Récit de voyage de Christian Friedrich Gottlieb von
dem Knesebeck, vers 1711-1713Édition numériqueDeutsche Forschungsgemeinschaft
(DFG)Agence nationale de
la recherche (ANR)HendrikZieglerRelecture du texte, annotationAlexandraPiochRelecture et correctionBastienCoulonCentre de recherche du château de VersaillesAnnotationMarionMüllerÉdition du texte, contrôle de la traduction, annotationIsabelleKalinowskiCNRSTraduction, annotationAnnaHartmannHistorienne de l’art, traductrice, galeriste et éditrice de
ProdromusAnnotationChloéMenutRédaction du schéma XML-TEI, contrôle de l’encodage et documentation TEI v.1 (2017-2018)AxelleJaniakRédaction du schéma XML-TEI, contrôle de l’encodage et documentation TEI v.2 (2018-2019)MathieuDubocCentre de recherche du château de VersaillesRédaction du schéma XML-TEI, contrôle de l’encodage et documentation TEI v.3 (2019-2020)ARCHITRAVE: Art and Architecture in Paris and Versailles in Accounts by
Baroque-Era German Travellers. 2020565 koCentre de recherche du
château de VersaillesGrand Commun1, rue de l’Indépendance américaineRP 83478008 Versailles CedexFranceDeutsches Forum für Kunstgeschichte /
Centre allemand d’histoire de l’art ParisHôtel Lully45, rue des Petits Champs75001 ParisFranceNiedersächsische
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GermanyRostockUniversitätsibliothekMss. Var. 13Beschreibung einer Reise von Braunschweig durch
Holland nach FrankreichChristian Friedrich Gottlieb
von dem KnesebeckLe manuscrit de Christian Friedrich Gottlieb von dem
Knesebeck représente très probablement une mise au propre
d’anciennes notes de voyages de Leonhard Christoph Sturm aujourd’hui
perdues. Sturm était le supérieur de Knesebeck dans l’administration
des bâtiments du duché de Mecklembourg-Schwerin. La copie a
vraisemblablement été effectuée entre 1711 et 1713. Il s’agit donc
d’une compilation de notes de voyage que Sturm a pu ébaucher
à la suite de ses voyages dans les Provinces-Unies, en Flandre
et en France en 1696, 1699 et 1712.
Ce texte comporte 86 feuillets. La foliotation,
récente, a été apposée au crayon en bas et au centre du
recto de chaque feuille. Seules les pages 2, 3 et 4
présentent en plus une pagination d’époque placée à chaque
fois en haut à droite, en dehors du filet d’encadrement du
texte. Les 14 planches en fin de volume ont en outre été
numérotées au crayon en haut à droite de chaque feuille.
Le texte a été rédigé en écriture cursive
allemande, les expressions étrangères étant notées en lettres
latines. Il est accompagné de dessins pour la plupart tracés au
crayon, puis exécutés à l’encre et rehaussés de lavis.
L’écriture a pu être identifiée avec certitude comme étant celle
de Christian Friedrich Gottlieb von dem Knesebeck, même si nous
avons probablement affaire à une mise au propre d’anciennes
notes de voyage de Leonhard Christoph Sturm.
On ignore le moment et les circonstances dans lesquelles le
document a intégré la collection. La reliure date du XVIIIe siècle ;
elle est donc plus récente que le manuscrit lui-même.
Art et architecture à Paris et Versailles dans les récits de
voyageurs allemands à l’époque baroque (ARCHITRAVE). Étude de six récits de voyage allemands manuscrits
et imprimés datant de 1685 à 1723 portant sur l’architecture et l’art français
et provenant d’archives et de bibliothèques allemandes et autrichiennes ; mise à
disposition de ce corpus incluant la traduction intégrale de toutes ces sources au
sein d’un site d’édition numérique.
Le document est reproduit dans son intégralité. Il n’a encore
jamais fait l’objet d’une publication.
Les normes d’encodage sont conformes aux recommandations de la TEI
P5. Les éléments employés pour Architrave sont disponibles sur le site internet.
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Mss. Var. 13
1r1v
2rBrève description d’un tour en France en passant par la Hollande, commençant à
Brunswick
Depuis Brunswick, le premier relais de poste où l’on
s’arrête souvent après le petit bourg de Peine
est celui de Hildesheim, qui se trouve à 3 lieues ou 6 heures de Brunswick ; on y mange
bien.
De là, le prochain relais est à 4 lieues ou 8 heures, c’est
Hanovre, une belle ville de résidence du prince-électeur : la
ville nouvelle y est remarquablement aménagée, mais tout est en bois. Une
grande fontaine
se dresse sur la place, elle représente une montagne surmontée du chevalIl s’agit de l’animal héraldique de la maison
Lunebourg. de Lunebourg ; les 9 Muses sont réparties autour ; la montagne est
percée de 4 grottes où s’élèvent quatre statues sur des montures qui crachent
autant de jets d’eau. Le bassin est de grande taille et entouré d’une balustrade
avec des socles intercalés sur lesquels se dressent non moins de 24 statues le
plus souvent grandeur nature, dont le dessin n’est pas réussi ; toutes sont
sculptées dans du bon grès.
À côté de l’église qui jouxte cette place, on a construit une nouvelle
tour, mais des pierres sont déjà tombées. L’architecte n’est qu’un architecte sur le
papier, un simple amateur (empiricus)Knesebeck critique ici les maîtres bâtisseurs amateurs qui n’ont reçu aucune formation en mathématiques sur les fondements théoriques de l’architecture., un beau parleur
qui se croit capable de tout. C’est également lui qui a bâti un grand pont de pierre de
cinq arches sur la Leine. Ce pont est très surélevé dans sa partie centrale, alors
que c’est inutile, puisque les bateaux n’ont pas le droit de passer dessous.
L’église du
château est bien proportionnée et joliment peinte. Cependant,
sous les voûtes d’arêtes, les parties du plafond qui représentent des balustrades
en perspective altèrent fort la beauté de cette voûte. En outre, la chaire est
placée dans l’angle, d’une manière inusitée. Le château a de belles
pièces, et il est assez vaste, avec trois cours. L’opéra, construit dans
l’une d’entre elles, est très beau ; il est couvert de très belles dorures, et
possède de belles machines et des loges proprement meublées.
À une demi-heure de la ville, à Herrenhausen, est construite la maison de plaisance de
la duchesse,
qui est veuve ; ce sont de vieux bâtiments d’ordonnance simple en mauvais état,
sauf l’orangerie
nouvellement construite qui se présente comme une grande salle entre deux
pavillons de petites pièces ; le toit est à la Mansarde, avec une bonne
charpente subdivisée en compartiments. La disposition extérieure est admirable,
mais à l’intérieur, différentes fautes sont à déplorer : ainsi, dans les deux
pavillons, les escaliers sont si étroits qu’une personne corpulente peut à peine
les emprunter. La grande salle possède un plafond à arcs surbaissés, dépourvu de
caissons ; on peut y voir, organisées dans un désordre charmant, un grand nombre
de petites figures qui ne seraient guère à leur place dans une église et le sont
moins encore dans une orangerie ; de plus, tout est peint en noir et doré. La
pièce comprend 5 cheminées qui doivent occasionner beaucoup de frais même si on
y a installé des poêles ; les plantes ne doivent pas bien s’y porter. L’espace
ou le sol en sont entièrement couverts, et je n’ai pas vu d’évacuation pour
l’eau d’arrosage
2v
en hiver. Le jardin est assez beau ; le « théâtre » surtout,
ainsi qu’on l’appelle, est très plaisant, il est orné de belles statues dorées.
Les fontaines en rocaille, à côté de l’entrée du jardin, sont pour la plupart
endommagées, mais cet agencement est assez réussi. Désormais, le duc fait aménager
là un beau parc.
Le jardin du comte von Platen est grand et son ordonnance est assez bonne ; à
côté s’élèvent des petites maisonnettes ou plutôt casernes pour le logement des
nécessiteux ; la maison de
plaisance est au milieu du jardin, elle vient d’être construite.
Je ne suis pas parvenu à comprendre où seront placés les coupe-feu ni comment
ils pourront être compatibles avec le plan des appartements. Le bâtiment
comprend un demi-sous-sol en pierre surmonté de deux étages en bois. Les arbres
taillés sont propres et beaux, et l’allée principale de la maison possède une
belle perspective qu’on envisage de prolonger bien au-delà du jardin, jusqu’à la
route de Cassel.
Dans ce jardin, on trouve en abondance des treillages de lattes tressées et, à
côté, un treuil à tambour permettant à des bœufs ou à des ânes de pomper l’eau
destinée au jardin et de la faire monter jusqu’en haut de celui-ci.
Depuis Hanovre, le troisième relais de poste établi dans le
village de Hagenburg est à 5 lieues de Leese ;
ensuite, on prend un bac pour traverser la Weser, le relais de poste suivant est alors à 3
lieues, à Diepenau ; il faut encore 3 lieues et demie pour
arriver à Bohmte et, enfin, encore 2 bonnes lieues et demie
pour atteindre Osnabrück. Cette ville est assez grande et
vieillotte mais passablement bien construite – pressé par la malle-poste, je
n’ai rien pu observer et des habitants de la ville m’ont assuré qu’il n’y avait
pas grand-chose à voir.
Depuis Osnabrück, la septième poste parcourt 3 lieues
jusqu’à Ibbenbüren
et la huitième, de là, 2 lieues et demie jusqu’à Rheine.
C’est un petit bourg aux constructions simples qui appartient à l’évêque de Münster ; il s’étend le long
de l’Ems, sur lequel
a été construit un nouveau pont de bonne facture dont la forme est la suivante :
Chaque arche est longue de 21 pieds. Lorsqu’on a traversé le pont, on
peut lire cette inscription à la porte de la ville : QVI ConIVrata IaCVIt pons LasVs ab VnDa praDaqVe
CoLLapso fornICe CessIt, aqVae, CeLsIor aVspICIo frIDerICI
principis alto assurgens querulas ventici videt aquas.
La neuvième poste parcourt 3 lieues de Rheine à Bentheim, où l’on peut voir un château construit sur la
falaise, fortifié à l’ancienne manière, avec un assez beau jardin.
3r3r
La 10e poste met 7 heures
jusqu’à Delden : c’est là que l’on commence vraiment à vivre
à la hollandaise. La 11e poste fait le voyage de
Delden à
Deventer en 8 heures. Cette belle ville assez grande,
entièrement composée de maisons de pierre à la manière hollandaise, est bordée
par l’Yssel, un
fleuve au trafic important ; après TerwoldeKnesebeck écrit « Ter-Gaude »., il se jette dans la
Meuse et coule
avec elle jusqu’à Dordrecht. Deventer est une ville fortifiée à la façon hollandaise avec
des terre-pleins, des flancs simples perpendiculaires et une fausse-braye
étroite ; à l’intérieur, elle possède encore une enceinte composée d’un mur et
d’un fossé bâti ; elle est entourée d’une grande plaine qui est essentiellement
une lande de tourbe. D’après ce que j’ai pu observer en hâte au passage, cette
ville contient peu de bâtiments construits à la bonne manière moderne.
Cependant, la façade de l’hôtel
de ville était d’une ordonnance tout à fait plaisante, elle
était bâtie dans un grès taillé de bonne qualité. Voici un croquis de la moitié
de cette façade :
L’ordre dorique est ici tout à fait correctLe terme « correct » (correct dans l’original allemand) revient constamment ; Knesebeck l’entend dans le sens normatif de
« juste dans ses proportions » et « respectueux des règles en
vigueur ». : le pilastre et la colonne sont séparés par un
intervalle de 4 modules, les colonnes sont distantes de 14 modules, et elles se
trouvent à une distance de 6 modules du mur, où les pilastres engagés et les
colonnes adossées sont eux aussi corrects. Un pont de bois traverse l’Yssel ; il prend appui à la
fois sur des Le mot allemand est illisible. Knesebeck écrit dans
l’original allemand « theils auff zahr (?), theils
auff Schiffe ». et sur des pontons flottants dans les
endroits où le fleuve est profond. Il est en fort mauvais état ; on paie
toutefois un péage très élevé pour le traverser. Cependant, une digue haute et
magnifique est bien entretenue sur la distance correspondant à une heure de
trajet ; on peut imaginer que l’excédent des péages prélevés pour la traversée
du pont servira un jour à construire un beau pont de pierre.
43v
À 3 heures de Deventer se dresse à côté de la route suivie par la malle-poste
la maison de plaisance royale de Het Loo qui, plus que tout en
Hollande,
mérite la visite. Le postillon fait volontiers le détour avec le consentement de
la compagnie si on lui donne quelque supplément à discrétion. Les bâtiments sont
vastes mais d’une construction très modeste, en briques lisses à la manière
hollandaise. Ils seraient convenables si la corniche était en continu : ils sont
de hauteurs différentes mais pourraient alors faire un bon ensemble. L’édifice
est composé, dans sa totalité, d’un corps de logis comprenant un
rez-de-chaussée, deux étages complets et un attique ; s’ajoutent aussi au corps
de logis deux ailes de même hauteur, auxquelles deux pavillons courts sont
encore attenants ; enfin, privées d’attique, deux longues ailes à deux étages
moins élevés. Sur le devant, la cour est fermée par une grille de fer forgé
bleue et dorée, avec des petits pilastres intermédiaires.
Au milieu de la cour sont installés une fontaine, quatre carrés en quart de cercle de
pelouse et un pavé commode, composé pour une part de briques vernissées, pour
une part de pierres. La disposition générale du jardin est la suivante :
derrière la maison se trouve le jardin d’agrément, de la même largeur que
l’ensemble des bâtiments. Sur le côté droit des bâtiments (à partir de
l’entrée), dans l’angle de l’aile en
retour, se dresse un berceau de treillage vert de belle
disposition, le plus beau que j’aie jamais vu ; plus loin sur la droite est
aménagé le jardin de promenade, qui se compose de haies taillées presque à
hauteur d’homme formant toutes sortes de dessins d’allées, entre lesquelles sont
intercalés des espaliers de fruitiers rares et toutes sortes d’agrumes. Sur le
côté gauche, dans l’angle, s’étendent un terrain de jeu de mail dessiné au carré
puis, à côté, une autre promenade bordée de hautes haies taillées, ornée
seulement de quelques statues et fontaines. Plus à gauche, à côté du jardin, on
peut suivre la promenade au milieu du parc ; entre les deux, tout au bout à
gauche, se trouve la ménagerie, ou plutôt la grande uccelliera ou volière.
Une observation plus précise fait apparaître quelques
éléments notables. 1. Dans la maison, l’avant-corps ou la loggia est entièrement
recouvert de boiseries ; par contre, le sol est joliment pavé de marbre ; aux
murs, on peut voir des pilastres romains surmontés d’une corniche architravée
dont l’ordonnance n’est pas du tout correcte, comme on le remarque sur le
croquis approximatif qui figure ci-dessus. Tout est peint à l’imitation du
marbre gris
4r
et deux perspectives d’architecture sont figurées sur
les murs. Des deux côtés, les portes sont très basses ; en face des portes,
trois arcades mènent à l’escalier ; celui-ci ne monte qu’au premier étage ; en
haut, il est d’ordre ionique et orné de beaux tableaux de perspectives ainsi que
d’un joli plafond, peint par Robbert Duval de La Haye.
La grande salle est située au-dessus de l’avant-corps ; elle est ornée
en ordre ionique mais l’ordonnance est partout fautive. Sur les placards
encastrés dans les murs ont été peints de beaux paysages. Les chambres ne
présentent aucune particularité notable. Les encadrements des cheminées sont en
bon marbre, mais les autres ornements sont en bois peint à l’imitation du
marbre. Dans la salle à manger, devant le comptoir, un espace a été délimité par
des colonnes ioniques indépendantes entre lesquelles court une balustrade ; le
sol est plaqué de marbre. Mais il est incongru de voir dans une pièce comme
celle-ci des fûts de colonne ioniques cernés de bagues.
Le jardin est beau et propre et son ordonnance est la plus
intelligente que j’aie jamais vue. Il est divisé en deux ; la première partie
est séparée de la deuxième par une terrasse assez élevée qui, sur les trois
côtés antérieurs, est bordée d’un
muret de pierre, et comprend une balustrade sur l’arrière ; elle
donne sur une allée de beaux arbres rectilignes au port mince, qui ne coupent
pas la perspective ; au bout, cette allée rejoint un canal étroit. Dans la
partie avant, quantité de pièces d’eau de bonne invention sont bien mises en
valeur. Même si elles sont de petite taille, elles sont correctement faites.
Devant la maison, un escalier descendant en arc de cercle est agrémenté sur sa
partie supérieure de deux sculptures monumentales de bonne facture, en grès
tendre, l’Yssel et le
Rhin. Des deux
côtés, l’eau s’écoule depuis les statues dans des bassins de pierre, de part et
d’autre des marches. Au milieu du jardin, un grand bassin repose sur trois
tritons de plomb doré qui crachent de l’eau ; au-dessus se tient une Vénus de
marbre blanc. Des deux côtés de la terrasse jaillissent deux agréables cascades
surmontées pour l’une d’un Narcisse et pour l’autre d’une Écho de marbre
blanc ;
4v
le reste est sculpté en pierre. Derrière les tritons
s’élève encore un petit bassin orné d’un Hercule déchiquetant les serpents. Pour
le reste, les allées sont bordées des deux côtés de petits canaux de pierre d’où
sortent de petits jets d’eau ; l’allée transversale est encore agrémentée des
globes terrestre et céleste : de petits filets d’eau jaillissent des villes et
des étoiles. En plus, quatre statues de marbre se dressent sur les quatre grands
parterres des coins.
La partie arrière du parc s’élève progressivement, par paliers. Un
grand bassin s’étend sur le devant ; il comprend un jet d’eau assez élevé, plus
haut que tous ceux de Versailles, mais dont le débit est faible. Autour du bassin, en
face du château, ce qu’on appelle le grand théâtre se compose de deux
quadrantsKnesebeck utilise un terme courant de la géométrie (Quadranten), désignant le quart de la circonférence d’un cercle, pour décrire la forme semi-circulaire de la colonnade. entre lesquels s’étend
l’allée principale : ils forment un péristyle de colonnes ioniques en pierre et
sont fermés à l’arrière par un mur peint en clair-obscur ; les colonnes sont
très bien proportionnées avec des chapiteaux à la manière de Scamozzi. Au-delà de
ce théâtre, l’allée principale est bordée, des deux côtés, d’une très haute haie
taillée, derrière laquelle s’étend de part et d’autre le jardin potager. Enfin,
le jardin s’achève sur un petit théâtre composé de colonnes doriques ; même si
celui-ci a sans doute été agencé de façon un peu irrégulière, son ordonnance est
assez bonne ; de ce fait, on ne remarque guère que les mesures des métopes ne
sont pas justes. Devant ce théâtre s’élève encore une petite fontaine ; l’allée
et le jardin se terminent par un fossé et ne sont fermés que par une balustrade
de la moitié d’une hauteur d’homme ; à l’extérieur, dans les champs, ils sont
prolongés par quelques arbres et, beaucoup plus loin, s’achèvent sur un
obélisque qui fait paraître le jardin beaucoup plus grand qu’il n’est. N.B. : le
jet d’eau est entouré de 8 jets plus petits et de 16 jets de très petite taille,
assortis encore de deux petits bassins.
Bien qu’ils soient tous faibles, de petite taille et de petite
envergure, les jeux d’eau installés dans le grand étang de l’arrière du parc
sont dignes d’être comptés parmi les plus beaux, par leur qualité d’invention et
leur disposition.
De Het
Loo, il faut encore 5 heures pour gagner le village de
Voorthuizen et, de là, 3 heures jusqu’à Ammersfoort, une ville de Hollande bien construite mais qui ne présente
aucune particularité remarquable, hormis le carillon qui est considéré comme un
des meilleurs carillons qui soient. De là, sur le chemin de Naarden, à 3 heures environ
d’Ammersfoort,
s’élève à gauche de la route le pavillon de chasse royal de
Soestdijk, à une demi-heure du beau village de Soest. Le roi ne s’y rend que
rarement et, par suite, il ne présente guère de particularité notable ; de
surcroît, la maison est une construction très simple de briques cuites, le
jardin une
imitation de celui de Het
Loo, en moins raffiné.
Naarden est un beau lieu bien fortifié, quoique d’assez petite
taille, qui comprend 6 bastions, tous bâtis en briques cuites jusqu’au parapet,
et dotés de bonnes voûtes et contre-mines. Trois remparts sont flanqués des deux côtés – avec,
pour l’un d’entre eux,
5r
un retrait d’un seul côté – de doubles flancs en arcs
extérieurs à orillons droits, comme on peut le voir sur le polygone qui suit :
Derrière les flancs bas sont creusés des
fossés secs ; sous la façade qui jouxte le fossé du ravelin, des voûtes touchent
le fossé du ravelin à fleur d’eau par cinq meurtrières rondes ; de ces voûtes
part encore une contre-mine qui s’étend jusqu’aux sections rondes de la pointe
du bastion. Pour accéder à ces voûtes, il faut passer par la brisure qui
surmonte le flanc bas à la brisure de l’orillon. Dans l’ensemble, ce rempart
principal est de bonne facture, il est vaste et assure une défense confortable,
il est fort bien pourvu de créneaux hauts et imposants ; tous les fossés sont
bâtis et bien entretenus. Du côté du Zuiderzee, les bastions sont dotés de flancs droits
simples tous les deux bastions et demi ; les flancs et courtines sont encore
précédés d’une fausse-braye. La situation est très favorable ; mais si on
ajoutait, du côté des terres, un bastion pour renforcer les fortifications, et,
du côté du Zuiderzee,
un bon port, ce qui serait tout à fait envisageable, cette citadelle pourrait
devenir une place forte d’une importance tout à fait considérable. La
contrescarpe est disposée de manière à permettre la construction de traverses
mais elle n’en est pas encore pourvue ; de façon générale, elle n’a pas été
bâtie assez solidement. Les portes sont de facture simple, mais elles sont
disposées d’une manière agréable et régulière ; elles sont surmontées
d’amortissements sculptés en pierre d’apparence assez modeste. Les chutes d’eau
sont assez raides :
5v
à l’aide des écluses, toute la place peut être mise
en eau avec la campagne alentour.
De Naarden à Muiden, il faut une heure, et de
là, deux encore jusqu’à Amsterdam. L’écluse de
Muiden, qui
permet aux bateaux d’accéder au Pampus, est très belle et de grande taille.
Les fortificationsLes fortifications d’Amsterdam sont connues grâce au plan de Frederik de Wit dont une reproduction est consultable sur Het Geheugen qui entourent la ville se composent
de petits bastions simples, mais entièrement recouverts de briques cuites ; ces
bastions sont massifs, mal entretenus par ailleurs, et mal dotés en créneaux ;
la plupart ne comprennent que de minces créneaux de pierre ; il ne coûterait pas
cher de les doubler à l’arrière d’un monceau de terre.
Les portes de la villeAu XVIIe siècle les fortifications d’Amsterdam comprenaient plusieurs portes : Regulierspoort, Weteringpoort, Raampoort, Zaagmolenpoort, Haarlemmerpoort, Leidsepoort, Utrechtsepoort, Muiderpoort. sont
fort belles de tous les côtés, elles sont décorées sur presque toute leur
hauteur ; à l’extérieur, à l’entrée des ponts, s’élèvent des portails dégagés,
faits de pierre taillée, qui comprennent un arc bien proportionné supporté par 4
colonnes ioniques dont les têtes de chevrons ne sont pas seulement trop grandes
mais aussi tellement mal ordonnées qu’elles ne sont pas placées au centre des
pilastres. Les portes de la ville sont elles-mêmes ornées de deux pilastres
doriques à l’extérieur et de quatre à l’intérieur. Toute cette architecture est
entièrement conforme aux règles de Scamozzi, à ceci près qu’ici, l’ordonnance des
triglyphes n’est pas partout également soignée. Le nouveau WaagKnesebeck écrit Wage. Le
terme néerlandais Waag signifie poids public ou
bascule publique. est agencé de la même façon, en sorte que la vue
de ce bâtiment est presque lassante. J’en ai établi ici une élévation
approximative :
L’édifice le plus remarquable d’Amsterdam est l’hôtel de ville, dont, à
n’en pas douter, la qualité d’exécution n’a pas son pareil au monde. Il serait
inutile de s’étendre ici sur le sujet, puisqu’un ouvrage important y a été consacré,
6r
qui reproduit tout jusque dans les
moindres détails de façon excellente et fiable. Je n’ajouterai donc ici que ce
que l’on ne peut pas trouver dans cette description. À l’extérieur, le
rez-de-chaussée est très bas. La grande hauteur des deux étages supérieurs a
empêché qu’il pût en être autrement, mais ceci n’excuse pas l’architecte qui,
pour préserver un bel aspect d’un côté, ne doit pas introduire une anomalie
ailleurs. Si l’on avait ajouté un perron sur le devant et placé la porte
d’entrée au premier étage, le résultat final aurait été bien meilleur, et la
faible hauteur du rez-de-chaussée n’aurait pas prêté le flanc à la critique. La
qualité d’exécution de l’édifice est excellente : tout a été joliment taillé et
assemblé en grands blocs de grès de Bentheim, ce qui fait que les jointures sont presque
sans défaut ; et les sculptures sont très agréables à voir. Les proportions
des pilastres et de leurs entablements sont bonnes, l’ordonnance des modillons,
des rosaces sur la rainure de la corniche et même celle des sculptures est
parfaitement exacte ; le censeur le plus pointilleux n’y trouvera rien à
redire. Cependant, alors que l’architecture est si richement ornée, les fenêtres
sont toutes plates et dépourvues du moindre encadrement, ce qui n’est pas digne
d’éloges ; à l’inverse, une ornementation très riche n’aurait pas non plus été à
sa place. Un simple encadrement avec des moulures ou des encoignures, sans
corniche, aurait suffi, et il y aurait eu suffisamment de place pour l’ajouter,
même si l’entrecolonnement est assez réduit.
Sur les entablements, les larmiers sont trop petits ; sinon,
l’ordonnance est bonne. L’entrecolonnement correspond à 7 modillons, soit 8
modules de 12 pieds rhénans. Les fenêtres font 5 pieds de large sans le cadre et
cette taille est tout à fait proportionnée à l’entrecolonnement. Le module de
l’ordre corinthien de l’étage supérieur est un peu plus petit que celui de
l’ordre romain utilisé au-dessous, étant donné que le deuxième étage n’est pas
plus élevé que le premier. Celui-ci correspond à 23 2/9e modules, l’étage supérieur à 25 1/2. Pourtant,
l’entrecolonnement n’en correspond pas moins à 7 modillons. L’intérieur est très
richement orné de marbre blanc auquel on a ajouté, pour les portes principales
et les cheminées, un peu de marbre coloré. Cependant, les blocs de marbre des
grands pilastres ne jointent pas proprement, on voit un jour de l’épaisseur de
deux lames de couteau, alors que pour le marbre, les jointures ne devraient pas
du tout être visibles. Il est bien dommage qu’il fasse fort sombre dans le
bâtiment et que le plaisant éclat du marbre
6v
ne puisse ressortir. Cela tient à
l’invention de l’architecte, qui s’est obstiné à placer la grande salle au centre
du bâtiment, ce qui a imposé d’aménager deux cours qui, faute de place, ne
pouvaient être que de dimensions réduites. L’intérieur de l’hôtel de ville n’est
pas encore achevé ; non seulement il manque le plafond de la grande salle, mais
seul un petit nombre des peintures qui doivent garnir tous les intervalles entre
les pilastres des galeries à l’opposé des fenêtres a été achevé. Faute de
lumière, il est difficile d’identifier celles qui s’y trouvent déjà, d’autant
plus que les peintres ont peint en clair-obscurDans l’original allemand, Knesebeck utilise l’expression
die tunckele ahrt (die dunkle
art) : la « manière sombre ». et que, de
surcroît, les peintures présentées sont parfois des nocturnes. Il y a peu de
temps, deux nouvelles peintures à la fresque ont été peintes dans les
demi-voussures d’un coin de la galerie : elles sont beaucoup plus plaisantes que
les autres, même si elles sont de bien moindre valeur artistique que les
anciennes, dont il sera question plus loin. Les sculptures, toutes réalisées en
marbre blanc, sont assez prodigieuses par le nombre, la taille, la qualité du
dessin et le soin extrême apporté à leur exécution. Ni la France ni l’Italie ne possèdent,
réunie dans un espace aussi réduit, une aussi grande quantité de marbre
magnifiquement sculpté, sans compter les deux grandes pièces de marbre blanc qui
figurent à l’extérieur dans les deux frontons du bâtiment et représentent à
elles seules un travail si considérable qu’on demeure stupéfait, surtout si l’on
sait que tout cet ouvrage a été réalisé sous la direction d’un seul artiste, le
très honorable Artus
Quellinus. On peut voir notamment sous la statue de Diane, placée
à côté de l’entrée de la salle du Trésor, un trophée en relief représentant
toutes sortes d’instruments de chasse : les cors de chasse et les cors
d’harmonie ont été sculptés dans le marbre en creux et avec une telle
délicatesse qu’on croirait voir l’original en corne ; le filet a été évidé avec
une telle finesse que les mailles sont séparées par des intervalles de 1/10 de pouce ; il est
percé et tressé aussi délicatement que s’il était réel. Il y a vraiment là de
quoi susciter l’admiration des plus grands artistes. On a construit autour de
cette œuvre une barrière de bois parce que certains visiteurs à l’attitude
désinvolte, en voulant y graver leurs noms, en ont cassé des boutsCf. Mortier ca. 1716, p. 105 :
« L’ouvrage de son piédestal est encore au-dessus de tous les autres,
& doit être regardé comme un véritable Chef-d’œuvre. Aussi y a-t-on
employé trois ans entiers. On y voit tous les instruments de la Chasse,
comme diverses sortes de retz et de filets, des cors, des Carquois avec des
Flèches, des épieux, des couteaux, des gibecières, & d’autres choses
semblables, toutes si artistement travaillées, qu’on les prendroit aisément
pour les instrumens mêmes qu’elles représentent, comme s’ils étoient là
suspendus exprès : on a été même obligé d’entourer ce piédestal d’une
petite défense de lattes, pour empêcher que des mains indiscrètes ou quelque
autre accident, ne gâtent un si bel ouvrage, ainsi qu’il étoit déjà
arrivé. ». Pour savoir ce qu’il faut retenir par ailleurs de ce
magnifique bâtiment, le mieux est de consulter les gravures qu’en a données Vennekol, l’architecte
actuel d’Amsterdam.
