VOYAGE AU LABIRINTHE DU JADRIN DU ROI. A Monsieur *** Le prix est de 24 sols. A LA HAYE, Chez LES LIBRAIRES ASSOCIES. M. DCC. LV. PRÉFACE. VOYAGE AU LABIRINTHE DU JARDIN DU ROI. JE veux te regaler, mon cher, du recit d'un Voyage que nous avons fait hier, un de mes amis & moi, qui surpasse de beaucoup le Voyage de Saint Cloud par Terre & par Mer; celui de Cirano dans la Lune, celui de Chapelle, & ceux de tant d'autres Voyageurs dont les noms ne sont pas parvenus jusqu'à moi. Tu vas peut-être te figurer que c'est quelque rêverie Poëtique, & que nouveaux Dom Quichottes nous avons parcouru en idée les espaces imaginaires. Point du tout, c'est un Voyage réel qui nous a coûté bien des peines, & a été traversé par bien des obstacles: tu vas en juger. Hier au soir donc, assanlis par mille refléxions, pour nous égayer, nous resolumes d'aller faire un tour au Jardin du Roi, qui, comme tu sçais, est fort voisin de mon Logis. Arrivez dans ce lieu champêtre... Ah! que si nous étions au tems Où grace à l'aimable Printems La nature semble renaître, Je te ferais, mon cher Damon, Une belle description! Que j'aimerais à te décrire Les arbres, les fleurs, les gazons, Des Oiseaux les tendres chansons, Le Rossignol & le Zephire Et l'onde au Cristal argenté; Mais tu sçais bien que la froidure Regne encore sur la nature, Et ma présence, en verité, Ne produit ni fleurs ni verdure. Peste soit des tristes hivers, Peste de la saison maudite Qui contraire au feu qui m'agite, Te dérobe de si beaux vers. Pour revenir & suspendre cet entousiasme qui nous menerait trop loin: arrivés dans ce lieu champêtre, comme je t'ai déja dit, nous nous mimes à parler de chose & d'autres: Moi léger, étourdi, riant assez de tout; D... au contraire grave & mesuré, avec ce talent singulier que tu lui connais pour ramener tout à la refléxion. La solitude, dit-on, inspire des pensées merveilleuses. Nous débitions avec un ton Digne des sages du portique, Une Morale socratique; Mais plus froide que la saison; Passant l'univers en revue, Notre sagesse morfondue Traitait comme de pauvres fous Tous les humains, excepté nous. Dans l'accès de notre folie, Du monde plaignant les travers, Il nous prenait par fois envie D'aller peupler quelques deserts. Heureux, disions-nous, les saints hommes, Qui ne vivent qu'avec les ours! Ils passent doucement leurs jours, Tandis qu'esclaves que nous sommes, .... Le vent de Bise assurement Qui nous soufflait dans les oreilles, Nous inspirait en ce moment Tant d'extravagantes merveilles. Après avoir bien raisonné, philosophé, moralisé, il vint à mon ami une idée des plus heureuses. Montons, dit-il, au Labirinthe; il y a long-tems que j'ai envie de faire ce Voyage, & ..... c'est fort bien dit, lui repliquai-je, tandis que nos pas s'égareront dans ces détours, ton esprit se perdra dans un Labirinthe de refléxions. Montons sans differer, car nous nous v prenons un peu tard: en effet, il était près de quatre heures & demie. Nous nous mettons en marche; mais par malheur la porte ordinaire étoit fermée. Ne nous décourageons pas, me dit D... qui est préparé à tous les évenemens de la vie: il faut retourner sur nos pas, & tâcher d'entrer par un autre endroit: j'admirai la promptitude avec laquelle il avait imaginé cet expédient. Nous primes donc un autre chemin. Qui l'eût prévu que nous trouverions encore tant d'obstacles? D'abord il fallait traverser Des sables fangeux & mobiles, Où nous ne pouvions quoiqu'agiles Faire un seul pas sans