les plus répétées ont peine à satisfaire : On sera sûrement plus curieux de savoir si la démarche de Toinette auprès de Madame d'Inville aura réussi. L'air gai que je trouvai à ma mere à son retour, l'ordre que je reçus de mettre le lendemain mes plus beaux habits & de me rendre de très-bonne heure chez ma marreine, furent des indices certains que je ne resterois pas encore long-temps dans la maison paternelle. Le bon homme Ambroise fut à peine revenu de son travail, que ma mere lui conta avec emphase la réception qu'elle avoit eue au château, & la promesse qu'on lui avait faite de me mettre dans un Couvent, jusqu'au moment où l'on m'établiroit. Cette conversation fournit même plusieurs réflexions sur le bonheur que son cher mari avoit eu en l'épousant ; que malgré qu'il se plaignoit continuellement de son sort, il n'auroit jamais pu espérer de voir ses enfans si bien élevés & si bien établis, s'il se fût uni à une simple paysanne. La langue de ma mere étoit si bien pendue ce soir-là, les idées lui venoient avec tant de rapidité, que mon pere, qui avoit besoin de repos & qui se sentoit une très-grande envie de dormir, fut obligé pour faire treve à cette conversation, qui paroissoit l'ennuyer beaucoup, de convenir que son mariage lui procuroit des avantages inestimables : je dormis peu cette nuit-là. Le plaisir de me voir parée, un jour de travail, des mêmes habits que je ne portois que les fêtes carillonnées, le desir de changer d'état, & le plaisir que je ressentois de savoir que j'allois bientôt être la compagne & l'égale des Demoiselles les mieux nées, ou pour le moins, d'un état fort au-dessus du mien ; toutes ces espérances flattoient tellement mon amour-propre, que j'eus le lendemain la puce à l'oreille de très-bonne heure. Quand je fus habillée & prête à partir, ma mere me recommanda d'être très-honnête, & de témoigner à ma marreine toute la reconnoissance que j'avois, des bontés quelle avoit pour moi. Après une ample leçon sur tout ce que j'avois à dire & à faire, je me mis en route. Chemin faisant, je repassois tout ce qui m'avoit été dit, j'étudiois & préparois mes réponses afin d'intéresser à mon sort Madame d'Inville le plus que je pourrois. Les réflexions que je faisois sur le nouveau genre de vie que je menerois dans le Couvent, & sur le bonheur dont je devois y jouir, me conduisirent jusques dans la Cour du château, sans m'être presque apperçue de la longueur du chemin que j'avois fait. Sa vue me déconcerta beaucoup & m'ôta toute ma hardiesse pour faire place à une timidité qui me rendit presque tremblante. Mais j'eus tout le temps de me remettre. Le Concierge en me voyant paroître, me dit qu'il avoit ordre de me faire déjeûner ; qu'après cela je pourrois attendre dans le sallon de compagnie, où Madame d'Inville viendroit me retrouver sur les onze heures. Je me tirai fort bien du déjeûner, quoiqu'il n'en eût pas été question dans la leçon que m'avoit donnée ma mere. Après avoir copieusement mangé de tout ce qu'on me servit, j'allai attendre que Madame d'Inville fût visible. Ma chere marreine montroit extérieurement beaucoup de piété. Ses entretiens particuliers avec l'abbé Fillot, Chanoine d'une Collégiale voisine du Château, loin de scandaliser ses domestiques, augmentoient encore l'estime & le respect qu'on avoit pour elle. Tous croyoient qu'elle ne se retiroit ainsi dans son appartement tous les deux jours, que pour faire de pieuses lectures, & ma mere étoit la seule de tous ses domestiques qu'elle avoit jugé digne de sa confiance, par les rapports qu'elle lui avoit reconnu de ses sentimens avec les siens. Personne, depuis qu'elle n'étoit plus à son service, n'avoit été initié dans les mysteres de sa conduite. Je trouve qu'elle avoit bien raison : moins on a de témoins de son irrégularité, moins [on a à redouter qu'elle devienne publique, il] est des cas ou l'on ne gagne pas à étendre sa réputation. Ma marreine, en femme prudente, sentoit qu'elle auroit beaucoup perdu dans l'esprit du public, s'il eût été une fois désabusé sur son compte. À présent que je réfléchis sur l'état que je fais, qui est à la vérité, très conforme à mon tempérament, mais qui doit toujours répugner à celles qui conservent dans leurs passions un peu de délicatesse ; je trouve qu'une fille qui est assez adroite pour couvrir sa conduite du voile du mystere, doit y gagner beaucoup. Elle est toujours sûre, par cette sage précaution, d'augmenter le nombre de ses adorateurs, &, par conséquent, de multiplier ses plaisirs. La vue d'une putain, fût-elle plus belle que Vénus, excite peu de desirs à un homme. La facilité qu'il auroit à les satisfaire, en faisant seulement le sacrifice d'une piece d'argent, lui en ôte presque toujours l'envie, s'il aime à acheter ses plaisirs, c'est par des sacrifices, des complaisances, des soins & des égards, mais jamais au poids de l'or. Son amour propre n'est jamais plus satisfait que quand il doit la conquête d'une fille à ses agaceries, à ses importunités, & sur-tout à l'amour qu'elle ressent pour lui. Si les Financiers & presque tous les favoris de Plutus agissent autrement, c'est qu'ils calculent dans tous les instans de leur vie. Le temps précieux qu'ils perdroient à soupirer pour obtenir les faveurs d'une femme, leur coûteroit mille fois plus que le sacrifice qu'ils font de quarante ou cinquante mille francs pour entretenir une jolie femme, dont les charmes sont toujours vendus au plus offrant. Me serois-je jamais attendue, dans le temps que je desirois la fin du pieux exercice de Madame d'Inville, & que la perspective la plus agréable s'offroit à ma vue, que je me trouverois un jour fort heureuse qu'il tombât sous ma coupe un de ces riches millionnaires, pour avoit le plaisir de le plumer tout à mon aise. J'aurois commencé à m'ennuyer de ne voir paroître personne, (le temps s'écoule bien lentement pour quelqu'un qui attend,) si les ornemens du sallon où j'étois, ses meubles riches & choisis avec goût, la beauté des glaces qui le décoroient ; si tout enfin n'eût excité mon admiration. Les moindres beautés de cet appartement n'avoient point échappé à mes regards curieux. De tout cet examen que résulta-t-il ? Que je regardois Madame d'Inville comme la plus heureuse personne de toute la terre. Qu'on est sujet à se tromper, quand on apprécie le bonheur de ses semblables en raison de leurs richesses. L'homme sous des lambris dorés & couvert des vêtemens les plus précieux, cache un ame rongée de soucis & d'inquiétude. Envierions-nous le sort de ce riche malheureux, si nous pouvions lire dans son cœur ulcéré ? Celui du vil artisan, dont le travail lui fournit toutes les choses nécessaires à la vie, n'est-il pas mille fois à préférer ? Madame d'Inville étoit elle-même dans ce cas-là ? À la voir, on auroit cru qu'aucune femme ne menoit une vie plus heureuse ; mais quand je fus à même de connoître le fond de son cœur, j'en jugeai bien différemment. Je trouvai en elle une femme tyrannisée par des passions toujours renaissantes, d'autant plus malheureuse qu'elle craignoit de les satisfaite ouvertement. Elle redoutoit avec raison un mari jaloux, qui se seroit porté aux plus grands excès, s'il eût seulement soupçonné sa conduite. Onze heures étoient sonnées depuis long-temps, & la conférence édifiante avec M. l'Abbé Fillot ne finissoit point. Comme je n'avois pas dormi la nuit précédente, je ne pus résister à une envie démesurée qui m'en prit, & pour la satisfaire, je m'étendis sur un sopha bien propre à m'inviter au sommeil : Quoique très-jeune, j'avois tellement contracté l'habitude de me branler, que dès que j'étois étendue sur un lit, ma main se portoit machinalement vers la source du plaisir. Mais la crainte que j'avois que ma marreine n'arrivât pendant que je dormirois me fit prendre beaucoup de précaution pour éviter d'être surprise. Au lieu de me retrousser jusqu'à la ceinture, comme j'avois coutume de faire, ma main passée dans la fente de mon jupon, chatouilloit légérement les levres de mon con. L'habitude, comme on dit, est une seconde nature. La mienne étoit tellement enracinée chez moi, que semblable aux enfans qu'on a coutume de bercer pour les endormir, j'aurois pu rester huit jours sans fermer l'œil, si j'avois discontinué de me bercer à ma maniere. J'étois à peine dans l'attitude propre au sommeil, que je sentis quelque chose se glisser entre mes cuisses & faire même efforts pour les écarter. Un instant après un dard brûlant & d'une activité incroyable, pénétroit avec beaucoup de vivacité dans le fond de mon con. La crainte que j'avois que ce ne fût un songe à peu près semblable à celui que j'avois fait quelques semaines auparavant, ne m'auroit point fait ouvrir les yeux pour l'empire du monde. L'illusion avoit trop de charme pour moi, pour chercher à en sortir. J'appréhendois qu'en voulant m'assurer d'où provenoit la cause de ce bonheur inopiné, je ne la détruisisse entiérement, & qu'il ne me restât, pour tout fruit de ma curiosité, que le désespoir de l'avoir perdu. Sans m'inquiéter davantage de ce qui en étoit, je me prêtai au plaisir que l'on me procuroit, & ne tardai point à arriver au port de la grace. Revenue de ma pamoison qui avoit duré plus longtemps qu'à l'ordinaire, j'ouvris les yeux & reconnus avec une surprise mêlée de peur, que Pyrame, jeune chien, qui appartenoit à Madame d'Inville, étoit ce bienfaiteur, que je n'aurois jamais soupçonné d'être fi bien dressé. Dès qu'il me vit réveillée, il passoit & repassoit dans mes jambes & sembloit s'applaudir du service qu'il m'avoit rendu & m'en demander la récompense. J'ignorois ce qu'il vouloit me faire entendre par ses caresses, & ne pouvois m'acquitter envers lui qu'en en redoublant à son égard. J'ai su dans la suite que ma chere marreine lui donnoit une dragée toutes les fois qu'il lui faisoit cette besogne, & moi pour l'exciter, pour ainsi dite, à se surpasser, je lui en donnois deux quand je l'employois ; ma générosité avoit son but, le désir qu'il avoit d'avoir deux dragées, le faisoit tellement dépêcher & l'excitoit à darder sa langue avec tant de précipitation, que l'affaire se faisoit en un instant, & avec tant de plaisir que mon ame pouvoit à peine y suffire. Il saut avouer que Madame d'Inville avoit bien des ressources dans l'imagination, ou plutôt que la nature est bien ingénieuse. Quel génie heureux cette Dame avoit Que de sages précautions elle employoit pour cacher, d'un voile impénétrable, ses plaisirs habituels Un Abbé tartuffe par état, & libertin par inclination, un chien fidele comme tous ceux de son espece & discret par contrainte ; tels étoient les ministres de ses passions. Femmes Voilà votre modele ; livrez-vous si le tempérament vous y porte, à tout ce que l'amour a de plus piquant ; mais sur-tout, sauvez les apparences. Si votre société ne peut vous fournir un homme qui soit ou porté par inclination, ou forcé par état à la discrétion, dressez à son exemple un petit chien. Cette ressource ne peut vous manquer, & vous l'aurez quand vous voudrez. Je ne vous conseille pas de faire comme plusieurs de nos Dames, qui font venir des Negres de l'Amérique & qui les font coucher dans leur lit lorsqu'ils sont jeunes. Le Negre malgré son attachement & sa fidélité envers son maître, pourroit quelquefois, dans un moment de mécontentement, révéler votre conduite. Mais je ne m'apperçois pas que l'envie d'être utile à mon sexe m'emporte trop loin. J'ai tort, cher Lecteur, & je l'avoue, de vouloir donner des conseils à celles de qui je devrois humblement en recevoir. Verroit-on nos promenades & nos jardins publics, fourmiller d'hommes qui vendent des petits chiens ; verroit-on presque toutes les femmes en avoir, qu'elles chérissent plus que leurs maris, en reconnoissance de ce qu'ils leur sont passer plus souvent des momens agréables, pour ne pas dire qu'ils font quelque-fois le devoir du ménage, si l'utilité de ces petits chiens ne leur étoit pas connue ? Je suis fâchée qu'on ait perdu le goût d'avoir des singes comme autrefois. Cet animal est naturellement si chaud, qu'à défaut de ceux de son espece, il a souvent forcé des filles & des femmes : le plaisir en tout semblable à celui que procure un homme, seroit plus grand. D'ailleurs, on n'auroit point de peine à les dresser. Mais, me dira quelqu'un, leur laideur affreuse seroit trouver mal une femme.... Peut-être celle qui ne connoîtroit pas leur mérite : mais je réponds qu'elle ne tarderoit pas à s'y apprivoiser, quand elle auroit une fois éprouvé leur utilité. La figure décide-t-elle jamais le choix d'une femme amoureuse ? Celui qui lui paroît le plus vigoureux n'est-il pas toujours sûr de l'emporter sur ces rivaux ? Comme j'ai pris à tâche de mettre la patience de mon Lecteur à l'épreuve, je ne puis terminer cette digression, sans donner conseil aux filles de joie, d'employer utilement leurs momens de loisir. La plupart ne savent comment chasser l'ennui inséparable de l'oisiveté. Qu'elles fassent ce que je vais leur dire : leurs momens perdus seront employés, & utilement & agréablement. Elles n'ont qu'à se charger, de dresser tous les chiens qui doivent servir aux plaisirs des femmes, soi-disant honnêtes. Je leur réponds autant du débit de ces petits chiens que des godemichés & des condons qui se vendent au Palais Marchand. L'argent circulera dans leurs maisons autant qu'il y est rare, & leur vie se passera dans des plaisirs continuels. Cette branche de commerce une fois connue, peut-être toutes les femmes voudront-elles s'en mêler. Il faudra alors qu'elles redoublent de soins pour rendre leurs éleves mieux dressés que ceux des personnes qui voudront courir la même carriere. Mais qu'en dites-vous, Lecteur ? Il est temps, je crois de revenir à Madame d'Inville, qui ne tarda plus à paroître qu'autant de temps qu'il en fallut pour réparer le désordre de mes habits. J'étois même encore occupée à caresser Pyrame lorsqu'elle entra. Elle étoit accompagnée de l'Abbé Fillot qui lui donnoit la main. Je courus aussi-tôt l'embrasser & lui témoignai ma reconnoissance des bontés qu'elle vouloit bien avoir pour moi. Je t'ai bien fait attendre, mon enfant, me dit ma marreine. Je t'aurois fait dire de ne venir me voir que demain, si je m'étais ressouvenue hier que c'étoit aujourd'hui mon jour d'exercice. J'en aurois été très fâché, Madame, dit l'Abbé Fillot.... je n'y aurois. pas été... vous m'auriez privé du plaisir de voir cette belle enfant. Qu'elle est intéressante Qu'elle sera belle, tout en disant cela, le paillard me serroit amoureusement les mains & me regardoit avec des yeux si enflammés par la passion, que la timidité me fit baisser la vue. Je lui entendis même dire, entre le haut & le bas, qu'il voudroit être chargé, quand j'aurois quinze ans, de me donner la premiere leçon d'amour. Tout ce qu'il disoit & faisoit étoit une énigme pour moi, il auroit parlé & agi encore plus indiscrétement, que je n'y aurois rien compris. Ma marreine, cependant lui fit signe de se taire & me demanda si je serois bien aise d'être mise au Couvent. Sur ce que je lui répondis que je n'avois aucune répugnance à faire la volonté de ma mere & la sienne, elle me promit que si je contentois bien mes maîtresses, & que si je me conduisois bien qu'elle m'attacheroit auprès d'elle, lorsqu'elle m'en retireroit. Enfin qu'elle se chargeroit de mon établissement. Tiens-toi prête, dit-elle pour demain, je t'irai chercher moi-même & te conduirai dans le même Couvent où il m'est mort une fille, dont la perte me sera toujours sensible. On y est très-bien, tant pour la nourriture que pour l'éducation. Après avoir fait mes remercimens à ma marreine, on proposa de descendre au jardin. Nous restâmes à la promenade jusqu'au dîner. Une heure après être sortie de table, je quittai le château, pour revenir chez mon pere. En traversant mon village, je me vengeai du mépris qu'on avoir témoigné depuis quelque temps pour moi, en affectant de ne saluer personne. De retour à la maison, je trouvai ma mere enfermée dans sa chambre, c'étoit apparemment aussi son jour d'exercice : ou plutôt je crois que tous les