Autant que je sache, il n’existe pas de description des peintures ; je
signalerai ici les plus importantes, pour autant que j’aie pu en prendre
connaissance. Sur les 8 arcades des 4 coins de la galerie, on a prévu de
présenter 8 tableaux des guerres des peuples germainsLes teutscher Völcker dans
l’original allemand, sont nommés « Bataves » dans Mortier ca.
1716, p. 107-108. contre les Romains ; six sont déjà achevés. Un
tableau surmontant le Trésor – et placé au-dessus de Diane – a été dessiné par
Govert
Flinck mais peint par Jean de Quen ; on dit que la toile voisine est
de Jan
LievensAprès la mort de Govert
Flinck en 1660, un certain nombre de peintures sont commandées à Lievens,
Jordaens et Rembrandt pour la décoration de l’hôtel de ville. Cf. Kaufmann 2002, p. 579.
. De
l’autre côté, au-dessus de
7r
la Chambre des choses de la Mer« Chambre des choses du crû de la
mer », dans Mortier ca. 1716, p. 105., a été peinte
une attaque nocturne dans un camp : on dit qu’elle est l’œuvre de Jordaens mais, à
mon avis, elle est plutôt de Honthorst. À côté figure un tableau
qui est indiscutablement de Jordaens ; ces deux œuvres sont superbement peintes, et sont un
peu plus clairement déchiffrables que les autres. Dans le troisième angle,
au-dessus des statues de Jupiter et Apollon, deux tableaux peints à la fresque
cette année appartiennent à ce cycle d’histoires : du fait de leurs
couleurs claires, ils sont beaucoup plus beaux que les autres, mais assez mal
dessinés, et, du point de vue de l’invention, un peu trop bizarres ; je n’ai pu
savoir qui en étaient les auteurs.
En face du tableau de l’attaque nocturne du camp, au-dessus de
l’arcade qui conduit de la galerie à la grande salle, un David vainqueur de
Goliath est peint sur un support ressemblant à un croissant de lune ;
l’ordonnance de ce tableau est bien pensée : dans l’une des pointes
inférieures du croissant, quelques Israélites se réjouissent ; dans l’autre,
quelques Philistins sont en proie à la frayeur. En face, de l’autre côté, Samson
frappe les Philistins avec une mâchoire d’âne. Le premier tableau semble être de
la main du maîtreL’œuvre serait de Jacob
Jordaens mais Knesebeck pense que c’est Gerrit van Honthorst qui l’a
peinte. qui a peint l’attaque nocturne ; le second est de Lievens. Il manque en
tout encore 24 tableaux dans les deux galeries. Dans la grande chambre des
Bourgmestres, au-dessus des cheminées, sont suspendus deux grands tableaux :
l’un représente le courage de
l’émissaire romain dans le camp de Pyrrhus, et l’autre Marcus Curius dans son domaine à la
campagne, repu de navets. Ce dernier tableau est d’un certain Govert Flinck, déjà
mentionné plus haut, et l’autre de Ferdinand Bol.
À côté de l’hôtel de ville se dresse la Nouvelle Église, ornée de très beaux vitraux dessinés par Bronckhorst, peints et
cuits au feu. Au-dessus du grand portail de l’église, à l’intérieur, un orgue
magnifique est décoré de belles sculptures et de tableaux de Bronckhorst figurant
l’histoire de David. L’orgue repose sur une architecture de marbre dont le plan
est à peu près celui-ci.
Les surfaces à petits points correspondent à de grandes colonnes de
marbre blanc. Les hachures couleur chair renvoient aux pilastres et colonnes
corinthiens en marbre. À côté des colonnes et pilastres ont été sculptés de
beaux festons en marbre blanc. Sur les fenêtres est peint l’empereur Maximilien II
honorant les armes d’Amsterdam d’une couronne impériale. La chaire est en chêne,
c’est aussi une œuvre très précieuse, riche en parties sculptées bien
dessinées ; elle est surmontée d’un abat-voix très large, comme
7v
on en voit au-dessus d’autres chaires en Hollande et en France : dans les
grandes églises, il est censé permettre que la voix, qui monte naturellement,
soit renvoyée vers le bas et puisse ainsi toucher d’autant plus fortement
l’auditoire. L’abat-voix est lui-même surmonté d’un amortissement de grande
hauteur, sculpté de quantité d’anges. À l’arrière de la chaire, le mausolée de marbre du célèbre amiral
Johan van
Galen vaut la peine d’être vuKnesebeck n’évoque pas ici le mausolée le plus célèbre, celui de
l’amiral Michiel de Ruyter (1607-1676), dû au sculpteur hollandais Rombout
Verhulst (1624-1698).. Ce héros des mers gît sur son tombeau, le
bâton de régiment à la main, entouré de quantité d’armes ; son casque à plumet
est à ses pieds. Sur les grands côtés antérieurs du tombeau est sculptée, en
marbre blanc, la grande bataille dans laquelle cet amiral a trouvé la mort en
vainqueur, après avoir illustré sa bravoure en anéantissant et ruinant 6 des 26
navires anglais. Au-dessous, on peut lire cette épitaphe gravée en lettres d’or
sur du marbre noir : Hier leit init graff van ar de dappere van Galen, Die erst finf
buyt op buyt kastilien afhalen, En met en Leuen hart naa byt toscaner
strant, De Britten hefft verjaegt, verovert verbrant.« Ci-gît dans le tombeau d’honneur le valeureux van
Galen, / Qui d’abord alla chercher butin sur butin en Castille / Puis,
avec un cœur de lion, près des côtes de Toscane / Chassa, conquit et
brûla les Britanniques. » Nous remercions Thomas Beaufils (université
Lille III) pour sa traduction de cette inscription en néerlandais
ancien.
Au-dessus du tombeau est suspendu un cartouche encadré d’armes dans
lequel sont décrits les hauts faits de ce héros des mers. Derrière la Nouvelle Église, on accède
rapidement à la nouvelle Église
luthérienne, vraiment remarquable par sa plaisante disposition.
En voici à peu près le plan :
8r
À l’intérieur, les colonnes isolées font plus de 4 pieds de
diamètre, elles sont constituées de blocs ronds de grès plein, c’est un très
beau travail ; les murs sont eux aussi entièrement en pierres de taille ; à
l’extérieur, ils sont lisses, ornés de simples encadrements de pierre
et d’un bon entablement dorique. À l’intérieur, les colonnes sont
aussi doriques. Devant la porte principale antérieure a été installée une
prédelle ornée en ordre romain qui est un superbe travail de menuiserie ;
au-dessus est placée la chaire et, au-dessous, l’autel. En empruntant les petits
escaliers à vis cachés dans les murs, on accède à la chaire et, au-dessus, à
l’orgue. Dans les autres églises d’Amsterdam, il n’y a rien à voir de particulier,
sinon le tombeau du bourgmestre
Graf dans la Vieille ÉgliseLors de la visite de Knesebeck, trois bourgmestres d’Amsterdam portant le nom de
« Graeff » sont déjà enterrés dans la Vieille Église d’Amsterdam, dont
Jakob Dircksz de Graeff (1571-1638), Cornelis de Graeff (1599-1664) et
Andries de Graeff (1611-1678)..
Les tours de la ville d’Amsterdam valent la visite. Leurs proportions sont très agréables, même si cela n’est vrai le plus
souvent que des parties supérieures car les bases sont érigées au milieu des
vestiges des anciennes tours, d’aspect modeste. En voici un croquis
approximatif.
8v
Plan du premier étage au niveau de la corniche
La tour de
Haring-Packer et la tour de Montelbaan ne présentent
aucun intérêt particulier, raison pour laquelle j’ai omis de les dessiner.
9r
Un grand nombre d’autres bâtiments publics sont remarquables à voir,
et il est difficile de trouver une ville comparable à Amsterdam de ce point de
vue. Ils sont tous de grandes dimensions, pourvus de vastes cours et construits
en pierre. Une partie d’entre eux possède des ornements architecturaux et on
pourrait les prendre pour des palais, mais, d’un point de vue architectural, ils
ne se prêtent à aucune observation particulière qu’il soit nécessaire d’ajouter
ici. D’autant que leur architecture n’est pas toujours parfaitement correcte. Le
trait le plus notable est l’attention qui a été portée à la commodité des
édifices.
L’assistance accordée aux pauvres mérite par-dessus tout les plus
grands éloges dans toute la Hollande et particulièrement à Amsterdam. La ville
comprend non moins de huit grands édifices magnifiques destinés aux
nécessiteux ; le Grand
HospiceKnesebeck utilise le terme allemand Gasthauß qui signifie aujourd’hui « auberge » mais pouvait aussi désigner à l’époque un hôpital. comporte à lui seul 11 grandes cours très bien
construites ; la Maison des mendiants et la Maison des vieillards et des
vieilles femmes, dont la cour est si vaste qu’elle contient un beau jardin
d’agrément et une grande blanchisserie. Une curiosité importante dans ce lieu est la
source d’eau douce qui est la seule de toute la ville ; on dit que sa profondeur
est de 240 pieds. Le Grand Orphelinat est divisé en trois cours : la cour
centrale accueille ensemble les petits garçons et les petites filles, les autres
les jeunes gens et les jeunes filles. Ajoutons encore la cour des Veuves, la
Maison des orphelins wallons, l’orphelinat de la Diaconie
et, à l’extérieur de la ville, la Maison des pestiférés.
Pour ce qui est des édifices privés, on en trouve un certain nombre
de grande beauté à Amsterdam, mais je ne vois aucune remarque particulière à faire
à ce sujet. C’est au tournant de la Herengracht que sont établies les demeures les plus
élégantesKnesebeck fait probablement
allusion à la « Gouden Bocht » (« boucle d’or » ou
« coude doré »), la partie la plus prestigieuses de la Herengracht
entre Leidsestraat et Vijzelstraat. ; ici et là, on rencontre
quelques demeures à pilastres ioniques et corinthiens en pierre de Bentheim, très bien faites,
par exemple la maison
Poppen de Kloveniersburgwal, aux portes de la Maison des vieillards, qui
est très remarquable avec ses pilastres corinthiens à l’entablement bien
sculpté, surmontés d’un fronton. Seules les fenêtres et portes gâchent son
aspect.
Je me contenterai de mentionner quelques éléments notables du
point de vue de l’architecture.
1. En Hollande, les collectes d’eau sont très remarquables. Les toits
sont doublés sur la partie supérieure, pour former une véritable cuvette qui est
entièrement recouverte de plomb. De là, des tuyaux descendent jusqu’à un
réservoir de plomb installé au-dessous des pièces d’habitation afin qu’il soit
entièrement hermétique et maintenu au frais et, de cette façon, préserve
longtemps une eau de bonne qualité. Au-dessus des entrepôts régionauxDans l’original allemand, Knesebeck utilise
l’expression landmagazin, « entrepôt du land ».,
un très grand collecteur tout à fait remarquable alimente toutes les pièces en
eau en un instant par le biais de grandes tuyauteries de plomb pourvues de robinets.
2. La machine qui permet de nettoyer les fossés et canaux est
particulièrement remarquable, raison pour laquelle j’en fais ici un dessin de
profil.
9v
L’usage de cette machine est le suivant. Elle est placée sur un
bateau attaché au pilier d’un pont par une corde b. Lorsque, en c., les chevaux
tirent sur l’axe, ils font tourner l’axe d. auquel la corde est attachée, en
sorte que toute la machine est traînée très lentement le long du pont. Ces mêmes
chevaux font aussi tourner les roues dentées o. et n. par l’intermédiaire des
treillisPour un exemple d’usage du terme de « treillis » en mécanique, voir Gallon 1735, p. 103 sur Gallica.bnf.fr et notamment le croquis de la roue dentée du moulin à eau : le treillis est la surface dentelée dans laquelle viennent s’encastrer les dents de la roue. e., f. et g., actionnant par là même le mécanisme de la pelle qui
ramasse la vase en k. et la déverse dans le bateau au moyen d’un plan
incliné.
3. Dans la mesure où on trouve à Amsterdam comme partout ailleurs un grand nombre de
moulins à eau, je les mentionnerai également ici. Ils servent à collecter
dans des canaux les eaux qui s’accumulent dans les champs. La navigation sur les
canaux est ainsi rendue plus confortable et on évite les inondations, ce qui permet d’avoir de bons pâturages. Les roues à godets sont un peu
particulières dans ces moulins, j’en ai donc représenté une ici dans sa
totalité.
Cette roue est construite dans une rigole montante qui s’étend des
deux côtés et bute presque contre le sol ; lorsqu’on la fait tourner, elle
s’abat dans l’eau et envoie celle-ci en permanence dans la rigole, entraînant
ainsi une montée de l’eau qui se déverse dans un canal. Pour faire tourner la
roue, il suffit d’une roue dentée et d’un treillis qui sont actionnés par les
ailes du moulin.
4. J’en profite pour mentionner aussi les moulins à
papier hollandais, qui ont cet avantage sur nos moulins allemands
10r
qu’ils n’écrasent pas les chiffons, mais les broient grâce à des leviers métalliques
spécialement prévus à cet effet. Il n’est pas facile d’en faire un dessin, mais le
croquis suivant peut être utile pour les garder en mémoire.
Les pilons à scieDans l’original
allemand, Knesebeck utilise l’expression « Säge
stampf ». et moulins à huile sont aussi très beaux, mais le temps
et l’espace que je destine à ces notes ne me laissent pas le loisir d’en
présenter des croquis.
6.5.Knesebeck se trompe ici dans la
numérotation de ses remarques et indique dans le manuscrit « 6. » : il s’agit du n° 5. Je dois aussi mentionner brièvement ici le sable appelé pouzzolane, et
les moulins à pouzzolane. La pouzzolane est un sable issu de certaines pierres
que l’on trouve dans les alentours de Cologne et que l’on fait souvent venir en Hollande ; ce sont des
pierres qui se sont formées sous l’eau, raison pour laquelle on les appelle
« pierres plongées ». Elles ont été employées dans des bâtiments dont subsistent
encore aujourd’hui des vestiges. Les pierres issues de ces derniers sont
concassées, transportées en Hollande où elles sont broyées dans des moulins comme celui qui
est représenté ici, pour donner du sable. La meilleure formule consiste à
mélanger 5 volumes de sable pour 6 volumes de chaux : on obtient alors un
mortier qui résiste à l’eau.
6. Notons encore le type de clapets installés au milieu de certains
ponts, par exemple sur le pont
Neuf : lorsque les mâts des navires butent contre ces clapets,
ils s’écartent d’eux-mêmes puis se referment après. Cela tient uniquement à leur
forme, comme on le voit dans la figure ci-dessus.
Ainsi s’achèvent mes remarques sur la ville d’Amsterdam, qui auraient pu
être beaucoup plus longues si j’avais eu le temps d’observer toutes les machines
et artifices en usage dans cette excellente ville.
10v
D’Amsterdam à Leyde, il faut 7 bonnes heures.
La ville de Leyde
est très grande et c’est l’une des plus belles de Hollande ; c’est la plus
productive du pays. En ce qui concerne les curiosités de la ville, il faut
d’abord mentionner les spécimens rares du Jardin médicinalLe Jardin botanique était alors appelé parfois « Jardin
médicinal ». de l’université et du cabinet d’anatomie, mais il ne
nous appartient pas de le faire ici, car les présentes remarques ne se
rapportent qu’à l’architecture et aux arts apparentés. L’hibernaculum du Jardin
médicinalDans l’original allemand,
Knesebeck utilise l’expression « Horti medici », du
latin Hortus medicus. abrite une maquette tout
à fait fidèle d’une maison moscovite
en bois. Dans la ville il n’y a pas beaucoup de bâtiments remarquables.
Sur la rive droite de la Rapenburg, en venant d’Amsterdam, presque à la
sortie de la ville, une demeure possède une cour sur le devant à la façon d’un hôtel
particulier français : elle n’est dotée que d’un petit avant-corps d’ordre
ionique, sculpté de façon très propre et précise et joliment bâti en pierre
taillée. La Maison des
drapiers est également une construction propreC’est une notion très allemande ; il faut la
comprendre dans le sens de « convenable », « conforme aux
règles de l’art ». et intelligente. Cette ville détient le droit
d’entrepôt de draps : nulle part dans toute la Hollande on ne trouve
d’aussi bonnes étoffes de laine et de drap. Les fortifications ne
présentent aucun intérêt particulier et sont mal entretenues.
De Leyde à La Haye, il faut deux heures et
demie. Cette ville est actuellement la plus agréable de Hollande, surtout pour
les amateurs de vie de cour qui peuvent mener là une existence beaucoup plus
plaisante que dans les autres villes du pays. Même si La Haye possède de très
belles maisons, elles ne se distinguent pas par une science architecturale
particulière. Les maisons bâties des deux côtés du Prinsegracht sont il est
vrai tout à fait somptueuses ; elles ont été construites dans le goût actuel.
Cependant, je n’en ai trouvé aucune qui vaille la peine d’être dessinée. Ce
qu’on appelle la Mauritshuis, située derrière le PrinsenhofKnesebeck parle en allemand du Printzen hoff (littéralement « cour des princes ») qui renvoie au Binnenhof, siège du gouvernement des Provinces-Unies des Pays-Bas. au bord du
grand lac, est une construction de fort belle apparence avec, en façade, des
pilastres engagés d’ordre ionique en pierre de taille dont l’ordonnance est très
correcte ; c’est de loin le plus bel édifice de La Haye. Dans le chœur de
la Grande Église
s’élève le beau tombeau de l’amiral
Obdam, dont j’ai établi le plan ci-joint afin de mieux
pouvoir le décrire.
Au pied ou tombeau de tout cet ensemble se dresse un piédestal de
marbre blanc aux quatre coins duquel s’élèvent 4 colonnes romaines supportant
une corniche architravée, construite en arcade, et un ciel : au-dessous se tient
en a. l’amiral
grandeur nature, sculpté en marbre blanc comme tout le reste ; à ses côtés,
trois petits enfants portent ses armes. Derrière eux se dresse en f. un
sublime
11r
piédestal surmonté d’une grande sphère sur laquelle
est posé un aigle portant une Renommée. En b., c., d. et e. figurent, sur des
supports de faible hauteur, la Fidélité, le Courage, la Vigilance et la
Prudence. Enfin, aux quatre coins du tombeau, en g., h., i. et k., sont
sculptées en bas-relief quatre batailles navales fameuses au cours desquelles
cet amiral était
au commandement. L’inscription est gravée dans la partie haute du tombeau, le
ciel ou plafond. L’ensemble est en marbre blanc, sans quelques incrustations de
marbre noir autour des bas-reliefs. La sculpture est bien faite et le dessin est
bon, mais les quatre Vertus ne sont pas dotées d’attributs suffisamment
explicites.
Autour de La
Haye, les maisons de plaisance royales ainsi que quelques
jardins sont à voir.
1. Le Huis ten
BoschLe Huis ten Bosch (Hauß im busch dans l’original allemand) ou
« Maison dans le Bois ». est petit mais d’une très agréable
disposition. Seul le rez-de-chaussée comprend de véritables pièces ; au-dessus,
on ne trouve qu’un demi-étage pour les domestiques. Ces deux niveaux sont
relativement surélevés par rapport au sol. L’avant-corps de la maison et
l’escalier qui y conduit sont revêtus de marbre en abondance. Comme on peut le
voir sur le croquis suivant, on accède à la grande salle en passant entre deux
rampes d’escalier, la salle présentant une configuration particulière, tout à
fait plaisante :
sa spécificité est d’être surmontée d’une coupole qui éclaire la pièce
sur tous les côtés. Cette pièce est ornée de la peinture d’une architecture
romaine qui ne figure cependant que sur des boiseries latérales, ce qui ne
présente pas un aspect très heureux. En revanche, toutes les peintures sont
magnifiques, elles sont d’Antoine van Dyck, Honthorst, Rubens et Jordaens ; les dorures sont abondantes et
superbes. La pièce donne des deux côtés sur des appartements composés chacun de
quatre pièces. Dans la première pièce sur la droite, on peut voir au-dessus de
la cheminée une Annonciation de
RubensKnesebeck doit se tromper sur l’auteur ou le sujet du tableau. Aucune des trois œuvres connues de Pierre Paul Rubens sur le thème de l’Annonciation n’a été conservée au palais Huis ten Bosch à La Haye. Une se trouve aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne (Gemäldegalerie, GG 685), une autre au Rubenshuis (maison de Rubens) à Anvers (RH.S.112), et une troisième figure au verso des volets du triptyque de Saint-Étienne au musée des Beaux-Arts de Valenciennes (Inv. P. 46.1.10).. La
dernière pièce, qui est de toutes petites dimensions, est belle et précieuse ;
les murs sont tapissés de boiseries indiennes et de laques, entre lesquelles
s’intercalent beaucoup de panneaux qu’on a remplis de peintures chinoises et
japonaises et de satin. Le plafond, en forme de voûte à pans bombés, est lui
aussi habillé d’encadrements indiens richement incrustés d’argent et d’or, qui
abritent des miroirs. Un cabinet situé de l’autre côté, et symétrique de la
pièce qui vient d’être décrite, recèle tout autant d’éléments précieux. Il est
richement marqueté d’argent et d’or somptueux et abrite beaucoup de miniatures
rares, d’excellents sceaux métalliques, de petites statues et des branches de
corail extraordinaires.
11v
De là, on peut se rendre en peu de temps dans le jardin de M. de Saint-Annenland. Il se compose pour ainsi dire de trois
jardins distincts situés aux trois points cardinaux, au centre desquels est
placée la maison. La partie à main droite quand on arrive est la plus notable,
avec ses belles haies taillées et ses ifs de hauteurs variées, qui se
superposent de très jolie façon et dessinent ainsi un beau théâtre.
De là, on arrive facilement sur la belle route de Scheveningen, qui forme une
allée toute droite de La
Haye à Scheveningen, pendant plus d’une demi-heure. Elle est pavée de
briques vernissées, et c’est la plus belle de toutes les allées de Hollande, qui est
vraiment la patrie des allées. À main gauche de ce chemin, le jardin du
comte de
Portland, appelé Sorgvliet, est très apprécié pour ses allées d’une rare beauté
et ses arbres bien entretenus et bien taillés. Les bâtiments sont d’apparence
assez simple, ils sont construits en bois. Le jardin situé devant la maison et
sa butte ont été dessinés de façon ingénieuse et, dans la grotte – d’aspect
modeste par ailleurs – sont suspendus des miroirs judicieusement disposés, qui
démultiplient la vue d’agréable façon. De l’autre côté de La Haye, en direction de
Delft, on
rencontre encore deux maisons de plaisance royales.
Celle de Ryswick, que le dernier traité de paix a rendue célèbre, est
placée au centre d’un parc et présente un aspect un peu délabré parce que le
roi s’y rend
rarement. L’édifice est de bonnes proportions mais comme l’architecture en a été
réalisée en partie avec négligence et, par ailleurs, est de trop petites
dimensions, et que son ordonnance ne paie pas de mine, il perd par là même une
grande partie de sa beauté. Il comprend deux étages : l’étage inférieur est
dorique, l’étage supérieur ionique. L’étage en ordre dorique est orné de
bossages, les fenêtres sont dotées de corniches en saillies et de petits
frontons. Les entablements surmontant les lisières sont en crossette, ce qui
n’est pas heureux. L’exécution est également très mauvaise. L’ensemble du
bâtiment forme un alignement sur une terrasse haute de 3 ou 4 marches, séparée
de la cour et du jardin et entourée d’une balustrade de pierre. Au centre se
dresse un grand corps de logis de 9 entrecolonnements qui est nettement en
avancée sur le jardin. Il dépasse de 3 entrecolonnements en façade et de 2 sur
les flancs. Le rez-de-chaussée est entièrement construit en arcades ouvertes,
comme une loggia. Au-dessus se trouve la pièce où les émissaires se sont réunis
chez le médiateur qui occupait le corps de logis central. La grande
salle est également située dans cette partie. De part et d’autre de ce corps de
logis ont été aménagées des galeries qui font 7 entrecolonnements de long et 2
de large. Elles donnent des deux côtés sur un pavillon de 4 entrecolonnements de
long et de large. Comme cette ordonnance est correcte et bonne« Correcte » du point de vue du respect des
règles, et bonne par sa qualité., et s’est particulièrement bien
prêtée à la conclusion d’un traité de paix, je présenterai ici un plan des
pièces.
a. Salle des conférences généralesb. Appartements du médiateurc. Cabinet du médiateur pour les conférences particulièresd. Espace libre au pied des escalierse. Galeriesf. Appartements des émissaires des alliésg. Appartements des envoyés français12r
Le rez-de-chaussée possède de beaux sols de marbre dont l’arrangement
et le dessin varient selon les pièces. Les cheminées sont elles aussi revêtues
de multiples variétés de marbre. À l’étage, les parquets et encadrements de
cheminée sont seulement en bois. Dans toute la demeure, les portes sont de
facture très simple et très petites, ce qui présente de grands inconvénients. La
grande cheminée du salon est habillée de belles boiseries dorées et surmontée
d’un portrait en pied grandeur
nature de l’ancêtre du roi actuel.
Honselaarsdijk est
plus beau et frappe davantage le regard que Ryswick, même s’il est visible que les deux
édifices sont dus au même architecte. La disposition intérieure atteste encore une fois
que celui-ci maîtrise mieux l’ordonnance des pièces que les autres parties de
l’art de bâtir. L’édifice dans son ensemble se compose d’un corps de logis
assorti de deux ailes qui ferment une cour carrée s’achevant par une galerie et
un balcon en terrasseAltan dans l’original allemand, de l’italien altana (fém.) : balcon.. Il possède deux étages
complets et, au-dessous, un demi-sous-sol à fenêtres basses. En Hollande, Gerard Valck a réalisé
une très bonne gravure de cette
demeure, qui permet de se faire une idée juste de l’aspect extérieur du
bâtiment. On peut remarquer que l’étage inférieur de la façade antérieure est
décoré en ordre ionique, l’étage supérieur de colonnes adossées en ordre romain,
et l’ensemble de la cour en ordre dorique pour l’étage inférieur et ionique pour
les pilastres engagés de l’étage supérieur, ce qui produit un effet assez
curieux, d’autant que les deux pavillons donnant sur le jardin sont
architecturés sur une face mais entièrement lisses sur les autres. L’avant-corps
de la maison est de nouveau décoré, à l’intérieur, en ordre ionique,
l’ordonnance est bonne et il est agrémenté de bustes de pierre. L’escalier est
de très bonne ordonnance avec des paliers et des rampes de marbre ; il est
surmonté d’une haute coupole dont le plafond est paré d’une belle peinture ; les
fenêtres placées tout autour de cette coupole apportent beaucoup de clarté.
Ainsi l’escalier, déjà éclairé dans sa partie inférieure par des fenêtres
ordinaires, est baigné de lumière de remarquable façon – presque trop par
rapport aux pièces. Cependant, de l’extérieur, si l’on regarde le toit donnant
sur la cour, cette coupole ovale allongée produit un effet misérable et semble
même rapiécée. Comme à Ryswick, on n’a pas lésiné sur les sols et cheminées de marbre.
L’ordonnance des portes est tout aussi lamentable. En revanche, les pièces de
l’étage supérieur ont meilleure allure car elles sont bien meublées et ornées de
beaux tableaux des meilleurs maîtres hollandais. Le cabinet dit des Indes
orientales, qui appartient à la reine, est particulièrement remarquable : il
est entièrement décoré de
12v
laques des Indes orientales, c’est-à-dire chinoises ou
japonaises, et autres œuvres du même genre.
De La
Haye à Delft, le trajet est d’une
lieue. Cette ville est l’une des villes hollandaises au plan le plus régulier.
Elle est surtout fameuse pour sa manufacture de porcelaine, qui se perfectionne
constamment : si l’on n’a pas appris à distinguer les produits de Delft de ceux
des Indes orientales, on peut facilement prendre les uns pour les autres. Les
ruelles et les maisons sont aimables, mais ne présentent rien de
particulièrement remarquable du point de vue de l’architecture. L’hôtel de ville est un
édifice isolé sur une grande place de marché, il a été bâti avec beaucoup de
soin en belles pierres ; l’architecture est singulière, à demi gothique, mais
elle est tout à fait agréable à voir : les dorures qui y ont été appliquées y
sont pour beaucoup. À l’intérieur, dans l’avant-corps de l’édifice, en face de
la porte, se dresse un petit trône, un espace isolé du reste et délimité par 4
épaisses colonnes de marbre noir, surmontées de trois arceaux de marbre de très
bonne facture. Le plus remarquable sont les épitaphes qui figurent en face de
l’hôtel de
ville dans la vieille église ou église Sainte-Ursule. Je
les décrirai un peu plus en détail. Deux tombeaux en particulier sont à voir.
A. Le tombeau de
l’amiral Maarten
Harpertszoon Tromp est un travail propre, en marbre
blanc à veines rouges et blanches, assorti d’un peu de marbre noir ; sur la
partie supérieure, deux griffons tiennent l’écusson, flanqués de 2 vieux tritons
qui, par manque de place, ont été conçus pour être assis ; tout a été dessiné en
trop grandes dimensions.
13r
B. Le tombeau de
l’amiral
Heyn, fait de marbre noir et blanc, est d’apparence très
modeste. Le travail et le dessin sont meilleurs que ceux du tombeau de Tromp. On
peut reprocher à l’un et à l’autre de ressembler davantage à de petits autels
qu’à des tombeaux.
L’autre église, appelée Saint-Hippolyte ou Nouvelle Église, abrite le beau
tombeau du prince Guillaume
d’Orange, mort assassiné ; le prince Maurice
d’Orange est également enterré là. Je n’ai pas eu le temps de
faire une élévation, mais le plan est celui-ci.
C’est un tombeau de marbre noir, désigné sous les lettres a, b, c et
d. Le prince
Guillaume y est allongé sur une couche, en 1. Il porte une longue
robe et un chapeau ducal qui ressemble presque à un bonnet de nuit. À ses pieds
est couché un chien. Toute cette partie est en albâtre. Sur l’avant, en 2., le
prince sus-nommé est assis, armé de pied en cap. Sur la partie inférieure, en
3., se tient une Renommée de bronze, très bien dessinée. Au-dessus de ce tombeau
a été construit un magnifique monument de marbre blanc selon le plan dessiné
ci-dessus : les 10 colonnes centrales sont surmontées d’arcades qui entourent
une voûte d’arêtes. Sur les quatre pilastres des angles, avec les colonnes qui
leur sont attachées, repose un attique de la même hauteur que les arcades ;
l’entablement ne vient qu’au-dessus, pour couronner l’ensemble. Les colonnes
sont en marbre noir, le reste en marbre blanc ; sur les attiques figurent des
emblèmes en bas-relief, sur lesquels sont assis de petits enfants en pleurs, qui
portent des flambeaux éteints.