enfoncer. La raison en est bien simple. Comme il avait gelé la nuit, les rayons du Soleil qui avaient fait transpirer la terre, rendaient le passage impraticable. Tu vois que je n'avance rien que je ne sois en état de prouver, & que je ne ressemble pas à ces Voyageurs qui vous débitent à tout propos des fables surannées, qu'on aime mieux croire bonnement que de s'en aller informer sur les lieux. Dans le bourbier jusqu'à mi-jambe, ne pouvant avancer: telle est me disait mon ami, Qui n'avançait pas davantage, Du monde la sensible image. C'est un sable, un terrein mouvant Où l'on enfonce à chaque instant: C'est un bourbier où l'on s'engage, Où l'on se perd de plus en plus, Et qui nous bouche le passage Du Labirinthe des vertus. Tu prends bien ton tems pour moraliser, lui dis-je, crois-moi sortons d'ici, & renonçons à notre voyage. Lâche, s'écria-t'il d'un ton pathetique, on voit bien que tu n'es pas encore fait aux grandes entreprises, ni aux revers qui les accompagnent. Je l'écoutais en silence, me doutant bien que son esprit fécond allait lui suggerer quelque nouvelle ressource qui nous tirerait d'embarras: je ne me trompai point. Que l'on est heureux d'avoir pour compagnon de ses voyages, un de ces génies prompts & fertiles qui ne se rebutent de rien! Montons, dit-il, sur cette Terrasse (tu connais la Terrasse qui domine sur des marais) elle nous conduira plus facilement au but de notre voyage. Il s'avance en même tems d'un air intrépide, je le suis. Il grimpe, je grimpe à son exemple. Voilà pourtant, m'écriai-je, à la vûe de ces marais, voilà les lieux Qui produisent tant de légumes, Tant de choux & de champignons, Tant de poireaux & tant d'oignons, Tant de simples bons pour les rhumes. J'allais enfiler une longue Kyrielle, mais un étourdissement qui pensa me jetter à la renverse, m'arrêta tout d'un coup. Mon ami cependant ne laissait pas d'avancer: il marchait gravement sur la périlleuse Terrasse, sans s'embarrasser si je le suivais ou non. Nous arrivâmes enfin, & nous descendîmes sains & saufs. Pour moi je me croiais au-dessus de tous les dangers, mais le destin nous réservait à bien d'autres traverses. A peine avions-nous fait deux pas, que d'une cahutte voisine nous vîmes sortir Un frere cadet de Cerbere, Qui plus méchant que son aîné, Se mit d'une voix aigre & claire, A japer comme un forcené. Quoiqu'il n'eût une triple gueule, Le drôle avec la sienne seule Faisait trois fois plus de fracas, Que n'en fait son parent là-bas. Envain, D... avec sa tranquillité ordinaire, tâchait de lui faire entendre raison. Les caresses ne faisaient que irriter davantage. Tel autrefois un fier Dragon, Contre l'élite de la Gréce, Contre l'amour & la sagesse, Soutint l'honneur de la Toison. Heureusement j'avais dans ma poche une Parodie nouvelle, dont je lui recitai quelques vers. Il ne put se défendre de leur charme soporifique. Et las de résister succombant sous l'effort, Il soupire, s'abat, ferme l'œil & s'endort. Ce n'était là qu'un premier obstacle. Sort aussi-tôt un monstre aîlé, Noir, & de blanc entremêlé, Qui babillant comme une femme, Vint encor nous chanter sa gamme; Il voltigeait autour de nous, Avec son bec il faisait rage, Voulait nous barrer le passage, Nous lutinait comme des fous. Nous étions desesperez, & tout prêts pour cette fois à rebrousser chemin, quand par bonheur il appercut de loin Un petit Abbé jouvenceau Qui se promenait avec grace, Aussi-tôt nous quittant la place, Il s'échappe, ne fait qu'un