jours de la semaine auroient été également employés, s'il avoit dépendu d'elle. Si au moins Toinette avoit eu un petit chien qui m'eût rendu le même service que Pyrame, les deux heures qu'elle me fit attendre se seroient écoulées plus rapidement. Dès que le Pere Procureur, avec qui elle étoit dans sa chambre fut sorti, elle s'occupa jusqu'au souper des préparatifs de mon départ. Le lendemain ma marreine arriva à l'heure dite. Le bon homme Ambroise versa des larmes en me voyant partir ; ma mere affecta un peu de chagrin. Quant à moi, je ne pus m'empêcher d'en répandre dans le sein de mon pere, qui m'avoit toujours beaucoup aimée : mais je quittai ma mere avec presque autant d'indifférence que si je ne l'avois jamais connue. J'étois depuis long-temps trop malheureuse avec elle pour être fâchée de notre séparation. Le Couvent où l'on me conduisit n'étant éloigné de notre Village que de quatre lieues, nous y arrivâmes en très-peu de temps : nous nous rendîmes chez la Supérieure, à qui ma marraine me recommanda beaucoup, ainsi qu'aux autres Meres de la maison. Madame d'Inville, en me quittant, m'embrassa tendrement & me glissa un louis dans l'a main, qu'elle me dit d'employer à régaler les autres pensionnaires. Me voilà donc dans un Couvent, dans ce lieu dont je m'étois fait une idée bien au-dessus de ce que je fus à même d'en juger quand j'y fus entrée. Au milieu de cinquante ou soixante compagnes, de caractères & d'humeurs différentes, toutes me faisoient des questions & tâchoient de pénétrer dans laquelle de leur société je devois être admise ; car toutes les pensionnaires en formoient plusieurs. Ce qui me picqua à la fin, ce fut de voir que ma franchise ne me faisoit pas faire un pas dans leur confiance. Ne pouvant deviner le but de leur curiosité, j'étois décidée de mettre moins de sincérité dans mes réponses. Je m'étois imaginée que ma vie au Couvent se passeroit dans de continuels amusemens ; combien je me trompois Je crus le premier mois que je succomberois sous l'ennui mortel qui me consumoit. Ce qui me désespèroit le plus, c'est que mes compagnes, en évitant de m'associer à leurs jeux, sembloient me reprocher la bassesse de ma naissance. Pour tout dire, en un mot, les duretés de ma mere me sembloient préférables à l'indifférence que tout le monde témoignoit à mon égard. J'étois déjà décidée à faire écrire à Madame d'Inville, pour qu'elle eût la bonté de me retirer du Couvent, lorsqu'une Sœur novice me fit perdre en un instant cette résolution. C'est de la Sœur Monique dont je veux parler : c'est elle qui m'enseigna les plaisirs réservés aux élus de Dieu. C'est aux nuits charmantes qu'elle me fit passer dans ses bras, que je suis redevable du goût que je pris pour le Couvent. Autant je desirois auparavant de revenir chez mes parens, autant j'aurois été fâchée qu'on me retirât. Adam & Eve étoient moins heureux dans le Paradis Terrestre, que je ne l'étois au Couvent. Ils y avoient des desirs qu'il leur étoit, dit-on, défendu de satisfaire : quant à moi, je n'en conservois aucuns. Le bonheur de jouir des houris que Mahomet promet aux fidéles observateurs de l'Alcoran, n'est que chimere, en comparaison de celui dont je jouissois. Pour tout dire enfin il n'est pas possible de le comprendre à moins d'avoir goûté les délices qu'il procure. L'époque de mon bonheur est toujours si présente à ma mémoire, que je ne l'oublierai jamais ; c'étoit précisément la veille du jour que j'avois fixé pour faire écrire à Madame d'Inville afin qu'elle me retirât du Couvent, sous prétexte d'être incommodée. Au sortir du réfectoire, je m'étois retirée dans ma chambre pour méditer les raisons que je donnerois du desir que j'avois de revenir chez mes parens. Toutes celles que j'avois de détester mon nouveau genre de vie me paroissoient à moi très fondées ; cependant je craignois qu'elles ne parussent point aussi solides aux yeux des autres. Désespérée de n'en point trouver d'autres, mon parti étoit pris : je devois m'en servir, j'étois même bien décidée, dans le cas où elles n'opéreroient pas l'effet que je desirois, de me conduire si mal, qu'on seroit à la fin obligé de me renvoyer. Pleine de ces idées, je me mis au lit. J'étois à peine couchée que j'entendis le tonnerre gronder d'une maniere épouvantable. L'orage étoit si furieux, le temps était si noir, les éclairs, qui se succédoient rapidement, étoient si brillans, que ma chambre paroissoit tout en feu. Les coups de tonnerre que répétoient les échos d'alentour qui les rendoient plus terribles, donnoient de telles secousses à la maison, qu'il sembloit qu'elle alloit s'écrouler. La peur que j'avois d'être écrasée par la foudre me rendoit immobile. N'ayant pas même la force de sortir de mon lit, je m'étois enfoncée la tête sous la couverture, pour ne point voir toutes les horreurs de cette nuit épouvantable. Foible remede ma crainte ne faisoit que s'accroître. Je regardois cette nuit comme la derniere de ma vie, quand je sentis quelqu'un se glisser sous mes draps. J'étois prête à crier, mais j'entendis une voix qui me rassura & que je reconnus pour être celle de la Sœur Monique. Elle me dit que la peur du tonnerre l'avoit déterminée à venir coucher avec moi. Je le crus, & j'en fus sort aise, sur-tout que ce fût elle. Elle avoit toujours paru avoir plus d'amitié pour moi que tout le reste du Couvent. Je crus d'abord que la nuit alloit se passer à causer de tout ce qui se faisoit dans le Couvent, à passer en revue toutes les actions des Sœurs, & à critiquer sur-tout la conduite de la supérieure. Le bruit commun, à la vérité, étoit qu'elle couchoit toutes les nuits avec le Directeur de la maison : & toutes les Meres, jalouses de son bonheur, se plaisoient à l'entretenir. Étoit-ce parce qu'elle faisoit mal qu'on blâmoit son commerce... Non... rien n'est si naturel. Je voudrois seulement que les Abbesses, & toutes celles qui sont à la tête des maisons de Filles, je voudrois, dis-je, qu'elles ne fussent point aussi rigides à punir les moindres foiblesses des malheureuses victimes qui gémissent sous le poids de leur autorité. En les rendant moins malheureuses, elles trouveroient en elles des critiques moins séveres de leur conduite. La Sœur Monique, par son silence, m'étonna d'abord. Je voulus, pour entamer la conversation, lui faire quelques questions : mais elle me dit qu'elle n'étoit point assez rassurée pour me répondre. En disant cela, elle me serroit dans ses bras, & poussoit des soupirs où je crus m'appercevoir qu'elle craignoit encore plus le tonnerre que moi. Je ne fus cependant pas long-temps sa dupe. Les différentes postures qu'elle me faisoit prendre, m'indiquerent bientôt que l'orage ne lui avoir servi que de prétexte pour venir me trou ver. Nous passâmes enfin la nuit la plus délicieuse, & j'appris que les femmes peuvent se procurer entr'elles des plaisirs très-grands, sans avoir à craindre mille dangers qui naissent du commerce des hommes, Je détaillerois ces plaisirs, si je n'étois pas persuadée qu'ils sont très-connus, & sur-tout parmi les femmes du premier rang : ce qui n'est point étonnant, car on n'a point à craindre, en se conduisant ainsi, d'être obligée d'élargir sa ceinture, & de donner de la jalousie à qui que ce soit. Je ne sais cependant si les hommes doivent être contens de voir régner un pareil goût, & s'ils ne devroient pas plutôt faire tous leurs efforts pour l'empêcher. Ils doivent S'appercevoir que les bonnes fortunes sont devenues bien plus rares pour eux depuis cette épidémie parmi celles de mon sexe. Ne pourroit-on pas aussi leur reprocher d'y avoir un peu contribué, par leur indiscrétion à parler des faveurs qu'ils recevoient ? Qu'ils soient moins fanfarons & plus respectueux auprès des femmes, peut-être opéreront ils ce miracle. Il en est de ce goût passager, comme de toutes les modes qui s'introduisent dans ce pays ci. Le François est en général trop inconstant pour que leur cour soit de longue durée. Cette maladie, au reste, seroit plus difficile à guérir dans les Couvens : il y auroit même de la barbarie à le tenter. Aurois-je pu y demeurer six mois, si je n'avois passé presque toutes les nuits entre les bras de la Sœur Monique ? D'un lieu qui me paroissoit affreux, n'en a-t-elle pas fait un séjour charmant ? Peut-on donc douter que tout Couvent ne fût un enfer anticipé, si toute espece de plaisir en étoit banni ? Après être demeurée six ans dans le Couvent, j'en fus retirée par Madame d'Inville, qui me rappella auprès d'elle. Combien je versai de larmes en me séparant de la Sœur Monique ? Il sembloit, au chagrin que j'éprouvois en la quittant, que je ne devois plus la revoir & que toute espece de bonheur étoit fini pour moi. Hélas je ne me trompois pas. Je coulois dans mon Couvent des jours doux & paisibles. Chaque nuit m'amenoit avec elle des plaisirs toujours renaissans. Tranquille sur le présent, sans inquiétude pour l'avenir, étoit-il un bonheur comparable au mien ? Quelles instances n'aurois-je pas fait auprès de ma marreine pour y passer toute ma vie, si j'avois pu prévoir tout ce qui m'est arrivé depuis que j'en suis sortie. Bien loin de faire ces réflexions, ce qui calmoit un peu le chagrin que j'éprouvois alors, c'étoit le desir de juger par moi-même du plaisir que peut procurer un homme. Mon amie m'avoit peint avec des couleurs si vives les momens agréables qu'elle avoit passés avec son cher Chapelain, que je portois envie à son bonheur. Je me promettois même de ne point rebuter le premier homme qui viendroit pour me faire sa cour. Avec ces bonnes dispositions, je revins chez ma marreine, ou je ne pus rester que quelques jours. Comme elle étoit obligée d'aller prendre les eaux de Spa, pour certaine maladie qui oblige toujours les personnes prudentes d'aller chercher des remedes fort loin, je revins chez ma mere passer les six semaines que dura le voyage de Madame d'Inville. Je reçus force carresses de mon pere, de Toinette, & sur-tout de mon frere Saturnin. Si j'ai connu la vie joyeuse que menoit ma mere avec les différentes personnes qui venoient à la maison, c'est à mon frere que j'en ai l'obligation. Il auroit bien desiré que je fisse avec lui ce qu'il voyoit faire à Toinette avec ses amans : j'avoue que je ne l'aurois pas refusé si je n'avois été retenue par la crainte de devenir grosse. Je savois avec quelle adresse la Sœur Monique s'étoit retirée de cet embarras ; mais je n'avois pas comme elle un remede de Supérieure de Couvent. Un jour cependant que Saturnin, pour échauffer mon imagination, m'avoit rendu témoin de ce qui se passoit entre le Pere Polycarpe & ma mere, je ne pouvois plus résister au feu qui me consumoit. Déjà étendue sur le lit de mon frere, je sentois son vit faire des efforts violens pour pénétrer jusques dans la grotte du plaisir. Déjà il avoit rompu la premiere barriere qui s'opposoit à son passage, & je commençois à goûter un plaisir aussi grand qu'inconnu pour moi, lorsque son lit, brisé des secousses qu'il lui donnoit, tomba avec bruit. Mon frere, loin d'être effrayé de cette chûte, n'en piquoit que plus vigoureusement sa monture ; nous approchions du souverain bonheur, lorsque ma mere ouvrit la porte du cabinet, accompagnée du Pere Procureur, qui arracha mon amant de mes bras, malgré les efforts qu'il faisoit pour y demeurer. Toinette, après avoir donné quelques paires de soufflets, étoit à peine sortie avec mon frere, que le Pere Polycarpe voulut achever la besogne que mon frere avoit commencée. Malgré que je fusse toute nue, je me défendois assez bien pour donner le temps à ma mere de venir & de me débarrasser des mains de ce vilain paillard que j'avois toujours détesté. J'espérai d'être une autre fois plus heureuse & de prendre si bien mes précautions, que nous ne serions point surpris. L'occasion s'en présenta bien-tôt. Madame d'Inville ayant fait savoir son retour à ma mere, elle nous envoya mon frere & moi, lui faire compliment sur le rétablissement de sa santé. Mais j'eus assez de malheur pour que ma marreine devint elle-même amoureuse de mon frere. Si j'avois bien fait, j'aurois consenti aux propositions qu'il me fit en revenant du château. J'eus la sottise de vouloir différer jusqu'au lendemain, que nous devions y retourner ; & pour n'avoir pas saisi l'heure du berger, je n'ai jamais pu depuis, terminer avec lui l'ouvrage que nous avions commencé, ainsi qu'on va le voir. Le lendemain nous nous rendîmes de très bonne heure au château, comme je devois y demeurer, qu'on m'y avoit destiné une chambre, j'espérois la faire servir ce jour-la même à nos ébats. J'en avois même parlé à mon frere, qui avoit applaudi à mon dessein. En arrivant, nous trouvâmes Madame d'Inville au lit, qui nous reçut avec beaucoup d'amitié. Les agaceries qu'elle faisoit à mon frere, les libertés qu'elle lui donnoit n'étoient pas trop de mon goût. Mais il falloit dévorer ce chagrin sans me plaindre. Jusqu'au moment du dîner, on ne pourra jamais s'imaginer tout ce que je souffris en voyant mon frere fourrager à volonté tous les charmes de Madame d'Inville. Après être sortis de table, quelle fut ma douleur, ou plutôt ma rage, quand je vis que ma marreine m'éloignoit à dessein d'être plus à son aise avec Saturnin. Je feignis d'exécuter l'ordre qu'elle m'avoit donnée, mais je les suivis dans le jardin. Là, je fus témoin de tout ce qui se passa. Si j'en voulois à Madame d'Inville, je n'étois pas moins furieuse contre mon frere, l'ingrat dis-je en moi-même, me préfére une femme qui ne peut lui offrir que les restes du libertinage le plus consommé. J'avois beau me plaindre ; il fallut avaler la coupe d'amertume jusqu'à la lie ; il fallut le voir rentrer dans l'appartement de Madame d'Inville, ou ils demeurerent deux grandes heures. La nuit seule put faire trève aux combats qu'ils y livrerent. Je serois demeurée vingt-quatre heures en sentinelle à la porte de l'appartement de Madame d'Inville, plutôt que de ne le pas voir sortir. À la fin, cependant, il parut à travers les ténébres. Je l'entraînai dans ma chambre pour lui reprocher son infidélité, Saturnin se jetta à mes genoux, me fit des excuses qui me parurent sinceres, & me promit qu'il ne verroit jamais Madame d'Inville. Cette promesse diminua mon chagrin. Déjà malgré son épuisement, il cherchoit en vain à sceller notre réconciliation, lorsque se sentant frapper par une main invisible il prit la fuite. A-t-il jamais existé un être plus malheureux que moi ? Tout ne semble-t-il pas concourir à me désespérer. Chez ma mere un maudit lit est cause qu'on nous surprend : ici, quoique favorisée par les ténebres, un démon invisible est jaloux de notre bonheur. La peur que je ressentis me fit perdre connoissance. L'Abbé Fillot qui étoit caché dans la ruelle de mon lit, à dessein de satisfaire, pendant la nuit, la passion qu'il avoit conçue pour moi, étoit le spectre qui avoit frappé Saturnin. Ce monstre eut la barbarie d'abuser de mon état pour se satisfaire. Dès que la connoissance me fut revenue, je n'aurois jamais imaginé accorder mes caresses à d'autres qu'à mon frere, & je me livrai toute entiere au plaisir qu'il me donnoit. Sortie de mon erreur, je voulus fuir & m'arracher de ses bras ; mais il me menaça de me perdre dans l'esprit de Madame d'Inville, si je refusois de répondre à ses caresses. Il fallut donc cèder & faire par force avec lui, ce que j'aurois fait par amour avec mon frere. Je ne tardai pas à m'en repentir ; bien-tôt je m'apperçus que les ceintures de mes juppons devenoient fort étroites. J'en fis confidence à l'Abbé Fillot, qui me promit de ne point m'abandonner. Effectivement, vers le temps à peu près de mettre bas un fardeau qui me gênoit beaucoup, il me fit faire des habits d'Abbé avec lesquels je me déguisai, & je partis avec lui. Le mouvement de la voiture avoit tellement avancé ma grossesse, que je fus obligée de m'arrêter à quelques lieues de Paris, pour y faire mes couches. L'Abbé Fillot ne tarda pas à me faire voir que c'étoit moins par ménagement pour ma réputation, que pour ne point exciter la jalousie de Madame d'Inville, qu'il avoit consenti