13v
Tout en haut, deux petits enfants en pleurs se tiennent encore
debout, portant cette inscription : D.O.M. et æternæ memoriæ Guilielmi Nassovi suprem: Aurasionen=
sium Principis Patris Patriæ, qui Belgii Fortunas suas posthabuit
et suorum. Valedissimos Exercitus ære plurimum privatobis conseri=
psit, bis induxit Ordinum auspiciis. Hispaniæ tÿranidem propalit:
veræ religionis cultum, Avitas Patriæ leges revocavit, resituit: ipsa
denique libertatem tantum non assertam Mauritio Principi Paternæ
virtutis Heredi filio stabilendam reliquit: Herois vere pii, pruden=
tis invicti: Qvem Philippus II. Hisp: Rex. ille Europæ Timor, timuit,
non domuit, non terruit, sed embo percussore fraude nefanda sustu=
lit. Foederat. Belg: Provinc: perenni meritor. monum. P.C.C « À Dieu très bon très haut et très
puissant, et à la mémoire éternelle de Guillaume de Nassau, Prince
souverain d’Orange, Pere de la Patrie. Qui préféra à sa propre fortune,
la fortune de la Hollande & des Siens. Il leva, deux fois, presque à
ses dépens, de trés grosses armées, & il les licentia deux fois. Sous
les auspices des États, il secoüa le joug de la Tyrannie
d’Espagne ; rétablit le culte de la veritable Religion ; &
remit les anciennes Loix de la Patrie dans l’état où elles étoient
auparavant. Enfin, il laissa le soin d’achever le rétablissement de
cette liberté, qui n’étoit pas encore tout à fait affermie ; Au
Prince Maurice, son Fils, qui hérita de toutes ses Vertus. Guillaume.
Fut un Héros véritablement pieux, doué d’une grande Prudence, & qui
ne fut jamais vaincu. Philippe Roi d’Espagne le craignit, quoi que ce
prince fut la terreur de toute l’Europe. Ce Roi ne le vainquit point. Il
ne l’épouvanta point. Et s’il lui arracha la vie, ce ne fut que par le
secours d’un impie & infame assassin, & par la plus lâche de
toutes les trahisons. Les États des Provinces-Unies ont fait dresser ce
Tombeau, pour être un Monument éternel de son grand mérite, & pour
le justifier contre les calomnies auxquelles sa Mémoire eût pu être
exposée. P.C.C. » La traduction est tirée de Bizot 1690, p. 5-6.
À Delft,
j’ai vu chez le fameux Leeuwenhoeck le remarquable microscope, mais comme ce sujet, qui
est en soi une très curieuse matière, ne nous concerne pas ici, je ne m’étendrai
pas sur ce point.
De Delft
à Rotterdam, il faut deux heures. Cette ville est actuellement la
plus peuplée après Amsterdam, et elle est très fameuse pour la navigation.
Celle-ci est remarquablement développée dans le port, beaucoup plus
commode que celui
d’Amsterdam : les plus grands bateaux entrent à une extrémité de
la ville et ressortent par l’autre, et ils peuvent y débarquer très commodément
leurs marchandises. De chaque côté de ce canal, aux deux extrémités de la ville,
s’élève une porte
d’architecture passable, comme on le voit sur le croquis approximatif qui va
suivre. Des deux côtés du canal sont construites les meilleures maisons de la
ville, dont les habitations sont pour le reste de facture plus simple que celles
qui ont été décrites jusqu’ici. À l’entrée du canal, la porte est dorique avec
des bandeaux larges ou des bossages ; son architecture est loin d’être pure. De
l’autre côté du canal, l’autre porte possède quatre colonnes adossées ioniques
qui font saillie de plus de la moitié. Elle n’est pas deux fois plus haute que
large. Les quatre colonnes sont surmontées d’un fronton. Cette porte est donc
tout à fait simple mais d’une architecture très épurée. Les portes sont
semblables à l’extérieur et à l’intérieur. Lorsqu’on arrive à l’extrémité de la
ville, la porte A est à gauche et la porte B à droite.
14r
L’élévation et plan suivants représentent la demi-façade du LandhausLe Landhaus est « l’hôtel ou maison ordinaire où
s’assemblent les États d’une province », cf. Schwan 1784, p. 308. de Rotterdam, sur la
Hochstraße. Il
est construit très proprement en pierres taillées, mais l’angle opposé, qui
donne lui aussi sur une rue adjacente, est construit en pierres à brique selon
la bonne manière hollandaise ; il est tout plat et de construction simple, et
cela fait perdre à la façade beaucoup de son charme. La disposition de cette
façade est très sensée, à ceci près que les volutes du fronton et les sculptures
placées en a. au-dessus de l’avant-corps du niveau inférieur et au-dessus des
fenêtres de l’étage ne sont pas de bon goût.
À Rotterdam, la verrerie est aussi à voir et, tout près, chez H. van Vliet, les
beaux papiersLa description de Knesebeck est
imprécise ici : parle-t-il du décor de la maison (papier-peint) ou des
travaux sur papier de l’artiste Hendrick Cornelisz van
Vliet ?.
Dans l’église
principale, on peut signaler aussi le tombeau de l’amiral de
With, qui est de très bonne facture ; mais comme il est du
même goût que ceux de Delft, j’ai pu omettre de le dessiner.
14v
Sur un grand et
large pont qui ressemble à un petit marché se dresse la statue de bronze du célèbre
Érasme
de Rotterdam, plus grande que nature, avec cette inscription
au-dessous : Desiderio Erasmo Magno Scientiarum
atq
atque literaturæ politioris vindici instauratori Viro Seculi
Sui primario Civi omnium præstantissimo ac nominis immortalitatem
Scriptis æquiternis jure consecuto S. P. Q. Roterdamus Ne quod
tantis apud Se Suosq posteros
virtutib
virtutibus præmium deesset. Statuam hanc ex æere publico erigendam
curaverunt« Au Grand Desiderius Érasme, / brillant
défenseur et rénovateur des Sciences et des Lettres, / Premier parmi les
hommes de son époque, / Citoyen remarquable entre tous, / qui doit à
l’éternité de ses écrits la juste immortalité de son nom, / Le Sénat et
le Peuple de Rotterdam / ont fait ériger cette statue aux frais de
l’État, / afin que, auprès d’eux et de leurs descendants, de si grandes
vertus ne demeurent pas privées des honneurs qui leur sont dus. » Cette
traduction a été réalisée par Frédéric Junqua (université Grenoble
Alpes), que nous remercions ici pour son aide..
15r
Cet homme excellent, qui s’est particulièrement illustré dans les
litterae humaniores,
a également eu le mérite d’inventer l’usage de la tourbe et des voiles dont on
se sert sur les petits canots à fond plat pour naviguer par tous les vents.
Voilà pourquoi il est tenu en si haute estime à Rotterdam, au point qu’on a
conservé la petite maison dans
laquelle il est né, en y apposant en son honneur des
inscriptions en allemand, en espagnol et en latin.
Sur le chemin de Rotterdam à Gouda, situé à trois heures de
route, j’ai vu un pont
roulant. Ce petit pont était utilisé pour les barques des
paysans. On pourrait parfaitement avoir recours à des ponts de ce type sur les
fleuves allemands, mais il faudrait construire des bateaux spéciaux à double
quille et donc à fond plat.
On pourrait surtout s’en servir sur la Saale à la place des
écluses. Cependant, avec un tel pont, les bateaux ordinaires peuvent facilement
être endommagés.
Gouda est une ville
assez aimable et propre que doivent traverser tous les bateaux qui vont de
Rotterdam à
Amsterdam et
vice versa. Le plus remarquable dans cette ville c’est que tous les canaux sont
vidés chaque jour à l’aide des écluses puis remplis à nouveau d’eau fraîche, ce
qui ne peut être réalisé dans aucune autre cité de Hollande.
Pour ce qui est des édifices, il n’y a absolument rien
à voir, hormis la grande église
Saint-Jean sur la place du marché, célèbre pour ses vitraux
remarquablement peints à grand feu. Le dessin n’est pas toujours très correct,
et, curieusement, les pieds sont souvent beaucoup trop longs, plus d’une fois et
demie plus longs que les têtes, dans bien des cas. Cependant, il faut
reconnaître que les pièces de verre ont été ajustées de façon très intelligente,
de manière à ne pas dissimuler le dessin ; les coloris et nuances sont
admirables, l’ordonnance est convenable et très riche. En somme, il est
difficile de trouver ailleurs des vitraux aussi beaux, en telle quantité,
15v
et qui laissent passer autant de lumière et
assombrissent aussi peu le bâtiment. Le duc Éric de Brunswick a les honneurs d’un des
meilleurs vitraux sur lequel est peint Héliodore, d’après le Livre des MaccabéesKnesebeck fait ici référence à un épisode vétérotestamentaire du second
livre des Maccabées (2 M 3,23-30). ; celui-ci
raconte comment Héliodore est châtié pour avoir dévalisé de riches églises. Les
peintres qui ont exécuté la presque totalité de ces vitraux sont deux frères,
Dietrich
Peter et Walter Peter, tous deux originaires du Brabant. Cette église
comprend également une très mauvaise chapelle d’apparence très modeste, décorée
à l’extérieur d’un portail de marbre blanc, dont voici une élévation. Dans la
partie supérieure, deux petits enfants en pleurs sont assis au centre autour
d’une urne ; chaque porte est surmontée d’une tête de mort. Tout en haut, au
centre, sont placées trois armoiries drapées de festons. Ce tombeau est celui de M. van
Beverningh, bourgmestre de Gouda, et ancien envoyé des
États généraux de HollandeKnesebeck évoque le portail de la chapelle que Hieronymus van Beverningh avait fait construire près de quinze ans avant sa mort et qui remplaçait une ancienne chapelle du XVe siècle. Il y fut inhumé en 1690. Dans le dessin, la partie supérieure de la décoration (décrite uniquement dans le texte) est omise..
Il faut 7 heures de Gouda à Dordrecht, où il n’y a rien de
particulier à voir. De Dordrecht, on peut prendre une voiture pour rejoindre en une
heure le nouveau bac. Il part toutes les heures et même plus souvent pour
Lage Swalff, qu’il atteint en une heure et demie et, de là, il
faut louer une charrette jusqu’à Breda, où l’on arrive quatre
heures plus tard.
Cette forteresse célèbre, qui appartient actuellement au prince régnant
d’Angleterre,
en qualité de prince de Nassau, est un exemple remarquable d’amélioration et de
renforcement d’une fortification ancienne, réalisée avec succès par le fameux
van
Coehoorn. J’ai donc circulé trois heures durant autour de la muraille
pour dessiner les améliorations à partir du plan de la forteresse ancienneVoir le plan de Breda dans Abelinus/Merian 1662, après la p. 832, disponible dans la Digitale Bibliothek de la Bayerische Staatsbibliothek (bibliothèque d’État de Bavière). que
l’on trouve dans le Theatrum Europaeum (voir le dessin ci-dessous). Cependant, la
construction n’est pas complètement achevée : de a. à b., on a édifié de
magnifique façon tous les bastions en briques, mais les autres sont simplement
en terre. Non seulement les anciens bastions ont été aménagés au mieux, mais
aussi les ouvrages extérieurs ; ainsi, ces améliorations
16r16v
ont été réalisées à moindre coût et sans perdre de
terrain dans les fortifications. En c. et d., un bastion a été taillé
complètement en pointe avec un angle large. Le château ne présente aucune
particularité notable, le jardin est assez bien aménagé, et assorti de deux
petits parcs tout à fait amusants ; mais les statues sont en terre et leur forme
est si lamentable qu’on les croirait modelées par un potier.
L’église
principale, sur la grande place du marché, est censée abriter de beaux
tombeaux mais je n’ai pu rester assez longtemps pour les voir.
De Breda
à Anvers, il faut emprunter une voiture de location
extraordinaire, parce qu’aucune voiture ordinaire ne fait le parcours. Cette
grande et célèbre ville est à dix heures de route. Je mentionnerai ses aspects
remarquables dans le descriptif de mon voyage de retour.
D’Anvers
à Gand, on circule avec une calèche ordinaire qui ressemble aux
calèches de campagne allemandes. Gand est à dix heures de route d’Anvers, elle est très
grande et assez bien bâtie, mais moins belle qu’Anvers. Sur une grande place se dresse,
juchée sur une colonne
noire, une statue de Charles V grandeur nature, entièrement dorée.
Sa facture est passable. L’hôtel de ville est situé dans un angle où convergent deux rues,
il est très haut et très grand. On distingue trois types d’architecture. D’un
côté, 3 rangées de colonnes adossées accouplées, distantes de 4
entrecolonnements. L’ordre dorique, dans la partie inférieure, est décoré de
bandeaux ou de bossages ; à la base, les colonnes se touchent ; au niveau des
chapiteaux, elles sont pleines, sans abaque. Sinon, les triglyphes sont bien
répartis ; la partie supérieure est d’ordre ionique et, tout en haut, d’ordre
corinthien avec des consoles en saillie sur les frises, comme chez Serlio pour l’ordre
composite. Le bâtiment est entièrement gothique sur tout son côté
longitudinalLe bâtiment est disposé en L
avec deux façades principales. et très richement travaillé ; dans ce
genre, il est difficile de trouver mieux. Le côté du bâtiment est ouvragé de la
sorte jusqu’à la cinquième fenêtre ; puis une partie en architecture moderne
s’étend sur 19 entrecolonnements et autant de fenêtres et présente un très bon
aspect. Au-dessous de la 10e et de la 12e fenêtre, au rez-de-chaussée, s’élève un bon
portail doté d’un perron de bonne disposition.
De Gand, on emprunte un carrosse suspendu pour se rendre à
Lille, une grande et belle ville, située à 11 heures de
Gand. Les
fortifications
de cette cité sont solides, elles se composent de hautes murailles et de
bastions bâtis en brique à l’intérieur comme à l’extérieur, assortis de beaux
ouvrages extérieurs. À certains endroits, les bastions sont très petits ; en
revanche, des ravelines sont revêtues de contre-gardes, et les contrescarpes ont
des places d’armes et des traverses. Devant la porte des Malades, les
bastions sont plus grands, avec des flancs obliques, des orillons
quadrangulaires, et des places basses retirées. La citadelle surtout est très
joliment fortifiée, elle surpasse et de loin celle d’Anvers. Les portes sont également très bien
disposées, en particulier celle qui est appelée la porte de France, celle des
Malades, toute neuve en pierres de taille, très haute et
magnifiquement dessinée,
17r
comme on peut le voir sur l’esquisse qui suit. Les
proportions sont un peu étroites et hautes, elles sont très plaisantes à voir.
Les sculptures sont très aimables et charmantes.
17v
La ville possède également de belles églises construites à la
manière moderne, trois en particulier. L’église des Dominicains, d’ordre ionique dans sa
partie inférieure, corinthien dans sa partie supérieure, comprend des colonnes
et des pilastres dont la base est commune ; le dessin en est à peu près
celui-ci.
À l’intérieur de l’église, des arcades reposant sur des colonnes
ioniques isolées sont surmontées d’une galerie entièrement en pierre ; la
disposition est aussi bonne que celle de l’église des Jésuites d’Anvers. Des deux côtés figurent des
peintures, de magnifiques peintures de paysages, avec de petites scènes
d’histoire chrétienne. L’église
des Récollets et plus belle et d’une architecture plus pure. À
l’extérieur, trois colonnades sont superposées : dorique avec des mutules, mais
l’ordonnance n’en est pas bonne ; ionique avec des frises bombées, et
corinthienne. J’ai dessiné ici la moitié de la façade. À l’intérieur,
l’architecture ne présente aucune particularité remarquable.
L’église des
Jésuites est de petite taille mais charmante ; elle possède un
bel autel à colonnes corinthiennes de marbre rouge, assorties d’un beau tableau. Le portail comprend
deux paires de colonnes doriques jumelées de part et d’autre, qui entourent une
arcade de très bonnes proportions, comme on le voit sur le dessin suivant.
18r
De Lille
à Arras, il faut à nouveau 11 heures. Cette ancienne ville
épiscopale n’est pas de très bonne constitution. Les fortifications y sont
entièrement en ruine. Elle ne comprend pas de bâtiments intéressants, à
l’exception de deux tours rénovées et assez bien façonnées dans leur partie
supérieure. La citadelle est très joliment construite mais elle se situe en
contrebas par rapport à la ville et aux terrains qui l’entourent, pour des
raisons que je n’ai pu élucider. Voilà pourquoi on trouve aussi autour de la
citadelle des
tirs de mousquets et des redoutes de briques détachées pentagonales, dotées de
basses voûtes mais qui ne disposent ni de retirades ni de lignes de
communication.
D’Arras
à Amiens, il faut à nouveau 11 heures. Cette ville est
convenablement construite, mais on voit partout transparaître la pauvreté des
sujets français, bien qu’ils s’emploient à la dissimuler par tous les moyens. Il
n’y a rien de remarquable dans la ville hormis la cathédrale Notre-Dame,
dont les Français font très grand cas. Pour eux, on n’a rien vu en France aussi longtemps
qu’on n’a pas vu cette église. Elle est en pur gothique, et construite assez
richement dans ce style : les archivoltesKnesebeck écrit
probablement Vrissen (le mot n’est pas clairement
lisible), que nous avons traduit ici par archivoltes, ce qui correspond au
décor du portail. du portail principal abritent à elles seules une
centaine de figures assises, d’un dessin tout à fait misérable. Les stalles du
chœur sont de la très bonne sculpture sur bois, dans le même style. Cependant,
cette cathédrale n’est même pas aussi belle que l’église Saint-Laurent de
Nuremberg et
elle ne peut en aucun cas être comparée à la cathédrale de Ratisbonne.
D’Amiens, il faut parcourir 7 lieues françaises pour atteindre
BreteuilKnesebeck appelle à tort la ville de Breteuil « Bretteville » dans l’original allemand. Une lieue terrestre valant 4,445 km (voir Chantelou, 2001, p. 38), les sept lieues équivalent à 31,11 km, ce qui correspond à peu près la distance actuelle entre Amiens et Breteuil., 6
lieues et demie jusqu’à Saint-Just, 3 jusqu’à Clermont, 3 jusqu’à Creil, 3 jusqu’à Luzarches et 4 jusqu’à Saint-Denis. La basilique de Saint-Denis fait partie des belles
églises gothiques. On y a enterré les rois, et on peut y voir beaucoup de beaux
monuments de marbre, mais tous sont éclipsés par le tombeau du maréchal de Turenne. Il se trouve à
gauche en entrant, à côté du chœur, non loin de l’entrée et du mausolée rond des rois
dont Marot a
fait un si joli dessin, bien
que l’édifice soit délabré et d’aspect tout à fait misérable. Avant d’atteindre
le tombeau de Turenne, on
peut encore voir à l’extérieur celui
du roi Louis
XII (et d’Anne de Bretagne), dont les effigies
sculptées reposent sous des arcades entre lesquelles se tiennent des statues des
Vertus, bien sculptées et bien dessinées. Les Filles de l’Assomption possèdent
dans ce lieu une petite église bien faite que l’on peut voir sur la figure qui suit.
L’architecture en est très correcte et les proportions bien exécutées ; la
construction est honnête et soignée, mais par ailleurs très modeste. La
colonnade ionique inférieure semble entièrement construite avec des proportions
à la Scamozzi ; les colonnes ont
presque conservé cette ordonnance malgré la présence d’un entablement. Tout
l’édifice est fait de pierres taillées, et la couverture est en ardoise.
18v
De Saint-Denis à Paris, il faut encore parcourir
une lieue et demie. En passant par la porte Saint-Denis, j’ai pu constater qu’elle était
parfaitement conforme à la gravure de Blondel dans son Cours d’architecture. La disposition
est la même à l’intérieur et à l’extérieur, et les sculptures sont d’une qualité
remarquable. Avant Anguier
l’AncienC’est Michel Anguier (1612-1686) qui
travaille sur la porte Saint-Denis et non son frère aîné François
(1604-1669). Peut-être que Knesebeck pense qu’il s’agit de François Anguier., c’est
Girardon qui
les avait commencées, mais il a dû s’interrompre pour exécuter des commandes
royales. Pour le reste, il n’y a pas grand-chose à voir en matière
d’architecture dans la rue
Saint-Denis, à l’exception de la fontaine des Innocents,
qui est considérée comme un très bon exemple d’architecture épurée. L’édifice
possède deux niveaux ; l’étage inférieur est très modeste mais l’étage supérieur
est tout à fait charmant. La fontaine est adossée à une maison et seules deux
faces sont dégagées : l’une donne sur la petite rue Saint-Denis sur une
longueur de deux arcades et l’autre s’étend sur trois arcades de très bonnes
proportions et elle est deux fois plus haute. Dans l’intervalle figurent des
pilastres composites d’une largeur de cinq modules. Sous les arcades sont
installées des balustrades. Entre les pilastres se trouvent des nymphes en
haut-relief comparables à des statues ; leur dessin est bon, surtout en ce qui
concerne les vêtements. Sous les balustrades
19r
des arcades, sur les bases qui forment les stylobates, figurent des
bas-reliefs de petits enfants et de naïades. C’est Jean Goujon, un
sculpteur habile, qui a dessiné et exécuté tout cet ouvrage en 1550Knesebeck se trompe sur la datation : les nymphes ont été réalisées en 1547-1549.. L’œuvre est
tout à fait dans le goût antique. Cependant, il est dommage que cet édifice ne
soit pas du tout nettoyé ; on peut en dire autant de la plupart des monuments de
Paris. On verra
sur la figure suivante le plan et l’élévation de la façade.
En bas, au-dessus du robinet, on peut lire les mots
Fontium Nimphis. Sur le côté figure cette
inscription gravée dans le marbre noir : Quos duro cernis simulatos marmore fluctus Hujus Nimpha loci
credidit esse suos. 1689 « Aux nymphes des
fontaines / Voyant les flots que l’art sur ce marbre figure La Nymphe
les a pris pour son eau qui murmure. 1689 » (Vanier 1836, p. 230 ;
traduction d’Éloi Johannot). Une traduction moins lyrique serait :
« Voyant le flot imité sur ce marbre, / La Nymphe de ce lieu l’a
pris pour le sien. 1689 »Plus haut dans la
rue
Saint-Denis, du côté opposé, s’élève l’église
Saint-Leu-Saint-Gilles, un édifice très simple. On peut
cependant y voir une œuvre remarquable, La Cène de Frans Pourbus, un tableau très bien exécuté
placé au-dessus du maître-autel. À gauche de la nef, une chapelle est éclairée
par une petite coupole ; son ordonnance
19v
est très convenable, elle contient de
nombreux tableaux, dont un Souper
des disciples à Emmaüs, dans lequel le Sauveur tend une hostie à un
disciple. À l’arrière, à côté du chœur, on peut voir le tombeau de Charlotte de
BesançonKnesebeck se
trompe, il s’agit du tombeau de Marie des Landes, épouse de Chrétien de
Lamoignon (1567-1636), réalisé par François Girardon et qui se trouvait initialement
dans l’église Saint-Leu-Saint-Gilles à Paris. Voir Maral 2015, p. 469., conçu par
Girardon, un
bon travail, dans lequel on apprécie en particulier un bas-relief représentant
la veuve du conseiller d’État de
Lamoignon accompagnée dans sa dernière demeure par
des pauvres pour lesquels elle avait eu beaucoup de bontés. J’ai vu le reste de
la ville en suivant l’ordre que voici.
1. Le palais des
Tuileries, dont on peut voir les deux façades dans les gravures de Marot, qui sont tout à
fait fiables. Elles ont été entièrement bâties en pierres de taille, avec
beaucoup d’application et d’art. On voit à peine qu’elles ont été exécutées à
différentes époques. Dans le bâtiment central qui jouxte la cour, le marbre
abonde : toutes les colonnes du pavillon central, qui sont de différents types,
les deux pilastres ioniques et, çà et là, des panneaux placés sur les murs
au-dessous des fenêtres. Les proportions du bâtiment central plus ancien sont
meilleures que celles des deux ailes nouvelles placées à l’extérieur de part et
d’autre : au-dessus des pilastres corinthiens, l’entablement est beaucoup
trop haut et donne à ces derniers une apparence trop frêle et insignifiante.
L’ordonnance du profil de cet entablement est particulière, comme on
peut le voir sur le dessin. J’ai pu observer dans ce cas comme dans bien
d’autres que la proportion de cinq modules donnée par Vignole pour les entablements
corinthiens n’est pas agréable à l’œil : elle est trop lourde. Pourtant, les
architectes de Paris
ont généralement suivi Vignole
dans presque tous leurs ouvrages. Dans l’autre colonnade du bâtiment central,
l’ordre n’est pas maintenu : les pilastres corinthiens ont été remplacés par des
gaines de termes à corniches, prévues pour supporter des bustes ; on n’en voit
cependant qu’un petit nombre du côté du jardin.
L’intérieur du palais mérite vraiment la visite. Au
rez-de-chaussée, l’avant-corps du bâtiment a été ouvert par la construction
d’arcades entre lesquelles sont intercalés des pilastres engagés et des colonnes
ioniques ; ils sont surmontés d’entablements pleins, mais beaucoup trop bas ;
ceux qui voient là une corniche architravée sont dans l’erreur, ils se laissent
abuser par les consoles de la frise. L’escalier est une très bonne construction en pierres
de taille sur voûtes,
20r
qui respectent les règles de la coupe des pierres. Les
pièces sont toutes revêtues de riches dorures ; les sculptures des portes et des
encadrements des fenêtres sont très opulentes ; elles sont délicates et faites
proprement. On voit sur les murs toutes sortes de grotesques dans une multitude
de belles couleurs, sur fond d’or ou peintes et rehaussées à l’or sur fond
blanc ; ce sont là de magnifiques inventions, particulièrement plaisantes. Les
peintres qui les ont réalisées s’appellent Lemoine : l’un est de Paris et
l’autre originaire de
Lorraine. Dans la salle de gardes, le
plafond a été peint en gris sur gris par Loir, qui a aussi peint en couleur dans
l’antichambre
un soleil levant sur lequel se détache une Aurore accompagnée des Heures et
d’autres divinités païennes. À côté, 4 paperolles portent les quatre Saisons.
Dans le cabinet, le
plafond est de BertholetKnesebeck se trompe, Bertholet Flémal n’a réalisé qu’un seul plafond pour le palais des Tuileries, celui de la chambre du Roi avec une allégorie de la monarchie française. Cf. Kairis 2015, p. 169-170.. La corniche dorée, surmontée de quantité d’ornements
de plâtre, entoure une voûte en miroir de Lerambert ; les statues assises et couchées
placées sur le côté sont de Girardon. Les murs de la Grande Galerie ont une apparence modeste et elle a
été démeublée, mais les précieuses armoires qui s’y trouvent méritent vraiment
le détour. Elles possèdent le plus souvent un décor architecturé de jaspe et
d’autres pierres précieuses, entrecoupé de toutes sortes de compartiments ornés
de ciselures d’argent et d’or, de miniatures et d’autres parures. Le plafond en
berceau est très bien peint, Errard a copié ici avec beaucoup d’application
le plafond de la galerie
Farnèse de Rome, œuvre d’Annibal Carrache. Les nus que l’on voit sur la
corniche sont en stuc ; ici par contre ils sont simplement peints, mais si bien
et si naturellement qu’on les prend pour des reliefs. Les appartements de la Reine,
qui donnent sur le jardin, sont plus petits ; à côté ont encore été aménagés un
cabinet et une
chambre donnant
sur le jardin, faisant partie de l’appartement du Roi : son plafond et les
dessus-de-porte sont de Coypel l’Ancien. Les appartements de la Reine, quant à eux, ont été
peints par Nocret ; on peut surtout lui reprocher d’avoir placé la peinture
d’histoire au plafond, ce qui n’est pas convenable, et de ne pas représenter les
scènes en raccourci, ce qui produit une impression déplaisante. Dans
l’appartement de la
Reine, la cheminée et les portes sont déjà ornées de miroirs :
ce n’est donc pas là une si grande nouveauté. Au-dessous sont installés les
appartements du
Dauphin, qui abritent les maquettes des plus excellentes
fortifications ; l’autorisation de les visiter n’est plus accordée facilement.
La salle des Machines ou
Theatrum, qui occupe la partie inférieure du bâtiment à côté de
la chapelle et de
l’escalier, est
magnifiquement aménagée : elle est peinte de manière très remarquable et décorée
de marbre et d’une architecture bien peinte et richement dorée. La disposition
des colonnes dans le proscenium est superbe ; mais surtout, le plafond qui
surplombe le parterre est particulièrement précieux et digne d’être vu. Une
place est réservée pour le roi tout à l’avant du parterre et celui-ci est séparé des bancs
à gradins voisins par une haute balustrade de fer d’une hauteur de deux pieds.
Au-dessus, les peintures du plafond ont été dessinées par Le Brun et peintes par
Coypel.
20v
Un grand nombre de personnes peuvent contenir dans ce théâtre et voir la scène
sans se gêner mutuellement, même si l’espace du parterre est très restreint.
Cependant, on peut difficilement concevoir comment 7 000 personnes pourraient y
trouver place, ainsi que les Français le prétendent : le calcul planimétrique de
la capacité du théâtre pourrait facilement en apporter la démonstration. Celui
qui l’a dessiné est un gentilhomme italien nommé Vigarani.
Le jardin des
Tuileries est tout à fait charmant pour les promenades et ne
manque ni d’allées, ni d’arbres taillés, ni de terrasses. En matière de
fontaines, statues, etc., il ne présente cependant rien de notable. Les perrons
des terrasses sont très bien dessinés, et le plan de ce jardin qui figure chez Marot est tout à fait
juste. Le célèbre Le
Nôtre qui réside juste à côté en est le créateur. Son logis se
compose de trois petites pièces successives ; celle de l’arrière peut offrir une
petite salle passable. La pièce centrale abrite quantité de belles statues de
métalKnesebeck distingue
« bronze » et « métal »., toutes à l’antique, et
toutes issues de bonnes mains.
Le Louvre est un bâtiment magnifique, et il est dommage qu’on ne
poursuive pas sa construction. En premier lieu, l’entrée, dessinée par Perrault, peut être
considérée comme un chef-d’œuvre d’architecture. J’en ai établi l’élévation et
le plan, comme on le verra sur la page qui suit. Au niveau de l’entablement,
l’auctor a ajouté une cimaise lesbienne parmi les modillons, ainsi qu’un tore
au-dessus de la frise, entièrement inversé par rapport à l’usage qui prévaut
partout : voilà pourquoi j’en ai fait le dessin.
Le larmier est aussi trop plat. La hauteur de l’entablement semble
supérieure à 4 modules et inférieure à 5. La cimaise devrait être plus grande et
le larmier plus petit.