saut, Et plein d'une nouvelle audace Court le tirer par son manteau. Tu vas prendre tout cela pour du fabuleux, sans doute, mais je vais bientôt te désabuser. Ce Cerbere que nous avons endormi, c'est un petit chien qui gardait la cahute: le monstre ailé, c'est une Pie; ainsi tu ne dois pas t'étonner que cet animal qui aime tant à jaser, nous ait quitté si brusquement pour aller caqueter avec ce jeune Abbé. Quoi qu'il en soit, débarrassé de ces monstres, nous avancions gayement vers le Labirinthe, en remerciant le Ciel de nous avoir délivré de tant de périls, lorsque Soudain se présente à nos yeux, Que son aspect seul intimide, Un mont dont le sommet rapide, Portait sa tête dans les Cieux. Mon ami rappellant son courage, s'élance, & bientôt atteint au sommet. Pour moi je crois qu'un Dieu le poussait par derriere, tant il montait avec agilité, malgré les refléxions qui le surchargeaient, & dont le poids aurait dû le précipiter. Au bas du mont je le contemplais s'élever, & fesais des efforts pour le suivre, comme un Aiglon qui essaie son vol en regardant sa mere qui parcourt l'espace des Cieux. Cependant à force de gravir des pieds & des mains, j'étais déja presque au milieu, Lorsque tout-à-coup quittant prise, Je tombe, roule avec fracas, Et me retrouve tout en bas; Tu peux juger de ma surprise. Trois fois dans un transport jaloux Je recommençai l'escalade, Trois fois après mainte cascade, J'allai mesurer les cailloux. D... assis tranquillement sur la cime de la montagne, me voiait rouler du haut en bas sans la moindre émotion: il alloit même jusqu'à me débiter des lambeaux de Morale, comme d'une Tribune. Ami, disait-il, Ami, qu'il est doux pour le sage De pouvoir contempler du port, Des mortels en butte à l'orage Tenter un généreux effort. Avant que d'arriver au terme, On trebuche plus d'une fois, Heureux qui toujours stable & ferme, Se soutient par son propre poids. J'étais moins en humeur d'écouter de si beaux axiomes, que de faire provision de pierres pour en accabler l'Orateur. Heureusement pour lui mon dernier effort ne fut pas inutile. Je surmontai enfin la petite butte qui m'avait arrêté jusques-là, & mon Compagnon me felicita gravement sur un succès aussi glorieux. Après m'être reposé quel-que tems, nous nous engageâmes dans les routes du Labirinthe, où nous nous égarions à l'envi. Si j'étais Poëte ou menteur, je te dirais que Nous trouvâmes dans ses détours De Silvains une mascarade, Mainte Nimphe, mainte Driade, Qui se racontaient leurs amours. Mais comme je ne suis ni l'un ni l'autre, je te dirai tout simplement que nous nous amusions beaucoup à courir, à nous perdre, à nous retrouver. Mon ami même commençait à s'égaier: mais je me souviens qu'une fois il s'arrêta tout hors d'haleine pour me dire avec un sérieux tout-à-fait singulier: C'est ainsi, mon cher, qu'on s'égare, En courant après le bonheur. Le sentier qu'on croit le meilleur Est celui qui nous en sépare: Une seule route y conduit; A nos yeux s'en présentent mille, Nous choisissons la plus facile, L'apparence ainsi nous séduit. Ainsi nous errons dans ce monde Entourez d'une nuit profonde Pour suivre une ombre qui nous fuit. Dégagé de ce gros ballot de Morale qui l'appesantissait, il se mit à courir plus légerement. De détours en détours nous nous trouvâmes dans une allée qui avait quelque chose de plus agréable que les autres. L'air qu'on y respirait me semblait plus doux. Peut-être que mon imagination remplie alors de fantomes gracieux, lui