à se charger de moi ; car je fus à peine descendue dans une Auberge, que cet infâme scélérat m'abandonna. Une Dame de l'endroit eut pitié de mon état, & m'amena à l'Hôtel Dieu de Paris, J'étois à peine rétablie qu'on m'ordonna de sortir. Ainsi on se doute bien que sans argent, je dus être fort malheureuse ; ou pour mieux dire je ne savois de quelque côté donner de la tête. Quoiqu'encore très-foible, je fis ce jour-là presque tous les quartiers de Paris, sans savoir où j'allois. À la fin, épuisée par la fatigue & le besoin, je m'arrêtai à la porte d'un marchand de vin. Réfléchissant alors sur mon malheur, mes larmes coulerent abondamment. Le garçon marchand de vin qui étoit sur le seuil de sa porte, s'approcha de moi, & me dit avec un ton poli : pourrois-je, Mademoiselle, vous demander sans indiscrétion le sujet de vos pleurs ? Ah Monsieur, m'écriai-je, je ne crois pas qu'il existe dans la nature une fille plus à plaindre que moi. J'ai été amenée dans ce pays-ci, par un monstre qui m'a abandonnée. Je sors aujourd'hui de l'Hôtel-Dieu : je n'ai pas un sol, & pour comble de malheur je ne connois personne dans cette Ville. Mon air de franchise, ma jeunesse & quelque peu de beauté, l'intéresserent en ma faveur. Il me pria d'entrer dans son cabaret, & me servit aussi-tôt une demi-bouteille du meilleur vin qu'il avoit dans sa cave. Il fit apporter de chez un Traiteur, un très-bon potage, & me pria avec tant d'honnêteté de manger, qu'à la fin je cédai à ses instances. Après que j'eus pris quelque nourriture, je ne puis pas, me dit-il, vous loger ici ; cet endroit n'est que ce que nous appellons à Paris une cave en Ville, dont je suis chargé de vendre le vin ; mais je vous indiquerai une auberge & je payerai ce qu'il en coûtera. Après que j'eus mangé ma soupe & bu quelques verres de vin, s'apperçevant que j'étois très-fatiguée, il me conseilla de me retirer, & me donna une lettre pour l'hôte, auquel il me faisoit passer pour sa parente Il me recommanda si bien, qu'on eut toutes sortes d'égards pour moi. Tous les jours je venois rendre visite à mon bienfaiteur ; chaque fois j'éprouvois de nouvelles marques de bonté. Je trouvois tant d'honnêteté dans ses procédés que j'en devint amoureuse. Depuis plusieurs jours, il me sollicitoit de répondre à son amour, qu'il me peignit dans des termes si sinceres que je n'attendois que le moment d'être pressée plus vivement pour le satisfaire. Enfin ce moment heureux arriva. Un soir que j'étois sur le point de me retirer, il m'engagea de descendre à la cave avec lui. Je me doutois qu'il avoit d'autre envie que de me faire examiner l'ordre qui y régnoit. Comme nos cœurs étoient d'accord, j'y descendis volontiers, malgré que je me doutasse bien de son intention. Aux caresses qu'il me fit dès que j'y fus, je jugeai aisément où il en vouloit venir ; mais je feignis de ne pas m'en appercevoir. L'endroit n'étoit pas commode pour exécuter son dessein, mais le besoin fournit des moyens. Il commença par mettre la main dans ma gorge qu'il dévoroit par ses baisers. Une autre main passée dans la fente de mon juppon fourageoit d'autres appas ; mais tout cela n'étoit qu'un prélude de ce qu'il vouloit faire. Je faisois quelques difficultés pour la forme seulement : car j'en avois, pour le moins, autant d'envie que lui. Je me plaignois des libertés qu'il prenoit ; mais il sembloit que tout ce que je faisois pour me défendre ne servoit qu'à le rendre plus ardent. À la fin nous trouvant tous deux auprès d'un tonneau, il me prit dans ses bras, & me plaça dessus. Ensuite se mettant entre mes cuisses, il me fit un bavolet de ma chemise, aussi-tôt il sortit de sa culotte un vit propre à faire plaisir à la femme la moins amoureuse, & me l'enfonça dans le con jusqu'à la garde. Quoique l'endroit fût encore sensible, je ne tardai pas à sentir les approches du plaisir, Mon cher Nicolas (c'étoit le nom du garçon) poussoit avec tant de vigueur, que si je n'avois eu le dos appuyé contre la muraille, je n'aurois jamais pû soutenir les secousses qu'il me donnoit. Il me tenoit les jambes sous ses bras, de façon que m'attirant à lui dans le temps qu'il me donnoit un coup de cul, il n'y avoit pas deux lignes de son vit qui n'entrassent dans mon con. Après trois amples décharges sans déconner, & toujours dans la même posture, nous quittâmes la partie, très-satisfaits l'un de l'autre ; & nous nous promîmes de recommencer le lendemain. Cette vie agréable auroit duré plus long-temps, si le marchand de vin, sur des rapports qui lui avoient été faits, n'eût menacé Nicolas de le mettre à la porte s'il ne me quittoit pas. Cet honnête garçon qui m'aimoit autant que je l'aimois, ne put me conter cette nouvelle accablante pour tous deux, sans verser un torrent de larmes. Son chagrin étoit si grand & me paroissoit si sincere, que toute inconsolable que j'étois, je fus obligée de chercher à le consoler. Qu'allez-vous devenir, me disoit-il, si je suis forcé de vous quitter ; je retournerai, lui dis-je, dans ma famille, & je vous assure que vos bienfaits ne sortiront jamais de ma mémoire. Comme mon amant s'attendoit que nous serions forcés de nous séparer, il avoit pris sur lui tout l'argent qu'il possédoit & me l'offrit avec beaucoup de générosité. Je fis des difficultés pour l'accepter, & je n'en voulus prendre que quatre louis, qui me parurent une somme suffisante pour faire ma route. Je retins ce jour là même ma place au coche, & je partis le sur-lendemain. Les personnes qui étoient dans la voiture publique étoient d'état bien différent. Il y avoit des Moines, des Abbés, & des Officiers, & j'étois seule de femme. Sur la route on agita différentes questions. Tous les sujets étoient traités très-superficiellement, comme c'est la coutume. Les Officiers parloient de leur état, les Abbés de leurs bonnes fortunes ; les Moines pendant tout ce temps-là ne tiroient point leur poudre aux moineaux, & s'occupoient à me faire leur cour. Il y avoit entr'autres un Cordelier qui poussoit sa pointe vivement auprès de moi : À la dînée, il me fit des propositions très-avantageuses. Il me dit qu'il me donneroit de l'argent pour louer une petite maison dans un village voisin du Couvent, où il alloit se fixer & qu'il m'entretiendroit si bien, que je n'aurois qu'à me louer de sa générosité, & qu'il feroit ma fortune. L'envie d'être ma maîtresse ; la crainte que j'avois d'être renvoyée de chez ma marreine, après une absence qui avoit dû faire beaucoup de scandale, me firent goûter cette proposition. Après être convenus qu'il me feroit cent louis de rente, sans les petits présens qu'il me promettoit, il fut décidé que les arrhes se donneroient à la premiere couchée. Nous eûmes soin de choisir deux chambres qui fussent auprès l'une de l'autre dans l'hôtellerie où nous nous arrêtâmes. Il étoit environ une heure du matin, lorsque j'entendis mon Cordelier donner le signal dont nous étions convenus. J'ouvris ma porte avec le moins de bruit qu'il me fut possible, & aussi-tôt il entra. Il avoit apporté avec lui une bonne bouteille de vin de Champagne que nous eûmes bien-tôt sablée. Tout en buvant il ôta le mouchoir qui me couvroit, la gorge & me délassa. Il s'extasia à la vue de mes tetons, qui étoient à la vérité très-ronds & très fermes & blancs comme l'albâtre. Ensuite mes vêtemens lui paroissant incommodes, il me servit lui-même de femme de chambre. Il me parut qu'il étoit vraiment Moine, & que ce n'étoit pas son coup d'essai. Il ne voulut pas même laisser ma chemise, que je n'ai reprise que lorsqu'il eut amplement examiné tout ce qu'il vouloit voir. Dès que je fus toute nue, il me fit placer sur mon lit, tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre. Pour lui une chandelle à la main, il examinoit toutes les parties de mon corps. À chaque endroit il faisoit une station beaucoup plus agréable pour lui, que n'auroient été celles du Jubilé . Il appliquoit par-tout des baisers ardens. Enfin, après avoir tout vu & revu, après avoir fait à chaque partie de mon corps un éloge particulier, le marché fut conclu sur mon lit, à plusieurs reprises, avec une entiere satisfaction de part & d'autre. Comme il falloit se lever de grand matin, le Moine se retira dans sa chambre ; quant à moi, je ne tardai pas à m'endormir. Le lendemain nous laissâmes le coche au bout de deux lieux, étant obligés de quitter la grande route pour aller dans le Village où je devois me fixer. Nos compagnons de voyage, à qui j'avois communiqué où j'allois, furent bien étonnés de me voir descendre avec le Moine. Ils parurent interdits, en me voyant prendre la même route que lui. Un Officier, ne pouvant retenir la demangeaison qu'il avoit de parler, dit à voix haute : mon Révérend, vous ne nous aviez pas prévenus que vous vouliez enrôler cette belle enfant pour votre Couvent. Si vous n'étiez pas Moine, je vous demanderois raison de l'insulte que vous me faites à moi & à tous mes compagnons de voyage. Le Cordelier cherchoit plutôt à s'éloigner, qu'à répondre à tous les brocards qu'on lui lâchoit : les autres Moines ne disoient rien, mais paroissoient enrager de m'avoir couchée en joue, & de me voir tirée par un autre. Pour moi, je ne fis mes adieux à toute la compagnie que par une profonde révérence. Tout en gagnant le Village, mon Moine me dit qu'il alloit me conduire chez une de ses pénitentes, & qu'il la prieroit de me loger jusqu'à ce que j'eusse meublé une maison. Il me pria d'afficher beaucoup de vertus vis-à-vis de cette femme, afin de sauver les apparences. Dès que nous fûmes arrivés, le Cordelier lui dit qu'ayant eu occasion de me voir fréquemment à Paris dans une maison où il alloit, il avoit appris l'envie que j'avois, depuis que j'étois veuve, d'aller vivre à la campagne pour rétablir ma santé ; qu'il m'avoir conseillé de choisir, de préférence, les environs de son Couvent, tant pour l'air, que pour les promenades qui étoient charmantes : ce qui étoit effectivement vrai : & qu'il avoit enfin déterminé mon choix. Cette Dame me reçut avec beaucoup de politesse, & je demeurai chez elle les huit jours qui furent employés à mettre en état la maison que je devois occuper. Mon Cordelier, pendant tout ce temps, ne passoit presque point de jours sans venir me voir. Comme ses visites chez cette Dame étoient presque aussi fréquentes avant que je demeurasse avec elle, cela ne parut point suspect ; & d'ailleurs nous nous conduisimes de part & d'autre avec beaucoup de prudence & de circonspection. Comme j'étois un peu instruite sur la Religion, c'étoit toujours la conversation que j'amenois quand j'étois avec cette Dame. Ainsi, sans afficher une très-grande dévotion, je passai bien-tôt dans son esprit pour une femme très-pieuse. Ce qui lui faisoit plaisir, dit-elle un jour au Cordelier, c'étoit de voir que ma piété ne diminuoit pas la gaieté de mon caractere. Je jouois si bien le rôle de Tartuffe, que jusqu'au moment de la scène qui m'arriva dans l'orgue du Couvent, la pénitente de mon amant ne parloit de moi qu'en faisant mon éloge. Dès que toutes les réparations nécessaires furent faites dans ma petite maison, j'en allai prendre possession avec cette Dame, que j'invitai ce jour-là à dîner, ainsi que mon Moine. Il ne mangeoit jamais chez moi, que Madame Marcelle, (c'étoit le nom de cette femme) ne fût de la partie. Elle admiroit elle-même avec quelle adresse je savois accorder mes plaisirs avec ma réputation. Mon amant ne cessoit de me répéter qu'il étoit toujours étonné qu'on fût capable d'autant de prudence à mon âge. La Dame Marcelle étoit donc la dupe de la fausse piété de son Confesseur & de mon hyppocrisie, ou plutôt elle étoit notre maquerelle, sans en avoir le moindre soupçon. Je demeurai six ans dans ce Village avec l'estime de tous les honnêtes gens. Il ne s'y donnoit pas de grands repas que je n'y fusse admise ; tout le monde se disputoit ma connoissance, Les maris me citoient à leurs femmes, comme un exemple de vertus, & les meres à leurs filles. Il tarde sûrement au lecteur de savoir comment nous pouvions, le Cordelier & moi, nous voir en particulier, sans qu'on s'apperçût de notre intrigue. Il se doute bien que tout ce que je faisois, n'étoit que pour donner à une conduite des plus déréglées un vernis de sagesse, mais la reconnoissance ne me prescrivoit-elle pas aussi de ménager la réputation de mon amant. D'ailleurs aurois-je pu le garder huit jours, si j'en avois agi différemment ? Pour ne point ennuyer ceux qui liront mes Mémoires, ne différons pas plus long-temps de satisfaire leur curiosité. Voici comment nous nous conduisions. Le Pere Hercule (c'étoit le nom du Cordelier) étoit le premier Moine du Couvent. On sent bien qu'en cette qualité il jouissoit d'une plus grande liberté que les autres Moines. Comme lui-même avoit choisi la maison que j'habitois, il avoit donné la préférence à une, dont le jardin donnoit sur la campagne : une porte de sortie à l'extrémité du jardin, & dont il avoit la clef, favorisoit ses visites nocturnes. Dès que tous les Moines étoient retirés dans leurs cellules, le Pere Hercule sortoit de son Couvent, entroit par la porte du jardin, & venoit me trouver dans mon lit. Ainsi nous passions toutes les nuits ensemble, si l'on en excepte quelques-unes qu'il jugeoit nécessaires pour rétablir son tempérament. Le lendemain il me quittoit de très-grand matin & retournoit dans son Couvent, sans que personne s'apperçût de la nuit délicieuse qu'il avoit passée. Dieu sait combien nous nous en donnions Je variois tellement les plaisirs de mon Moine, je le provoquois de tant de façons, de répondre à la force de mon tempérament ; qu'à la fin je le réduisis à un état d'impuissance. Aussi lassée de trouver toujours dans ses jambes un vit plus flasque & plus mou qu'un linge mouillé, que rebutée de le patiner inutilement, & sans pouvoir lui faire reprendre son ancienne vigueur, je formai la résolution de lui nommer un aide de camp. Je fus donc moi-même la cause de tous les malheurs que j'ai essuyés dans la suite, & j'ai payé bien cher le reste de ma vie, & mon ingratitude & l'imprudence de mon nouvel amant. Mon choix ne fut pas long à faire. J'avois remarqué en allant entendre la messe au Couvent, que l'Organiste ne passoit jamais devant moi, qu'il ne me regardât avec des yeux qui me peignoient la passion qu'il avoit pour moi. C'étoit un luron de bonne mine, qui me paroissoit très-propre à contenter une femme qui avoit autant de penchant à la fouterie que moi. La difficulté étoit de trouver un prétexte honnête pour l'attirer chez moi : mais une femme amoureuse manque-t-elle de moyens pour satisfaire sa passion ? Voici, cher lecteur, celui que je pris. Je vous laisse à décider s'il étoit adroit. Un jour que je donnois à dîner à Madame Marcelle & au Révérend Pere Hercule, je fis tomber la conversation sur la vie que l'on menoit à la campagne. Je finis par dire qu'il falloit y avoir une occupation quelconque pour ne point s'y ennuyer, sur-tout dans l'hyver, où toute promenade étoit interdite : que quant à moi, je ne pouvois m'imaginer comment une femme pouvoir passer toute l'année à faire du filet ou des nœuds : que ce travail n'occuppoit que les doigts & laissoit l'esprit dans une inaction insupportable. Pour moi, dis-je, j'aime celles de mon sexe que je vois occupées, soit à dessiner ou à peindre, soit à faire de la musique. Aimeriez-vous la musique, me dit le Pere Hercule ? Oui, mon Révérend, & même avec passion. J'ai toujours desiré de l'apprendre, mes affaires m'ont empêché jusqu'à ce jour de m'y livrer. Madame Marcelle dit qu'elle regardoit cet art comme très-innocent, qu'elle me proposeroit même de l'étudier avec moi, si son âge ne lui faisoit regarder cette entreprise comme une folie de sa part ; qu'il n'en étoit pas de même de moi, & que je devois me satisfaire. Mon amant qui étoit bien aise de trouver une occasion de me faire plaisir, prit aussi-tôt la parole & me dit qu'il m'enverroit l'Organiste de son Couvent : qu'il étoit très-bon musicien, qu'il jouoit supérieurement du Piano forte ; qu'il s'étoit même retiré à la campagne à dessein de