La qualité d’exécution de ces belles grandes pierres
de taille est aussi parfaite qu’on peut le souhaiter, toutes les jointures
perpendiculaires sont dissimulées au mieux. Les architraves sont composées de
nombreuses pièces conformément aux règles de la coupe des pierres et, bien que
celles-ci soient taillées en biseau à l’intérieur du mur, la taille en est toute
droite à l’extérieur, là où elle est visible, ce qui leur donne un aspect
d’autant plus curieux. Cependant, la plupart de ces seuils droits, par exemple
au-dessus de la porte centrale, ont été renforcés avec une barre de fer. Ce type
de seuil et d’architrave est aujourd’hui tout à fait courant à Paris mais beaucoup
présentent déjà une apparence délabrée ; sur ce point, l’ouvrage de Perrault se distingue
nettement des autres. Les moulures situées au-dessus du larmier du fronton
remontent des deux côtés,
21r21v
elles sont d’un seul tenant et il a fallu
beaucoup d’art pour mettre en place ces pièces de pierre très longues et larges
mais très fines. À cet effet a été créée une machine spéciale que les Français
estiment supérieure à l’ouvrage qui a permis à Fontana de dresser
l’obélisque du
Vatican à
Rome. La
disposition de cette architecture – mais avec, cette fois, seulement des
pilastres – a été conservée sur le côté du Louvre qui donne sur la Seine. Le seul aspect qui
pourrait à juste titre déplaire serait le suivant : au-dessus des fenêtres
principales intercalées entre les pilastres corinthiens, très beaux et bien
proportionnés, on ne trouve à l’étage supérieur que de mauvaises petites
fenêtres à arcades, comme on le voit sur la figure suivante.
Au demeurant, cette disposition se rencontre beaucoup à Paris, surtout dans les
bâtiments de Mansart, comme ceux de la place des Victoires ou de la nouvelle place des Conquêtes ou de
Vendôme. Il est incontestable qu’elle porte grandement atteinte
à la majesté du reste du bâtiment. La cour est une immense place quadrangulaire
dont un angle est encore occupé par l’ancien bâtiment du Louvre, qui a la forme
d’une équerreDans l’original allemand,
Knesebeck utilise le mot winckelhacken. et
occupe moins de la moitié de l’ensemble du bâtiment actuel. Il possède une
ordonnance à 3 étages : l’étage inférieur est corinthien, le premier étage est
romain et le second ne comprend qu’un attique. Le nouvel édifice a conservé
toute cette ordonnance : là encore, le deuxième étage n’est pas d’une hauteur
complète et, au lieu de lisières, il est orné d’un ordre complet prétendument
censé être l’ordre français. Le Louvre ancien, dont l’ordonnance a été publiée
dans une élévation gravée de
Marot, est
entièrement terminé et nul ne peut nier que non seulement les bonnes proportions
sont parfaitement bien observées mais que tout a été exécuté avec le plus grand
art et toute l’application possible ; les sculptures sont abondantes, mais sans
désordre, elles sont réalisées si proprement et comme il faut, elles sont si
bien ordonnées et d’une invention si intelligente qu’il n’y a rien à corriger.
Les nouvelles sculptures doivent être travaillées, elles aussi, de la même
façon, ce qui va occasionner des frais inouïs et demandera encore beaucoup de
temps. Pour l’instant, tout a seulement été ébauché, à la manière française : le
tailleur se contente de donner une forme approximative à toutes les pierres qui
doivent être sculptées, en conservant la hauteur et l’épaisseur maximales
requises, et on les fixe au mur telles quelles. Elles sont sculptées après coup
à même le mur. Paris est plein d’ouvrages ébauchés de cette façon, dont certains
sont si anciens qu’ils menacent de s’effondrer avant d’avoir été terminés. Un
bon architecte se donne pour
22r
règle d’éviter autant que possible l’excès de
sculptures. Le toit est percé comme ceux que l’on appelle toit à la Mansarde,
mais a été construit bien avant Mansart. On n’est donc pas en droit de
prétendre que celui-ci en a été l’inventeur.
À l’intérieur du nouvel édifice, tout reste encore à faire, les murs
extérieurs sont à nu. Le Louvre ancien offre beaucoup de choses à voir à
l’intérieur. Certaines des pièces de l’étage supérieur ont été données à
l’Académie
française et à l’Académie d’architecture. Les plus magnifiques sont
vides ; elles ont été ornées à la manière de celles des Tuileries, et sont elles
aussi richement dorées et sculptées. Je mentionnerai ici brièvement les éléments
les plus remarquables.
Les escaliers qui mènent des deux côtés au vestibule du bas et à la
chapelle du
haut sont à deux rampes entre des murs, avec des voûtes en
berceau richement sculptées. Les pièces de l’Académie d’architectureDepuis 1692, l’Académie d’architecture était installée dans l’ancien appartement de la reine Marie-Thérèse, au premier étage de l’aile sud. Un plan de François d’Orbay datant de 1692 montre les nouvelles fonctions des salles. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 447. ne présentent pas
d’ornements particuliers ; la curiosité la plus remarquable, ce sont les maquettes
de différents édifices royaux. Dans la première pièceKnesebeck se réfère probablement ici à une grande antichambre près de l’escalier Henri IV, qui avait deux fenêtres donnant sur le fossé et trois autres sur la Cour carrée. De là, on entrait dans les salles utilisées par l’Académie française et l’Académie des devises. Il y avait en fait dans cette antichambre plusieurs maquettes de Perrault et de Le Vau, qui ont été décrites à diverses reprises. Cf. Babelon 1964, p. 72, 74-75. en venant de l’Académie des devises, on
peut voir en bas à côté de l’entrée une maquette du pont de bois de PerraultLe manuscrit de Nicodème Tessin montre également la maquette d’un pont de Perrault ; cf. Tessin 2002b, p. 166, fig. 86. avec ses
butées de pierre, réalisée avec le plus grand soin. Elle fait 32 pieds de long
et les tasseaux de bois ne font pas plus d’un pouce à l’exception d’un tout
petit nombre. La figure suivante en donne une élévation approximative.
Pour montrer la solidité de ce pont, on a placé sur la maquette une lourde charge de
pierres. Deux autres grandes maquettes figurent au-dessus, une en pierre, d’après le
dessin de Perrault, l’autre en
bois d’après Louis
le Vau, représentant le grand escalier qui devait être construit
au Louvre.
22v
À l’étage, dans l’une des pièces de l’Académie d’architectureL’Académie d’architecture était installée dans l’ancien appartement de la reine Marie-Thérèse, au premier étage de l’aile sud, depuis 1692. Un plan de François d’Orbay daté de 1692 montre les nouvelles fonctions des salles ; cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 447, fig. 341., est exposée
une grande maquette du Louvre tout
entier dans son aménagement actuel, et, à part, une autre de la nouvelle entrée principale dont il a été
question plus haut, à une plus grande échelle. Les sculptures sont reproduites
proprement en lavis et rien n’a été oublié. La façade côté Seine est magnifique, avec
deux avant-corps sur les coins, et un grand perron : ces dispositions n’ont pas
été suivies dans l’ouvrage. Dans une autre pièceCette salle faisait probablement partie de la séquence des pièces utilisées par l’Académie d’architecture. Depuis 1692, l’Académie d’architecture était installée dans l’ancien appartement de la reine Marie-Thérèse, au premier étage de l’aile sud. Un plan de François d’Orbay datant de 1692 montre les nouvelles fonctions des salles. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 447.
est présentée une autre maquette de l’entrée principale
de Perrault, en
grand format, en bois brun, ainsi qu’une maquette générale de tout Fontainebleau, et
une, plus grande, des bâtiments du
château de
Fontainebleau à part. Une
autre illustre la rénovation à venir du château de Chambord. Une autre l’escalier de Nancy ; le palier
carré qui entoure la rampe est occupé par des colonnes ioniques. Viennent
ensuite deux maquettes de
chapelles d’une composition inventive, et deux autres de toits en forme de dôme. Enfin, on peut
voir la maquette du fameux
Cavalier
Bernin pour l’entrée principale du Louvre, qui surpasse en
renom les trois autres dessins conçus par les Français, à ceci près qu’entre
deux colonnes, on a introduit des paires de fenêtres, et que les trois arcades
ordinaires de l’entrée ne sont, à mon avis, pas à leur place. L’ordre romain
avec l’entablement de consoles est par ailleurs beaucoup mieux proportionné que
chez les autres. Un dessin de la moitié de la façade est donné sur la page qui
suit.
La pièce
suivante est tout à fait somptueuse et riche en dorures, mais ne
présente rien de particulier. De ces appartements, on passe à la galerie d’Apollon, qui est
entièrement démeublée, et occupée par des échafaudages. La voûte en berceau de
la galerie offre cependant un aspect plaisant : ses peintures, auparavant,
n’avaient guère été soignées, mais son encadrement, de la main de Girardon, est presque
complet et tout à fait magnifique. La peinture de l’arc de cercle à l’extrémité
côté Seine est
achevée, ainsi qu’une autre située sous les cartouches. On peut également voir
dans cette pièce la Bataille
d’Arbèles de Le
Brun, qui fait 16 pieds de haut et 39 pieds de large et, à côté,
un tableau de Paul
Véronèse presque aussi grand qui représente le repas du Christ chez le
Pharisien, avec la visite de la pécheresse. C’est ce tableau que les
Français ont pris à tort pour les
Noces de Cana en Galilée, encore conservé à l’heure qu’il est dans le
couvent des
Bénédictins de Venise. À part ceux-ci, sont encore accrochées dans cette pièce
une Famille de Darius peinte
par Mignard à
l’imitation de celle de Le Brun, mais
qui ne saurait rivaliser avec son modèle ; et une belle Bataille de Salvator Rosa, qui
fait environ 5 pieds de haut et 8 pieds de large.
Dans une pièceÀ partir de 1673, les collections royales de peintures sont présentées dans plusieurs salles créées par Louis Le Vau derrière la galerie d’Apollon. À la suite de la décision de Louis XIV de faire du château de Versailles la résidence principale de la Cour, les collections de peintures sont transférées du Louvre à Versailles en 1683. Néanmoins, Knesebeck a apparemment vu dans deux de ces pièces, qu’il a appelées « chambres » (Gemach et Kammer en allemand), quelques tableaux restés en place. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 435-436.
située après l’Académie des peintres, on peut voir
une Sainte Famille de Léonard de Vinci ;
deux médaillons de Jules
Romain, peints sur les deux faces, en grisaille, de mille hommes
à la bataille, magnifiquement dessinés en petit formatD’après l’inventaire de Charles Le Brun réalisé en 1683, trois
tableaux de Jules Romain se trouvaient dans la collection de Louis
XIV : un portrait de Jeanne d’Aragon (INV 612), une Adoration
des bergers entre saint Longin et saint Jean l’Évangéliste (INV 421) et le
Triomphe de Titus et Vespasien (INV 423), tous conservés au musée du
Louvre aujourd’hui encore. Cf. Bréjon de Lavergnée 1987, n° 2, p. 85-86, n° 32, p. 113-115 et n° 33, p. 114-115. ; au-dessus, le Passage du Granique de
Le Brun et
23r23v
la Défaite
de Porus ; dans une autre pièceÀ partir de 1673, les collections royales de peintures sont présentées dans plusieurs salles créées par Louis Le Vau derrière la galerie d’Apollon. À la suite de la décision de Louis XIV de faire du château de Versailles la résidence principale de la Cour, les collections de peintures sont transférées du Louvre à Versailles en 1683. Néanmoins, Knesebeck a apparemment vu dans deux de ces pièces, qu’il a appelées « chambres » (Gemach et Kammer en allemand), quelques tableaux restés en place. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 435-436. figurent de bonnes copies de RaphaëlDans la collection de Louis XIV se trouvaient trois originaux de Raphaël : le Portrait de Baldassare Castiglione, écrivain et diplomate (1478-1529) (Paris, musée du Louvre, INV 611), peint vers 1514 et passé de la collection de Mazarin à celle de Louis XIV, la Grande Sainte Famille (Paris, musée du Louvre, INV 604) et Saint Michel terrassant le dragon (Paris, musée du Louvre, INV 608). Cf. Cuzin 1983, p. 188-189 (ill. 195), 207 et 58 (ill. 55). En 1683, à la mort de Colbert, la plupart des tableaux furent transférée du Louvre à Versailles. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 436. Deux des trois tableaux de Raphaël, le portrait de Castiglione et le Saint Michel, sont mentionnés à Versailles dès 1695 respectivement dans la Petite Galerie et dans la chambre du Roi. Pour autant nous relevons dans les collections royales à cette époque plusieurs copies dont celle du Saint Michel par un des frères Testelin (Louis ou Henri) et de la Grande Sainte Famille par Jean Michelin. Le peintre et académicien René-Antoine Houasse a également réalisé une copie de la Grande Sainte Famille. Il est probable que Knesebeck voit quelques-unes de ces copies au Louvre. Nous remercions Matthieu Lett pour ces informations complémentaires., une Vénus couchée du TitienIl s’agit très probablement du tableau représentant Jupiter et Antiope provenant des collections de Louis XIV (Paris, musée du Louvre, INV 752). La description par Knesebeck d’une « Vénus couchée » exclut la peinture du Titien du Concert champêtre avec un nu féminin dans un paysage, car la figure n’y est pas représentée couchée. L’œuvre faisait également partie des collections de Louis XIV (elles est aujourd’hui au musée du Louvre, INV 71)., le Triomphe d’Alexandre de
Le Brun,
ainsi que le meilleur de ses tableaux, la Descente de Croix. Enfin, on peut encore voir quelques
portraits de Rembrandt et Antoine van DyckLe Louvre possède encore plusieurs portraits des maîtres flamands
et hollandais provenant des collections de Louis XIV et qui pourraient faire partie des
œuvres que Knesebeck voit ici : un Portrait des princes palatins
Charles-Louis Ier et son frère Robert (1637, INV 1238), le
Portrait d’une dame de qualité et de sa fille (1627-1632, INV 1243), ainsi qu’un
Portrait de James Stuart, duc de Lennox, et plus tard duc de Richmond, en berger Pâris (1633-1634, INV 1246) par Van Dyck mais également un
Portrait de l’artiste au chevalet (1660, INV 1747) de Rembrandt.. De là, on passe à
l’Académie des
peintresDepuis 1692, l’Académie royale de peinture et de sculpture était installée au palais du Louvre, initialement dans l’ancien cabinet du Roi à côté de la Rotonde d’Apollon. Au fil du temps, elle a davantage utilisé les pièces environnantes, qui sont nommées P1-P5 dans le plan de Jacques-François Blondel. Voir la reproduction du plan sur la bibliothèque numérique de l’université de Heidelberg., et en premier lieu à la salle où les Académiciens se
réunissent tous les dimanchesIl s’agit vraisemblablement de l’espace marqué P5 sur le plan de Jacques-François Blondel montrant l’ensemble des pièces utilisées par l’Académie royale de peinture et de sculpture à partir de 1692. Voir la reproduction du plan sur la bibliothèque numérique de l’université de Heidelberg.. Elle est remplie de toiles, non
seulement celles qui ont été données par chacun des maîtres admis à l’Académie,
mais aussi celles que présentent des élèves déjà formés ayant reçu un prix
offert par le roi ; elle abrite également des modèles de plâtre sculptés
d’après les antiques, comme la Vénus
de Médicis, le
Laocoon, Antinoüs, l’Hercule Farnèse, Flora et l’Athlète ; on peut y voir
également des contrefaits et bustes des bienfaiteurs de l’Académie. De là, on
traverse encore une pièceIl s’agit vraisemblablement de l’espace marqué P4 sur le plan de Jacques-François Blondel montrant l’ensemble des pièces utilisées par l’Académie royale de peinture et de sculpture à partir de 1692. Voir la reproduction du plan sur la bibliothèque numérique de l’université de Heidelberg. remplie de toutes sortes de tableaux et on arrive à la
salle où sont réunis les
élèvesIl s’agit vraisemblablement de l’espace marqué P3 sur le plan de Jacques-François Blondel montrant l’ensemble des pièces utilisées par l’Académie royale de peinture et de sculpture à partir de 1692. Voir la reproduction du plan sur la bibliothèque numérique de l’université de Heidelberg. ; elle est richement ornée de modèles de plâtre, et
surtout de bas-reliefs et de bons tableaux. De là, on passe enfin à la
salle de dessinIl s’agit vraisemblablement de l’espace marqué P2 sur le plan de Jacques-François Blondel montrant l’ensemble des pièces utilisées par l’Académie royale de peinture et de sculpture à partir de 1692. Voir la reproduction du plan sur la bibliothèque numérique de l’université de Heidelberg.
où posent les modèles vivants : ils sont au nombre de deux, un Français et un
Italien, tous deux sont bien bâtis, et chacun pose trois heures durant une
semaine sur deux, pour un salaire annuel de 400 francs. De l’Académie des peintres, on
arrive à la Grande Galerie du
Louvre. Sa longueur est de 1 362 pieds français, on
en voit à peine le bout, j’ai compté plus de 700 de mes pas. Du côté du
Louvre, on a
commencé à l’aménager avec des boiseries sur les murs et une voûte en berceau
peinte en grisaille par Poussin. Mais les compartiments sont tous de faibles dimensions
garnis de petits tableaux, ce qui n’est pas heureux. Lors de ma visite, les
peintres de l’Académie y avaient suspendu leurs œuvres comme ils ont
l’habitude de le faire chaque année, en offrant à tous la possibilité de les
contempler sans contrainte. En ce qui concerne la perfection du dessin, je ne me
permettrais pas de porter un jugement sur des maîtres aussi habiles, mais pour
ce qui est de l’ordonnance, de l’action et de l’esprit, je ne balancerai pas :
je préfère à tous les autres le travail de Coypel le Jeune, qui est âgé d’une trentaine
d’annéesKnesebeck exprime ici sa
préférence pour les artistes rubénistes qui privilégient la couleur en
peinture, contrairement aux poussinistes qui privilégient le
dessin. Cf. Imdahl 1987, p. 66 et suiv..
Quand on redescend de l’Académie des peintres, on peut arriver par
l’arrière dans les appartements du niveau inférieur du Louvre ancien appelés les
Bains de la
reinePar « haubtgemach les Bains de la Reine » dans la version allemande, Knesebeck désigne les deux appartements de la reine mère Anne d’Autriche : l’appartement d’hiver et l’appartement d’été, créé peu de temps après. Le fait que Knesebeck associe ces deux ensembles de pièces sous ce nom s’explique probablement par la renommée du « cabinet des Bains » dans l’appartement d’hiver. Ce dernier fut doté d’un riche décor peint conçu par Eustache Le Sueur et exécuté par Charles Poerson et Charles Errard. Cf. Bresc-Bautier/Fonkenell 2016, p. 324-326, 330-333., du nom de la pièce principale de ce niveau. On ne saurait
imaginer de décor plus riche que celui-ci. Toutes les pièces sont revêtues de
dorures sur bois, les moulures sont remarquablement sculptées et de belles
grotesques sont peintes sur les panneaux compartimentés. Dans l’une des piècesLe peintre paysagiste Francesco Maria Borzoni (1625-1679), originaire de Gênes, a réalisé en 1664 plusieurs grands paysages pour l’appartement d’hiver, également mentionnés par Brice ; cf. Brice 1971 (éd. 1752), t. I, p. 63. Nous n’avons pas d’informations sur cette commande ni sur sa destination. Cette pièce se trouvait peut-être avant le Petit Cabinet de l’appartement d’hiver. Cf. Coural 2011, p. 173., on peut
voir beaucoup de paysages peints à la fresque. Les plafonds sont, selon l’usage
français, des voûtes à fond plat richement dorées, décorées de belles peintures.
Tous les tableaux sont ici de Francesco Romanelli, un Italien.
24r
La salle des
Bains abrite les portraits peints d’après nature des ancêtres de la reine, de
Philippe Ier à Philippe IV. Cette
pièce est la plus belle de toutes, même si elle n’est pas aussi riche que le
cabinet. Les
murs sont revêtus de boiseries dorées, entre lesquelles sont interposés des
pilastres ioniques de marbre noir, dont les chapiteaux et les pieds sont de
bronze doré. Le plafond lui aussi est entièrement doré ; sur les panneaux, des
grotesques sont peintes en clair-obscur avec du lapis-lazuli. Une partie du sol
de la pièce est légèrement surélevée et pavée de marbre ; c’est là qu’a été
installée la baignoire de marbre blanc. Cet espace est séparé du reste de la
pièce par une belle balustrade de marbre. La salle des Antiques qui est juste à côté peut être
regardée comme un joyau d’architecture. Elle est entièrement recouverte de
marbre ; les niches sont décorées de belles colonnes, toutes en marbres rares.
Ces niches abritaient autrefois des statues antiques qui ont à présent été
transportées à Versailles. La dernière pièce de cet appartement est la
salle des
Suisses qui permet de regagner le vestibule.
Les quatre caryatides, travail d’une rare beauté et excellent dans ses proportions, sont
reproduites tout à fait fidèlement dans le Vitruve de Perrault. Les caryatides qui figurent au sommet
du pavillon que l’on traverse pour entrer dans le Louvre du côté des
Tuileries, face
à la cour, sont faites à l’imitation de celles-ci, mais elles sont moins
soignées. C’est Goujon qui les a sculptées ; il a laissé à Paris quantité d’œuvres
magnifiques. Dans cette salle, on trouve aussi une importante série de moulages
de plâtre que le roi a fait réaliser de la façon la plus précise à Rome sur les formes
antiques, afin d’en avoir de bonnes copies.
Depuis le Louvre, on peut emprunter
la rue
Saint-Honoré, où il y a beaucoup à voir, et arriver en premier lieu
au Palais-Royal
offert au duc de
Chartres par le roi mais habité à présent aussi par son père,
le duc
d’Orléans. De l’extérieur, le palais n’a rien d’imposant, car sa
hauteur est très réduite ; malgré tout, compte tenu de l’espace qui s’étend
devant et de sa largeur, il est tout à fait passable. À l’intérieur, trois
appartements principaux sont surtout à voir, celui de Madame, celui de
Monsieur, et
le troisième du duc de
Chartres. Le premier est très bas de plafond mais richement
décoré, les pièces sont aussi très petites, l’une d’entre elles est ornée de
boiseries dorées, dont les panneaux sont occupés tantôt par des toiles, tantôt
par des miroirs. L’autre appartement est un peu plus haut de plafond et plus
spacieux. C’est surtout le cabinet qui est très opulent : les murs ornés
d’encadrements dorés sont entièrement recouverts des plus magnifiques
miniatures. Sur une belle petite armoire marquetée est exposé un assez grand
nombre de médailles d’argent en rangées superposées, qui sont toutes
simultanément à hauteur de vue. Dans cet appartement, les cheminées sont
maintenant aménagées avec des miroirs à la mode française la plus
répandue ; la tablette est très saillante
24v
par rapport au reste de la cheminée et on peut ainsi y
poser des objets. Pour rejoindre le troisième appartement, celui de la duchesse de Chartres,
on traverse la galerie qui est ordonnée à la manière ancienne avec un plafond
plat à poutres apparentes richement sculptées et dorées par endroits. Les murs
sont ornés d’une manière tout à fait somptueuse et agréable avec plusieurs
contrefaits qui représentent, grandeur natureLes portraits étaient plus grands que nature, cf. Thuillier/Brejon de Lavergnée/Lavalle 1990, p. 240. et en pied, les plus grands et les
plus célèbres personnages du royaume de France. Au-dessus de ces figures et dans les
intervalles qui les séparent, on a ménagé quantité de panneaux plus petits sur
lesquels sont peintes les histoires les plus remarquables de ces personnages. À
l’exception d’un petit nombre de contrefaits proches de la porte donnant sur
l’appartement de la duchesse de Chartres, dont le portrait de Turenne, tout a été
peint par le célèbre Simon
Vouet.Knesebeck méconnaît à l’évidence le rôle de Philippe de Champaigne, en dépit de sa contribution décisive au décor de la galerie aux côtés de Simon Vouet. De par leur disposition, leur taille, leur hauteur de
plafond et leurs proportions, les appartements de la duchesse de Chartres
sont beaucoup plus beaux que les précédents. Le grand escalier de ce palais est
superbe, mais ne présente cependant aucune nouveauté et ne peut rivaliser avec
celui des Tuileries.
Le jardin est très
beau, il a été aménagé selon l’invention de Le Nôtre.
est située juste un peu plus loin du côté
de la porte
Saint-Honoré. De l’extérieur, elle présente un aspect très
simple. L’intérieur est assez correct avec une ordonnance de pilastres d’ordre
dorique. On dit qu’elle a été dessinée par Lemercier. À côté de l’autel se dressent deux
statues, l’une de notre Sauveur le
Christ, l’autre de Saint
Roch, dues toutes deux à Anguier. Du côté gauche, une chapelle est
consacrée à saint André. Un tableau y représente la crucifixion de ce saint, par Jouvenet.
se situe plus loin, sur le côté
gauche, au milieu, en face de l’actuelle nouvelle Place royale. Même si la façade de
l’église donne sur la cour intérieure, du côté de la porte Saint-Honoré, le
portail ci-contre a été installé à l’extérieur, à l’entrée du couvent, juste en
face de la statue équestre, ce
qui fait une belle parade.
La façade de l’église est passable ; on en trouvera un croquis tout
à fait fidèle dans la première partie de la Topographia Galliae de Zeiler. C’est le premier édifice qui a fait la
renommée de Mansart
l’Ancien. L’intérieur de l’église est très modeste, à l’exception
des chapelles sur les deux côtés, décorées pour la plupart de riches boiseries.
Celles-ci se composent principalement d’encadrements aux belles dorures entre
lesquels sont intercalés de petits tableaux. Le marbre n’est pas très abondant.
La chapelle des Rostaing, sur le côté gauche en entrant, est la plus belle ;
elle possède de petites colonnes romaines en marbre extrêmement rare, qu’on
tient pour antiquesCharles, marquis de Rostaing (1573-1660), a fait décorer trois chapelles familiales à Paris : aux Feuillants, aux Célestins et à Saint-Germain-l’Auxerrois. Celle des Feuillants a été décorée à partir de 1612. Elle est connue par une gravure de Jean Lepautre (reproduite dans Millin 1790, t. I, section V, pl. 3, p. 15 ; voir l’exemplaire des collections numérisées de la bibliothèque de l’INHA). Les statues de Charles et de son père Tristan de Rostaing (mort en 1591), représentés en priants, se trouvent aujourd’hui à Saint-Germain-l’Auxerrois ; cf. Willesme 1986, p. 45 (ill. 56).. Dans la chapelle suivante, sur le même côté, figure un tombeau qui se compose d’un
buste de marbre blanc posé sur un petit piédestal surmonté d’un support arrondi
Dans l’original allemand, Knesebeck
écrit « auf einer Rundung (fém.) » :
« sur un arrondi ». ; à côté se tiennent encore deux
statues de marbre blanc.
25r
Le tombeau le plus
distingué est celui du comte Henri d’Harcourt, en marbre à festons dorés, dont on peut
voir une élévation dans la figure qui suit. Sur les côtés, les consoles du
piédestal sont dans un marbre gris entièrement dépourvu de veines, qui n’est pas
très beau d’aspect mais compte parmi les plus rares.
L’autel est simplement en bois, mais il est presque entièrement
doré. Le retable est une Assomption par Bunel, une peinture assez convenable, déjà un peu ancienne.
25v
Avant d’en venir à la description de ce couvent, j’aurais dû songer
à une demeure qui
se trouve plus loin sur le même côté. J’en ai dessiné la façade que l’on peut
voir sur la figure suivante ; à ma connaissance, personne d’autre n’en a réalisé
une gravure. Pourtant, elle n’est pas moins remarquable que les plus grandes
façades des meilleurs hôtels. Elle a été construite par un certain Henry PussortCf. Brice 1701, p. 125-126 :
« La maison de Henry Pussort, Doïen des Conseillers d’Etat, mort l’an
1697. L’entrée de cette Maison est embellie d’un excellent morceau
d’Architecture, formé de deux Colonnes Ioniques, avec un Attique au-dessus,
dans lequel sont les armes de ce Magistrat. Les proportions de l’ouvrage
sont tres-regulieres, & le tout ensemble forme un objet agréable. Les
dedans de ce Logis ont aussi de la beauté & de l’agrément. Le Jardin sur
tout, quoique fort resserré, a tous les ornemens que l’on lui a pû donner.
On y voit entr’autres choses quatre Perspectives, peintes par Nicolas
Montagne de l’Académie. Bertin, Trésorier des Parties Casuelles a acheté
cette Maison en 1697. & y a fait faire des réparations
tres-considerables. Comme c’est un homme tres-riche & qui a des meubles
magnifiques, cette Maison sera sans doute une des plus considerables de
Paris, & dans laquelle il y aura beaucoup de belles choses à
voir. » .
26r26v
La place où se trouvait auparavant le palais de Vendôme est à
présent fermée sur les quatre côtés ; un très bel édifice en occupe trois ; sur
le quatrième, vers la rue
Saint-Honoré, la place est entièrement ouverte. À l’arrière
s’élève une grande arcade à travers laquelle on a vue sur la belle petite
église récemment construite
d’un couvent de religieuses ; tout cet ensemble est très
harmonieux. J’ai dessiné une partie de cet édifice dans la figure qui suit.
Les colonnes étroites devraient cependant être un peu plus
distantes les unes des autres, afin de pouvoir abriter des niches de statues. De
tous ces bâtiments, même la façade n’est pas totalement achevée. L’aménagement
est conçu de telle sorte que, derrière les arcades, un espace de circulation
doit rester libre, comme sur la place Royale. Le reste doit être aménagé en logements. L’aile
qui donne sur la grande porte doit abriter la Bibliothèque du roi et le
logis du bibliothécaire.
Derrière cette place est en train d’être édifié un
beau couvent des
Capucines ; l’église est entièrement terminée et le chantier du
reste du bâtiment est déjà assez avancé. Il est de faible hauteur mais très
vaste,
27r
et la construction est tout à fait régulière.
L’église est très simple du point de vue de l’architecture. L’intérieur est
entièrement lisse et l’extérieur n’est orné que d’un petit portail dont le
croquis figure ci-dessous.
L’architecte de la grande place tout comme de ce couvent est
Mansart le
Jeune, qui est actuellement en charge de tous les bâtiments du
roi.
D’autres l’attribuent à d’Orbay qui jouit à Paris d’une bonne estime.
Mansart a imité
ici la bonne église des filles
de la Visitation de la rue Saint-Antoine, dessinée par son cousin
Mansart
l’Ancien. Il a repris le nom de ce dernier alors qu’il s’appelait
Hardouin ;
Mansart l’a
adopté et nommé légataire de tous ses biens. Mais l’ordonnance de cette église
ne saurait rivaliser avec celle de la précédente. À l’intérieur, elle ne
présente rien qui soit digne d’éloges, hormis sa grande clarté.