prêtait des charmes qu'elle n'avait pas. Plein de ces riantes chimeres Dont quelquefois je me répais, J'errais dans ces lieux solitaires; Mes yeux leur trouvaient mille attraits; Déja ma rapide pensée Confondant mille objets divers, Me transportait dans l'Elisée Sous des ombrages toujours verds. J'y voyais dans ma rêverie Des Bouquets de fleurs couronnés Qui parfumaient une prairie, Séjour des Amans fortunés. J'allais voir encore bien d'autres extravagances, lorsque je vis mon ami qui s'était tenu éloigné de moi quelque tems. Il tenait une espéce de Livre qu'il parcourait d'un air dédaigneux. Ce Livre, c'étaient les Tablettes d'un Auteur jadis tragique, remplies d'Epitalames, de Bouquets, de Romances & d'autres fadaises semblables. Je sentais bien, m'écriai-je aussi-tôt, qu'il y avait je ne sçai quoi dans ces lieux qui me retenait. C'est sans doute quelque Poëte qui sera venu y évertuer sa muse, & y aura laissé ces exhalaisons d'amour & de folie que le froid a empêché de s'évaporer, & qui déja se communiquaient à mon cerveau. Mais que prétends-tu faire de cela? Je veux, me dit-il serieusement, publier que je les ai trouvées, & je suis sûr que l'Auteur sera assez indiscret pour les réclamer. Comme la chose ne valait pas la peine de nous arrêter, nous sortimes de l'allée, après avoir gravé ces vers sur l'écorce d'un arbre: Fuyez ce séjour dangéreux, Quelque charme qui vous attire, Jeunes Auteurs qui vous mêlez d'écrire. Un Poëte a laissé son esprit dans ces lieux. Enfin, nous arrivâmes au haut du Labirinthe d'où l'on découvre Paris & les environs. C'est quelque chose d'étonnant, mon cher, que la quantité de Maisons, de Clochers & de Moulins qu'on apperçoit de-là. Je trouvais ce spectacle fort beau, fort intéressant, & j'y emploiais tous mes yeux autant qu'ils pouvaient s'étendre, mais D... sçait tirer profit de tout. Vois, me dit-il, cette fumée Qui s'éleve par tourbillons De dessus les toits des maisons, Et sçaches ce qui l'a formée; De nos grands ce sont les projets, Les intrigues de nos Coquettes, L'esprit de nos petits Collets, De nos M... les amourettes; Ce sont les vers de nos Auteurs, Les fortunes de nos Actrices, Et pour finir par les Coulisses, Les airs fendans de nos Acteurs. Eh! point du tout, lui dis-je en riant, cette fumée sort des cheminées que tu vois. N'apperçois-tu pas encore dans le Lointain, ajouta-t-il brusquement? Ces Moulins qu'agite le vent Avec une vîtesse extrême; L'homme, mon cher, tourne de même. Nous sommes des Moulins à vent, Que l'haleine d'une Maîtresse, Que le souffle d'un vain désir Contraint de tournoyer sans cesse, Et voilà d'où naît cette ivresse Que nous prenons pour le plaisir. Il allait m'en débiter encore bien d'autres, si je ne l'avais interrompu. Tout cela est fort bon, lui dis-je, mais je t'avertis que la place n'est plus tenable. Il fait un vent qui glace: crois-moi, descendons, de crainte d'attraper quelque rhume qu'on ne guérit point avec de la Morale. Effectivement, il commonca à sentir que le froid redoublait, & que le manteau de la Philosophie ne pouvait le mettre à l'abri de ses atteintes. Ainsi nous descendîmes de compagnie bien plus vîte que nous n'étions montés: nous ne trouvâmes plus ni le Chien, ni la Pie, ni l'Abbé. Il n'y avait que deux extravagans comme nous, qui pussent se trouver en hiver à cinq heures & demie du soir dans le Jardin du Roi. Nous le traversâmes en jurant de bon cœur contre la fureur des Voyages, & nous regagnâmes chacun notre Logis.