donner plus de temps à l'étude de son Art. On imagine aisément combien cette proposition me fut agréable. Ce qui me réjouissoit le plus, c'étoit de voir que mes deux convives étoient amplement mes dupes, & que mon amant me fournissoit lui-même les moyens de le faire cocu sans qu'il s'en apperçût. Le lendemain je vis entrer mon Organiste, qui venoit de la part du Pere Hercule. Nous ne disputâmes pas long-temps, comme on peut le croire aisément, sur le prix que je devois lui donner pour ses leçons. Les huit premieres leçons se passerent avec un air si froid de ma part, que j'aurois pu déconcerter toute autre personne qu'un Musicien. Aussi mon indifférence, loin de le rebuter, ne servit qu'à le rendre plus entreprenant ; en un mot, il me déclara sa passion, & me fit voir qu'il vouloit me donner d'autres leçons que de musique. Quand deux personnes ont toutes deux le même desir, elles ne tardent pas à le satisfaire. Nous ne différâmes qu'autant de temps qu'il en falloit pour qu'on ne nous surprît pas. Il fut convenu qu'il se rendroit le soir dans ma chambre. J'étois bien sûre que mon Moine, que je n'avois pu faire bander la nuit précédente, ne seroit pas assez hardi pour se présenter de nouveau au combat. À tout hasard, & de crainte de surprise de sa part, j'eus soin de fermer au verrou la porte du jardin, & je fus bien persuadé, après cette sage précaution, que je n'avois plus rien à craindre. Le jeûne austere que mon Moine avoit été contraint de me faire observer depuis long-temps, me faisoit soupirer après le moment ou l'Organiste devoit arriver. Que le temps s'écoule lentement quand on attend Si je n'avois pas toujours eu les yeux fixés sur ma montre, j'aurois imaginé que j'étois jouée & qu'on m'avoit manqué de parole ; mais je me trompois. L'attente avoit été aussi cruelle pour mon amant que pour moi. Il me dit en entrant dans ma chambre, que les gens qui prétendent que le temps s'écoule rapidement devroient, pour en connoître bien la durée, avoit toujours quelque rendez-vous amoureux ; & qu'il répondoit qu'ils tiendroient un langage bien différent. Après les embrassements ordinaires en pareille visite, comme nous n'avions pas plus de temps qu'il nous en falloit pour ce que nous nous proposions de faire, & que notre intention étoit de le bien employer, nous nous mîmes au lit... Mon amant courut dans deux ou trois heures huit grandes postes, quatre sans lâcher bride, & les quatre autres après des repos très courts. On juge aisément que je n'ai pas trouvé dans ma vie beaucoup d'athletes aussi vigoureux dans les combats. Je suis même persuadée que s'il n'avoit pas été obligé de se retirer de très grand matin, & qu'il eût pu se rendre de meilleur heure chez moi, il auroit completté très facilement la douzaine. J'en jugeai du moins ainsi, en ce qu'il ne me parût point du tout fatigué : il me sollicitoit même de recommencer ; mais sentant que le jour approchoit, craignant d'ailleurs de le réduire à l'état du Pere Hercule, si je ne le ménageois pas davantage, je refusai de me prêter à ses désirs. Je l'engageai même à se retirer,& je ne tardai pas à être obéie qu'autant de temps qu'il lui en falloit pour s'habiller. Il étoit à peine sorti que je m'endormis. J'avois, à la vérité, besoin de repos. J'avoue qu'étant accoutumée depuis long-temps à un très petit ordinaire, j'étois très fatiguée du traitement magnifique que j'avois reçu. Pendant mon sommeil, j'eus les songes les plus agréables que j'aie jamais fait de ma vie. Il me sembloit même que j'étois encore entre les bras de mon cher Organiste, qu'il me dardoit sa langue dans la bouche, pendant que son vit faisoit plus bas son devoir. Je remuois la charniere avec une rapidité inconcevable. J'étois même prête à décharger, quand Madame Marcelle entra dans ma chambre avec bruit & me réveilla. Il faudroit avoir été dans l'état agréable où je me trouvois, avoir éprouvé le plaisir que je ressentois, pour pouvoir juger du dépit & de l'humeur que me donna cette visite inattendue. Je me contraignis cependant assez bien pour voiler une partie de ma colere. Un instant après parut mon Cordelier, qui dit avoir été rendre visite à Madame Marcelle, & que ne l'ayant pas trouvée chez elle, il avoit présumé qu'elle étoit venue me voir. Je les priai l'un & l'autre de passer dans une autre chambre pendant que je m'habillerois. Madame Marcelle resta tout au plus une heure, & laissa avec moi le Cordelier. Il ne se vit pas plutôt seul, qu'il m'avoua que son cher vit lui ayant donné en se levant des preuves d'existence, il s'étoit hâté de m'apprendre cette nouvelle, espérant qu'elle me feroit plaisir. Il me pressa même de mettre à profit ce moment de vigueur. Comme je n'ai presque jamais su me faire prier en pareille, occasion, je consentis d'en faire sur le champ l'expérience. Après avoir patiné mes fesses, mes tetons & mon con, il fit des efforts incroyables pour exécuter la belle promesse qu'il m'avoit faite ; mais ce fut toujours inutilement. J'avois beau le seconder de mon mieux : tout ce que nous faisions l'un & l'autre ne fit que nous fatiguer, sans nous procurer une idée du plaisir. Voyant qu'à la fin son vit perdoit entiérement le peu de fermeté qu'il avoit je l'engageai à ne pas tenter l'impossible. Je lui conseillai même de se reposer pendant huit ou quinze jours, & que j'espérois que ce temps suffiroit pour réparer ses forces épuisées. Auriez-vous, cher lecteur, la bonne foi de croire que Suzon, qui ne respirait que la foutetie, se seroit condamnée à un jeûne aussi long, si elle n'eut pas été très sûre de gagner à l'absence du Moine ? Non, certainement. J'aurois mieux aimé, je crois, faire crever mon débile fouteur, plutôt que de consentir à être dévorée par le feu ardent d'une passion que je n'aurois pas pû satisfaire. Le conseil donc que je lui donnai étoit médité. L'occasion de me servir s'étoit présentée, & je me gardai bien de la laisser échapper. Sûre que mon Moine ne me rendroit point de visites qu'il ne fût en état de paroître devant moi sans rougir, je reçus toutes les nuits mon maître de Musique. Il falloit que cet homme eût, non pas Le Diable dans le corps, mais une tonne de foutre, pour résister à la vie que nous menâmes. Je lui trouvois chaque jour plus de vigueur. Chaque jour amenoit de nouveaux plaisirs : je n'ai jamais connu un homme plus ingénieux à les varier. Si je voulois raconter les différentes postures qu'il me fit prendre, celles qu'il prit lui-même, j'aurois de quoi faire un volume très gros. Je dis plus, ceux qui connoissent les postures de l'Arétin n'ont qu'une foible idée de tout ce que nous fîmes. Je ne veux pas cependant quitter cette endroit de ma vie, sans en citer une seule : je me contenterai d'en rapporter deux. J'espère qu'elle suffiront pour donner au Lecteur une idée de leur singularité. Une fois après avoir fait usage de cent façons différentes, je croyois toutes les ressources de son imagination épuisées ; mais bien-tôt, je lui vis attacher au plancher les deux bouts d'une corde, dont il fit une escarpolette, Il avoit eu soin de faire descendre la corde à la hauteur de sa ceinture. Comme je trouvois beaucoup de plaisir à toutes ses folies, je m'y prêtois toujours sans contrainte. Celle-ci me parut d"un gente si nouveau, que je regardois faire fort attentivement, & j'avoue de bonne foi que je ne pouvois pas deviner son dessein. Quand tout fut achevé, il me plaça sur l'escarpolette, m'enjoignit de tenir les genoux élevés, d'écarter les cuisses le plus que je pourrois, & d'avoir bien soin de présenter toujours le con en avant. Dès que je fus bien instruite de tout ce que je devois faire, mon amant donna le branle à l'escarpolette & se tint à quelque distance, le vit en arrêt ; il avoit si bien pris ses mesures que, lorsque l'escarpolette fut en mouvement, il ne manqua pas de mettre dans le noir. Donnant un coup de cul chaque fois, son vit touchoit les levres de mon con ; il le faisoit entrer très avant & rendoit le mouvement de l'escarpolette plus actif. De façon que plus le plaisir approchoit, plus les secousses propres à l'accélérer, étoient répétées. Quand il se vit près de décharger, pour ne point perdre cette précieuse liqueur, au lieu de me repousser comme il avoit fait jusqu'alors, il me prit les jambes sous ses bras & m'appuyant fortement avec ses deux mains le cul contre son ventre, il m'inonda d'un déluge de foutre. Cette façon m'a toujours beaucoup plu, & je l'ai très souvent répétée dans ma vie, non-seulement avec lui, mais même avec les différens amans que j'ai eus. La derniere invention de mon cher maître me coûta bien cher & fut cause de la perte de mon bonheur, ainsi qu'on va le voir. Quand mon Cordelier fut entierement rétabli, comme ses visites recommençoient, je ne pouvois me trouver seule avec mon cher maître qu'à la dérobée. Je leur partageois mes faveurs avec tant de prudence qu'ils ne me soupçonnoient ni l'un ni l'autre d'infidélité. À la fin cependant le masque qui couvroit mon hypocrisie tomba, & je ne tardai point à être connue pour ce que j'étois. Mon maître de Musique m'envoyoit son commis pour me donner leçon, lorsque ses affaires ne lui permettoient pas de venir lui-même. Ce jeune homme, quoique bien moins savant que son maître, en savoit assez pour moi. Les complaisances qu'il avoit pendant les leçons, son air doux & honnête me plaisoit beaucoup. J'aurois bien désiré qu'il me fît quelques-avances ; mais ce-jeune homme étoit toujours très froid. Ennuyée à la fin de le voir toujours demeurer dans les bornes du respect à mon égard, je lui fis quelques agaceries qu'il comprit mieux que je ne devois m'y attendre, & l'affaire se termina ; quoique ce fût avec moi qu'il chantât sa premiere messe, il ne me parut pas novice, & je jugeai dès ce moment qu'il mériteroit un jour l'applaudissement de toutes les femmes qui sauroient apprécier son mérite. Cette nouvelle intrigue ne put demeurer long-temps cachée à mon maître de Musique, qui médita dès-lors une veangeance conforme à son caractere. Tous les Dimanches, je me rendois au Couvent des Cordeliers pour entendre jouer mon maître de Musique. Je me plaçois ordinairement à côté de lui : c'étoit là que nous convenions des jours où nous nous verrions dans la semaine. Ce fut aussi le lieu qu'il choisit pour se venger. Il avoit ordonné à son Commis de ne se rendre à l'Église, que lorsque l'Office seroit commencé, & il lui avoit fait promettre, sous peine de le chasser de chez lui, qu'il exécuteroit tout ce qu'il lui prescriroit. Le fils d'un homme du Village qui venoit tous les Dimanches faire aller les soufflets de l'orgue, avoit aussi un personnage à remplir, & il l'avoit chargé d'apporter avec lui un petit soufflet. Dès que mon maître m'apperçut, il me fit force caresses, comme à son ordinaire. Ensuite il voulut prendre quelques libertés ; mais je m'y opposai, sous prétexte que l'endroit n'étoit pas sûr, & qu'il pourroit venir quelqu'un, vous n'avez rien à craindre, me dit-il : mon Commis, qui est la seule personne qui pourroit venir, est parti ce matin pour aller voir son pere qui demeure à quatre lieues d'ici, & ne reviendra que ce soir. Rassurée par tout ce qu'il me dit, je lui laissai faire tout ce qu'il voulut. D'abord une chaise penchée contre la muraille, nous tint lieu du lit le plus commode. Et je proteste que l'affaire ne s'en fit pas moins bien. Ceci étoit à peine une foible esquisse de ce que mon amant se promettoit de faire ; il me dit de me mettre à genoux : d'incliner le corps jusqu'à terre, & de m'appuyer sur les deux mains. Ainsi placée, il me baisa ce qu'on appelle en levrette. Tout en me besognant il allongeoit ses mains par dessus mon dos, sur le clavier de l'orgue, & jouoit dans les temps nécessaires. Comme il faisoit deux affaires à la sois, je ne sais dans laquelle il réussissoit le mieux. Tout ce que je puis dire, c'est que j'étois fort contente du mouvement de la mesure ; & si dans les piéces qu'il joua, il fit quelque faux ton, je ne m'en apperçus point. Lorsqu'après une abondante effusion de liqueur de part & d'autre, je voulois me relever, je sentis qu'il grimpoit sur mon dos. Il fallut, malgré moi, céder au poids de son corps. Il étoit à peine ainsi placé que le Commis entra. Son arrivée parut d'abord le déconcerter, il ne fut cependant pas long-temps à se remettre ; tu seras sûrement étonné, lui dit-il, des libertés que je prends avec ta maîtresse ; mais apprends, mon ami, quelle étoit à moi avant de t'appartenir. Tiens, crois moi, prends ton parti aussi gaiment que je l'ai pris quand je t'ai soupçonné, avec quelque fondement, d'être mon rival. Voilà Madame dans une posture propre à donner du plaisir. Deux trous très appétissans, semblent être deux rivaux qui se disputent la préférence : choisis celui que tu voudras ; peu m'importe. Pourvu que tu me branles pour m'amuser pendant que je suivrai l'Office, serai content. Le jeune homme ne se fit pas prier & m'encula. Je fis un cri qui auroit été entendu de toutes les personnes qui étoient dans l'Église s'il ne se fût confondu avec toutes les voix qui chantoient les louanges de Dieu. J'avois conservé jusqu'alors mon second pucelage. J'ignorois même le plaisir que les hommes trouvoient à cette jouissance. Pendant que nous étions tous trois fort occupés, l'enfant entra ainsi qu'il lui avoit ordonné. À la vue du spectacle qu'il avoit devant les yeux, il alloit se retirer quand mon maître de Musique l'appella : mets, lui dit-il, le bout du soufflet que tu tiens à ta main dans le cul de ce bougre-là, & souffle de toutes tes forces. Comme il commence à perdre haleine, je veux que tu le ranimes par ce moyen-là. L'enfant à cette ordre ridicule, partit d'un éclat, de rire, & n'en exécuta pas moins ce qui lui avoit été ordonné. Le groupe que nous formions étoit si singulier, la scène devint à la fin si comique, que l'Organiste, malgré son grand flegme, perdit tout son sérieux, & oublia tout ce qui se passoit. au Chœur. On avoit beau sonner pour l'avertir qu'il devoit jouer ; il n'entendoit rien & il interrompit tellement l'Office, qu'un Moine se détacha pour l'avertir que la Messe étoit suspendue par rapport à lui. A-t-il jamais été surprise semblable à celle de ce Révérend, en voyant ce qui se passoit dans l'Orgue Le bruit qu'il fit en entrant, nous fit à tous quatre tourner la tête du côté de la porte. Jamais aussi surprise ne fut égale à la nôtre ou plutôt nous étions tous quatre pétrifiés. Le Moine, élevant la voix, nous reprocha dans les termes les plus durs, l'action infâme que nous venions de commettre. Je ne suis plus étonné, dit-il, en adressant la parole à mon maître de Musique, de ce que l'Orgue m'a paru si sourd aujourd'hui. Vous deviez au moins attendre que l'Office fût fini, pour faire l'expérience, de votre nouveau soufflet. Je vous somme de vous trouver au Chapitre que je ferai assembler après la Messe, pour y rendre compte des horreurs que vous venez de commettre. Pendant tout ce discours, le petit paysan étoit décampé. Le Commis n'avoit pas tardé à en faire de même. Je me disposois pour éviter toute apostrophe injurieuse, de suivre leur exemple, quand le Cordelier m'arrêta, me chargea d'injures outrageantes & me menaça de me faire chasser de leur Église, si jamais j'étois assez hardie Pour oser y reparoître. Confuse & n'ayant point un mot à dire pour ma défense, je me retirai chez moi, d'où je ne sortis que pour quitter le Village. La nuit suivante le Pere Hercule vint chez moi, m'accabla d'injures, me reprocha mon infidélité & mon ingratitude à son égard, & m'ordonna de quitter promptement le Village. Il m'apprit que mon action avoit fait un scandale affreux ; que chacun crioit à l'impiété & demandoit qu'il fût fait un exemple ; que le Chapitre avoit opiné qu'il falloit me dénoncer à la Justice, comme profanatrice des lieux saints ; qu'il avoit inutilement cherché à calmer les esprits, qu'on ne l'avoit point à peine écouté. Tous ces discours me firent tant de peur que je ne balançai point un instant à prendre mon parti. Je sortis seule de ma maison, car le Moine me représenta