Dans l’église, deux chapelles valent la visite ; elles se font
exactement face. Dans celle qui se trouve à gauche en entrant, on peut voir le
tombeau du célèbre duc Charles de
Créquy ; dans celle de droite, le tombeau du grand ministre d’État
François Michel Le
Tellier, marquis de Louvois. Ces deux tombeaux sont en
marbre et, de même, l’ensemble des chapelles sont entièrement revêtues de
marbre, ce qui est superbe. J’ai dessiné ici les deux tombeaux.
27v28r28v
La première œuvre a été dessinée par Mazeline et Hurtrelle, deux
sculpteurs reconnus de Paris, mais la seconde, plus belle encore, a été exécutée par
l’excellent Desjardins et par Van ClèveAinsi que par François Girardon. Voir Maral 2015, p. 478 et 511.. Dans la chapelle de
Créquy,
l’autel qui fait face au tombeau est décoré de colonnes corinthiennes en marbre du BarbençonMarbre noir veiné de blanc.. Le retable représente
le Martyre de saint Ovide, il a
été peint par Jouvenet. Dans la chapelle de Louvois, l’autel est simplement orné d’une
peinture de l’Ascension du
Christ, par Coypel, entourée d’un
encadrement de marbre. Sur l’autel, en marbre blanc, un bas-relief entièrement
doré représente la mise au tombeau, un très beau travail.
Le grand retable est une Descente de croix de Jouvenet, une très belle peinture ; on voit
très bien qu’il a imité celle de
Le
Brun, et l’a surpassé.
Depuis les Feuillants, on peut descendre sur le même côté et, après s’être
dirigé vers la grande
porte, on arrive à l’église des Sœurs de l’Assomption, dont Marot a donné, dans
ses gravures, un plan, une élévation
et un profil tout à fait fidèles. Elle est due à l’architecte Charles Errard.
L’église tout entière se compose d’une grande coupole qui fait, à l’intérieur,
35 coudes de diamètre. Cette coupole présente une certaine lourdeur, et ne
possède pas de bonnes proportions comme les autres coupoles de Paris. À l’intérieur, les
têtes de chevrons ne sont pas bien ajustées et ne tombent pas exactement au
milieu des colonnes. À l’extérieur, devant l’église, on peut voir un portique à
colonnes corinthiennes non engagées, dont l’entablement est non seulement
dépourvu de têtes de chevrons, mais n’est même pas tout à fait convenable pour
l’ordre corinthien. Je l’ai dessiné ci-contre. Un connaisseur des bons édifices
m’a confié que cet entablement n’est pas proportionné par rapport aux colonnes ;
je n’ai pu le vérifier, du moins à l’œil nu.
De part et d’autre du portique, l’encadrement des
deux portes se présente comme dans la figure ci-contre. Je ne parviens pas à
comprendre à quoi servent les parties saillantes laissées à l’extérieur (a.) :
on ne peut pas en faire des sculptures adaptées à cet encadrement. Du reste,
celui-ci n’est lui-même pas très bien profilé. Dans cette église, les peintures
sont acceptables. Le maître-autel placé à droite de la porte en entrant est
surmonté d’un retable figurant
29r
la Naissance du Christ qui est
d’une assez bonne ordonnance, œuvre du célèbre Houasse qui est
actuellement directeur de l’Académie des peintres français à Rome. En face de la porte,
sur un autel plus petit, on peut voir un crucifix de Coypel l’Ancien et, au-dessus de la porte, une
fresque de l’Assomption par
Coypel le
Jeune.Peinte à fresque, en 1681, par Antoine Coypel pour l’église Notre-Dame-de-l’Assomption, l’œuvre aujourd’hui disparue représentait une Immaculée Conception de la Vierge. Il en subsiste une gravure réalisée vers de 1747 par Nicolas-Henri Tardieu (Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes et photographie, MFILM R-107825). Cf. Garnier-Pelle 1989a, p. 93. La coupole est ornée de caissons de formes octogonales
allongées avec des cadres dorés ; tout en haut est peinte une Assomption par
Charles de La
Fosse, dans une manière assez particulière qui produit son effet.
Entre les fenêtres sont déjà accrochés cinq tableaux, qui représentent la vie de Marie, peints
par plusieurs maîtres de talent ; il en manque encore trois pour remplir tout le
pourtour de la coupole. Voilà ce que j’ai trouvé de remarquable en matière
d’architecture dans ce quartier. À présent, je voudrais me tourner vers l’autre
partie de la ville, du côté du faubourg Saint-Germain. La première construction notable que
l’on rencontre est un pont de pierre, appelé pont Royal, très bien exécuté en pierres de
taille ; on peut observer une particularité : aux deux extrémités, le pont
s’évase comme tous les ponts bien construits mais cet élargissement ne repose
pas, comme c’est d’ordinaire le cas, sur le socle massif de la rive mais,
au-dessus de l’eau, sur des voûtes dont la taille est étonnante et assez hardie.
Lorsqu’on a passé ce pont, on peut se diriger à droite vers
volontiers tenu pour le meilleur et le
plus fameux monument royal. À Paris, un livre
in-folio moyen est tout entier consacré à la présentation des plans,
élévations, profils et perspectives complets de ce bâtiment : je me suis donc
contenté d’un simple plan général de l’ordonnance des bâtiments.
29v30r
Cet édifice a été construit à part à l’extérieur de la ville, dans
le quartier
Saint-Germain, non loin de la Seine ; il fait face au cours la Reine et
possède par conséquent aussi une magnifique perspective. Il a été très joliment
bâti entièrement en pierres de taille, et peut être considéré comme un palais
royal. L’entrée principale est d’une ordonnance tout à fait singulière et un peu
bizarre. Après avoir franchi un grand fossé qui fait le tour du bâtiment, doté
d’un parement intérieur et extérieur et au fond duquel ont été aménagés de
petits jardins, on accède au grand parvis qui s’étend devant cet édifice par un
beau portail de fer forgé, et on a vue sur l’entrée principale et la façade la
plus soignée. Cette entrée se compose d’une arcade sur toute la hauteur du
bâtiment encadrant un mur en retrait doté, à l’étage, de trois fenêtres et, au
rez-de-chaussée, de la porte de l’hôtel flanquée de deux fenêtres. Dans
l’arc de cercle situé sous l’arcade, le roi a été représenté de profil à cheval, en
bas-relief, avec une armure à l’arrière. Sur le grand arc diaphragme ont été
sculptées des armes ; l’arc repose sur deux pilastres ioniques assortis de
piédestaux également surmontés d’armes, à l’avant des pilastres ; au lieu de
volutes, les chapiteaux sont ornés de cornes de bélier. La grande courDite la cour royale. possède,
sur la face intérieure, deux corridors ou galeries superposés à arcades
ouvertes, sans colonnes intermédiaires. À l’opposé de l’entrée s’élève le
portail de l’église des Soldats, qui se distingue par une double rangée de
colonnes indépendantes accouplées. Au-dessous, on peut voir quatre coupoles ou 8
colonnes ioniques à cornes de bélier ; au-dessus, 8 colonnes de l’ordre dit
français que d’Aviler décrit dans son Cours d’architecture. Les corniches et ornements sont d’une
exécution beaucoup plus sommaire dans ce portail que sur les murs qui entourent
la cour, alors que c’est lui qui aurait dû recevoir l’ornementation la plus
fournie. Les quatre angles de la cour (notés 1, 2, 3 et 4 dans le plan), qui
sont en saillie, sont surmontés sur le toit de deux chevaux de pierre en galop
volant, très bien dessinés et sculptés. Les lucarnes placées à l’extérieur sur
l’avancée du mur de façade et à l’intérieur sur les côtés de la cour sont
remarquables, les autres sont très simples. Je les ai dessinées ici.
30v31r
À l’intérieur des bâtiments, on peut voir partout de beaux
escaliers. Les grands escaliers placés des deux côtés de l’église, en
particulier, peuvent être considérés comme des chefs-d’œuvre. Ils sont
construits dans une belle pierre de taille, le long d’une cage d’escalier
carrée, en vis suspendues comparables à des voussures placées en hauteur. Dans
les ailes latérales donnant sur la grande cour, quatre longues et hautes salles
du rez-de-chaussée sont décorées de peintures représentant les conquêtes du
roi, mais
elles sont pour la plupart très effacées et difficiles à identifier. Aux deux
extrémités étroites sont accrochés, au-dessus des portes, des tableaux de
Le Brun à la
gloire du roi.
L’un d’entre eux, juste à côté de l’entrée, est encore frais et on voit
clairement qu’il représente le roi dans les nuages, un foudre à la main ;
Le Brun a
réalisé cette œuvre avec beaucoup de soinLes dessus-de-porte des quatre réfectoires de l’hôtel des Invalides ne sont ni de la main ni du dessin de Le Brun, qui travaillait à cette période au plafond de la galerie des Glaces du château de Versailles. Les décors sont de Friquet de Vauroze, Michel II Corneille et Joseph Parrocel. Cf. Lacaille 2005, p. 155.. Des deux côtés, dans chaque
réfectoire, trois tables peuvent accueillir de 300 à 600 couverts, sans compter
ceux qui purgent une peine en étant assis au milieu et contraints de boire de
l’eau. En entrant à gauche, on accède aux cours des soldats malades, dont les
bâtiments sont bas de plafond et forment une croix dont les pièces se rejoignent
au centre dans un octogone. Les côtés de la croix sont comme de longues salles
garnies de part et d’autre de lits de malades ; au milieu de l’octogone se
dresse un autel que tous les malades peuvent voir. À l’extérieur, ces bâtiments
sont bordés d’étroits couloirs qui, comme les salles de l’hôpital elles-mêmes,
sont un peu surélevés par rapport aux cours. Ces couloirs étroits abritent les
lieux d’aisances qui sont ainsi placés de manière à ne pas dégager de mauvaises
odeurs.
En outre, les conduites d’eau de ce bâtiment sont très
remarquables, raison pour laquelle je les ai fait figurer dans le plan général.
Dans le bâtiment d. se trouve un système de pompage qui fait remonter l’eau
d’une fontaine à l’aide de mulets ; sous le toit du bâtiment, l’eau se déverse
dans un grand bassin ; de là, des conduites de plomb la font circuler dans tout
le bâtiment, indiquées ici par des lignes en pointillé. Ces eaux et les eaux de
pluie sont ensuite évacuées ensemble vers la grande cour et de là, comme
l’indiquent les lignes ondulées, elles se déversent enfin à l’extérieur du
bâtiment en passant sous l’entrée principale.
Ce qu’il y a de plus magnifique à voir, c’est la
double église.
Celle qui donne sur la grande cour est réservée aux soldats et bordée des deux
côtés de belles colonnes corinthiennes entre lesquelles on trouve, au niveau
inférieur, des arcades bien proportionnées formant des chapelles et, au-dessus,
des arcades très basses formant des galeries. Pour le reste, cette église ne
présente aucune particularité notable, elle est très simple mais son ordonnance
est bonne. J’ai davantage observé l’autre église qui ouvre sur la ville. J’en ai déduit
que les Français n’étaient pas encore tout à fait corrects dans leur manière de
dessiner les bâtiments, à l’exception de Perrault. Cette église est le chef-d’œuvre de
Mansart le
Jeune. Elle a été entièrement voûtée d’une coupole de pierres de
taille et elle est très richement ornée de sculptures. Son exécution est
irréprochable et les sculptures sont d’une facture vraiment délicate,
31v
mais elles ne sont pas encore terminées. Selon
l’usage français, on commence par construire les murs. La façade extérieure est
dorique dans sa partie inférieure, et corinthienne dans sa partie supérieure.
Les colonnes doriques sont accouplées et elles ont un défaut que je signalerai
également plus loin à propos de l’église des Minimes : les moulures des bases et des
chapiteaux se touchent. Cependant, cette faute énorme et scandaleuse ne saute
pas autant aux yeux ici que dans l’église des frères Minimes que je viens d’évoquer.
Pour bien montrer l’erreur commise, j’ai établi ici un plan précis des
colonnes du milieu du portail. J’ai cependant commis moi-même une bévue en
fixant l’entrecolonnement extérieur à 7 modules alors qu’il est de 7 1/2 ; mais cela
ne change rien ici. À Clagny, le même M. Mansart a commis cette faute
irresponsable de manière beaucoup trop visible, comme je le signalerai le moment
venu, et il aurait mieux fait de ne pas s’égarer en choisissant cet ordre.
32r
La faute commise ici est la suivante : l’architecte a utilisé
des mutules sur la corniche, ce qui est absolument prohibé lorsqu’on a affaire à
des colonnes doriques accouplées. J’ai dessiné ici fidèlement à la fois
l’entablement dorique et l’entablement corinthien placé au-dessus, sans que les
éléments soient rendus à l’échelle, car je n’ai pas pris leurs mesures des
moulures : cela ne valait pas la peine. Du reste, il faut reconnaître que le
profilage de ces entablements est assez bon, même si les modillons de la
corniche corinthienne sont beaucoup trop longs.
L’intérieur de l’église est riche d’un nombre considérable de
sculptures, toutes d’une facture extrêmement délicate. Cependant, l’architecte a commis
une erreur tout à fait manifeste sur la corniche qui, comme ses autres bévues,
peut d’autant plus lui être reprochée que les architectes français se flattent
de maîtriser la correction de l’architecture jusque dans ses ultimes subtilités.
L’erreur consiste en ce que les modillons de la corniche située sous la coupole
se rejoignent d’une façon qui n’est pas heureuse, comme on peut le voir sur le
dessin suivant.
Au moment où j’ai visité cette église, on venait de construire en
plâtre le maître-autel qui doit servir pour les deux églises. Il se compose de
six colonnes torses comme celui du Val-de-Grâce. De façon générale, on ne peut que
féliciter les Français de commencer par construire entièrement en plâtre les
ouvrages qui, comme cet autel, doivent ensuite être exécutés en marbre, et de
présenter ainsi de véritables maquettes abouties qui permettent de se rendre
compte très clairement de l’effet produit par l’ouvrage à venir.
32v
À l’extérieur, on peut déjà voir de belles statues de marbre
blanc : entre autres, deux anges assis sur la corniche du portail principal, dus
à Van Clève,
sont particulièrement remarquables. Sur le fronton figurent deux statues
couchées censées être l’œuvre de CoysevoxLes statues n’étaient pas couchées mais en position debout. ; mais l’éloignement ne permet pas de
reconnaître avec une entière certitude leur délicatesse. Depuis l’hôtel des Invalides, en
revenant vers la ville, il faut absolument voir le collège Mazarin, situé
juste en face du Louvre de l’autre côté de la Seine ; il est très bien dessiné. À ma connaissance,
il n’existe qu’un profil de
l’église gravé par Marot, ce qui est regrettable.
J’en propose ici une esquisse mais je ne saurais dire si elle est fiable du point de vue des
mesures et dans le détailDans l’original
allemand, Knesebeck utilise le mot minutiis du latin
minutia, ae (fém.) : petite parcelle,
poussière et minutus, a, um (adj.) :
petit.. J’ai voulu du moins dessiner le plan de l’église de façon
aussi fidèle que possible, car j’en ai trouvé la disposition tout à fait
plaisante.
33r
À l’extérieur, l’église est ornée de
colonnes corinthiennes de proportion convenable, mais beaucoup de colonnes sont
trop rapprochées, ce qui n’est pas beau, comme on peut le voir sur le plan. Sur la
corniche figure un bandeau de denticules mais ceux-ci ne sont pas taillés ; il
s’agit là de bâtiments annexes censés être moins ornés. Sur l’attique qui
s’étend de part et d’autre du fronton et qui ressemble à un alignement de socles
ont été placées six paires de statues qui font une très belle parade. À côté de
la coupole se tiennent d’abord deux évangélistes de part et d’autre, les autres
sont quatre Pères de l’Église grecs à droite, et quatre Pères de l’Église latins
à gauche. Dans le fronton, autour de l’horloge, deux femmes sont étendues ;
l’une porte un marteau et une cloche, l’autre une règle et un livre ; toutes ces
sculptures sont bien exécutées. Au-dessus de l’autre porte de l’église, des
anges volants en bas-relief portent les armes du cardinal. À chaque fois, un
entrecolonnement correspond à 7 modillons, et un modillon à 5 denticules. Mais
le décompte de ces derniers n’est pas tout à fait précis, car on en trouve
parfois 6. Les entablements qui jouxtent les colonnes sont trop hauts et, dans
les ailes du bâtiment, les arcs diaphragmes des arcades placés entre les
colonnes sont trop larges. Il semble qu’on arrive à 9 1/2 modules pour 7 modillons. En haut,
sous la coupole, des piliers romains sont dotés de 3 modillons de 5 modules.
À l’intérieur, l’église est construite de façon nette et régulière
en blocs de grès tendre sculpté, mais les chapelles ne comportent pas les
colonnes de marbre dont l’usage est indiqué en pareil lieu. L’église est tout à
fait claire et l’architecture d’une ordonnance très pure. Le tombeau de Mazarin, en
particulier, mérite la visite. Il est placé au fond à droite en entrant ; il est
indiqué sur le plan par un A. En voici l’ordonnance, assez semblable à celle du
tombeau de Louvois
décrit plus haut.
Un piédestal assez élevé se dresse sous un arc sculpté de marbre
gris rouge, auquel sont adossées trois statues de métal. Le caveau est en marbre
noir à pieds dorés, la statue du cardinal et les anges sont en marbre blanc. Ils
sont l’œuvre de Coysevox tandis que les statues de métal sont de B. Tuby. Le travail de
ce tombeau est si magnifique qu’il est unique dans tout Paris. J’en ai donné une
esquisse approximative dans la planche qui suit. En particulier, la robe du
cardinal, étendue sur le cercueil, est d’une facture excellente et travaillée
avec le plus grand soin.
Au-dessus du maître-autel, on peut voir un tableau de la Circoncision du Christ qui
est une très bonne peinture de PoussinKnesebeck se trompe ici, il s’agit d’une
œuvre de Tommaso Luini (aujourd’hui conservée au musée des Beaux-Arts de
Nancy, INV 52)..
Toute la disposition est aussi d’une rare inventivité ; elle
produit très bien son effet et ne contribue pas peu à la commodité : voilà
pourquoi je l’ai dessinée approximativement dans la planche qui suit, simplement
au trait. J’ai rendu très précisément la disposition, mais les angles de la
construction et les mesures n’ont pu être évalués qu’au coup d’œil.
33v34r
J’ai laissé de côté certains détails de pièces reculées que je n’ai
pas pu voir ; ces autres pièces ne sont pas aussi irrégulières qu’on peut le
voir sur le plan. La bibliothèque est la principale pièce à visiter, les autres ne
présentent aucune particularité remarquable. Les livres sont tous rangés dans
des armoires fermées avec du grillage, le travail d’ébénisterie et de sculpture
est très bon, et la dorure ne contribue pas peu à la beauté de cette pièce
étroite et longue comme une galerie et dont, dans sa partie inférieure, le plan
est en L. J’ai trouvé dans cette bibliothèque la belle description de la
maison
Barberini à Rome, ornée de magnifiques figures, dont le titre est le
suivant : Ædes Barberini ad Quirinalem a
ComiteHieronÿmo Tetio Perusino. fol. Rom. 1642.
Depuis ce collège, en s’enfonçant plus avant dans le faubourg ou le quartier
Saint-Germain, on arrive au couvent des Jésuites ou noviciat des Jésuites. Je
n’ai visité que l’église
qui est dessinée très proprement. La façade a été reproduite de
façon très fidèle à son état actuel dans Zeiler, Topographia Galliae. Première
partie ; même le nombre des triglyphes, dont l’ordonnance est très
exacte dans ce bâtiment, a été respecté. Le travail des ébénistes sur les portes
a lui aussi été reproduit très précisément, il est donc tout à fait inutile
d’ajouter quelque chose. Certains font grand cas de cette façade et il est
indéniable que son architecture est plus pure que celle de l’église des
Grands-Jésuites ; cependant, je ne vois pas en quoi les proportions
sont particulièrement heureuses, je trouve au contraire que les deux
volutesDans l’original allemand,
Knesebeck utilise le terme controforti, de l’italien
contrafforte (masc.) : contrefort.
qui jouxtent l’ordre ionique de la partie supérieure sont très lourdes. De
surcroît, comment peut-on parler de perfection alors que les métopes doriques
sont plus larges que hautes ; on ne saurait faire l’éloge d’un tel choix pour un
édifice aussi isolé. Pour le reste, on peut saluer la précision avec laquelle la
combinaison a été observée dans cette façade. Les niches ne contiennent pas
encore de statues, comme on le voit également dans le croquis de ladite Topographia
Galliae.
À l’intérieur, on a eu recours à l’ordre dorique : dans les métopes
ont été représentés toutes sortes d’instruments de messe et d’église. On peut
louer la grande clarté de cette église. L’architecture du maître-autel n’a rien
de particulier, mis à part le tableau de Poussin, où saint François-Xavier est représenté en train de faire
un miracle, et qui est fort estimé, à juste titre.
L’architecture de cette église n’a absolument rien de remarquable mais, à l’intérieur, quelques
curiosités méritent une visite. Elle est surmontée d’une petite coupole sur
laquelle est représentée l’Ascension d’Élie : la chute du manteau produit un
très bel effet. On dit que cette œuvre a été peinte par Bertholet FlémalLe nom Bartolet Flamael utilisé dans
l’original allemand était en usage dans les descriptions des monuments de
Paris du XVIIIe siècle
; aujourd’hui, c’est le nom Bertholet Flémal qui est usité. C’était un
peintre liégeois et non brabançon. , un peintre brabançon. Le
maître-autel est très joliment décoré de colonnes corinthiennes en marbre de
DinantMarbre noir, dit aussi
« marbre noir de Dinant ». et d’un certain nombre de
statues représentant les plus excellents saints
34v
qui sont les
patrons de cet ordre. Sous la coupole, ont encore été aménagées deux belles
chapelles. Dans celle de gauche figure une Vierge à l’enfant de marbre blanc dans une niche décorée
de quatre colonnes corinthiennes de marbre brèche. Cette statue est de très
bonne facture et les Français eux-mêmes en font grand cas même si elle a été
sculptée d’après des modèles du Bernin par un élève du fameux Algardi, nommé
Antonio
Raggi, autrement dit par un Italien. Cependant, ils trouvent que
l’enfant Jésus est trop grand par rapport à sa mère ; pour ma part, je n’ai rien
vu de tel.
Appelé aussi palais du Luxembourg, le
palais d’Orléans est l’un des édifices les plus remarquables de Paris. Ce palais est un
parfait exemple de ce que les Français appellent la manière grande : ils la
tiennent en très haute estime mais ne savent pas la mettre en pratique dans
leurs ouvrages. C’est Jacques de BrosseSalomon de
Brosse (1571-1626) a parfois été nommé, par erreur, « Jacques de
Brosse » ou « de Brosses » dans certaines biographies jusqu’à
la fin du XIXe
siècle. qui a été l’architecte de ce magnifique bâtiment dont on peut
voir la représentation dans le recueil
de bâtiments français de Marot en 4 tomes et dans la Topographia
Galliae de Zeiler mentionnée plus haut. Il ne faut pas
s’attacher aux petits détails de l’architecture de l’édifice, faute de quoi on
trouvera beaucoup à redire (l’ordre dorique de la frise est beaucoup trop petit
et l’ordonnance est affreuse), mais considérer surtout la composition
d’ensemble, absolument superbe. Si un palais était construit d’une manière aussi
pure que celui-ci a été décoré, on ne saurait rien imaginer de plus magnifique.
À l’intérieur, l’entrée principale est circulaire et surmontée d’une coupole
taillée avec beaucoup d’application ; elle est bordée, sur son pourtour, de
piliers corinthiens ; on ne saurait mieux faireLe pavillon d’entrée montre un ordre toscan en bossage à
l’extérieur et un ordre corinthien à l’intérieur.. L’escalier
principal est lui aussi absolument magnifique et considérable, les pièces sont
vastes et très riches en décors sculptés, réalisés selon le goût ancien qui
n’est plus apprécié aujourd’hui ; au plafond, les poutres sont visibles, toutes
richement sculptées, avec beaucoup de dorures. Le plus magnifique à voir est la
galerie située
à gauche de l’entrée ; elle possède des fenêtres des deux côtés, entre
lesquelles l’écart est si grand qu’on a placé dans l’intervalle de grandes
toiles peintes par le célèbre Rubens en l’espace de deux ans, ce qui est
vraiment étonnant. Elles représentent une allégorie de la vie de la reine Marie de
Médicis ; le coloris est tout à fait incomparable, les vêtements sont
peints de façon extraordinaire, mais l’invention et l’ordonnance sont plus
remarquables encore. Il vaut la peine de donner une description de chacun des
tableaux et on peut s’étonner que les Français, qui ont mis tant d’efforts et
d’application pour reproduire en gravure les galeries et d’autres œuvres de
Mignard,
Poussin,
Le Brun et
autres, n’aient pas encore fait de même pour celle-ci. De quoi la jalousie
n’est-elle pas capable !Le cycle ne sera
reproduit que plus tard, entre 1707 et 1710, Jean-Baptiste Nattier
fournissant 24 sanguines gravées par Gaspard Duchange. L’ouvrage sera
finalement publié sous le titre La gallerie du palais du
Luxembourg peinte par Rubens, Paris, Duchange, 1710 (voir sur Gallica). L’ordre des tableaux est le suivantBien que Knesebeck utilise ici les descriptions du cycle de Marie de Médicis données par Brice dans son guide, il les abrège et y ajoute ses propres observations ; cf. Brice 1971 (éd. 1752), t. III, p. 381-398. , quand on arrive par le bâtiment principal.
35r1.Au-dessus de la porte et en face,
symétriquement, les portraits en pied et grandeur
nature des parents de la reine Marie de
Médicis qui a fait construire le palais et
peindre cette galerie. Cependant, ces contrefaits ne sont pas de
Rubens
mais de Van
DyckKnesebeck se trompe, les portraits de François Ier de Médicis et de Jeanne d’Autriche sont bien de la main de Pierre Paul Rubens et non d’Antoine van Dyck.. Au centre, on peut voir au-dessus de la cheminée le portrait de la reine en
costume d’amazone par Rubens. 2.Plus loin, sur la gauche, figure une toile sur laquelle les
Parques filent la vie de la reine.
Avec une mine et un visage pleins de tendresse, Junon prie Jupiter de
faire en sorte que le fil soit long.3.Une figure féminine représentant Pallas
tient dans ses bras un enfant, la reine, et pose sur elle un regard
particulièrement pénétrant : le feu que Rubens savait
mettre dans les yeux est tout à fait inimitable et surprenant ; autour
d’elles, plusieurs femmes les regardent et s’affairent à leur service. Au
premier plan, retenant un lion, est allongé un fleuve qui représente AlphéeLe dieu fleuve de la mythologie grecque Alphée veut sans doute évoquer ici le fleuve Arno qui traverse Florence, ville de naissance de la reine., tandis que
de nombreux amours répandent des fleurs et toutes sortes de regalia,
et face au dieu fleuve, deux amours tiennent un bouclier orné d’un lys français.4.C’est la jeunesse de la
princesse. Elle est figurée jeune, debout, devant
Pallas assise, et apprend à écrire. Dans les airs, Mercure désigne la scène
d’un air admiratif. À côté se trouve un personnage qui joue de la viole de gambe,
et à ses pieds ont été déposés un luth, un livre et une palette avec couleurs et pinceau,
ainsi qu’un buste. Les trois Grâces se tiennent debout derrière la princesse ; celle du milieu, qui lui ressemble, lui tend
une couronne de fleurs.5.Une Renommée apporte, au roi de France Henri IV, le portrait de la princesse que lui montre Pallas debout derrière
lui. Deux enfants jouent avec les armes du roi et, loin dans
le ciel, Junon et Jupiter, arrangent le mariage.6.Le mariage par procuration de la
reine en présence des représentants du roi n’a rien de très allégorique.7.Un navire au port avec,
en dessous, au premier plan, quantité de nymphes et tritons et un vieux
Fleuve aux cheveux lisses et gris. La France, en jeune personne coiffée d’un casque
et de nombreuses figures féminines acceuillent la reine, et le duc de FlorenceL’assertion de Knesebeck selon laquelle il s’agirait d’un « duc de Florence », en pensant peut-être à Ferdinand Ier de Médicis, n’est pas correcte. En réalité, le tableau de Pierre Paul Rubens représente un chevalier inconnu de l’ordre de Malte.,
se tient en armure sur le bateau.8.Je ne comprends pas bien ce tableau. Une femme se tient sur un char
tiré par deux lions, montés par deux amours tenant des
flambeaux. Dans les nuages, Jupiter est avec Junon qui l’implore avec ardeur, peut-être d’accorder fertilité à la reine. 35v9.La naissance de Louis XIII,
une œuvre magnifique. La reine en particulier y est représentée de façon singulière.
Elle est assise toute pâle dans un fauteuil, les pieds nus, en pantoufles,
et on voit que le peintre a déjà maintes fois observé des femmes à l’accouchement.
Elle regarde avec une émotion particulière, mélange de douleur et de joie,
le nouveau-né confié aux soins de plusieurs figures féminines. De l’autre côté,
une femme présente à la reine une
corbeille de fruits où se trouvent encore cinq autres nourrissons. Au
loin, le Soleil monte au ciel pour annoncer l’heure de la naissance.10.Le roi, prévoyant
de partir en voyage, est accompagné de nombreux hommes en armure, remet à la
reine, qui tient entre eux deux le prince par la main,
un globe bleu orné de lys français, symbolisant ainsi la remise de la régence.11.Le couronnement de la reine, une peinture magnifique qui n’a rien d’allégorique,
hormis deux figures volant dans les airs, qui déversent derrière elle les monnaies d’une corne d’abondance. Ce tableau est plus grand que les autres avec de nombreux personnages,
parmi lesquels des cardinaux portraiturés avec exactitude et ressemblance.
Leurs robes sont d’un rouge magnifique et d’une fraîcheur telle qu’elles semblent avoir été peintes la veille.12.Au fond de la galerie, un tableau
remarquable : la mort du
roi. Le souverain est élevé au ciel par deux hommes,
en abandonnant ses armes sur terre. Une femme tenant une palme tombe à genoux, affligée et,
une autre, un trophée au bout d’une perche, s’arrache les cheveux et pleure de douleur.