qu'il y auroit trop de risque pour lui de m'accompagner, & je gagnai le premier Village : j'y louai un cheval sur lequel je me rendis à la Ville la plus prochaine. Delà, je députai un homme avec ordre de vendre mes meubles, de m'apporter mes hardes & mon linge, & sur-tout de ne point dire où je m'étois retirée. Ma commission fut faite très-promptement & très-fidélement. Mon chargé de procuration m'apprit à son retour, qu'on avoit conçu pour moi une telle horreur dans le Village, qu'il avoit eu beaucoup de peine à vendre mes meubles, sous prétexte qu'on ne vouloit rien avoir qui m'eût appartenu ; que l'Organiste avoit été chassé ignominieusement ; que son Commis avoit subi le même sort, qu'on ne savoit ce qu'étoit devenu l'enfant qui avoit été trouvé avec nous, & qu'il n'avoit pas reparu depuis ; mon homme voulut mêler à son récit quelques réflexions ; mais je l'interrompis. M'apportes tu de l'argent ; lui dis je ? Oui, Madame ; c'est bon. Voila ce que je t'ai promis : nous sommes quittes. L'argent que j'avois économisé dans mon ménage, avec ce que j'avois retiré de la vente de mes effets, faisoient à peu près une somme de mille écus. Comme la passion de l'or augmente à mesure qu'on en possede, je formai dès ce moment des projets de fortune, & pour les exécuter, je pris la route de Paris. J'y louai un appartement dans le quartier le plus beau & le plus fréquenté, & je le meublai magnifiquement. Il est vrai que je ne payai qu'un quart de ce que me coûtoient les meubles, & que je fis des billets pour le reste. Richement vêtue, j'allois dans toutes les promenades ; jamais je ne manquois les jours d'Opéra, espérant de rencontrer quelque bonne fortune. Il y avoit cinq mois que je menois ce genre de vie, & je ne voyois personne se présenter ; pour comble de malheur mon argent étoit dépensé, les billets que j'avois faits n'ayant pas été payés à leur échéance, le tapissier avoit obtenu une sentence contre moi. Mon hôte me menaçoit de me donner congé ; enfin le marchand de vin & le traiteur ne vouloient plus me faire crédit. Je voyois avec la douleur la plus amere, que j'allois retomber dans l'état où j'étois quand je sortis de l'Hôtel-Dieu, lorsque par le plus grand hazard je fus tirée bien à propos de cet embarras. Un jour que j'étois aux Thuilleries & que je marchois à grands pas, comme une personne qui a la tête fort occupée, je fus rencontrée par un jeune Officier, qui s'apperçut à ma démarche que je devois éprouver de cruels chagrins. Il me suivit long-temps sans que je m'en apperçusse, ou plutôt la nuit m'ayant obligé d'interrompre ma promenade, je sortois des Thuilleries quand il m'aborda. Le cavalier, me dit-il, qui devoit vous reconduire chez vous, aura probablement été forcé de manquer à sa promesse, voudriez-vous, Madame, que j'eusse l'honneur de prendre sa place. Je vous avoue que je ne puis avoir la dureté de vous voir aller seule. Après quelques façons j'acceptai son bras. J'étois enchantée de cette heureuse rencontre, qui devoit, selon toutes les apparences, réparer le désordre de mes affaires. Nous prîmes un fiacre au Carrouzel, & j'arrivai chez moi en très peu de temps. Dès que mon hôte, qui attendoit mon retour avec impatience, me vit descendre de voiture, il n'attendit pas que je fusse seule pour me dire qu'il s'étoit passé bien des choses depuis que j'étois sortie ; qu'une cohorte d'Huissiers, en vertu d'une Sentence rendue contre moi, étoit venue saisir mes meubles, & qu'il étoit bien fâché de n'avoir pas été prévenu ; qu'il y auroit fait opposition pour ce que je lui devois. À cette nouvelle je ne pus retenir mes larmes, ni m'empêcher de m'écrier, que je suis malheureuse Mon hôte ne cessoit de répéter de son côté : qui me payera les loyers de votre apartement à présent ? Rassurez-vous, Monsieur, dit l'officier, ce sera moi ; pour vous, Madame, consolez-vous, comptez que je vous retirerai de l'embarras où vous êtes. Nous montâmes dans ma chambre, dont la vue m'arracha de nouvelles larmes. Après lui avoir conté toutes mes affaires ou plutôt lui avoir fait une histoire plus propre à toucher sa sensibilité, que conforme à la vérité, il fut décidé que mon hôte seroit payé sur le champ de ses loyers, que je quitterois mon appartement dès ce soir là même, & que j'irois demeurer avec cet Officier. Après toutes ces conventions, l'hôte fut appellé & payé. Cet homme étoit si content qu'il fatiguoit mon nouvel amant par ses remerciemens. Il seroit, je crois demeuré deux heures avec nous s'il n'eût été chargé de nous faire apporter à souper. Notre repas fut assez gai, & nous y bûmes raisonnablement, pendant le temps du dessert, je vis que mon amant commençoit à s'échauffer. Il s'étoit approché de moi & m'indiquoit par ses caresses une partie de ses desirs. Il ne vous fut sûrement pas possible de les satisfaire, me dit le lecteur ; mais il se trompe beaucoup. L'officier défit ses habits ; j'en fis de même. Les uns nous servirent d'oreiller, les autres de matelas ; & nous fûmes tous deux fort contens. Après cela nous nous r'habillâmes, & je quittai sans regret une maison où j'avois été si malheureuse. Mon amant ayant été obligé d'aller rejoindre son régiment, & n'étant point assez riche pour m'entretenir pendant qu'il seroit à sa garnison, nous fûmes obligés de nous séparer un mois après notre connoissance. L'argent qu'il me laissa n'étoit point assez considérable pour fournir long-temps à mes besoins ; aussi je ne tardai pas à éprouver tout ce que la misere a de plus affreux. J'étois réduite à loger dans ces auberges où l'on donne deux sols par nuit, quand il me vint dans l'esprit d'aller voir ce garçon marchand de vin à qui j'avois eu jadis tant d'obligation. J'appris qu'il ne demeuroit plus dans le même endroit, qu'il étoit marié & établi aux Porcherons ; en un mot, qu'il faisoit très bien ses affaires. J'espérai que conservant encore un reste d'amitié pour moi, il ne m'abandonneroit pas dans mon malheur. Enhardie par cet espoir, je n'hésitai point de l'aller trouver à son cabaret. En entrant je l'apperçus qui étoit à son comptoir. Quant à lui, il ne me reconnut point. Après avoir attendu assez long-temps qu'il vînt dans la salle où étoient les personnes qui buvoient, je le vis enfin paroître. Aussi-tôt je m'approchai de lui & lui annonçai à voix basse que j'aurois un mot à lui dire en particulier. Il me fit entrer dans un cabinet ; & dès que nous fûmes seuls je lui parlai ainsi : l'état où je suis réduite vous empêche de reconnoître votre chere Suzon. J'eus à peine prononcé mon nom, qu'il sauta à mon col & m'embrassa ; comment c'est vous, me dit-il ; & mon cœur ne me l'a pas annoncé ? Que j'ai de plaisir à vous voir Mais dans quel état vous trouvai-je ? Contez-moi donc ce qui vous est arrivé, & pourquoi vous êtes retombée dans la misere. N'y auriez-vous pas un peu contribué ? Avouez-le moi franchement. Je n'eus garde d'en convenir. Je lui fis au contraire une histoire qui étoit tout à mon avantage. Je ne puis, me dit mon cher Nicolas, faire pour vous ce que je ferois si j'étais encore garçon. Je suis obligé, à présent que j'ai des enfans, de mettre des bornes à ma générosité. Je ne veux cependant pas vous voir ces guenilles sur le corps. Voici de l'argent pour acheter des habits, revenez ce soir me trouver ; & vous me demanderez, en présence de ma femme, à entrer chez moi en qualité de Danseuse : je consentirai de vous prendre à raison de 15 sols par jour. Je sents que cette somme est très-modique. Aussi je vous donnerai 15 autres sols, sans que ma femme ni vos compagnes le sachent. J'aurois pu, si j'avois été plus économe, amasser quelque chose ; mais je ressemblois à mes autres compagnes, je n'avois jamais un sol, sans savoir à quoi j'employois mon argent. Je fis ce métier l'espace de quatre ans, & je ne le quittai que par rapport à une scène plaisante qui m'arriva, & que je vais raconter. Je revenois un soir chez moi sort tranquillement, lorsque je rencontrai deux soldats qui me parurent très-échauffés par le jus de la treille. Ces Messieurs-là n'ont pas coutume de laisser passer une femme, sur-tout quand elle est seule, sans chercher à pousser leur pointe : ceux dont je fis la rencontre étoient précisément de ce nombre-là. Ils s'approcherent de moi, me tinrent des propos assez gaillards auxquels je ne répondois pas. Je les voyois en trop bon train pour chercher à les exciter. Des propos ils en vinrent aux gestes, & malgré ma résistance, ils me prirent l'un & l'autre sous le bras. Au lieu de rentrer dans Paris, mes chevaliers prirent le chemin de Mont-martre. Je fis de nouvelles résistances en voyant la route qu'ils prenoient ; mais tous mes efforts furent vains, & il fallut céder à la force. Dès que nous fûmes dans la campagne, le premier bled qu'ils rencontrerent leur parut propre à satisfaire leurs désirs ; ils m'y firent entrer, sans me demander si c'étoit de mon goût. Comme les soldats ne sont pas délicats, la premiere place qu'ils trouverent fut celle qu'ils choisirent pour offrir un sacrifice à Vénus. Le cavalier voulut d'abord me présenter son offrande, mais elle étoit si magnifique, qu'elle ne put jamais entrer dans son temple, malgré les efforts qu'il fit & les douleurs que j'endurai, ou, pour parler plus clairement, je n'ai jamais vu un vit si long & si gros. Il étoit d'une taille à faire reculer la putain la plus intrépide. Si les cris que je fis, & le mal qu'il souffroit lui-même, n'eût suspendu sa rage, c'en étoit fait de moi, les deux trous n'en auroient plus fait qu'un. Je ne pus appaiser l'ardeur de mon redoutable fouteur qu'en le branlant six fois. Quand ce sur le tour du grenadier, autant son camarade m'avoit fait souffrir, autant celui-ci me fit de plaisir. Il n'étoit pas moins vigoureux ; mais au moins avois-je de quoi le satisfaire amplement. En revenant, le Cavalier pestoit contre la grosseur de son vit, & se plaignoit d'une résistance très peu commune dans les filles de mon état. Déjà nous traversions les Porcherons, quand j'apperçus une brouette de Gagne-petit à la porte d'un cabaret. À cette vue, il me vint une idée très-plaisante. Vous vous plaignez, dis-je au Cavalier, de la grosseur de votre vit : voici une meule qui se présente très-à propos. En le repassant dessus, vous le rendrez plus aigu & plus propre à vous en servir. Le grenadier ne manqua pas d'applaudir à ce que je disois, & nous nous disposâmes à profiter de cette heureuse découverte. Malheureusement le Gagne-petit, qui étoit à boire, avoit emporté son seau ; cet obstacle se seroit opposé à notre dessein, si le grenadier ne m'eût proposé de monter sur la brouette, & d'arroser la meule en pissant dessus. L'idée de cette scène étant de moi, je consentis à y jouer un rôle. Je me plaçai sur l'endroit qui soutient la meule, qui se trouvoit, par ce moyen, entre mes deux jambes. Ne voulant pas donner plus d'eau qu'il n'en falloit ; je serrois d'une main les levres de mon con, pour ne laisser à l'urine qu'un très-petit passage, & de l'autre, je soutenois mes jupons & ma chemise qui étoient relevés. Le grenadier, pour ne pas demeurer oisif, sortit son vit de sa culotte aussi-tôt qu'il vit commencer sa besogne, & se branla. J'étois fort curieuse de voir si le Cavalier auroit le courage de supporter long-temps cette douloureuse opération. Mais nous commencions à peine, lorsque le Gagne-petit parut. Voulant faire part à ceux qui étoient dans le cabaret de la singularité de ce spectacle, il se hâta d'y rentrer en criant : venez, venez voir ; venez donc voir. Plusieurs le regarderent comme un fou ; mais le plus grand nombre ne tarda point à le suivre, & en un instant nous nous vîmes entourés par plus de deux cens personnes. Quoique le frottement de la meule fit faire des grimaces affreuses au soldat, je crois qu'il seroit venu à bout de son dessein, sans l'arrivée imprévue de la bande de Durocher. Les deux soldats furent tous deux arrêtés, & j'aurais été moi-même conduite à Saint Martin, si je ne me fusse sauvée à la faveur du monde qui étoit dans la rue. Cette histoire ne tarda pas à se répandre dans tout Paris. Et le desir de me voit attira tant de personnes dans le cabaret où je dansois, que mon ancien amant auroit en moins d'un an fait une fortune très-brillante, si je fusse restée chez lui. Entr'autres personnes que la curiosité amena, il vint un vieux garçon fort riche à qui je plus tant dès la premiere fois qu'il me vit, qu'il me proposa de m'entretenir. Les conditions qu'il me faisoit étoient trop considérables, pour refuser son offre. Je fis donc le lendemain mes adieux à mon cher Nicolas, qui me vit partir à son grand regret. Arrivant chez mon vieil amant, le domestique à qui je m'adressai me dit que son maître étoit à travailler dans son cabinet ; mais qu'il avoit reçu ordre de m'introduire dès que je me présenterois. Comme avant d'y arriver il falloit monter plus de deux cens marches, je ne savois pourquoi un homme riche avoit de préférence choisi pour son appartement le grenier de sa maison ; mais j'en sus bien-tôt la raison aussi-tôt que la porte du cabinet fut ouverte, j'apperçus ce vieillard qui me paroissoit très enfoncé dans les calculs & qui me fit signe, en me voyant entrer, de m'asseoir. Pendant tout le temps qu'il resta sans me rien dire, je m'occupai à considérer les instrumens de son art, dont son cabinet étoit rempli. À leur forme je jugeai dans l'instant que mon homme ne respiroit que la fouterie. Je crois, cher lecteur, que la description de deux ou trois de ces instrumens vous en fera juger comme moi... Il y avoit, par exemple, deux Spheres qui étoient soutenues sur des vis. Le corps d'un télescope qui étoit sur sa table, en représentoit un d'une grosseur énorme, à l'extrémité duquel pendoient deux couilles couvertes d'un poil noir & touffu. J'avois à peine fini mon examen, quand cet Astrologue m'adressa la parole. Je suis fâché, me dit-il, de vous avoir fait une réception aussi peu civile, & je compte assez sur votre bonté pour espérer que vous me la pardonnerez. Il vint ensuite s'asseoir auprès de moi, passa une main dans mon estomac, l'autre sous mes jupon, & me patina tout à son aise. Je me laissois faire tout ce qu'il vouloit, attendant avec impatience ce que produiroient tous ces attouchemens ; mais ayant mis la main dans les culottes de mon homme, je me doutai, au mauvais état dans lequel je trouvai ses pieces, qu'il n'y auroit rien à gagner pour moi. Ce que j'avois prévu m'arriva. Je fus conduite dans l'appartement qui m'avoit été destiné, très-peu satisfaite de n'avoir pas été étrennée. Les complaisances de ce vieillard adoucissoient mon sort ; de plus, l'espérance que par sa mort il me débarrasseroit bien-tôt de sa triste figure, & qu'il me laisseroit une rente assez honnête pour n'avoir point à redouter les caprices de la fortune, étoit un motif assez puissant pour m'engager de prendre mon mal en patience. D'ailleurs devois-je exiger de lui plus qu'il ne pouvoir ? Le temps où j'avois le plus à souffrir étoit l'hyver. On sait que ceux qui donnent dans l'astronomie dorment peu pendant ce temps qui est très-propre à faire leurs découvertes. Quelquefois ce vieillard, enthousiasmé de son art, venoit me chercher dans mon lits, ne me donnoit souvent pas le temps de m'habiller, pour me faire prendre part à la joie qu'il avoit ressentie, d'avoir apperçu le passage de telle Planette sous telle autre qu'il me nommoit & dont j'ai oublié le nom. Dans ce moment il me faisoit asseoir sur lui. J'avois les cuisses très-écartées. Lorsque son vit avoit acquis un peu de fermeté, ce qui arrivoit très-rarement, il le faisoit entrer dans la mortaise : ensuite il me disoit : prends les couilles du télescope dans ta main, cherche le point de vue. Dès que j'avois fait tout ce qu'il m'avoit dit ; vois-tu, me disoit-il, telle chose. Quoique je ne visse rien le plus souvent, je répondois toujours oui, & lui disois : de tout ce que vous me dites, qu'en concluez-vous ? Ce que j'en conclus, me répondoit mon insupportable amant, que nous aurons une éclypse de soleil dans vingt ans, une autre dans à-peu-près le même temps, & qu'elles seront toutes deux très visibles en Europe. Ses pronostics devoient toujours arriver dans un temps si éloigné, que je ne pouvois pas le prendre en défaut. Telle a été la vie que j'ai menée pendant huit ans avec ce vieillard. Elle étoit peu conforme à l'enjouement & à la gaieté de mon caractere. Je ne serois pas cependant fâchée d'avoir fait le sacrifice de ce temps bien précieux, à la vérité, pour moi qui étoit déjà parvenue à un certain âge, si je n'eusse eu le malheur de perdre cet homme, qu'une mort subite m'enleva la veille du jour qu'il avoit destiné pour me faire une rente viagere de mille écus. Ses parens, qui ne soupiroient qu'après sa succession, me donnerent à peine le temps d'emporter mes effets, & me renvoyerent avec le peu que j'avois. J'appris heureusement, dans ce temps-là, qu'un Baladin de dessus le rempart avoit besoin d'une Actrice pour représenter dans les Pantomimes. Quoique je ne connusse point le théâtre, je payai d'effronterie : j'eus la hardiesse de me présenter, & j'eus le bonheur d'être reçue. Huit jours après, je débutai à l'entiere satisfaction du Directeur de cette troupe, qui ne s'y connoît pas, & avec les applaudissemens d'un public qui n'a pas le sens commun. Car on sait que ce spectacle n'est ordinairement rempli que de petits-maîtres, de laquais & de catins. Des Sauteurs Espagnols qui représentoient alors sur le même théâtre leurs tours de force, m'offrirent de partager leur chambre avec moi. Ils avoient avec eux une autre femme qui n'entendoit pas un mot de François, & à qui j'ai eu l'obligation de donner de l'ame, de l'expression & de l'énergie à mes gestes. Comme nous n'avions que ce moyen pour nous entendre, il falloit que chaque geste signifiât bien ce que nous voulions dire, pour pouvoir être compris. Ceux qui auront lu ces Mémoires, conviendront, je crois, que mes différens amans, qui avoient tous plus de lubricité les uns que les autres, m'avoient enseigné bien des sortes de postures. J'imaginois même qu'après un cours de leçons aussi variées, il n'étoit plus possible de me rien montrer : eh bien je me trompois. Avec mes Espagnols nous foutions d'une maniere tout-à-fait conforme à leur état, ou pour mieux dire, toujours en sautant. Quand nous voulions faire nos exercices, nous nous mettions tous nuds comme la main. La société préféroit toujours celui que je vais citer. Quelquefois ils plaçoient ma compagne à quelque distance de moi, ils la faisoient pencher contre terre, appuyée sur ses pieds & sur ses mains ; & moi ils me mettoient dans un sens tout contraire, c'est-à-dire, que j'étois à la renverse, mais également soutenue sur mes pieds & sur mes mains. Alors celui qui avoit été assez adroit pour m'enfiler avec son vit en courant sur moi, étoit jugé digne de me foutre, mais à condition qu'au moment de la décharge il m'enleveroit dans ses bras & feroit un saut périlleux en arriere avec moi. Celui qui mettoit à côté du noir devoit me sauter par-dessus le corps & essayer son adresse sur ma compagne s'il réussissoit, il étoit également ad mis à l'honneur de la baiser : avec cette différence qu'il devoit, dans l'instant du plaisir, enlever sa maîtresse & la relever de terre sans d'autre secours que celui de son vit. Les maladroits payoient une amende que nous partagions, ma compagne & moi. Les Espagnols ne resterent que sept à huit mois à Paris. Je les vis partir avec chagrin. Il auroit cependant mieux vallu que je ne les eusse jamais connus car ils me laisserent, pour me rappeller leur souvenir, une maladie encore plus commune dans leur pays que dans la France. Je veux parler de celle qu'apporta Cristophe Colomb de ses voyages, & que l'Europe doit à la découverte du nouveau monde. J'aurois été bien heureuse si j'avois pu, en communiquant la vérole que j'avois reçue, la laisser dans cette troupe, quand je fus obligé de la quitter, quelque temps après le départ des Espagnols ; & voici ce qui a donné lieu à ma sortie. Je faisois chambrée depuis quelque temps avec l'Arlequin & le Pierrot du même spectacle. Tous deux étoient très foux & me divertissoient infiniment. Ils sembloient se disputer tous deux à qui imagineroit l'extravagance la plus complette ; un jour qu'ils avoient l'un & l'autre copieusement dîné ; veux-tu gager, dit l'Arlequin au Pierrot, que si Mademoiselle consent à s'y prêter, je la baise dans une coulisse pendant la Pantomime de cette nuit, & que je ne manquerai aucune des Entrées de mon rôle. Le Pierrot dit qu'il y consentoit, qu'il s'offroit même à lui prêter son dos. J'aurois bien dû m'opposer à cette entreprise. J'avois payé assez cher plusieurs de mes folies pour être corrigée du desir d'en faire de nouvelles. Cependant celle ci me parut d'un genre si comique, que j'aurois été fâché qu'elle n'eût pas eu lieu. Dans un moment donc de la Pantomime où l'on représentoit un orage terrible, accompagné d'éclairs & de coups de tonnerre, dans le temps que le théâtre n'étoit presque point éclairé, la gageure s'exécuta. Le Pierrot se mit à genoux & s'appuya sur ses mains. Je me plaçai sur le bord de son derriere, les cuisses écartées, & présentois le con en avant le plus qu'il étoit possible. La posture de l'Arlequin étoit toute naturelle. Il devoit fléchir les genoux, pour que son vit se trouvât vis-à-vis de l'entrée du bosquet de Cythere. Ce qu'il fit effectivement. Quand Pierrot, averti par le poids de sa charge qui augmentoit, sentant que l'ennemi étoit près d'entrer dans la place, haussa le cul & le fit parvenir jusques dans l'intérieur de la cité, je commençois à me pâmer ; Pierrot nous sollicitoit de nous dépêcher ; quant à mon cher Arlequin, quoiqu'il ne proférât pas une seule parole, ses coups de cul plus vifs & plus répétés annonçoient qu'il ne me feroit pas attendre long-temps le moment desiré, lorsque le théâtre ayant été éclairé sans que nous nous en apperçussions, nous fûmes à la vue de tous ceux qui étoient placés dans le côté opposé à la coulisse où cette scène se passoit. Les éclats de rire obligerent notre directeur de regarder. Il vint, conduit par les yeux de ceux qui nous regardoient, droit à l'endroit, où nous étions. Furieux qu'un pareil scandale eût été occasionné dans son spectacle, il envoya chercher un sergent Major du Guet ; mais nous n'attendîmes point son arrivée. Quant à moi, je me sauvai par dessous le théâtre, & gagnai promptement la porte qui donne sur la rue qui est derriere le rempart. Je ne sais si l'Arlequin & le Pierrot furent arrêtés, si la piéce put être continuée, & je ne m'en suis même jamais inquiétée. Après m'être cachée pendant quelque temps dans un cabinet que j'avois loué sous un faux nom, dans le faux-bourg Saint Germain, l'argent commençant à me manquer, je fus obligée de me retirer dans un bordel : digne réfuge de celles qui ont mené une conduite semblable à la mienne. Pour comble d'infortune, j'étois en proie aux douleurs d'une maladie cruelle, qui ne me laissoit point un instant de repos. Mon état étoit d'autant plus triste, qu'il en est d'un bordel comme d'un Couvent. Un Moine qui n'a point assez de talent ou assez de souplesse dans l'esprit pour faire de son confessional un bureau où il force ses pénitens de venir à contribution, est sûr qu'il sera très à plaindre dans sa Communauté ; de même une fille de joie recevra toutes sortes de mauvais traitemens de la Maquerelle sous qui elle sera, si ses charmes ne sont pas assez appétissans pour conserver les anciennes pratiques & même pour en attirer de nouvelles. J'éprouvai long-temps ce que je viens de dire, moi sur-tout qui ne pouvois être offerte qu'aux personnes que nous ne connoissions pas, & que nous n'avions pas, par conséquent, grand intérêt à ménager. À la fin cependant ma douceur & mes complaisances obtinrent grace pour moi auprès de la Mere Abbesse. Elle m'accorda son amitié & sa con fiance, & j'étois l'ame de tous ses secrets. Dans le récit qu'elle m'avoit fait de sa vie, j'avois remarqué qu'elle avoit eu sûrement beaucoup de tempérament. Un jour que je lui en parlois, elle m'avoua que non-seulement elle en avoit eu un des plus violens, mais même qu'elle étoit obligée encore de se branler presque toutes les nuits. Il faut vous dire, cher Lecteur, que la bonne Dame avoit plus de soixante ans, & qu'il y avoit à parier qu'elle conserveroit ce goût-là jusqu'à la mort. L'aveu qui venoit de m'être fait, me fit venir une idée ; & j'espérai faire ma cour en exécutant mon projet. D'abord en travaillant pour la Mere Abbesse, je devois aussi y trouver mon compte. Voici ce que j'imaginai, pour pouvoir nous passer d'hommes. Il y avoit dans la chambre où nous étions, un vieux rouet, qui avoit jadis servi à dévider du fil. Je l'armai de huit godemichés, que je plaçai en dehors, vis-à-vis de chaque rayon de la roue ; & dès qu'il fut achevé, nous en fîmes l'essai. Nous nous placions ainsi : l'une étoit penchée sur un buffet, la chemise relevée jusques sur les épaules, & cul allongé autant qu'il étoit possible : l'autre également nue, étoit à peine appuyée à la renverser sur le siége d'un fauteuil, & se tenant les cuisses extrêmement écartées : le rouet étoit établi entre nous à égale distance. Une jeune personne qui étoit depuis peu avec nous, & qui n'avoit pas besoin de ce secours pour satisfaire sa passion à peine naissante, nous rendoit le service de tenir la manivelle de la roue, & de la faire tourner. Lorsque par le frottement des godemichés, nous sentions qu'ils touchoient les levres de notre con, nous nous élancions dessus & les faisions entrer très-avant. Nous répétions la même choses autant de fois qu'il le falloit pour provoquer la décharge. Lorsque nous avions fini, les godemichés se démontoient, & le rouet servoit à dévider tout comme auparavant. Tels sont les mets auxquels je suis forcée d'être réduite à present. Combien je me serois épargné de chagrin, si dans des temps plus heureux pour moi, j'avois su mettre des bornes à mes desirs. Comme depuis quelque temps je venois de finir d'écrire tout ce qui m'étoit arrivé dans la vie jusqu'à ce jour, l'habitude de réfléchir, que j'avois nécessairement contractée en rédigeant mes Mémoires, me faisoit retomber, presque malgré moi, dans de nouvelles réflexions. Le malheur de celles qui sont obligées, par état, de servir aux plaisirs du public, & le sort encore plus cruel qui les menace, se présentoient souvent à mon imagination. Il est vrai que tout contribuoit à nourrir cette idée dans mon esprit, & que je n'entendois de tous côtés que des plaintes. Accoutumée à dire & à écrire tout ce que je pensois, enhardie d'ailleurs par le Ministre qui étoit à la tête des Finances, & qui avoit déclaré publiquement qu'il accueilleroit d'un regard favorable tous les Plans sur la partie Économique, je me mis sur les rangs, & j'écrivis le Plan suivant. Quand il fut fait, j'en fis la lecture à une personne de bons sens, qui nous rendoit souvent visite. Feignant de ne pas vouloir croire aux éloges qu'il me donna après en avoir entendu la lecture, je lui dis : puisque vous trouvez tant de bon sens dans mon Plan, oseriez-vous, Monsieur, vous en avouer l'Auteur, s'il venoit à être exécuté ? Oui, oui, Mademoiselle, me dit-il : je me charge même de le présenter moi-même à Monsieur le Contrôleur Général. La précaution que vous avez eue de le faire au nom d'un homme, empêchera le plus petit changement ; & j'y vais de ce pas. Il sortit aussi-tôt, en m'assurant qu'il le feroit appuyer. Je ne veux pas, cher Lecteur, vous priver de la lecture de ce petit ouvrage que j'ai nommé avec raison, Chimère raisonnable. : vous le trouverez donc à la suite de mes Mémoires. CONCLUSION. Dès que j'eus fini la lecture des Mémoires de ma chere Suzon, je prévins les réflexions qu'alloit sûrement faire mon cher Comte, en lui disant que la fin malheureuse de mon amie m'instruisoit plus que tout ce qu'on pourroit me dite, & qu'elle n'étoit qu'une suite de la conduite qu'elle avoit menée pendant toute sa vie. Ses foiblesses, lui dis-je, seront continuellement devant mes yeux, pour m'apprendre à être en garde contre les miennes. Je jure, en un mot, par l'amour sincere que j'ai pour vous, & par la reconnoissance éternelle que je vous ai vouée, de vous demeurer toujours fidelle, & n'avoir jamais d'autre volonté que la vôtre. Je lui ai tenu parole, & je coule des jours paisibles dans le sein d'un ami qui m'estime & qui m'aime. Fin des Mémoires de Suzon. LA PERLE DES PLANS ÉCONOMIQUES, OU LA CHIMÈRE. RAISONNABLE PREMIÈRE PARTIE La misere des Auteurs & les ris du public n'ont pu couper toutes les têtes à l'hydre renaissant des Économistes. Non, leur mauvais succès & physique & moral ne les a pas tous rebutés. En voici un nouveau qui vient peut-être augmenter l'épais athmosphere d'ennui, qu'a répandu sur nos climats le tourbillon de ses confreres, & que n'a pas encore dissipé le souffle du temps. N'importe, il ose espérer de l'indulgence de M. Turgot qu'il daignera jetter un œil favorable sur un projet intéressant, qui, de plus, se flatte du mérite de la nouveauté. En effet, de tous ces politiques profonds qui se rongent les doigts, qui se frottent le front, qui mettent leur cervelle à l'alambic, pour en exprimer une idée qui leur procure quelque chose de plus qu'un cure-dent, un verre d'eau & la Gazette ; de toutes ces vieilles Sybilles de caffé, il n'en est point qui air seulement soupçonné le phénix des Plans Économiques. Se sont-ils jamais imaginé qu'un membre toujours pernicieux au corps de l'État, pût lui devenir très-utile, qu'un membre avide du suc de ses voisins pût entretenir en eux tout l'embonpoint, toute la fraicheur de la santé ; enfin qu'un membre souvent gangrené pût rendre les autres plus sains & plus robustes ? Et quel est donc ce membre ? Sans doute la malignité croit déjà que ma plume indiscrette a l'audace d'attaquer les vénérables soixante de l'Académie de Plutus, qui, pour la plupart, nourrissent généreusement les tristes quarante de l'Académie d'Apollon ; point du tout. À la vérité, la différence n'est pas grande. Le membre de l'État dont je parle, naît, croît & s'aggrandit comme nos Publicains : en un mot, je parle des Courtisannes. Ces milliers de sauterelles qui jadis affligerent l'Égypte, inondent aujourd'hui non-seulement les Villes de la France, mais encore celles de l'Univers entier. Sans doute la baguette miraculeuse de quelque Magicien leur a ôté leur premiere forme, pour leur en donner une presque semblable à la nôtre. Comme nous, leur machine se soutient & chemine sur deux jambes ; deux bras sont attachés à deux épaules, surmontées d'une tête comme la nôtre : seulement plus de passions, plus d'effronterie, anime leurs regards, un coloris mensonger embellit leurs joues ; sur leur sein s'élevent deux pommes de rambour qu'un ruban officieux empêche souvent de paroître des pommes cuites ; & plus bas, plus bas, alte là... Voilà à peu près la différence de leur forme avec la nôtre. Le Magicien, en changeant la forme de ces sauterelles, leur a laissé malheureusement leur naturel. Comme celles de l'Égypte, elles se répandent dans les rues, dans les places publiques, dans les spectacles ; elles se glissent jusques dans l'intérieur des maisons, elles rongent tout, dévorent tout, consument tout ce qui se présente. Si dans l'Égypte il se fût trouvé un homme qui d'un mal si incommode à l'État, eût procuré un bien très-avantageux, je vous le demande, Messieurs les François, que n'eût-il pas obtenu du Monarque ? Eh bien l'Économiste qui prend la liberté de vous communiquer ses vues philosophiques, brûle de rendre ce service à la patrie. Quelles richesses, quels honneurs ne doit-il pas attendre, sur-tout en France, sur-tout lorsque la bienfaisance est assise sur le Trône ? Rien de plus simple que mon plan, rien de plus avantageux que son exécution. Procédons d'abord aux moyens. Si la nature du sujet est assez piquante, du moins tâchons de ne la pas rendre plus fastidieuse, par la longueur & la sécheresse des détails. Elle est sûre de faire rouler les eaux du Pactole dans ces temples enrichis des offrandes de