La reine en deuil,
avec une curieuse expression où se mêlent héroïsme et affliction, est assise sur le trône et
et accepte à contrecœur la régence que lui présentent ses vassaux agenouillés et les autres émotions dépeintes dans ce tableau ne sauraient être décrite par aucune plume.13.Une assemblée des dieux dans le
ciel. Un jeune homme nu (qui a quelque chose de commun et de bourgeois),
les cheveux roux et et la tête nimbée de lumière : c’est
Apollon. Pallas et Mars chassent la Fureur, l’Envie, la Discorde et
l’Infidélité. Ce tableau est symétrique de celui qui est placé en
face et il aurait le même format si une fenêtre n’avait pas contraint à en
découper une partie. 14.La reine est
figurée en amazone à cheval, que survole une Renommée tenant une
couronne de lauriers. Une figure féminine la suit et, la main sur un lion, tient dans l’autre les bijoux36r de la reine et les lui présente d’un air triste. Au loin se trouve une ville dont s’approche l’armée de
la reine. 15.L’alliance avec l’Espagne par le
don en mariage d’une princesse française à l’Espagne et d’une
princesse
espagnole à la FranceCe tableau célèbre le double mariage d’Anne d’Autriche, fille de Philippe III d’Espagne (à droite), avec Louis XIII, et celui de la sœur du dauphin, Élisabeth de Bourbon (à gauche), avec le futur roi d’Espagne Philippe IV.. Les deux princesses sont côte
à côte et chacune va être emmenée par un jeune homme en armure. Il semble que la scène ait lieu sur un pont,
avec trois Fleuves allongés au premier plan. Dans le ciel une gloire d’anges déverse toutes sortes de bienfaits d’une corne d’abondance.16.La reine est sur
un char. D’un côté il y a un homme ailé et une femme casquée,
de l’autre des femmes nues avec des fleurs devant lesquelles marchent trois enfants.
Au premier plan, des satyres sont allongés à plat ventre comme si on les avait jetés à terre ;
devant eux un chalumeauFlûte rustique faite d’un roseau percé de trous. et quelques livres.
17.La reine avec
le roi
son fils sur un bateau, que font avancer quatre femmes.Ces femmes représentent, de gauche à droite, la force, la religion, la justice et la concorde.18.La reine est
attaquée par plusieurs hommes en armure. Elle tient une balance
dans la main. D’un côté se trouve un jeune homme casqué, et au-dessus flottent
deux figures dont l’une tient un flambeau et l’autre un manteau. 19.La reine, assise sur son trône,
se voit apporter un rameau d’olivier par Mercure, à côté duquel se tient un cardinalIl s’agirait soit de Louis III de Lorraine, cardinal de Guise, soit du cardinal Louis de Nogaret de La Valette.
qui conseille à la souveraine de l’accepter. Elle-même est flanquée, d’un côté, d’un second cardinalC’est le cardinal François de La Rochefoucauld.
et, de l’autre, d’une dame. La scène fait allusion à la paix conclue avec son fils.20.Ici est représentée l’action de grâce de la
reine. Mercure conduit la reine à un temple tandis qu’une femme,
derrière elle, lui pose une main sur l’épaule. Une autre femme s’avance au premier plan,
tenant un flambeau renversé sur les armes qui gisent à terre. Elle est
poursuivie par l’Envie.21.La reine est élevée au ciel.
Un ange terrasse un dragon par la foudre, ce qui fait allusion à sa mortL’hydre est foudroyée non par un ange mais par le Courage (ou la Justice divine)..22.Le roi et la
reine sont assis côte à côte dans le ciel et ce dernier lui
présente un cœur. Un vieillard ailé conduit vers eux une figure féminine
presque nue.
Dans la pièce précédente se trouve, en haut de la cheminée, un
tableau représentant David assis,
tenant la tête de Goliath sur un piédestal. Ce tableau faisait au moins
5 pieds de large sur 7 à 8 de haut, et il est magnifiquement peint. Il me
semblait être une œuvre de RembrandtLa description de Knesebeck nous permet de dire qu’il s’agit sans doute de l’œuvre de Guido Reni qui était conservée au palais du Luxembourg à cette période (aujourd’hui au musée du Louvre, INV 519). L’erreur de l’auteur, qui pense être face à un Rembrandt, reste cependant surprenante. Voir Baudouin-Matuszek 1992, p. 289-290..
36v
Dans le jardin, il n’y a rien à voir de particulier, sinon, du côté
gauche en entrant, une balustrade de marbre blanc, de très belles proportions et
de bonne facture. Je pensais que Blondel en avait donné un dessin fidèle dans
son Cours d’architecture et j’ai
omis de faire de même, mais je m’aperçois que je me suis trompé.
En quittant le palais d’Orléans, on
accède en peu de temps à ce superbe bâtiment. Marot en a donné un plan et une élévation extrêmement soignés, je
m’abstiendrai donc de le dessiner. La façade donnant sur la place à l’extérieur
est d’une ordonnance tout à fait agréableAdam Perelle a publié une gravure intitulée Vue et perspective de l’église de la Sorbonne montrant la façade de l’église sur la place avec à droite la chapelle du collège de Cluny et à gauche l’école de la Sorbonne.. Sa partie inférieure est d’ordre
corinthien sans piédestaux, l’étage supérieur d’ordre romain avec piédestaux ;
cependant, je ne trouve pas très heureux qu’elle comprenne des colonnes dans la
partie basse et un petit nombre de pilastres en saillie dans la partie haute,
d’autant que les colonnes du bas sont presque indépendantes et supportent un
entablement de faible envergure. En haut comme en bas, elles sont ornées de
cannelures, et les colonnes du bas sont assorties de baguettes jusqu’à la
troisième section. Les quatre statues qui figurent dans les niches sont bien
faites, on dit qu’elles sont de Guillain. La coupole est rythmée de pilastres
corinthiens qui se rejoignent, mais elle est un peu trop aplatie. Son toit, son
pied et la lanterne qui le surmonte sont cependant très bien dessinés. Les 8
contreforts qui s’alignent au pied de cette coupole, en particulier avec les
petits enfants placés devant, sont assez réussis, raison pour laquelle je les ai
dessinés à part. Les petits enfants et les rubans ou bandeaux du toit sont en
plomb doré.
Sur la coupole, la lanterne est entourée d’un chemin de ronde en fer
forgé. En somme, si cette coupole possédait une coque un peu plus haute, comme
celle des Invalides, il n’y aurait rien à redire justement. À l’intérieur, la
façade qui donne sur la cour du collège est très modeste, elle n’a pas d’ordre, mis à part un
portique de 6 colonnes corinthiennes détachées, en façade, et au total 8
colonnes détachées devant la grande porte qui se dresse dans l’axe de la
courKnesebeck se fie ici à la gravure de
Marot (voir Gady 2005, p. 96, fig. 58) qui montre un porche à six
colonnes, les deux aux extrémités étant dédoublées par deux supplémentaires,
placées derrière. Ce dispositif ne correspond pas à l’état sur place, cf.
Brice 1971 (éd. 1752), t. III, p. 199-200 : « Ce portique occupe le milieu d’une des
faces laterales de l’Eglise, & il est du genre de ceux que Vitruve nomme
prodomos ou decstyle, étant formé de dix colonnes, dont six sont de face
& les quatre autres en retour sur les côtez. » Voir aussi Gady 2005,
p. 249, fig. 170.. Un détail produit une impression tout à fait
misérable : pour graver sur le portique l’inscription Armandus Johannes Card. Dux de Richelieu, Sorbonae provisor,
aedificavit Domum et exaltavit templum Sanctum Domino M. DC. XLII.
Traduction de Nicole Taubes : « Armand Jean du Plessis cardinal-duc de Richelieu, proviseur de la Sorbonne, bâtit cette maison et érigea ce temple dédié à la gloire de notre Seigneur en l’an 1642. » on a renoncé à toutes les moulures de
l’architrave : la frise est ainsi réduite à une plaque lisse et on ne voit
apparaître le profil des moulures de l’architrave qu’aux extrémités.
37r
L’intérieur de l’église présente encore davantage d’agrément que
l’extérieur : il est entièrement orné de pierres de taille et de pilastres
corinthiens entre lesquels s’intercalent des arcades bien proportionnées.
L’église forme une croix dont la coupole vient coiffer le centre ; mais les
quatre coins de la croix sont complétés par un si grand nombre de chapelles que,
de l’extérieur, l’église a la forme d’un rectangle. Voici les éléments les plus
remarquables de l’intérieur. Le maître-autel, dont le plan et l’élévation sont
présentés dans la figure ci-dessous, a été dessiné par Le BrunEn 1647, un maître-autel devait être exécuté sur un dessin de Jacques Lemercier de 1646, mais ce projet a finalement été refusé en 1681. Un deuxième projet est attribué à Pierre Bullet, mais en définitive le marché est signé avec Le Brun en date du 24 juin 1686. Cf. Lours 2016, p. 349..
Il est dommage qu’il ne soit pas surmonté d’un tableau et que les piédestaux
soient en marbre noir avec des ornements dorés. Les colonnes sont tout à fait
plaisantes, en marbre dans les tons rouges avec des bases, chapiteaux et
modillons dorés et des rosaces sur la rainure de la corniche. Le crucifix est d’une facture
magnifique, on dit que c’est la dernière œuvre d’Anguier. La Vierge est
de Le Conte et
le saint Jean d’un maître dont le nom m’échappe. Les anges sont de Tuby et de Van ClèveIl s’agit de Louis Le Conte, Guillaume
Cadaine, Jean-Baptiste Tuby et Corneille van Clève. Cf. Brice 1971 (éd. 1752), t. III,
p. 189-190 : « Cet Autel qui est d’une très-belle ordonnance, est
placé au fond de l’Eglise, […] Sa décoration consiste en six colonnes
Corinthiennes de marbre de Rance, dont les bases & les chapiteaux sont de
bronze doré d’or moulu, aussi-bien que les modillons & les rosons du
sofite de la corniche. Les deux colonnes du milieu forment un corps en
ressault couronné d’un fronton, sur lequel il y a deux Anges appuïez qui
sont de deux Sculpteurs differens, de Marc Arcis & de Corneille
Vancleve ; les autres colonnes sont en retraite, & deux encore en retour
des deux côtez, entre lesquelles on a placé deux excellentes figures de
marbre, dont l’une represente la Vierge, qui est de Louis le Comte ; &
l’autre, saint Jean l’Évangeliste, de Cadene. Un grand Attique regne sur
tout ce riche ouvrage, où sont placez des Anges, qui sont de Jean-Baptiste
Tubi. […] ». Le tout en marbre blanc.
Un autre élément remarquable est l’autel qui figure dans la partie
de la croix située en face de la porte de la cour ; il est surmonté, non d’un
tableau, mais d’une statue de la Vierge à l’enfant assise, placée dans une niche
à coquille. Cette niche est surmontée d’un entablement à fronton et attique
reposant sur quatre colonnes corinthiennes. Le corps de l’autel est en marbre
blanc veiné de gris, la Vierge est entièrement en marbre blanc et les colonnes
sont taillées dans un marbre de couleur tout à fait plaisant. Devant l’autel
s’étend un beau parterre de marbre entouré d’une jolie balustrade. L’ensemble de
la composition est tout à fait simple mais très bien proportionné et
intelligemment conçu. Il en existe des gravures, je n’en ai donc pas fait le
dessin. La Vierge est due à un sculpteur italien du nom de RaggiKnesebeck se
trompe, la statue de la Vierge a été sculptée par Martin Desjardins (l’œuvre a disparu) ; cf. Bresc-Bautier/Hottin 2007, p. 31., estimé des
Français eux-mêmes. Ce Raggi aurait été un
élève du célèbre Algardi à Rome.
En troisième lieu, la pièce la plus remarquable est le tombeau du cardinal de
Richelieu. C’est un quadrilatère de pierre sis au milieu
du chœur, sur lequel on peut voir le cardinal à demi allongé posant sa tête entre
les bras de la Religion. À ses pieds est assise la Science en pleurs, un voile
devant les yeux. À l’extrémité du tombeau figurent des génies qui portent les
armoiries du cardinal assorties des insignes de l’ordre. Le tout en marbre
blanc, un travail magnifique de l’excellent Girardon. Enfin, sur les murs, on peut encore
voir dans des niches les douze apôtres et quatre anges sculptés en tuf : le
dessin est bon, l’action aussi ; ces sculptures sont de Guillain. Un seul
tableau est remarquable dans cette église : dans l’arcade située au-dessus du
maître-autel, Dieu le Père dans une gloire, par Le Brun. Certains
apprécient également les bustes des quatre évangélistes peints dans les
pendentifs de la coupole. Ils seraient l’œuvre de Champaigne.Réalisée par Philippe de Champaigne en 1641 sur commande de Richelieu, la peinture de cette coupole dérive de celle de Saint-Pierre de Rome. Le programme iconographique montre une hiérarchie des anges avec Dieu figuré au centre et, sur les pendentifs, les pères de l’Église (Grégoire le Grand, saint Ambroise, saint Jérôme et saint Augustin). Cf. Lours 2016, p. 347-348.
37v38r38v
Depuis cette église, on peut se rendre à
En dépit de ses abords simples,
cet édifice mérite cependant d’être examiné de près en raison de la superbe
qualité de son exécution. L’architecte en a été l’excellent médecin Perrault, et dont les
ouvrages sont préférés par les connaisseurs à ceux de tous les autres
architectes français, non sans susciter la jalousie visible de ces derniers.
Dans ses commentaires sur Vitruve,
Perrault a donné un plan, une élévation, une vue de profil et une vue en perspective de
l’Observatoire, qui sont tout à fait précis. La voûte n’est pas construite en
fausses pierres de taille ; on n’en trouve pas d’exemple dans ce bâtiment. Le
grand escalier principal est extrêmement hardi et le dôme suspendu tout à fait
remarquable : alors que les autres prennent appui sur des murs, celui-ci est
construit sur une trompe placée dans un angle. On peut également noter la
présence d’un bon nombre de voûtes à fond plat. Toutes les pierres sont de
grande taille et bien ajustées. Dans la voûte, elles forment partout une figure
régulière. L’ensemble de la voûte est construit en pierres de taille, et elle
supporte même une terrasse en pierre de taille entourée d’une belle balustrade
de pierre. Rien n’est en bois dans l’édifice hormis les battants de portes et
les châssis de fenêtres. Il repose sur des fondations très profondes et comprend
une double cave sur deux niveaux ; le tout a été bâti avec des murs extrêmement
épais. En somme, ce serait un bâtiment construit pour l’éternité s’il ne
présentait déjà ici et là quelques fissures dues à la trop grande hardiesse des
pierres de taille de la voûte. Les portes sont elles aussi surmontées d’un
linteau droit bâti en pierres qui semblent taillées de frais, ce qui peut
paraître tout à fait surprenant pour l’ignorant ; mais l’avantage de cette
taille apparaîtra sur le croquis que je présente dans la page suivante : fig. 1,
l’apparence extérieure du linteau ; fig. 2, le plan de ce dernier vu d’en
haut ; fig. 3, le plan vu d’en bas. Ceux qui connaissent l’art de la taille
des pierres pourront facilement reconstituer à partir de là toute la
construction, dont les Français font du reste plus de cas qu’elle ne le
mériterait, d’autant que la plupart de ses spécimens sont soit renforcés avec
des tiges de fer intérieures, soit sont mal ajustés, ce qui n’est pas beau. De
surcroît, il a fallu ajouter encore, par précaution, beaucoup de tiges de fer
au-dessous.
Comme cet édifice comprend cinq voûtes superposées, toutes en
pierre de taille, l’avant-corps a été percé de part en part d’une cavité ronde
par laquelle on peut voir directement le ciel depuis la cave inférieure, la plus
obscure ; on prétend qu’on peut ainsi voir les étoiles en plein jour. La hauteur
totale correspond à 144 pieds ou 288 marches. Au dernier étage, une pièce abrite
toutes sortes de maquettes curieuses de machines construites ou inventées pour
la plupart par Perrault, notamment
39r39v1. Une machine pour nettoyer les ports, mais qui n’est pas aussi bonne que
les machines hollandaises.2. Une machine à scies multiples pour tailler les pierres, qui, de même,
n’est pas comparable aux machines hollandaises.3. Une belle machine pour enfoncer les pieux.4. Un double levier d’un genre particulier.5. Une vis sans fin.6. Toutes les machines inventées par Perrault qu’il décrit dans son VitruveLes livres IX et X du Vitruve de Claude Perrault (Perrault 1673) contiennent en effet de nombreuses planches montrant des « machines » diverses : horloges à eaux (p. 271, pl. LVI ; p. 273, pl. LVII), machines à élever des charges importantes (p. 281, pl. LVIII ; p. 283, pl. LIX), moulins (p. 293, pl. LXI), etc..
Toutes ces maquettes sont très bien faites mais elles ne
remplissent plus leur fonction comme elles le devraient. De plus, on peut voir
aussi un miroir concave en métal qui ne peut être comparé ni par la taille ni
par l’effet à celui qui a été réalisé par M. von Tschirnhaus à Dresde, d’autant qu’une
grosse tache en occupe le centre, faute d’un polissage adéquat ou par l’effet de
la rouille.
Lorsqu’on entre dans le bâtiment par la porte avant de l’étage
inférieur, on remarque encore un vestibule octogonal surmonté d’une voûte à fond
plat avec un œil-de-dôme ouvert de 12 pieds de diamètre sans le cadre ; la
voûte, entourée d’une balustrade sur sa partie haute, mesure 22 pieds de large
et 2 pieds et demi de haut. De là, en revenant vers la rue Saint-Jacques, on
arrive à la magnifique église
du Val-de-Grâce, volontiers comptée parmi les plus beaux
édifices de Paris.
L’ordonnance extérieure et intérieure
de cette église est plus correcte que celle de la Sorbonne. À l’extérieur,
la partie inférieure de la façade est d’ordre corinthien et l’étage d’ordre
romain. Parmi les églises françaises, celle-ci est considérée, à côté de
l’église
Saint-Gervais, comme une des plus belles par la taille et la
magnificence. À l’origine, c’est le célèbre Mansart l’Ancien qui en a assuré la direction,
mais non seulement il n’en a pas exécuté le plan ni la maquette, mais son projet
était si coûteux à tous points de vue qu’il a suscité une levée de boucliers.
Voilà pourquoi, de dépit, il a abandonné le chantier, qui a été réalisé par
Muet. Les
entablements de la façade extérieure se présentent comme suit.
40r
Le profilage de ces entablements n’est pas optimal, les talons sont
trop informes, et les bandeaux inférieurs de l’architrave corinthienne sont
beaucoup trop petits par rapport aux autres, etc. Pour le reste, tout semble
assez bien proportionné. Dans la partie inférieure de la façade, deux niches
abritent des statues de saint Benoît et de sainte
Scholastique, par Anguier. Au-dessus de celles-ci se trouvent encore deux autres
niches ; au-dessus des pilastres latéraux, deux autres emplacements ont
également été prévus pour des statues sur des piédestaux, mais elles ne sont pas
encore exécutées. Tout en haut sur le fronton qui surplombe l’église, on peut
voir les armes de la reine
Anne d’Autriche à côté des armes de France, portées par deux
anges ; Regnaudin est censé en être l’auteur. Au-dessus de la porte
principale, quatre colonnes sont en surplomb et forment un portique ; elles sont
surmontées de leur propre fronton dans le champ duquel a été sculpté le nom
couronné de la reine. Sur la frise de ce portique, on peut lire Jesu nascenti Virginique Matri« À Jésus naissant et à la
Vierge Mère ».. Cependant, la proportion des
entrecolonnements n’est pas optimale : la colonne centrale est à 10 1/2 modules des autres,
mais celles des côtés sont distantes de 4 modules. Les proportions sont de 4
modules pour 3 modillons, et 10 2/3 modules pour 8 modillons. Ceci mis à part, la
simplicité unie à la majesté font l’excellence de cette façade et la rendent
magnifique.
À l’intérieur, cette église est certes petite, mais très bien
construite avec des pilastres corinthiens réunis par des arcades de bonnes
proportions ; sur les arcs diaphragmes, des figures assises, en bas-relief,
entourent un écusson couronné qui porte le chiffre de la reine, Æ. L’ordre est
surmonté d’une voûte en berceau entièrement composée de pierres très joliment
sculptées par Anguier. De chaque côté de la nef, trois arcades donnent sur
autant de chapelles qui n’ont cependant pas encore été ornées. Les piliers
corinthiens possèdent des cannelures dont les baguettes sont plates jusqu’à la
troisième section, comme celles de l’église Saint-Pierre de Rome, imitée ici sur ce point comme
sur bien d’autres. Notamment l’absence de cimaise sur la corniche. Si l’on avait
ajouté au-dessus de l’entablement un petit attique bas pour supporter la voûte,
l’effet produit aurait été encore meilleur. Pour le reste, on peut également
reprocher à cette église l’absence de chœur, mais c’est le dessous de la coupole
qui est censé en tenir lieu. Entre autres éléments remarquables de cette église,
on mentionnera principalement les trois suivants.
1. Le maître-autel est certes connu par une
gravure, mais si
incorrecte que j’ai décidé de présenter ci-après un plan et une élévation
vraiment fidèles. Comme on pourra le voir ici, j’ai pleinement respecté les
proportions de toutes les mesures principales de cet ouvrage, à ceci près
que, sur l’autel, Joseph, Marie
et l’enfant Jésus ont été dessinés un peu plus grands que nature.
Ils sont l’œuvre d’Anguier le Jeune, et sont considérés comme son meilleur
ouvrage. Les six colonnes torses font plus de 2 pieds de diamètre,
40v41r41vsoit 9 modules pour 9 pieds 2/3. Elles sont
sculptées dans un marbre noir tout à fait singulier et rare, taché et veiné
de blanc ; à ce titre, elles n’ont pas leur pareil. Les chapiteaux, bases,
modillons, rosaces et feuillages enroulés sont recouverts d’une dorure mate.
Les piédestaux sont en marbre noir, surmontés d’applications d’ardoise et de
métal doré. Les anges, palmettes et consoles du baldaquin portent une dorure
brillante. Le baldaquin a été dessiné par Gabriel Le Duc. 2. Le pavement de marbre de l’église est composé de toutes
sortes de marbres de couleur, les plus beaux qu’on puisse imaginer ; il n’a
pas son pareil à Paris et alentour. Sous la coupole, on peut voir une rosace
comme celle que d’Aviler a reproduite dans son Commentaire sur Vignole, planche 103, à la lettre Y, mais
les quadrilatères entre les blancs ne sont ni noirs ni bordés de rouge. Sur
trois côtés de cette rose, les carrés et octogones de couleur sont bordés de
noir, comme le même d’Aviler l’a bien noté. Sous les nerfs de la voûte qui
surplombe la nef s’étendent, de la même façon, de larges bandeaux ponctués
de grands quadrilatères.Cf. d’Aviler 1710, t. I, p. 353. 3. Les belles peintures à la fresque de Mignard qui
figurent en haut sur les coupoles sont également très remarquables. Ce ne
sont pas seulement les meilleures œuvres de ce maître excellent ; on dit
même que ce sont les meilleures peintures à la fresque de toute la
France.
Elles représentent une gloire des bienheureux dans les cieux, un ensemble de
figures presque innombrables, d’une bonne ordonnance et d’une bonne
disposition, qui agrandit considérablement la coupole. La peinture du ciel,
toujours plus lumineux au fur à mesure qu’on s’élève, est incomparable. À
Paris, on
peut se procurer une gravure excellente et très précise de ces peintures. Dans ses
œuvres, Molière leur a consacré un beau poème. 4. Autre élément remarquable, l’ensemble de la corniche
intérieure entourant la coupole et les quatre balcons qui surmontent autant
de petites portes dans les piliers de la coupole, les balcons étant
entièrement dorés ; les bustes des quatre évangélistes en bas-relief placés
au-dessus sont cependant sculptés en pierre, de très belle façon. Je n’ai pu
entrer dans le monastère qui est lui aussi le plus beau de Paris, à en juger
d’après les vues gravées
par Marot ;
celles-ci sont très fidèles, à ceci près que l’hémicycle qui jouxte, à
l’avant, la grande place située devant l’église, est de son invention. La
place sur laquelle donne l’église est entourée d’édifices en pierre de
taille ; à l’avant, cependant, le long de la rue, on a préféré installer
simplement une grille de fer forgé, au demeurant très belle. Les portails
toscans qui entourent cette cour sont gâchés par l’entablement courant sous
leurs frontons, qui n’est pas continu mais brisé.
En longeant la rue du même côté, on arrive au monastère et à l’église
L’église est très bien mise en valeur
dans une grande cour ; je n’ai vu que le portail parce qu’on m’a prétendu qu’il
n’y avait rien à voir de particulier à l’intérieur. La façade présente une
apparence un peu informe
42r
parce qu’elle est beaucoup plus large que haute.
Pour le reste, l’architecture est assez pure, même si les Français ne
l’entendent pas ainsi. En tout cas, le profilage est excellent : pour en donner
une illustration, j’ai dessiné ici la console du piédestal, le pied des colonnes
et l’entablement en ordre ionique situé au-dessous de l’ordre corinthien. Par
ailleurs, j’ai reproduit à titre de curiosité la façade exactement telle qu’elle
se présente, en améliorant seulement les proportions, pour qu’elle puisse être
comparée à la gravure publiée
par Marot, qui a
donné lui-même le plan de l’église. On verra ainsi que les proportions de mon
dessin sont non seulement meilleures que celles de l’ouvrage réel, mais sont
incontestablement les meilleures qu’on puisse employer dans une telle
configuration ; on constatera cependant que la façade est encore un peu trop
large et semble pour ainsi dire tassée. Le fait qu’elle ne produise pas un
meilleur effet ne tient pas seulement aux proportions mais à l’ordonnance
elle-même. Cependant, les proportions y sont pour beaucoup : la preuve en est
que la façade de mon dessin surpasse de loin et incontestablement en beauté et
en grâce celle qui a été bâtie et ornementée par Marot. Voir la fig.
III. Pour le reste, au vu de la propretéKnesebeck utilise en allemand les mots rein (en opposition à unrein, malpropre, qu’il emploie aussi), reinlich et reinigkeit (l’orthographe correcte de ce dernier terme est Reinlichkeit) que nous avons traduits par « propre », « propreté ». Ces termes sont d’une grande importance pour lui : il veut dire par là que l’architecture est appropriée à la fonction du bâtiment et au statut social du maître des lieux (ce que désigne également le terme « bienséance »). des lignes et de la qualité
du profil, il y a sans doute presque moins à redire à cette façade qu’à celle du
Val-de-Grâce.
Un peu plus loin se trouve l’église
qui, en dehors de sa
façade, ne présente rien de notable ; elle est simple dans sa manière, sans
ordre hormis sur le portail principal ; elle comprend deux tours plaisantes ; le
tout dans une grande manière superbe qu’on rencontre pour le reste très rarement
chez les Français. Il est cependant dommage que seule une tour ait été achevée ;
par suite, la façade ne se présente pas entièrement comme Marotl’a gravée,
42v
bien que son dessin soit par ailleurs tout à fait fidèle.
Devant le portail principal s’élève encore une colonnade dorique
très correcte et tout à fait ordinaire de quatre colonnes
isolées, de très grande taille, qui font 16 bons modules de haut. Les colonnes
centrales sont séparées par un intervalle de 10 modules ; les autres par un
intervalle de 5 modules des deux côtés. Cette colonnade est surmontée d’un
fronton bien proportionné. Si simple et commune que soit cette ordonnance, elle
a cependant en quelque sorte l’avantage de la beauté par rapport à toutes celles
qui, à Paris, ont
été conçues si artificiellement : voilà qui confirme une fois encore que rien ne
vaut la plus grande simplicité, lorsqu’on a affaire à une construction
intelligente et d’un format majestueux. Cependant, en dépit des bonnes
proportions de cette ordonnance, je ne peux m’empêcher de penser que
l’architecte qui l’a dessinée, Gittard, est un esprit capricieux et
singulier (j’ai été confirmé dans cette idée, on le verra plus loin, par la
visite du palais de
Saint-Cloud). Gittard a en effet choisi ici le profil le plus
absurde qu’on puisse imaginer ; on s’en rendra compte sur le dessin suivantL’architecte de cette façade est Daniel Gittard. Cependant, les marguilliers se sont passés d’un entrepreneur général pour suivre le déroulement du chantier, le résultat est donc très éloigné du projet de Daniel Gittard et la façade restera même inachevée avec la construction d’une seule tour sur les deux prévues. Cf. Lours 2016, p. 99-104..
Il est frappant de voir, notamment, que la baguette de l’architrave et
les cannelures du bas de la corniche sont plus grandes que le larmier lui-même,
d’autant plus que, dans l’édifice réel, elles sont proportionnellement encore
plus grandes que dans mon dessin, sans parler d’autres défauts qui sautent aux
yeux dans le croquis.
Depuis la rue
Saint-Jacques, on arrive à l’île du Palais, où l’on peut voir trois
constructions remarquables.
C’est le plus grand pont de Paris ; de par sa disposition et sa perspective, on
peut le préférer au pont
Royal, mais il ne peut rivaliser avec ce dernier du point de vue
de la précision de la construction. Ses piles sont plus fortes et ses arches de
plus petite taille : il est à peine deux fois plus long que le pont Royal et
comprend 14 arches alors que ce dernier n’en possède que 5. Ses dimensions sont
les suivantes. La longueur entre l’aile du Louvre et la pointe de l’île est de 500 pieds,
correspondant à 7 arches ; la partie massive qui se trouve sur l’île fait 140
pieds de long et le reste du pont, jusqu’au quai des Augustins, mesure encore 230 pieds, pour 5
arches. La largeur est partout de 72 pieds, dont 2 pieds des deux côtés pour la
rambarde ; les trottoirs, surélevés de deux pieds, font 19 pieds de large et il
reste 30 pieds pour la chaussée centrale. Sur les larges trottoirs, il reste
encore de la place pour toutes sortes de petites boutiques qui occupent 7 pieds
43r
et en laissent 12 pour le
passage. Lorsqu’on descend du Louvre et qu’on passe le pont, on peut voir sur l’autre arche, du côté
droit,
Il s’agit d’une presse hydraulique métallique à double effet à la
manière de Salomon de
Caus, et elle ne présente aucune particularité notable sinon les
8 vrilles de métal qui permettent de soulever ou de faire descendre la machine
tout entière en fonction du niveau de l’eau. Toute la machine est cachée à
l’intérieur d’une petite maison surmontée d’une belle horloge à carillon, la
seule qu’on puisse voir à Paris, mais qui est simple. Le nom de cette machine à eau lui
vient de son décor extérieur, placé dans une niche en arc de cercle reposant sur
une console en forme de terme portant une fontaine ; l’eau s’y écoule dans une
agréable cascade provenant d’une cuve située à proximité en dessous du toit ; à
côté de cette niche se tiennent le Christ et la Samaritaine, très joliment
dessinés et bien sculptés en grès tendre. Toute cette ordonnance, qui est plutôt
bonne, est censée être de Germain Pilon, qui était célèbre à l’époque d’Henri III, le
précurseur du suivant ; d’autres pensent que les statues ne sont que des
copiesLes sculptures sont dues à René Frémin (1672-1744). La pompe de la Samaritaine a été construite en 1607-1608, sous le règne d’Henri IV. Les mascarons du pont Neuf ont en revanche été sculptés par Germain Pilon (mort en 1590). Cf. Massounie/Prévost-Marcilhacy/Rabreau 1995, p. 82..
est plus d’une fois et demie plus grande
que nature, donc un peu plus petite que la nouvelle statue de la place Vendôme, dite aussi place des
Conquêtes. Le roi et son cheval ont été sculptés séparément ; du
reste, le dessin est bon et la fonte de bronze réussie. La statue est placée sur
un piédestal de marbre, avec des inscriptions bien dorées ;
43v
je n’ai recopié que celle-ci, placée à l’avant le
long du pont (car ces inscriptions ont suffisamment été reproduites dans les
livres) : Erico IIII. Galliarum Imperatori Navar. R. Ludovicus
XIII. filius ejus opus nicho. et intermissum pro dignitate
pietatis et imperii
pleni
pleniuset amplius absolvit.« À Henri IV / Empereur des Français / Roi
de Navarre. / Louis XIII son fils / a mené à terme cette œuvre qui avait
été commencée et délaissée, / pour répondre à ses obligations de piété
et à la plénitude / et l’ampleur de son Empire ».