mille adorateurs ; elle en est sur cette pomme que produit l'arbre fécond du bien & du mal ; cette pomme que le serpent de nos foibles Adams paie à des prix souvent répétés, & toujours extraordinaires. Détournons dans l'État, seulement un filet de ces ondes dorées & intarissables ; tout à coup la fertilité reparoîtra, & la disette fera place à l'abondance. La difficulté est de tromper ces Eves modernes dont la nature est de tromper. Mais ne nous effrayons pas à l'aspect des obstacles. Combien de fois, même sans nécessité, nos Églises ont-elles vu dépouiller gaiment leurs Saints respectables, qui sembloient devoir glacer d'effroi les ravisseurs, par leur mine flegmatique & silencieuse ? Craindroit-on de porter la main sur les trésors de ces saintes affables, qui se communiquent aux mortels avec tant de douceur & d'humanité ? Supposons que je sois chargé de l'exécution & que je mette la main à l'œuvre. D'abord je choisis quatre rues aux quatre coins de Paris : ensuite de superbes grilles ferment chaque rue par les deux bouts. Sans perdre de tems, je prends avec moi les disciples les plus experts de Saint Côme, je les établis mes lieutenans ; & nouveau général de Cypris, je fais la revue de ses troupes. Nous courons dans tous les quartiers de Paris, nous visitons nos amazones... de pied en cap. Toutes les héroïnes qui ne sont pas encore guéries de leurs anciennes blessures, ou qui en ont reçu de nouvelles dans les assauts amoureux, obtiennent sur le champ les invalides dans le Château Royal de Bicêtre ; toutes celles qui peuvent encore faire des campagnes sont enrolées sous mes drapeaux. Mais quels cris de rage & de fureur se sont entendre autour de moi. Au secours au secours si le Ministere m'abandonne, mon Plan tombe, l'État est ruiné, & moi je ne suis plus. Je vois ces Madeleines, au-paravent si douces, se changer tout à coup en Bacchantes & s'écrier : arrête, audacieux, quoi ne sommes-nous pas sous l'appui de la Police ? De quel droit viens-tu troubler nos plaisirs ? N'avons-nous pas des Couvens réglès où nous payons, en nous damnant, de quoi nourrir les pauvres élus du Paradis ? Arrête, ou sinon ? avec les compas de nos toilettes, nous t'imprimons, dans toutes les parties du corps, les glorieuses stygmates de Saint François. D'un autre côté, je vois des Carmes, des Cordeliers & des Capucins, la barbe hérissée, & la main armée de redoutables cordons, me menacer de m'envoyer au Ciel comme Saint Étienne, si j'arrache de leur voisinage des tentatrices salutaires pour mortifier la chair de concupiscence. Ah ? mes Révérends, ah ? mes charitables Peres ? de quoi vous plaignez-vous ? Je ne porte pas un pied profane dans les piscines délicieuses ou vos corps se purifient de leur taches journalieres ; retournez-y bien vîte & laissez-moi tranquille. Et vous, charmantes poupines, calmez-vous de grace ; écoutez-moi, & vous verrez qu'en cherchant le bien de l'État, je n'oublie pas le vôtre, vous avez déjà des demeures assurées : plus d'inquiétudes, plus de crainte. Les visites importunes d'une grossiere Police ne vous arracherons plus inhumainement d'entre les bras de l'amour. De plus, le choix de vos compagnes vous honore. Vous êtes le troupeau d'élus dont on a retranché les brebis galeuses. Sentez-vous, mais sentez-vous bien ce double avantage ? Écoutez-moi donc, & suivez l'ordre que je veux établir parmi vous. Toutes mes troupes rassemblées, vues et revues & duement examinées, je les partage en quatre bataillons ; un pour chaque rue. Je divise chaque bataillon eu trois classes, en Minois à croquer, en Minois appétissans, en Minois plaisans. Après cette division, qui ne peut manquer d'être heureuse, puisqu'elle est faite selon l'ordre ternaire, Je loge le minois à croquer au premier étage ; au second les minois appétissans ; au troisieme, les minois plaisans. À mesure que mes héroïnes perdent le don d'animer l'ouvrier souvent immobile de la génération, je le fais passer du premier étage au second, du second au troisieme, du troisieme au quatrieme, au cinquieme, au sixieme & même au septieme, s'il s'en trouve. C'est dans ces dernieres demeures qu'habiteront les vielles Prêtresses qui auront coulé leurs beaux jours au service de Vénus. Toutes auront l'emploi qui convient à leur mérite. Les unes seront portieres, les autres vivandieres, celles-la cuisinières, celle-ci fripieres ; ainsi du reste. Par-là aucun membre ne devient inutile dans ma nouvelle République. Vous savez que deux grilles ferment chaque rue : autant de grilles, autant des Bureaux. Chaque Bureau est pour un côté de l'enclos & ocupe trois personnes ; deux Portieres & un Commis. Des deux Tourrieres l'une ouvre la grille & la referme, l'autre par sa vigilance empêche que le Buraliste, en travaillant pour les intérêts de l'État, ne travaille aussi pour les siens, & ne prenne plus que le quart de la recette. La devotion amene-t-elle quelque Pélerin dans ces lieux sacrés Il ne se perd pas un seul instant en demandes & en réponses inutiles pour savoir si Monsieur veut monter au premier étage, où sont les Minois à croquer ; au second, où sont les Minois appétissans, au troisieme, où sont les Minois plaisans ? La surveillante du Commis demande aussi-tôt : Monsieur veut-il du croquer, ou de l'appétit, ou du plaisir ? Cela s'entend, & l'on entre aussi vite qu'à la Comédie. Mais n'est-il pas a craindre que le zele, ou la curiosité ne conduise vos adorateurs dans un temple plutôt que dans un autre ? N'est-il pas à craindre que leurs mains ne brûlant leur encens que sur des autels particulierement chéris, cette partialité ne répande la discorde parmi vos divinités ? Point du tout : la jalousie (Prodige incroyable.) est bannie de ce nouvel Olympe, & comment ? le voici. Le Buraliste tient un nombre de billets égal à celui de mes Nymphes ; le nom & la demeure de chacune sont écrits sur chaque billet. Jamais on ne donne le même ; ainsi tous temples sont fréquentés alternativement. À peine le postulant à-t-il remis la somme prescrite, il reçoit un billet, il est conduit par un garde dans le sanctuaire desiré ; & apres le sacrifice, il remet fidelement son billet au Bureau. Mais aussi le changement n'est-il pas dangereux pour les sacrificateurs ? Nullement : ma prudence économique a tâché de prévoir à tout. D'abord je vous avouerai naturellement que je n'avois pas envie d'introduire dans ma République féminine, la triste faculté de Médecine & de Chirurgie : mais enfin, Dieu ne veut-il pas que les animaux, même les plus malfaisans, vivent ici bas ? En conséquence dans chaque dépôt d'amour, je fonde quatre places pour deux Chirurgiens & deux Médecins. Leur Principale occupation est d'observer tous les jours si les fontaines du plaisir ne sont point, infectées dans leurs sources, & d'en faire un rapport exact au Directeur, La sûreté ne manquera donc pas d'attirer dans le séjour de nos amazones, un grand nombre d'Amateurs ; & j'espere que la curiosité n'en procurera pas moins. Le son de la cloche, appelle t-il à dîner où à souper ces divinités, qui ne le cédent pas en appétit, aux plus simples mortelles ; alors les grilles s'ouvrent gratis pour tout le monde, excepté pour la livrée. Ce qui frappe d'abord les regards, ce sont les différens portraits des Divinités, lesquels sont suspendus aux portes des rez-de-chaussée, avec le titre de chaque étage. C'est la que les lunettes, les besycles & les lorgnettes sont d'un grand usage. Aprés l'examen des copies, l'on passe à celui des originaux, qui se trouvent dans les réfectoirs. Les réfectoirs sont au nombre de trois, l'un pour les minois à croquer, l'autre pour les minois appétissans, & le dernier pour les minois plaisans. Dans cette arêne tous les prétendus Beaux-esprits, tous les garçons philosophes sont libres de se le disputer par les pointes, les Calambours & les gentillesses demi-honnêtes. Mais il faut laisser les grossieretés à la porte, sous peine d'y être mis soi-même. La gaité est l'ame de tous les repas ; & l'on est sûr de trouver des antagonistes féminins, dont l'enjouement ne laisse pas languir la conversation. Du moins l'intention du Fondateur est de bannir l'ennui de cet empire amoureux. C'est à ce but que tendent toutes les occupations de mes Citoyennes. Chaques classe a un jour dans la semaine pour établir ses appas dans les promenades publiques, & pour attirer dans son temple de nouveaux adorateurs ; tels que des riches Maltôtiers ennuyés de leurs femmes, des Milords Anglois, curieux du bon ton & des Barons Allemands, faisant leur tour de France : sans oublier nos petits Abbès, que le bon Dieu paie exactement tous les mois pour se divertir ; pour les Syrennes qui ne quittent point la mer de Tendre, tantôt elles prennent le frais sous les myrthes plantés dans leurs enclos ; tantôt elles s'occupent dans leurs chambres à des lectures solides & édifiantes. Point de bibliotheque nombreuse, mais bien choisie. Parmi les livres essentiels, l'on compte le Débauché converti, suivi de l'Ode à Priape, le Moyen de parvenir, la Religieuse en chemise, le Chapitre des Cordeliers, la Pucelle, Therese Philosophe, le Capucin sans barbe, les Lauriers Ecclesiastiques, Margot la Ravaudeuse, le Portier des Chartreux enrichi des postures de l'Arétin, le Compere Mathieu, l'Académie des Dames, la Putain errante, l'Ecole des filles & les, &c. &c. &c. C'est dans ces sources fécondes qu'elles puisent tous les moyens capables, au défaut de leurs attraits, de transporter les hommes dans le Paradis de Mahomet. Si quelquefois les esprits animaux irrités par une trop grande agitation du sang, osent troubler le repos de mes Nymphes par l'insomnie : j'ai des armes puissantes qui calment soudain la révolte. Une Vieille s'approche du lit, ouvre une grosse vie des Saints, ou un long Mémoire, ou un Mercure de France, ou un Discours Académique, ou le monstrueux Dictionnaire de l'Encyclopédie. À peine la Vieille a-t-elle braqué sur son nez, des lunettes, à peine a-t-elle balbutié quelque ligne De ces livres vantés effet prodigieux La Nymphe en soupirant, baille & ferme les yeux. Voilà, voilà les secrets merveilleux dont se servent mes agréables solitaires pour plaire aux autres, se plaire à elles-mêmes dans leur retraite & chasser de leur société la maladie de l'ennui ; maladie commune aux cercles les plus brillans. Tout État tomberoit bientôt dans la langueur, s'il n'étoit animé par le ressort Je l'émulation & qui peut mettre ce ressort en mouvement, si ce n'est l'espoir des récompenses ? C'est là le soutien inébranlable de tout établissement : c'est-là le véritable aliment qui entretient le feu sacré sur l'Autel de Vesta. Parmi les récompenses, j'en réserve une aussi flatteuse qu'honorable. Quelle est-t-elle ? Une retraite assurée pour toutes les vétérantes, qui comptent vingt-cinq ans de service sous les drapeaux de Vénus. Observez cette restriction, qui n'est pas inutile pour le maintien de la paix & du bon ordre. Je, le sais, il n'est guere possible d'empêcher les tracasseries & les querelles parmi les escadrons coëffés ; mais dans ces nouveaux Couvens, qu'aucune None, entraînée par son penchant féminin, ne fasse agir trop rudement le Pied ou la main ; qu'elle n'arrache point de cheveux, qu'elle ne déchire ni coëffe ni mantelet. Je ne les force point, comme Jupiter à prendre la figure de différens animaux pour échapper à ma fureur : mes Déesses n'en ont point le pouvoir, ni moi la volonté ; seulement chaque action violente, recule d'un mois l'entrée au port de la grace & du salut. Quant à ce port, je le laisse au choix du Ministere. À mon avis, on ne feroit pas mal d'honorer de ce choix le Couvent des Célestins, où trois ou quatre tondus, tout au plus, dans la crainte sans doute d'étourdir les Saints en aboyant le parchemin, emploient une moitié de leur vie à dormir, & L'autre à rien faire. Aucun lieu ne me paroît plus convenable aux Vieilles émérites pour finir leur carriere dans le chemin du salut. Mais sans m'en appercevoir, je parle déjà des avantages qui résultent de mon établissement. Arrétons-nous un moment pour reprendre haleine. Nous allons entrer dans cette partie intéressante qui doit être le but principal de tout plan Économique. Fin de la premiere Partie. LA PERLE DES PLANS ÉCONOMIQUES, OU LA CHIMÈRE. RAISONNABLE SECONDE PARTIE C'est une vérité constante : les hommes dans leurs états discordans concourent tous, souvent sans y penser, à l'harmonie générale ; les uns par l'emploi purement physique de leurs mains & de leurs bras ; les autres, par le mélange du premier emploi avec celui de la raison ; d'autres enfin, par le commerce seul de la raison qu'ils consultent dans le silence de la solitude. Le devoir de ces derniers, que l'ignorance regarde souvent comme des êtres inutiles, est d'éclairer la patrie avec le flambeau de leurs connoissances. Malheur au mortel qui change ce flambeau divin en feu follet, pour égarer & précipiter dans l'abîme, ses infortunés Concitoyens. L'exécution de la postérité est sa récompense ; & cette triste récompense, on cherche à l'obtenir, lorsqu'ennuyé des pas lents de la réflexion, on se laisse entraîner par la fougue d'une imagination trompeuse. C'est un Télescope qui présente tous les objets sous une face attrayante & ; flatteuse ; c'est une Fée qui transporte tout-à-coup dans des Palais enrichis d'or & de diamants ; dans des plaines émaillées de fleurs, & arrosées par le cristal des fontaines ; dans des bocages rafraîchis par l'haleine des Zéphirs & égayés par le chant des oiseaux. Le charme cesse-t-il, ce ne sont plus que des landes arrides, des rochers sourcilleux & d'affreux déserts... si dans ce moment mes yeux enchantés par mon imagination, n'apperçoivent que des avantages chimériques ? que le Ministere, que la Nation entiere soit mon Juge. Mais qu'on ne prononce qu'après m'avoir entendu. Semblables au suc de la terre qui d'abord nourrit les racines d'un arbre, ensuite se communique au tronc, & de-là se répand jusques dans les Plus foibles branches, mon Plan Économique étend ses avantages & sur l'État en général & sur toutes les familles en particulier. Je fixe une certaine somme pour chaque classe de Minois qui peuplent ce moderne Paphos. 