Au-dessus de cette inscription, sur ce même piédestal, sont
figurées des actions du roi dans des bas-reliefs de métal. Aux quatre angles du
piédestal sont placées des statues de prisonniers en métal ; à leurs pieds
gisent des armes antiques. Le piédestal et toutes ses sculptures sont dues à un
Français nommé Francheville ; mais le cheval et le roi ont été sculptés à
Florence par
Jean de
Bologne, qui était natif de France mais a passé toute sa vie en Italie. La statue est
entourée d’une haute grille de fer forgé dorée par endroits.
Un vieil édifice gothique par son style mais vraiment magnifique. Il ne
présente pas de particularité remarquable sinon de beaux tableaux, en
particulier ceux qui, chaque année, sont offerts par les orfèvresLes « Mays » désignent les tableaux
commandés chaque année entre 1630 et 1707 (à l’exception des années 1683 et
1694) par la corporation des orfèvres pour être offerts, dans les premiers
jours de mai, à la cathédrale Notre-Dame de Paris, au rythme d’un par an.
Cette tradition remonte au XVe siècle.
Depuis 1533 on faisait offrande de petits tableaux. En 1630, les petits mays sont remplacés par de grandes toiles commémorant les
Actes des apôtres, d’après saint Luc, relatant l’activité missionnaire des
premiers disciples du Christ. Cf. Notter 1999, p. 23 (ill. 7), p. 27-52.. J’en reproduis ci-dessous le
catalogue : toutes les indications sont clairement données sur les cadres
des tableaux, elles sont donc certaines.
1. Année : 1630. Historia, Ac.
III, 1-7, par Lallemant.2. – – 1631. Le Miracle de la
Vierge Marie, censé avoir été accompli dans cette église, par
Lemoine.3. – – 1632. Histoire, Ac. V,
v. 1-10, de Vouet le Jeune.4. – – 1633. Ac. VII, 60,
de Lallemant.NB. 5. – – 1634. Une fête de la
Pentecôte. Ac. II, de Blanchard l’Aîné.6. – – 1635. Pierre guérit un
malade avec son ombre, de Laurent de La Hire. Je ne connais pas la
source : semble-t-il Ac. V, 15.7. – – 1636. De Létin,
Saint Paul dans
l’Aéropage d’Athènes, convertissant saint Denys.8. – – 1637. De Laurent de La Hire, la Conversion de
saint Paul, Ac. IX.NB. 9. – – 1638. Le roi Louis XIII
sacrifiant sa couronne à la Vierge Marie, de Philippe de
ChampaigneKnesebeck semble penser que le tableau est un may ce qui est une erreur, l’œuvre de Champaigne était effectivement à Notre-Dame, mais elle n’entre pas dans le cadre des commandes de la corporation des orfèvres ; il s’agit bien d’une commande royale dont les dimensions du tableau (342 x 267 cm), très proches de celles habituelles des mays (340 x 240 cm), ont pu créer la confusion.
.10. – – 1639. De Claude Vignon, Ac. VIII, 38.11. – – 1640. De Vouet le Jeune, Ac. X, 25-26.12. – – 1641. Du même, Ac. XII,
8-10.13. – – 1642. De Prévost, Ac.
XII, 2.14. – – 1643. De Poerson le père, Ac. III, 12.44r15. – – 1644. De Sébastien Bourdon, la Crucifixion de saint Pierre.16. – – 1645. De Corneille l’Ancien, Ac. XIV, 14.17. – – 1646. D’Errard, Ac. IX,
17-18.18. – – 1647. De Boullogne le père, Ac. XIX, 12, le Miracle survenu avec le tissu qui avait
touché le corps de saint Paul.NB. – – 19. 1648. De Le Brun, la
Crucifixion de saint André. Un pied de saint André est très
abîméKnesebeck emploie le terme «
citropié » dans l’original, signifiant probablement
« estropié », « mutilé »..20. – – 1649. De Boullogne le père, le Martyre de saint Simon.NB. – – 21. 1650. De Le Sueur, Ac.
XIX, 19.22. – – 1651. De Loir, la
Conversion du proconsul Serge par saint Paul. Ac. XIII,
6-12.23. – – 1652. De Le
Brun, une œuvre excellente, la Lapidation de saint Étienne. Ac. VII,
58-59.24. – – 1653. De Testelin, Ac.
IX, 40-41.25. – – 1654. De Poerson le père, Ac. XXVIII, 3-5.26. – – 1655. De Heince, Ac. XVI,
14.27. – – 1656. De Testelin, Ac.
XVI, 22.28. – – 1657. De Villequin, Ac.
XXV, 23.29. – – 1658. De Boullogne le père, la Décollation de saint Paul à Rome.30. – – 1659. De Corneille l’Ancien, Ac. X, 25-26.31. – – 1660. De Dudot, l’Adieu
de la Vierge MarieKnesebeck se
trompe : il ne s’agit pas de L’Adieu de la Vierge Marie au Christ mais de
Saint Pierre arrivant pour ressusciter Tabitha..32. – – 1661. De Paillet, le
Martyre de saint Barthélemy.33. – – 1662. De Coypel l’Ancien, l’histoire d’un miracle censé être survenu lors du martyre de saint
Jacques.34. – – 1663. De Hallé, Saint
Jean sur le point d’être jeté dans l’huile bouillante.35. – – 1664. De Blanchet, Ac.
VIII, 39.36. – – 1665. De Sorlay,Saint
Pierre veut fuir Rome et rencontre le Christ.37. – – 1666. De Heince, Ac.
VIII, 19-20.38. – – 1667. De Plattemontagne, Ac. XVI, 26-28.39. – – 1668. De Jean-Baptiste de Champaigne, Ac. XIV, 19.40. – – 1669. De Vignon le Jeune, Saint Barthélémy délivre du démon la fille de Polémon, roi d’Arménie,
et convertit son père.41. – – 1670. De Boullogne le père, l’Ascension.42. – – 1671. De Blanchard, le
Ravissement de saint André à l’approche de son supplice.43. – – 1672. De Cani, Ac. XVII,
34.44. – – 1673. De Corneille, Mt.
IV, 18-19.45. – – 1674. De Jouvenet, Mt.
IX, 2.46. – – 1675. De Claude Audran, Mt. XIV, 10-12.47. – – 1676. De Houasse, Saint
Étienne conduit à la lapidation par des sbires.48. – – 1677. De Ballin, Ac. XV,
39.44v49. – – 1678. De Verdier, Jn. XI,
43-44.50. – – 1679. De Boullogne le pèreKnesebeck se trompe sur l’attribution de l’œuvre : il s’agit de
Bon de Boullogne (1649-1717) et non de son père Louis I de Boullogne, dit Louis le père.,
le Paralytique à la piscine
de Bethesda.51. – – 1680. De Jean-Baptiste Corneille, Ac. XII, 7-8.52. – – 1681. De Coypel, une Assomption de la Vierge.53. – – 1682. De Cotelle, les
Noces de Cana. Jn. 2.54. – – 1683. D’Alexandre Ubelesqui, le Baptême du Christ. Mt. III.
En 1684, il n’a été fait don d’aucun tableau.55. – – 1685. De Poerson le Jeune, la Guérison d’un malade. Mt. V, 1-2.56. – – 1686. De Boullogne le Jeune, Un homme important s’agenouille devant Jésus ; je
n’ai pu voir s’il s’agissait du centurion de Capharnaüm ou du Romain. Rien
ne s’accorde complètement avec les Écritures. Il semble plutôt s’agir du
centurion ou du chef de la foule (Mc V, 22).57. – – 1687. De Hallé le Jeune, Mt. XXI, 12-13.58. – – 1688. De Chéron, Ac. XXI,
10-11.59. – – 1689. De Vernansel, Lc.
VIII, 54-55.60. – – 1690. De Chéron, Mt. XIV,
11.61. – – 1691. De Guillebault, Lc.
VII, 14-15.62. – – 1692. D’Alexandre Ubelesqui, Mt. IV, 23.63. – – 1693. D’Arnould de Vuez, Jn. XX, 27-28.64. – – 1694. De Parrocel, Lc.
III, 3.65. – – 1695. De Boullogne le Jeune, Jn. IV, 6-7.66. – – 1696. De Christophe, le
Miracle des cinq pains. Mt. XIV, 17.67. – – 1697. De Marot, Mt.
XXVIII, 8-9.68. – – 1698. De Vivien, l’Adoration des Mages.69. – – 1699. De Tavernier, Lc.
XXII, 61.
On prévoit de faire pour cette église un magnifique autel à
colonnes torses. Actuellement, on travaille à la partie haute de la maquette en
plâtre grandeur nature. Dans la croisée de cette église, les vitraux peints sont
également remarquables. Il est dommage qu’il y ait là trop d’éléments gothiques
en pierre et que les vitraux ne représentent pas de grands sujets comme ceux de
Gouda en
HollandeKnesebeck évoque les vitraux de l’église
Saint-Jean ou Grande Église de Gouda (en néerlandais : Sint-Janskerk ou Grote Kerk)..
Mais les couleurs sont ici presque plus belles encore et plus
brillantes. Les portes de cette église méritent aussi le détour : elles sont
entièrement couvertes de ferronneries et serrures très curieuses. Les chapelles
ont de belles boiseries et de plus, elles sont richement ornées de tableaux.
Dans deux chapelles du côté droit, on peut notamment voir deux toiles censées
avoir été peintes par Poussin avant son départ en Italie : l’une représente la Vierge Marie quittant cette
vie. On ne peut pas vraiment parler d’une mort ni dire non plus qu’elle
est menée vivante au ciel. L’autre est une Sainte Marie l’ÉgyptienneKnesebeck se trompe probablement en attribuant ce tableau à Poussin, comme le fait aussi Brice ; cf. Brice 1701, t. II, p. 347. Il est fort probable qu’il s’agisse d’un tableau de Lubin Baugin. Cf. Notter/Daguerre de Hureaux/Thuillier 2002, p. 190-193..
Après cette église, l’autre édifice notable que l’on
peut voir sur l’île
est
45r
Il est édifié à l’endroit où la rue du pont au Change fait un Y
avec la rue
Saint-Denis et où les maisons donnant sur la rue possèdent une
face étroite. On a construit là une arcade qui abrite ce monument ; celui-ci est
pour l’essentiel en métal mais une partie est également sculptée en pierre. Le
roi actuel
est représenté alors qu’il était prince et âgé de six ans environ ; il se tient
debout au centre sur un piédestal et il est surmonté d’une Renommée déposant sur
sa tête une couronne de lauriers ; à côté, en dessous du piédestal, figurent le
roi et la reine ses parents, grandeur nature,
en métal. On dit que ces statues sont très ressemblantes ; du reste, le dessin
est assez réussi. Plus bas, là où se trouve aussi l’inscription, on peut voir
des prisonniers à demi-allongés. Tout cet ouvrage est censé être de Guillain. Depuis
l’île, en
traversant la Seine,
on arrive sur la droite à la Grève ou la place devant
Du point de vue de l’architecture, l’Hôtel de
Ville est orné d’ordre corinthien, mais mêlé çà et là de maint désordre
gothique. Il ne présente donc guère de particularité notable, sinon, au-dessus
de l’entrée principale, une statue
équestre d’Henri
IV en moyen-relief, sculptée par un élève de Michel-Ange nommé
Biard
d’après le modèle de la statue de
Marc Aurèle que l’on peut voir à Rome sur le Capitole. À l’intérieur,
on accède par quelques marches à une cour surélevée mais très petite,
entièrement entourée d’arcades. En face de l’entrée principale figure sous l’une
de ces arcades la statue du
roi
actuel en pied, en marbre blanc, sur un piédestal de
marbre blanc. Tandis que le reste des colonnes de la cour est en pierre, celles
qui se dressent à côté de l’arcade ont été remplacées par deux colonnes de
marbre rouge. Le revêtement des arcs diaphragmes est aussi en marbre ; sur le
piédestal de la statue, on peut lire cette inscription en lettres d’or : Lodovico Magno Victori Perpetuo Semper Pacifico Ici et là ont été ajoutés quelques autres ornements dorés. Le roi est assez bien
rendu ; toute cette œuvre est de l’excellent Coysevox. Sur le côté droit en entrant, on
accède à un escalier doté de la disposition courante à deux rampes, rare
cependant dans des bâtiments si anciens. Il faut admettre que la construction de
cet escalier est assez jolie, et je suis tenté de croire qu’il n’est pas aussi
ancien que le reste du bâtiment. Cependant, on peut s’étonner de voir moins
d’ornements au-dessus de la rampe de droite qu’au-dessus de celle de gauche ;
l’une et l’autre sont surmontées de voûtes en berceau à fond plat, mais celle de
droite ne possède que des panneaux quadrangulaires simples alternant avec des
ovales qui encadrent un petit nombre de rosaces sculptées, tandis que celle de
gauche est beaucoup plus riche. Au centre, on peut voir un beau soleil et,
reproduites quatre fois autour, les armes de la ville avec le navire, entouré de
beaucoup de parties sculptées et, à l’extrémité, de très belles rosaces ; le
tout a été sculpté en pierre, plutôt bien. En haut, au-dessus de la sortie, on
peut voir encore une voûte gothique mais qui est un véritable chef-d’œuvre, avec
beaucoup d’arcades entièrement dégagées dont la découpe est d’une finesse
inouïe : elles forcent l’admiration.
45v
Pour le reste, il n’y a rien de particulier à voir
dans les salles, hormis les tableaux, qui sont le plus souvent de grandes
toiles, des contrefaits en grand nombre, notamment de Mignard, de Troy, Pourbus ou encore du
bon portraitiste Largillière. Depuis l’Hôtel de Ville, on accède facilement à l’église
dont le portail est le plus beau et
le plus magnifique de tout Paris. Marot a donné une gravure très précise de cette façade mais il a oublié d’indiquer que
les colonnes des deux rangées supérieures étaient entièrement cannelées, ainsi
que celles de la rangée inférieure jusqu’à la troisième partie du fût.
Cependant, le fait que la partie inférieure des colonnes doriques soit lisse
n’est pas très heureux. Pour le reste, les trois ordres grecs se superposent
dans de très bonnes proportions. Par suite, ce bâtiment peut être considéré
comme un modèle de symétrie, ordonnance, combinaison et de la manière grande. La
pureté de cette architecture et sa magnificence frappent immédiatement le regard
et le cœur. Il est cependant dommage que cette façade soit aussi mal placée et
qu’une moitié seulement donne sur une grande rue alors que l’autre est cachée
dans une ruelle perpendiculaire étroite. De loin, on ne peut en voir que la
moitié. Au-dessus de l’ordre dorique, l’ordonnance de l’entablement est bonne,
même si, au-dessus des colonnes accouplées, les métopes sont un peu plus larges
que hauts ; des festons ont été ajoutés pour mieux dissimuler ce défaut. Les
colonnes auraient pu être davantage rapprochées. Compte tenu des proportions de
la frise, la taille des métopes aurait été juste si l’intervalle entre les
colonnes avait été plus réduit. En effet, toutes les dimensions sont plus
grandes qu’à l’ordinaire : généralement, la hauteur des triglyphes correspond à
45/30 du module.
D’après mes calculs, la hauteur est ici de 46 4/5, ce qui est aussi par conséquent la
hauteur des métopes. Si l’écart entre les colonnes avait été réduit de 2 2/3 modules, la largeur
des métopes aurait été de 48 4/5 et la différence entre largeur et hauteur n’aurait été que de 2
modules, ce qui serait passé beaucoup plus inaperçu que la faute actuelle, comme
en témoigne le dessin que j’ai établi ici de l’entablement dorique de cette même
église, en me conformant à ces calculs pour représenter les métopes qui
surmontent les colonnes accouplées. On peut ainsi le constater, le calcul
de ces proportions aurait facilement pu être modifié pour parvenir à une
ordonnance tout à fait correcte.
Afin d’examiner à présent si les belles proportions
de cette magnifique façade pourraient encore être améliorées, je l’ai dessinée
telle quelle, sans respecter ses proportions. Il est
indéniable qu’à première vue, la façade originale présente un visage plus riant
que la mienne, parce qu’elle est plus élancée et plus élevée,
proportionnellement à sa largeur. Cependant, d’un autre côté, dans la mesure où
les étages de l’original ne rétrécissent pas suffisamment en allant vers le
haut, il faut admettre non seulement que la façade semble pour ainsi dire
suspendue en avant,
46r
mais que sa partie supérieure est trop lourde, alors que,
dans ma propre façade, la partie supérieure est mieux assise sur la partie
inférieure. Au demeurant, nul ne pourra dire que les parties superposées de ma
façade sont trop tassées : lorsqu’on observe longuement les deux façades l’une à
côté de l’autre, on a finalement l’impression que la façade originale est trop
étroite et que ses proportions sont moins bonnes que celles de la mienne. C’est
bien la preuve que les proportions de Goldmann, que j’ai ici observées, surpassent toutes les
autres. Du reste, l’ordonnance de l’ordre dorique est ici incontestablement plus
correcte. Les trois colonnades se superposent conformément aux plus belles
proportions, comme 4. 5. 6. : dans son Architecture, Scamozzi a amplement
fait la démonstration de leur beauté. Cependant, pour en revenir à l’église
elle-même,
j’ai représenté encore ici le profil de l’entablement ionique dans les
autres colonnades : l’architecte a été aussi prudent et ingénieux sur ce point
que dans l’ordonnance tout entière. Son nom est Brosse et cet ouvrage
est son chef-d’œuvre. Lorsque le Bernin est venu à Paris, cette façade et la
fontaine des Innocents sont
presque les seules constructions dont il ait fait l’éloge : rien ne lui a plu
sinon ce qui était majestueux. Au vu de la hauteur, il n’est pas facile de
reconnaître le profil corinthien. Dans cette église, on voit aussi que les
frontons brisés produisent un mauvais effet : au-dessus du champ central, le
larmier et ce qui se trouve au-dessus sont beaucoup trop en saillie et semblent
très fragiles. Cependant, compte tenu de l’ordonnance, l’architecte n’a sans
doute pu faire autrement : en effet, au-dessus de l’entrecolonnement
46v
central, l’architrave aurait été beaucoup trop à nu.
On peut remarquer enfin qu’il est très difficile et rare de superposer trois
colonnades sans commettre quelques fautes. Mais tout ceci n’empêche pas de
constater dans ce bâtiment comme dans le palais d’Orléans la hauteur d’esprit de de Brosse, qui lui a
valu une renommée particulière parmi tous les architectes français. À
l’intérieur de l’église, il n’y a rien à voir de particulier, hormis le retable et les vitraux peints
en clair-obscur qui représentent le martyre de saint Gervais et sont toutes de
Le Sueur.
Dans la nef sont encore accrochés 6
grands tableaux : le premier sur la gauche en
entrant est de Bourdon, les deux suivants de Le Sueur et, de l’autre côté, les trois sont de
Champaigne.
Parmi ceux de Le
Sueur, j’ai particulièrement remarqué celui où saint Gervais est
flagellé sur un banc : toutes les actions et les affects sont d’une exécution
superbe. Ces 6 tableaux semblent tous se rapporter à la vie de saint Gervais.
Au-dessus de la clôture du chœur figure un beau crucifix de Sarrazin qui est très bien dessiné. Depuis
cette église, on arrive à la rue Saint-Antoine et on peut y voir d’abord, sur le côté
droit,
qui possède, parmi toutes les
églises de Paris, la
façade la plus riche en ornements, mais par là même la plus laide, car ces
sculptures sont assez confuses, mal dessinées et mal exécutées, et de surcroît
couvertes de saleté et de poussière de la rue : la vue de cette façade cause un
vif déplaisir. Les proportions de l’architecture ainsi que son ordonnance ne
sont pas si déséquilibrées ; une gravure assez fidèle figure dans la Topographia Galliae, Première
Partie, de ZeilerDans Merian/Zeiller 1655-1661,
t. 1, p. 131.. L’intérieur est beaucoup moins orné, alors
que ce devrait être l’inverse, et, pour cette raison même, il est plus réussi
que l’extérieur. La coupole, cependant, est trop peu ornée, à l’intérieur comme
à l’extérieur. Elle est plus propre à l’intérieur. L’usage veut que le plafond
soit épousseté et nettoyé par quelqu’un qui, à cet effet, est élevé en hauteur
dans une nacelle de fer. Le maître-autel est également riche en colonnes de
marbre et en statues, mais, à la vue des unes et des autres, force est de
constater qu’on n’a pas fait appel aux meilleurs sculpteurs. La peinture est
plus belle : c’est une Assomption de
la Vierge MarieKnesebeck se trompe
et indique à tort une Assomption de la Vierge alors qu’il s’agit d’un
Saint Louis enlevé au ciel. La confusion était courante à cette époque tant
Vouet avait donné une attitude et un caractère féminins à la figure de Saint
Louis, pour laquelle il s’était fortement inspiré d’une Assomption de
Carrache. Cf. Sauval 1724, p. 464 ; Montgolfier/Willesme 1985, p. 34.. Sous la coupole, du côté gauche, se trouve une porte
flanquée de deux belles chapelles. L’une ne contient rien de particulièrement
notable sinon un tableau
représentant saint Pierre délivré de la prison par les anges. Dans
l’autre, cependant, on peut voir le superbe tombeau du prince Henri de Bourbon-Condé : son
cœur a été enterré dans ce lieu. Ce tombeau n’est pas une œuvre aussi
remarquable que celles dont j’ai présenté jusqu’ici des croquis ; ce qui mérite
la visite, c’est plutôt la balustrade qui entoure cette chapelle : au lieu des
balustres, celle-ci possède de beaux bas-reliefs figurant différentes victoires
des enfants d’Israël, d’après l’Ancien Testament, en fonte de métal ;
là-dessus, quatre Vertus, elles aussi en bronze, grandeur nature, se tiennent
sur des piédestaux. Du côté par lequel on entre, se tiennent deux génies, près
de l’entrée.
47r
L’un tient les armes du défunt, l’autre une
inscription. Eux aussi sont en bronze. Et toutes ces figures ne sont pas
seulement d’une belle exécution mais aussi bien dessinées. Au lieu d’un retable,
cette chapelle contient un crucifix devant lequel Loyolaest agenouillé dans une attitude de dévotion
profonde, à demi relevé. Deux colonnes supportent un fronton sur lequel deux
anges assis brandissent le nom de Jésus dans un soleil doré. Plus loin sur le
même côté, on peut voir le plus magnifique monument de tout Paris sous une arcade revêtue de plaques de marbre
sur lesquelles on a sculpté de beaux bas-reliefs. Il se compose de deux anges en
argent massif, grandeur nature, qui tiennent une couronne au-dessus du cœur du
roi Louis
XIII. Ils sont représentés sous l’arc diaphragme comme s’ils
étaient en train de voler. Le cœur et les draperies sont revêtus d’une dorure
d’un rouge rouille très flamboyant. Toutes les œuvres que je viens d’évoquer
sont de Sarrazin, un excellent sculpteur. Depuis cette église, on accède un
peu plus loin à la
Cette place, d’une très belle régularité,
est entourée de maisons toutes identiques, mais l’architecture en est naïve et
mesquine. Les arcades qui l’entourent ne sont pas proportionnées et trop
basses ; on peut donc dire que le dessin général est très bon et somptueux mais
qu’il a été gâché par l’exécution. Un autre facteur ne contribue pas peu à gâter
l’impression produite par cette place : c’est qu’elle est entièrement fermée ;
il faut vraiment faire un effort pour la trouver. La statue équestre est très belle,
notamment le cheval, dû à un autre maître que la statue du roi. Elle est un peu
plus grande que la statue
d’Henri
IV, mais plus petite que celle du roi actuel sur la nouvelle place. Les inscriptions qui figurent sur
le piédestal de marbre blanc de cette statue ont suffisamment été reproduites
dans des ouvrages. C’est Richelieu qui a fait ériger cette statue mais l’inscription n’a
été ajoutée, dit-on, qu’après sa mort ; là encore, elle trahit l’orgueil de ce
cardinal. Que ne peut la vertu, que ne peut le courage ?
J’ai donné pour jamais l’Heresie en son fort
Du Tage Imperieux j’aÿ fait trembler le bord,
Et du Rhin jusque à l’Ebre accrû mon heritage.
J’ay Sauvé par mon bras l’Europe d’Esclavage ;
Et si tant des traveaux n’ussent haster mon sort,
J’eusse attaqué l’Asie, et d’un pieux effort,
J’eusse du saint tombeau venge le long Servage,
Armand ce grand Armand l’ame de mes exploits,
Porta de toutes parts mes armes et mes loix
Et donna tout l’Éclat aux rayons de ma gloire,
Enfin il m’éleva ce pompeux monument,
OuOù pour rendre à son nom mémoire pour mémoire,
Je veux qu’avec le mien, il vive incessament. Juste derrière cette place se
trouve
dessinée par Mansart l’Ancien, que
les Français vantent
47v
comme un modèle de beauté. Cependant, il est dommage que, on ne sait pour
quelle raison, un vieux pan de mur se dresse devant cette église, dissimulant
ainsi la disposition de la partie inférieure de la façade et empêchant qu’on
puisse prendre un peu de recul pour l’examiner. Marot a publié une gravure de cette façade mais il
a dessiné une belle coupole qui non seulement n’existe pas sur cette église mais
ne pourrait pas même s’accorder à sa disposition actuelle. À la vue des
personnages que Marot a placés dans la perspective, on pourrait penser que cette
façade est très grande et magnifique, alors qu’elle est tout à fait modeste et
présente, à la manière française, un aspect trop tendreKnesebeck emploie le terme français « tendre » en allemand : il veut probablement dire que la façade est trop fragile et légère d’apparence.. Pour
ce qui est de la façade extérieure, je formulerai deux remarques du point de vue
de l’architecture.
En premier lieu, comme on peut le voir sur le présent dessin,
l’accouplement des pilastres et des colonnes doriques est d’une exécution tout à
fait déplorable. Si l’on se fie à la gravure de Marot, on pourrait
penser que l’entablement comprend des mutules : à Paris, les Français
eux-mêmes s’y réfèrent quand ils disputent de l’accouplement. Le dessin de
Marot est
tout à fait faux et les mutules sont absentes. Au milieu de la façade, les
triglyphes ne sont pas marqués. À en juger d’après beaucoup d’autres exemples
comme le collège
Mazarin, l’hôtel des Invalides et autres, c’est une habitude des Français
que de commencer l’exécution des deux côtés simultanément et de progresser
ensuite de part et d’autre vers le centre. Beaucoup d’ouvrages français ne sont
pas terminés et ici encore, le travail a été interrompu avant que les tailleurs
de pierre n’aient pu se rejoindre au centre.
Le pire est que, dans cette église, beaucoup de pilastres sans
renflementsNous avons traduit « unverdünnete Pfeiler » par « pilastres sans renflement ». Renflement ou entasis en grec : colonne présentant une
augmentation de diamètre qui atteint son maximum au tiers du fût et va
diminuant ensuite jusqu’au sommet. Cf. Antoine Quatremère de Quincy,
« Renflement », dans : Encyclopédie méthodique 1825, p. 281-283 (voir sur Gallica). sont accouplés de telle sorte que les trois moulures
supérieures ou l’abaque, les talons et le réglet se touchent. Au milieu de
l’étage supérieur de cette façade, quatre colonnes corinthiennes sont ordonnées
comme sur mon croquis, mais cette ordonnance ne produit pas un aussi bon effet
que sur la façade du Landhaus
de Rotterdam ; à distance surtout, on ne ressent rien.
48r
Marot a
représenté entre les colonnes étroites des niches de statues qui n’existent pas
non plus dans cette façade. Mansart n’a exécuté cet édifice que jusqu’au premier étage ;
ainsi, le dessin de Marot semble avoir été fait d’après le plan de Mansart, qui n’a
cependant plus été suivi par la suite. L’exécution des étages supérieurs produit
un effet plus simple que celle de l’étage inférieur.
À l’intérieur, en dehors du maître-autel, cette église ne présente
à ma connaissance à peu près rien de notable. Elle est décorée de belles
colonnes corinthiennes en marbre à cannelures, ce que je n’ai jamais vu ni à
Paris ni aux
alentours. Le retable est une Descente de Croix censée être la copie d’un tableau de Volterra que
possède la même congrégation dans son église de Rome. Sur les côtés figurent des statues de la Vierge et de saint François de Paule
proprement sculptées par GuillainBien que Knesebeck indique Simon Guillain
comme auteur, le saint François de Paule qui était présent au couvent des
Minimes était de la main de Gilles Guérin. Il est aujourd’hui conservé à
l’église Saint-Joseph-des-Carmes à Paris.. La chapelle du duc de La Vieuville est
très richement parée de marbre avec différents tombeaux sur lesquels les défunts
sont représentés allongés ; la plupart ont été sculptés par Guillain, un sculpteur
très renomméCette chapelle renfermait le tombeau de Charles de La Vieuville et de son épouse
Marie Bouhier par Gilles Guérin. Les quatre Vertus ornant les angles de la
chapelle avaient été sculptées par Martin Desjardins. Cf. Mazel 2009, p. 273-274..