12 liv. pour les Minois à croquer, 6 liv. pour les Minois apètissants, 3 liv. pour les Minois plaisans. Certainement la taxe n'est pas exhorbitante. Combien de vieux penards donnent cent fois davantage pour des Minois qui ne sont rien moins qu'apetissans. Tous les soirs les Commis préposés prennent le quart de la recette pour l'État. Je n'ai pas envie d'ouvrir le Barême & de remplir des colonnes de chiffres ; ma plume se refuse à des calculs réservés pour la main sûre du Ministere. Mais ou je me trompe, ou l'État doit retirer plus que le triple, plus même que le quadruple de ce que la Police arrache avec tant de peine de nos Couvents ordinaires, Voilà tout à coup de nouvelles sommes ajoutées aux millions, dont les Protestants & les Juifs veulent, dit-on, payer à la France la liberté de prier Dieu. Passons aux avantages particuliers. La portion de l'État séparée, le reste de la masse se partage entre mes Citoyennes, en proportion de la beauté & de services rendus à la république. Autant de place à remplir, autant de malheureux de moins : & plus les personnes choisies sont infortunées, plus le choix leur devient avantageux. Précieuse république Quelles ressources l'indigence ne trouvera-t-elles pas dans ton sein L'on sent que pour les quatre enclos, il faut quatre Directeurs qui honorent encore plus leur dignité, que la dignité ne peut les honorer. J'espere que le Ministere Jettera les yeux sur ces fous antiques, qui se sont immortalisés en se ruinant avec les Laïs du bon ton. À ce titre, ils méritent d'être les principeaux de ces Colléges. N'est-il pas juste que les auteurs de leurs désastre en deviennent les réparatrices ? La plupart de mes héroïnes seront charmées de les retrouver, dût-on battre la caisse dans toutes les parties de la France. Mais je crois qu'il ne sera pas nécessaire de sortir de Paris. Depuis long-tems ces tristes Croix de S. Louis, qui ont beaucoup de peine à dîner pour dix sols par repas, excitent ma compassion. Ils éprouvent, mieux que tout autre, combien il est difficile de vivre de promesses. Aussi veux-je suppléer à ces pensions Royales, dont la Cour pour l'ordinaire, fixe le payement à la Vallée de Josaphat. Je les destine à maintenir le bon ordre dans mes États. En qualité de guerriers, ils ne seront pas fâchés de finir leur carriere avec des Amazones. Mon humanité s'attendrit aussi sur le sort de tous ces Commis que M. Albert vient d'éconduire de ses Bureaux, persuadé sans doute que je leur trouverois promptement une place. Car, je ne crois pas qu'une ame aussi sensible que la sienne voulût les rendre les victimes de la faim. Allons, mes pauvres enfans, ne pleurez pas, ne vomissez pas des reproches injurieux contre votre ancien supérieur. En voici un autre qui vous tend les bras ; entrez & courbez vous tranquillement sur les Bureaux de ma Police. Et vous ; illustres Majors de la Gascogne, qui, l'estomac à jeun, inondez les Portiques de Saint Côme & priez dévotement ce digne Patron, de vous faire la grace d'envoyer beaucoup de badaux dans l'autre monde, afin de rester plus à votre aise en celui-ci ; interrompez vos prieres : quittez ce temple pour me suivre. Je n'examine pas si vous entendez seulement les termes de votre art assassin : connoissez vous la maladie à la mode ? En voilà plus qu'il n'en faut pour ma république. Et vous, glorieux avortons des Raphaël, des le Brun, des Vanloos, qui ne pouvez trouver des figures assez complaisantes pour se laisser, estropier par vos mains, voici, voici de quoi tirer de la poussiere vos palettes & vos pinceaux : quel miracle j'opérerois, si j'échauffais votre imagination glacée Sans aller chercher si loin l'Italie vous la trouverez ici. Voyez, consultez ces Nymphes : barbouillez avec ardeur. Chaque année au Carnaval une médaille est le prix du tableau le plus amoureux & le plus voluptueux. Et vous, rimailleurs infatigables, empoulés prosateurs, qui, tout en louant vos ouvrages, envoyez les Libraires & les Imprimeurs à tous les diables, & vingt fois par jour maudissez le Ciel de vous avoir inspiré la fatale pensée de vous servir de la plume, plutôt que de la lime ou du rabot, descendez, descendez de vos greniers, rassemblez-vous. Sur le Pont neuf, votre véritable Parnasse : de là je vous conduirai en triomphe dans ma brillante république. Je vous en établis les Historiographes & les Panégyristes. Au Carnaval, une médaille est également réservée au livre le plus détestable sur les plaisirs de l'Amour. Les Académiciens qui jugeront les chef-d'œuvres des concurrents dans la Peinture & l'éloquence sont les Minois à croquer ; & les vainqueurs auront la liberté de profiter des nuits vacantes de leurs juges. Quel heureux succès mon plan ne doit-il pas espérer, puisqu'il est déjà accueilli avec les plus grands éloges, par mes nouveaux protégés Tous élevent ses avantages jusqu'au Ciel ? tous remplis d'allegresse m'accablent de bénédictions ; tous répetent à l'envi : mortel descendu des Cieux pour nous rendre à la vie, ô pere des infortunés, sans toi nous étions perdus ; sans toi nous serions morts de faim, ou nous nous serions jettés la tête en bas dans la riviere. Je me flatte que tout Paris, que toute la France unira bientôt sa voix à leurs acclamations, en admirant les fruits que fera naître un plan si merveilleux. Alors les fréquentes séductions, les orgies nocturnes, les maladies honteuses, tout disparoîtra. Des parents sages ne craindront plus que leurs enfants éloignés de la maison paternelle, sur le déclin du jour, ne laissent échouer leur foible innocence contre le premier écueil, & ne raportent sur un lit de douleur le tableau désolant de leur naufrage. Les filles le disputeront moins souvent à leurs meres dans l'art de la population. Les femmes, sous prétexte d'aller au Temple du vrai Dieu, n'iront pas dans celui de l'Amour, y mériter les rentes payées à leurs appas. Les maris curieux d'y porter leurs offrandes, n'auront pas la honte de rencontrer leurs chastes épouses au nombre des vestales que la Prêtresse fait passer en revue sous leurs yeux. Toutes ces beautés de Province, qui ont cassé leur sabot dans leur pays, ne viendront plus hardiment au milieu des rues, en vendre les débris aux passans. Toute fille reconnue sans état & sans mœurs, sera renfermée dans mes enclos, aprés l'examen requis. Toutes les Hélenes importantes qui perdront le généreux mortel qui les louoit avec leur appartement, auront la complaisance de se rendre dans mes asyles, pour y attendre qu'un nouveau Pâris daigne les rétablir dans leur premier état. C'est-là que les Crésus ennuyés de leur fortune, pourront à leur aise marchander les moyens de la renverser en peu, de tems. Aprés l'exécution de tels réglemens ; croit-on que les rues seront encore aussi embarrassées de bataillons coëffés, que de voitures ? Croit-on que la tranquillité de la nuit sera troublée par le vacarme, qu'excite chez une voisine incommode, ou la folie ordinaire des jeunes spadassins, ou la présence imprévue de redoutables Alguasils ? Croit-on que les yeux & les oreilles seront scandalisés par des spectacles, par des discours qui révoltent les hommes les plus indifférents ? Non sûrement. Mais qu'on se contente de délasser l'esprit fatigué des Ministres, par la lecture de ces réglemens, L'on ne verra, l'on ne verra plus de scéne semblable à celle dont je fus témoin dernierement, même sans le vouloir. Elle mérite d'avoir ici sa place. Je crois qu'elle vaut mieux que toutes mes raisons, pour déterminer en faveur de mon plan, la volonté du Ministère. Un de mes amis veut résoudre une affaire ; il s'engage à payer un souper aux parties intéressées, & m'invite à l'accompagner : je le suis dans un lieu, que je nommerois sans difficulté, s'il étoit fait pour y voir la comédie dont on nous régala. Les convives arrivés, l'on se met à table. D'abord, soit la nouveauté des visages, soit plutôt le desir de satisfaire son appétit, l'on mangea plus de morceaux que l'on ne dit de paroles. De tems en tems le silence étoit interrompu par quelques éloges sur l'Ordonnance du festin. Pendant ce prélude assez tranquille, entre, l'hôte de la maison, lequel étoit surement connu d'une partie des convives : on le presse de s'armer d'un verre, il ne s'y refuse pas. Il fait plus, il s'assied. Alors l'office des dents cesse un peu pour faire place à celui de la langue. Le repas commençoit à s'égayer lorsqu'il paroît une figure aussi jolie que modeste en apparence : sans un œil frippon, je l'aurois prise pour une None nouvellement échapée du Couvent. Elle salue la compagnie en souriant, s'approche du maître de la maison, qu'elle appelle son oncle, & l'embrasse : mais l'embrasse d'une maniere dont je n'ai jamais vu nieces embrasser leurs oncles. Vous croyez peut-être qu'elle le baisa amoureusement sur les yeux ou à la bouche ? Que vous êtes loin de deviner Il est vrai, ce que vous croyez fut son début ; mais bientôt relevant son juppon, elle grimpe sur son oncle prétendu, passe les deux cuisses autour de son col, le serre étroitement, & laisse retomber ses vêtemens sur les épaules du cher oncle. Vous jugez bien où pouvoient se trouver la bouche & le nez du patient, qui appelloit tranquillement sa niece une petite espiégle : vous jugez bien aussi que les éclats de rire & les grosses plaisanteries ne furent point épargnés ; Pour moi dans ce moment, je pensois à Agamemnon qui se couvroit le visage d'un manteau, pour ne pas voir le sacrifice d'Iphigénie. Pendant que j'y pensois, arrive une autre nièce, qui prend en folâtrant la place de la premiere. Je ne sais pas si notre hôte en question a beaucoup de freres & de sœurs, tout ce que je sais, c'est qu'il ne manque pas de nieces, car il en vint encore une troisieme qui lui fit subir la même cérémonie. Les fumées du vin, & la singularité du spectacle avoit échauffé la tete à la plupart des convives ; ils ne voulurent pas rester spectateurs oisifs. L'un tire une niece vers lui, l'étend sur ses genoux, la trousse, la patine, la claque, & se met en devoir de faire baiser son énorme patêne à son voisin. Celui-ci, profite d'une cuisse de dindon qu'il tient à la main, l'enfonce dans le double moutardier qu'on lui présente, & la passe honnêtement sur la bouche, de son rival. Le premier aggresseur ne se décourage point : d'une main robuste il applique les deux promontoires de la Madéleine, sur le visage de son adversaire, puis de l'autre main il saisit une bouteille, & fait couler la liqueur de Bacchus sur la fontaine amoureuse qui rend le tout comme une gouttiere, dans la bouche, le nez & les yeux du pauvre diable. Inondé d'un déluge si inattendu, le vaincu se dégage avec vigueur, la fille jure, & le champion victorieux se pâme de rire avec la compagnie. Enfin les brouhahas & cette lutte libertine cessent tout à coup, & notre attention se fixe sur une autre Peronelle montée sur la table. Vous n'imagineriez jamais pourquoi faire ; avant de l'avoir vu, j'étois, comme vous, dans l'incertitude. Avec un sang, froid admirable, elle commence par affubler ses épaules & des cotillons & de la chemise. Jusques là il, n'y a rien de fort extraordinaire. Voici ce qui m'etonna le plus ; sans casser, sans même renverser un seul verre, une seule bouteille, elle dansa un menuet tout entier avec une souplesse, une dextérité qui lui mériterent les applaudissemens de toute l'assemblée. Pour voir la danse des œufs sur les remparts, l'on donne 24 sols ; mais en vérité, l'on en eût bien donné sans regret 48 pour admirer une danseuse si admirable. Tandis qu'on l'accabloit d'éloges, de caresses & de baisers ; mon ami, adressant la parole au maître de maison ; Signor, lui dit-il, voilà deux de vos nieces qui nous ont déjà beaucoup amusés ; il est juste que la derniere paye aussi son écot. À ces mots, il la saisit & me fait signe. Moi, je n'avois pas envie de représenter la Statue du Festin de pierre ; je prête la main à mon ami, nous couchons la victime sur un banc. Malgré ses cris nous l'attachons avec nos mouchoirs. Aussi-tôt mon ami faisant l'office de Grand-Prêtre, tire des ciseaux de sa poche, & lui tond délicatement toute la bordure de son labyrinthe ; puis semant de ce noir plumage dans tous les verres, il s'écrie que le premier qui refuse d'en boire soit condamné à toute la dépense. À cette menace terrible pour la bourse des convives, chacun, d'une main docile, porte la coupe à la bouche, & l'avale jusqu'à la lie ; excepté votre serviteur & mon ami, qui n'y perdoit pas beaucoup, puisque d'avance il seroit chargé de tous les frais. Mais sans mon secours, il n'en étoit pas quitte pour le festin. Nos Nymphes senttirent que nous étions de bons boursiers. Si vous les aviez vues alors Quel sincere attachement leurs bouches nous témoignoient À les en croire, elles ne vouloient aimer que nous seuls ; pour nous seuls elles réservoient toutes leurs complaisances. Nous étions seuls des hommes à sentiments, & qui plus est, les plus beaux hommes du monde. Étoit-ce là des compliments flateurs ? Ils n'eussent point manqué de faire tomber le fromage du bec de jeunes Corbeaux à plumer ; mais de vieux renards s'ils sont la dupe de ces avides cigognes, ils le sont une fois, rarement deux. D'abord j'avertis tout bas mon ami de prétexter en sortant un besoin naturel ; puis haussant la voix, oui lui dis-je, entrons ici... prés... dans ce Café... tu sais... qui fait le coin... Nous y trouverons de quoi satisfaire ces Dames. J'espere qu'elles auront la complaisance de nous y accompagner. Redoublement d'éloges de leur part. Nous sortons : mon ami docile à mes ordres, n'oublie pas son rôle, & s'arrête à quatre pas du Café. De mon côté je m'empresse d'y faire entrer les Princesses ; on s'assied : la liqueur arrive. Je voyois dans leurs yeux qu'elles triomphoient de nous tenir dans leurs filets, mais je leur appris à ne chanter le triomphe qu'après la victoire, Je feins de m'impatienter de la lenteur de mon ami, je sors ; mais je sors pour ne plus rentrer. Mon ami & moi nous gagnons lestement notre demeure, sans cesser de rire de la tragi-comédie dont on avoit assaisonné le souper, & sur-tout du dénouement dont nous terminions la piece. Cette histoire forme un épisode un peu long, je l'avoue ; mais tous les détails n'en sont-ils pas nécessaires ; Quelle foule de réflexions ne font-ils pas naître ? Cette aventure scandaleuse ne pouvoit-elle pas être répétée le même jour, ou par la suite, dans mille endroits de Paris ? Ne pouvoit-elle pas l'être devant des jeunes gens sans expérience, puisqu'elle le fut devant nous ; devant des hommes faits, devant des têtes, je ne dis pas à perruques, mais des têtes portant perruque ? De ces réflexions, & de mille autres encore, quelle est la conséquence ? C'est que mon plan est la seule digue qu'on puisse opposer au débordement des mœurs : C'est que mon plan est un canal heureusement inventé, pour apporter des richesses dans les trésors de l'État ; c'est qu'enfin l'exécution de mon plan est d'une nécessité indispensable. Se présentât-il mille obstacles à vaincre, il faut les vaincre tous. Mais heureusement il ne s'en présente aucun. Seroit-ce la naissance trop multipliée des Cupidons, occasionnée par la conduite plus réglée de nos Vénus ? Ouvrez, ouvrez les portes de nos Couvens. Tous les Moines, en reconnoissance des services qu'ils ont reçu des meres, adopteront avec plaisir les enfans, & s'il est vrai que les enfans tiennent toujours de ceux qui leur ont donné d'être, leur éducation ne leur coûtera aucune peine. Ils retrouveront dans ces petits Saturnins toute l'inclination Monacalle. Resteroit-il de l'inquiétude pour les jeunes Nymphes ? on les laissera croître sous les paisibles loix de leurs agréables meres ; ce sont des citoyennes tout acquises à la République. Quelle objection peut-on faire encore ? Si ma voix n'est pas assez persuasive, écoutez celle de la Patrie qui demande l'execution d'un tel plan, non seulement dans la Capitale, mais encore dans toutes les Villes du Royaume. Écoutez cette mere affligée du désordre de ses enfans, qui voudroit même qu'aux quatre enclos de Pairs on en ajoutât un cinquieme, & dans quel lieu ? Près du Palais Royal ; & pour qui ? pour toutes les Vierges-meres des Italiens, des François & de l'Opéra, sans oublier celles de Nicolet & d'Audinot. Ces Reines de Théâtre ne méritent-elles pas de contribuer aux avantages de ma précieuse République ? Divin Platon oui, tu serois cent fois plus divin ; si ta cervelle philosophique en eût imaginé une pareille. À cette belle exclamation, j'allois terminer ma chaude péroraison ; mais mon ancien Professeur de seconde, ce respectable pédant de Mazarin, ce cadet Thomas dont la plume emphatique a martyrisé Tite-Live dans une traduction soporifique, ce Juge sourcilleux me blâmeroit de finir par une si courte apostrophe, & même me le prouveroit par son éloge inconnu du Chevalier Bayard. Docile écolier, j'ajoute encore deux mots & je me tais. Le Ministère sans doute n'a pas encore, ainsi que les Libraires, abandonné à la voracité des vers le merveilleux ouvrage de mes confreres les Économistes, je veux parler de cet habile Opérateur qui, sans le secours de la Lanterne magique, fit voir au public l'Administration actuelle des revenus royaux, & celle qu'il vouloit introduire sous l'emblème de deux Colonnes. L'une chancelente, minée de toutes parts, appuyée sur une foible base, menaçoit une ruine certaine ; l'on devine aisément ce que cette colonne représentoit ; l'autre, ferme & solide, appuyée sur une base inébranlable, & de plus couronnée de guirlandes, sembloit devoir, par sa durée, braver la faulx du tems : l'on devine encore plus aisément que cette Colonne étoit l'emblème de L'Administration proposée par le modeste inventeur. Si la premiere Colonne demendoit une prompte réparation, le même besoin subsiste encore, puisqu'on n'apporte aucun changement. Qu'on exécute mon Plan, la Colonne est rétablie, & le dessein de mon cher confrere & le mien seront remplis. FIN