Le célèbre Mansart s’étant ainsi rendu coupable d’une faute tout à fait
grossière dans l’accouplement des colonnes et piliers doriques de l’église des Minimes, j’ai ajouté sur mon
dessin une représentation du portail ou de l’entrée principale de
l’hôtel de La
Vrillière derrière la place des Victoires dont, cette fois, les mesures
sont justes : ce portail présente une sorte d’accouplement comparable mais ne
comporte pas d’erreurs aussi importantes que l’église des Minimes.
Cependant, j’ai du mal à saisir pourquoi les Français font si grand cas de
celle-ci et prétendent que le problème de l’accouplement, tenu par ailleurs pour
insoluble, a trouvé ainsi une solution parfaite. Du reste, il est indéniable que
l’ordonnance et les proportions de cette entrée sont très bonnes, voir la fig.
IV. Sur mon croquis, j’ai représenté les colonnes centrales avec une largeur de
12 1/2 modules au lieu
de 15 dans l’ouvrage existant, non seulement pour avoir une vue un peu plus
grande et plus nette de l’ordre mais aussi pour examiner ce que pourrait donner
cette ordonnance sur le portail d’une maison : je trouve qu’elle est encore plus
belle que sur la porte cochère où elle a été employée.
Non loin de cette église, dans la rue du Temple, j’ai visité
une demeure appelée l’hôtel de
Bisseuil au sujet duquel je voudrais faire quelques petites
remarques, puisqu’on en fait grand cas à Paris. Du point de vue de l’ordonnance, cette
construction est sans valeur, mais elle se distingue des autres palais par sa
décoration : les meubles de toutes origines y sont très bien assortis. Je ferai
une petite observation à ce sujet au terme de ces remarques sur la ville de
Paris. La plus
grande différence réside dans de telles subtilités : chacun rivalise dans le
rendu des couleurs, dans l’exécution, et cherche à être toujours plus délicat
que les autres dans les accompagnements.Knesebeck emploie le terme français « accompagnement » en allemand : il veut sans doute parler des détails du décor plutôt que de la construction elle-même.
L’entrée principale de ce palais est une porte
cochère quadrangulaire à la Mansart, placée dans une grande niche,
48v
comme on en voit tant à Paris et dans les
alentours, car les Français les aiment beaucoup, ce dont on ne saurait les
blâmer. D’Aviler
en a dessiné dans son Commentaire de
Vignole, planche 43 B, mais il n’aurait pas pu trouver un modèle plus
laid. Je n’ai pas eu le temps de faire un dessin du portail de cet hôtel de Bisseuil, ni de
celui du palais de
Conti, qui lui ressemble, mais je veux le réaliser maintenant
plus précisément, à une plus grande échelle et en me fondant sur mes souvenirs,
à partir de la perspective que
Marot a
donnée de l’édifice entier ; les proportions seront à ma façon.
Fig. V.
Par cette entrée, on accède à une petite cour et, à
l’arrière, on arrive devant trois portes. Celle du milieu donne sur une autre
cour, beaucoup plus grande ; une autre donne à l’arrière sur les chambres de
service et la troisième conduit à l’escalier principal, qui est difficile à
trouver. Il possède deux volées de marches qui se rejoignent selon la
disposition bien connue et il est très bien éclairé : en effet, outre des
fenêtres ordinaires percées sur le côté, il reçoit également de la lumière d’en
haut par une coupole percée de lucarnes. Une fois cet escalier franchi, il faut
traverser le grand salon pour accéder à l’antichambre donnant sur les deux
chambres. Personne ne pourra faire facilement l’éloge de cette disposition. Le
salon contient de belles peintures représentant des orages et des troupeaux de
bétail. L’encadrement du plafond est remarquable, il est en plâtre sur fond
d’or. La cheminée est elle aussi entièrement dorée ; elle est surmontée d’une
Minerve assise sur un fauteuil et de trophées. La chambre à laquelle on accède
par la porte droite de l’antichambre contient un beau parquet marqueté qui
comprend même les armes du maître de maison. Le cabinet est entièrement orné de
boiseries dorées sur lesquelles ont été peintes de magnifiques grotesques à la
manière des Tuileries. Elles représentent de beaux vases de fleurs d’après
nature autour desquelles volettent toutes sortes d’oiseaux. L’alcôve abrite une
représentation très ingénieuse du Sommeil, peinte par Dorigny. La porte
gauche de l’antichambre ouvre sur une autre chambre qui donne sur la rue.
Celle-ci communique avec la première chambre par un couloir assez étroit et
sombre ; elle se compose d’une chambre à alcôve surmontée d’une coupole qui
produirait un meilleur effet dans un grand salon, d’une très petite galerie et
d’un petit cabinet octogonal utilisé comme bibliothèque. Dans la chambre à
alcôve, la cheminée est ornée d’un bas-relief de bronze d’une beauté
extraordinaire représentant Jason sur le rivage de la mer en train de faire un
sacrifice pour le bon déroulement de son retour de Colchide. La galerie contient
une peinture de la fable de Psyché de Corneille ; les volets des fenêtres de cette
galerie sont peints de grotesques en outremer sur fond blanc, ce qui est tout à
fait charmant. De là, j’ai franchi la porte Saint-Antoine, d’une très belle
exécution,
49r
dont l’excellente façade donnant sur le faubourg est dessinée
fidèlement dans le Cours
d’architecture de BlondelLa gravure se trouve
dans Blondel 1698, 4e partie,
p. 606. Voir la reproduction sur la bibliothèque numérique de Heidelberg., pour me rendre jusqu’à l’arc de triomphe dont on
peut voir la maquette grandeur nature en plâtre. Rien n’a été construit derrière
celle-ci sinon le piédestal en pierres de taille grossièrement taillées. Si cet
ouvrage était réalisé en pierre et en marbre conformément à la maquette, force
serait de constater qu’un tel monument n’aurait pas son pareil au monde. Ce
serait le parfait exemple d’une architecture entièrement correcte et d’une
réalisation impeccable. Il est dommage que le roi ne privilégie pas l’achèvement de cet
ouvrage pour servir sa propre gloire. Mais la jalousie qu’inspirent à Mansart et à ceux qui
le flattent la renommée de Perrault, qui a dessiné ce chef-d’œuvre de l’architecture, fait
que ce chantier de construction reste en plan ; pendant ce temps, la précieuse
maquette est en train de se détériorer complètement. Sur le chemin du retour, on
peut voir
dont la façade
est tenue par les Français pour un miracle universel et un joyau de
l’architecture. C’est Mansart l’Ancien qui l’a conçue et, en vérité, pour porter un
jugement impartial, cette disposition possède un charme particulier qui tient
pour une bonne part à son exécution extrêmement soignée et à ses proportions
très choisies. Marot a donné une gravure précise de cette façade. Le portail est flanqué de deux
colonnes corinthiennes bombées en leur milieu, dont l’effet n’est cependant pas
déplaisant. À l’intérieur, l’église se compose seulement d’un parterre surmonté
d’une coupole reposant sur huit pilastres corinthiens entre lesquels
s’intercalent quatre grandes arcades. Il existe des gravures de cette église,
même s’il n’est pas facile de les trouver ; par suite, au lieu de la dessiner,
j’en ai établi un plan et une élévation (fig. VII et VIII), par le
biais desquels je propose à l’imitation une petite église luthérienne. Il me
semble que, par ce procédé, la visite des bâtiments étrangers est plus utile que
si l’on se contente d’établir un dessin extrêmement précis, sans omettre aucun
détail. Depuis cette église, on rencontre, en descendant vers la Seine, la vieille
Cette église est en soi une construction
tout à fait informe, grossière et gothique, mais il faut surtout la visiter pour
la chapelle d’Orléans, remplie de monuments magnifiques et excellents. J’ai
dessiné ici approximativement le lieu où ils sont conservés ; j’ai ensuite
décrit ces monuments et, enfin, représenté leur forme de mémoire, en les imitant
approximativement,
parce que je n’ai eu ni le temps ni l’occasion de les dessiner directement ;
mais cela ne fait rien, car il faut se concentrer sur l’essentiel. Lorsqu’un
architecte voit des constructions étrangères, il ne peut ni ne doit avoir le
projet de les reproduire et de les copier mais
49v
seulement de les imiter et de trouver là l’occasion
d’élaborer de meilleures inventions.
Le tombeau du connétable de
Montmorency se compose d’une colonne torse romaine en
marbre d’un seul tenant, décorée de feuillages, qui supporte une urne métallique
contenant le cœur du connétable ; cette colonne est placée sur un piédestal de marbre
rouge surmonté de trois Vertus de bronze. C’est Germain Pilon qui a
dessiné ce monumentKnesebeck se trompe, c’est
le sculpteur et architecte des Montmorency Jean Bullant (151?-1578) qui a
réalisé les dessins du monument..
Celui de Louis de
Cossé est un simple piédestal sans statues, avec une
inscription gravée dans le marbre, surmonté d’une colonne de marbre blanc ornée
de couronnes et de noms enlacés. Elle supporte également une corniche sur
laquelle est posée une urne dorée.
Au centre, on peut voir un tombeau modeste à quatre gisants, à l’ancienne manière.
En haut, près de l’autel, sur un piédestal triangulaire (en forme de tripode reposant sur trois pattes de
lion et orné de cartouches, de feuillages et de têtes de mort), trois Grâces
sont adossées les unes aux autres ; elles portent sur la tête une urne
dorée. Sur le piédestal, on peut lire trois inscriptions, composées
chacune d’un distique apposé sur un cartouche. C’est Germain Pilon qui a
dessiné ce monument.
Au-dessous, le tombeau central se compose lui aussi d’un piédestal triangulaire de
marbre qui supporte une colonne de marbre blanc ; des flammes dorées partent du
fût, entre trois petits amours qui éteignent leurs flambeaux. La colonne est
surmontée là encore d’une urne.
Le tombeau du duc de
Longueville est le plus beau. Il se compose d’une
pyramide au-dessus de laquelle sont suspendus des trophées ; elle est posée
50r
sur un piédestal de marbre blanc sur lequel ont été
apposés des bas-reliefs dorés et gravée une inscription. Cette œuvre est encore
assortie de quatre statues des Vertus en marbre blanc. Anguier en est
l’auteur.
Le monument de
Bonne de
Milan, la sœur de la duchesse d’Orléans, qui gît au centre avec
son époux et
ses filsKnesebeck se trompe probablement sur l’identification de cette personne, tout comme Germain Brice dans son édition de 1697 (Brice 1697, t. I, p. 224). Si Valentine Visconti (1368-1408), épouse de Louis Ier d’Orléans (1372-1407), est bien inhumée dans l’église du couvent des Célestins, elle n’avait pas de sœur. Sur la même période, la seule Bonne de Milan que nous connaissons est l’épouse (1385-1469) de Guillaume de Montauban (1386-1432), mais aucune source ne nous permet de l’associer à Valentine Visconti, ni d’affirmer qu’elle serait inhumée dans l’église du couvent des Célestins., est démodé et n’a rien de remarquable.
Le tombeau de
l’amiral
Chabot a été dessiné par Jean Cousin, un
peintre français ancien. Il est beau et précieux, mais à l’ancienne manière, et
trop surchargé de sculptures. Au-dessus, l’amiral est représenté gisant.
Celui du duc de Rohan
est tout à fait semblable mais dans une manière plus neuve et meilleure ; il est
dû à Anguier. Là
encore, il est surmonté d’une effigie du défunt.
J’en ai ainsi terminé avec mes remarques sur l’architecture de Paris, et je voudrais
maintenant ajouter quelques observations sur les environs de Paris. Je pourrais encore
formuler bien des observations sur le mobilier et autres choses semblables que
j’ai vus là-bas, mais ces matières varient beaucoup trop et ne font pas
exactement partie de l’architecture. Cependant, j’ajouterai quelques remarques
sur la mode actuelle qui prévaut chez les Français pour le décor des murs des
appartements.
Le décor des pièces.
1. Il peut être en velours brodé, en tapisseries d’après des peintures et
en tapisseries à grotesques et mauresques : on en trouve à Paris dont les dessins
sont particulièrement beaux et les couleurs superbes. Des ordonnances
d’architecture tout entières sont brodées sur du velours. Les tapisseries
à grotesques sont aussi utilisées par bandes, associées à d’autres bandes
jaunes, rouges ou à des damas aux belles couleurs. 2. On a coutume de couvrir les murs de dorures qui sont appliquées sur les
boiseries ; ces dernières se divisent en panneaux encadrés de petite,
moyenne et grande taille ; il n’y a pas de partie travaillée, sans que
soient appliqués sur les jointures des encadrements de petits rinceaux
filigranés. Les panneaux sont peints de grotesques dans les meilleures
couleurs, belles et claires, comme celles qui sont utilisées pour la
fabrication des enluminures. 3. Ces panneaux peuvent également servir de support à de véritables
tableaux.4. Ou encore à des miroirs.5. Des murs entiers peuvent être couverts de miroirs sur lesquels on
accroche de petits socles en consoles supportant des sceaux métalliques
rares, des vases et pierreries de toutes sortes. 6. On trouve aussi des appartements dont l’architecture est entièrement
dorée ; les espaces intermédiaires sont habillés de tapisseries ou d’autres
tentures. 50v7. À l’intérieur, on installe des volets soit joliment peints, soit
sculptés. En Hollande, on observe la même mode, mais seulement dans les
édifices en pierre. Le reste est identique à ce qui est bien connu en
Allemagne.
Il a été érigé à l’extérieur devant le
faubourg
Saint-Antoine, mais ce n’est qu’une maquette et elle est
seulement en plâtre du côté extérieur. Elle a été réalisée très soigneusement à
la taille exacte prévue pour la vraie porte. Leclerc en a donné une élévation fidèle. La
perfection, la correction, l’ordonnance et les proportions, la délicatesse des
ornements, la situation, tout, en somme, est insurpassable dans cet ouvrage.
S’il était réellement construit en pierre, les Français pourraient rivaliser
avec la Rome antique
et moderne. Mais rien n’est terminé sinon le piédestal qui a été ébauché et, par
jalousie, les autres architectes vont chercher à faire ajourner la réalisation
assez longtemps pour que la maquette s’effondre, ce qu’elle a effectivement
commencé à faire. Depuis cette porte d’Honneur, une allée toute droite conduit, si on la suit jusqu’au
bout, au château
du
À une distance de mille cinq cents pieds,
on peut voir un édifice
gothique ancien et une nouvelle construction actuellement négligée parce
que le roi n’y
vient pas. Cette nouvelle construction se compose d’une cour quadrangulaire
d’assez grandes dimensions située juste devant le parc, d’une galerie ouverte,
d’arcades rustiques à l’arrière et à l’avant de la cour, et de deux logis en
longueur des deux côtés de la cour, ornés de pilastres doriques et surmontés
d’un attique. L’architecte en était Le Vau. À l’intérieur, les appartements sont
imposants et richement décorés, en particulier ceux de la Reine, qui possèdent
comme au Louvre et
aux Tuileries des
boiseries murales dorées et de beaux plafonds richement dorés. Les peintures de
ces plafonds sont très belles, elles sont dues à Manchole, un peintre
flamand, et à de Sève, un Français. Cette cour est fermée du côté du parc par un mur en arcades
percé en son centre d’un superbe portail de 6 colonnes doriques presque
indépendantes : il ressemble à un portail d’Honneur et on dit que c’est la plus
belle œuvre de Le
Vau. On peut voir dans les estampes du roiKnesebeck fait allusion aux séries de gravures
commandées par Colbert à la demande du roi, connues sous le nom de
« Cabinet du roi ». Cf. Duplessis 1869 ; Grivel 1985 ; Grivel 2010 ; Préaud 2015, p. 13. une gravure qui le représente, dessinée par Marot.
51r
Situé à
trois lieues de Paris, le fameux château de plaisance du roi de France,
célèbre dans le monde entier, est volontiers regardé comme un bâtiment
merveilleux, mais on ne peut nier qu’il présente un grand nombre de défauts
assez importants. Il existe en grand nombre des gravures de ce magnifique lieu
public, pour une part honnêtes et fidèles, mais dans la majorité des cas
approximatives et fabriquées à des fins de profit ; par conséquent, je passerai
ici sur beaucoup de remarques et me contenterai, dans ce qui va suivre, d’un
petit nombre d’observations particulières.
À l’avant du château, telle qu’on la voit à l’entrée, la
perspective est tout à fait particulière et surprenante, mais on s’en lasse très
vite, parce que tout est trop coloré et d’un aspect trop théâtral. Il semble
d’ailleurs que l’intention de l’architecte ait réellement été de figurer un
théâtre. Mais de même qu’un théâtre est une copie imparfaite de bâtiments,
réaliser un bâtiment à l’imitation d’un théâtre ne peut que produire un mauvais
résultat.
La colline sur laquelle se trouve le château étant beaucoup trop
escarpée, et les bâtiments ayant tous été alignés au niveau du toit, les
bâtiments de l’arrière sont nécessairement beaucoup trop bas, car on n’a pas
voulu trop surélever ceux du devant.
La couleur et l’ordonnance des murs extérieurs, de surcroît, ne
contribuent pas peu à gâcher la majesté du bâtiment : on a l’impression qu’il
est essentiellement bâti en briques et que des blocs de grès gris ont été
ajoutés aux angles, pour ce qui est des lambris muraux extérieurs et autour des
fenêtres. Les toits sont très somptueux avec leurs riches ornements de plomb
doré aux brisures et sur les lucarnes.
Les grilles de fer forgé, très joliment travaillées et richement
dorées, contribuent grandement, par leur nombre, à la splendeur de
l’édifice.
Les ailes situées dans la cour intérieure, que la grille rejoint des deux
côtés, possèdent sur leur façade antérieure, en face de l’entrée, des colonnades
de colonnes doriques dégagées, placées très à l’écart du mur. Les architraves
semblent composées de nombreux blocs de grès sculptés selon les règles de la
coupe des pierres ; c’est ce qu’affirme également d’Aviler dans son Cours d’architecture. Cependant,
beaucoup de pierres sont tombées, laissant voir que ces architraves sont faites
de grandes poutres de bois qui ont seulement été recouvertes de panneaux de
grès, ce qui produit un effet assez misérable.
L’architecture est dans l’ensemble très mal proportionnée, la
combinaisonDans l’original allemand,
Knesebeck écrit : « die combination tauget
nichts » ; il veut probablement dire la
« combinaison de briques et de pierres de taille ». ne vaut
rien ; les ornementations sont pour une part confuses ou se superposent. En
somme, cette architecture ne convient absolument pas. Elle est dorique, mais il
lui manque tout ce qui rend l’ordre dorique vraiment héroïque, clair et
agréable.
51v
Les cours du devant sont pavées ; la dernière est recouverte
d’un carrelage de marbre noir et blanc et surélevée d’un grand nombre de marches.
Au centre du dernier bâtiment, une loggia permet d’accéder au jardin. Elle est ornée de
magnifiques colonnes de marbre de couleur, et le sol est également pavé d’un
splendide carrelage de marbre. La partie arrière donnant sur le jardin,
plusieurs marches en contrebas, est simplement en pierre de taille.
Sur les ailes de cette cour intérieure, des deux côtés, trois arcades
mènent aux escaliers. Non seulement ceux-ci sont difficiles à trouver, mais ils
donnent, en haut, sur des pièces tout à fait malcommodes, comme on peut le voir
sur le petit plan que j’ai dessiné à vue d’œil en faisant de mon mieux. Pour le
reste, ils sont magnifiques, vastes, clairs et revêtus de marbre très précieux,
surtout celui de
droite, très joliment peint par Le Brun ; l’autre n’a
pas encore été peint (fig. IX)En fin de
volume, les planches ne sont pas numérotées ; par contre, le plan de
Versailles s’y trouve en dixième position. ; sur le plan, ces
escaliers se trouvent aux numéros 19 et 20.
Je n’ai pas vu tous les appartements, mais j’ai visité les plus
illustres. On atteint le n° 1 par un petit escalier donnant sur un espace qui s’ouvre
comme une galerie sur la chapelle (n° 2). La chapelle elle-même est richement dorée mais
contraste avec le reste du bâtiment par sa construction simple, en pierres
blanches. Le retable est une NativitéIl s’agissait probablement
d’une copie aujourd’hui perdue de la fameuse Nativité, dite La Nuit, du Corrège (datant de
1522-1530, aujourd’hui à Dresde, à la Gemäldegalerie Alte Meister, AM-152-PS01, Gal.-Nr. 152). Durant
son séjour en Lombardie, Bon de Boullogne avait réalisé en 1679 cette copie qui
trouvera sa place dans la chapelle de Versailles entre 1682 et 1710. Voir Maral 2011b, paragr. 90, n. 201., due à
un très bon
peintre. Par contre, je n’ai pu savoir son nom.
De là, on accède à une petite pièce (n° 3) qui, à l’intérieur, est plaquée
de marbre rouge, blanc et gris sur tous les pieds-droits des fenêtres et les
encadrements des portes et jusqu’à mi-hauteur sur les murs tout autour. À gauche
en entrant, au milieu du mur, figurent une arcade bien proportionnée et,
au-dessous, une porte rectangulaire surélevée de trois marches. De part et
d’autre de l’arcade, sur des gaines de termes, se dressent deux bustes de métal
posés sur des piédestaux de marbre dans les tons jaunes. La corniche est
entièrement dorée comme dans toutes les autres pièces. Tout le plafond est orné
d’une peinture de ciel sur une voûte à fond plat en pente douce. Deux tableaux
sont accrochés au mur, l’un représente le serviteur d’Abraham qui ceint de bracelets les poignets de
Rébecca, l’autre la femme
adultère que l’on conduit auprès de Jésus.
Si l’on franchit la porte que j’ai mentionnée, on
entre (n° 4) dans le cabinet des
Bijoux du roi. C’est une pièce octogonale dont tous les murs sont
recouverts de miroirs et, pour le reste, de boiseries entièrement dorées. Comme
le montre la figure ci-dessous, de petits repositoiresDans l’original allemand, Knesebeck emploie le terme repositoria, du latin repositorium, ii (n.) : endroit où l’on dépose ou conserve
quelque chose ; il s’agit ici de consoles. sont placés
devant les miroirs : chacun supporte un objet rare et précieux, telle une coupe
de cristal ou d’autres vases rares ornés de pierres précieuses, ou encore un
sceau,
52r
une statuette de métal ou d’argent, etc. On ne peut
qu’admirer à la fois la préciosité de tous ces objets, leur diversité et leur
variété en dépit de leur nombre, et surtout la beauté du travail. Sur la table
placée au centre de la pièce était posée une belle horloge à globe d’argent, sur
lequel l’équateur pouvait tourner et indiquait les heuresKnesebeck ne mentionne aucune de la vingtaine de peintures accrochées dans ce Cabinet de curiosités, cf. Piganiol de La Force 1701, p. 30-34..
Vient ensuite le n° 5, une pièce plus grande presque entièrement recouverte de
marbre. En face des fenêtres, une grande niche abrite la statue antique de L.
Cincinnatus, dont la main droite est notablement plus grande
que le visage. On y trouve également six beaux bustes de marbre sur leurs
piédestaux de la forme décrite plus haut. De part et d’autre figurent des
perspectives peintes, que l’on dit être de Rousseau, un Français qui a excellé dans ce
genre de peinture. Le plafond suspendu, qui se présente comme une voûte à fond
plat, possède au centre une partie circulaire et, autour, quatre parties
quadrangulaires allongées, ceintes d’un encadrement doré ; les panneaux sont
occupés soit par des tableaux entrecoupés de grotesques de toutes les couleurs,
soit par des peintures à l’indigo relevé d’or.
N° 6. La pièce qui
suit est aussi riche en marbre que la précédente. Elle abrite
une table de billard recouverte de velours vert. Juste au-dessus de la tablette
de la cheminée, un bas-relief de marbre blanc représente la Fuite du Christ en Égypte.
Au-dessus, on peut voir le sacrifice
de la fille d’Agamemnon le Troyen, échangée par Diane contre une biche.
Au mur figurent encore huit bustes sur leur piédestal, en marbre très rare. Au
centre, face à la fenêtre, une niche abrite un buste de marbre blanc qui est un portrait du roi à l’âge
de trente ans environ. Le plafond montre un champ circulaire et la corniche est
surmontée de quatre champs semi-circulaires. Tous ces compartiments ont été
dessinés par Le
Brun.
N° 8 est la plus
grande et la plus belle de toutes ces pièces, son ordonnance est celle d’une
salle à manger. La cheminée est très en saillie par rapport au mur, elle fait
face aux fenêtres et, des deux côtés, entre la cheminée et les murs, des balcons
surélevés ont été installés pour la musique de table, comme sur le plan approximatif qui figure ci-dessous. Cette pièce est
assez vaste mais
elle est trop petite pour être la salle à manger d’un aussi
grand roi ; à en
juger d’après les autres pièces, on aurait attendu bien davantage. La pièce est
de part en part recouverte de marbre, très magnifiquement, et dans celle-ci
comme dans les précédentes, tous les sols sont eux aussi pavés de marbre, avec
des figures différentes à chaque fois. Dans toutes les autres pièces, on trouve
des parquets polis de couleur foncée, qui ne produisent pas un très bon effet.
Dans la salle à manger, on peut voir trois tableaux magnifiques.
52v
Au-dessus de la cheminée, une Sainte Famille de Raphaël. D’un côté, un
grand tableau représentant le Souper
des disciples à Emmaüs. Dans son Parallèle des anciens et des modernes, Perrault se moque
beaucoup de l’ordonnance de ce tableauVoir les passages en question dans Perrault 1692-1693, t. I, p. 119, 220-223.. Mais je ne la trouve pas si absurde
qu’il le prétend. Ce jugement était cependant destiné à valoriser par contraste
l’œuvre de Le
Brun qui se trouve en face, la Famille de Darius. Ce tableau est vraiment
remarquable, mais reste à savoir si, en vieillissant, les couleurs tiendront
aussi bien qu’à l’époque de Véronèse : j’en doute fort. Pour le reste, je ne comprends pas
non plus pourquoi les Français placent cette œuvre de leur compatriote à tel
point au-dessus de celle de
Paul
Véronèse.
Les n° 9 et 10 ne présentent rien de particulièrement remarquable, hormis
les tentures de velours très richement et somptueusement brodées en relief de fils d’or. Dans
le n° 10, signalons une architecture bien faite de pilastres corinthiens en
broderie d’or, qui peuvent être séparés par panneaux. Dans cette pièce, qui semble
être la pièce d’audience, le baldaquin est un ouvrage du même type, d’une
splendeur inouïe, avec des campanes de broderies en reliefDu latin campana, ae (fém.) :
cloche. Désigne un ornement de soie, de fil d’or ou d’argent, muni de glands
évasés en forme de clochette. Voir Maës 2013..
Cette pièce permet d’accéder à la Grande Galerie qui est ce
qu’on peut voir de mieux et de plus magnifique dans tout Versailles. À chaque
extrémité, elle comprend un beau salon avec lequel elle communique par une grande arcade
ouverte. Sur toute sa longueur, elle est éclairée d’un côté par des fenêtres et
de l’autre par des fenêtres aveugles recouvertes de miroirs. L’architecture se
compose de pilastres d’ordre français séparés par des arcades distantes parfois
de moins de la moitié d’un entrecolonnement. Les grandes arcades situées entre
chaque salon et la galerie comprennent aussi des colonnes
indépendantes. Toute cette architecture, y compris l’entablement, est dans un
marbre des plus somptueux. L’entablement en revanche est doté de consoles sur la
frise qui sont en plâtre, dans un ordre tout à fait corinthien, très richement
sculptées et entièrement dorées. Les chapiteaux et bases sont également dorés.
Près des fenêtres et en face de ces dernières ont été installées de précieuses
tables de marbre, porphyre, jaspe, etc., surmontées de vases antiques au nombre
de 32. Devant le plus petit entrecolonnement figurent des bustes, au nombre de
huit, et, entre les demi-entrecolonnements, dans des niches, 8 statues antiques.
Les tables sont flanquées, des deux côtés, de fauteuils tapissés d’étoffes
magnifiques brodées avec une minutie extraordinaire, au fil d’or sur de la moire
d’argent. Au centre, des emblèmes à paysagesKnesebeck parle d’Emblemata (emblèmes), c’est-à-dire de dessins énigmatiques très prisés à l’époque : ils étaient souvent accompagnés d’un titre et d’un texte explicatif (lemma) en dessous de l’image., cousus de soie avec tant de soin
et de précision qu’ils auraient pu être peints au pinceau. Au-dessous, on peut
voir encore de petites broderies blanches en chenille sur lesquelles le lemme
est cousu en noir. Le plafond est en berceau, ou semblable à une voûte en
berceau en plein cintre, ce que toutes les galeries de France imitent à
présent : la galerie
d’Apollon au Louvre, celle
de Saint-Cloud, celle de Clagny, ont toutes été disposées exactement de
cette manière. Sur le plafond, toutes sortes de petits et grands panneaux sont
répartis d’après
53r
des figures mathématiques composées qui s’accordent
avec les colonnes du dessous. Les encadrements sont larges et en haut-relief,
les cadres richement ornés de sculptures entre lesquelles s’intercalent des
guirlandes de fleurs, des putti, des animaux, etc., tous bien dessinés et
richement dorés ; sur les panneaux est peinte l’histoire allégorisée du
roi. On peut
trouver de superbes gravures de toutes les peintures et tous les ornements de
ces plafonds. Tout spectateur impartial verra que les inventions ne sont pas
très ingénieuses mais pourtant fort prétentieuses. On est excédé de voir si
souvent reproduite l’image du roi dans les nuées, sur un char solaire, le
foudre à la main. Du reste, ces peintures sont très belles et j’ai
particulièrement apprécié que, dans les hémicycles qui surmontent l’entablement
de l’ordre aux extrémités de la galerie, les peintures soient ordonnées de telle façon que
Mercure sorte d’un panneau du plafond pour voler vers les autres, ce qui est
parfaitement rendu. Au demeurant, voilà qui laisse songeur : le roi de France a fait établir
consciencieusement des gravures des meilleures œuvres figurant à l’intérieur de
ses bâtiments, en particulier celles qui ont été réalisées sur l’ordre de
Le Brun,
mais il n’en a pas fait de même pour cette galerie et a même interdit que
quiconque en fasse des dessins ; on peut en conclure aisément que le roi lui-même a presque
honte de cet excès de flatterie. Cependant, étant donné que la composition de cette
galerie
est tout à fait soignée et belle, et qu’elle est la référence de toutes les
galeries aménagées en France sur ce modèle, comme on peut le voir notamment avec la
galerie
d’Apollon au Louvre et celle de Saint-Cloud, j’ai établi une imitation avec
deux dispositions possibles d’une galerie, pour tirer un parti encore plus grand
de mes réflexions : j’ai cherché à réunir ainsi toutes les perfections qu’une
galerie puisse présenter. Pour finir, j’ai résumé mes idées dans un plan dont
une moitié (A) est disposée un peu différemment de l’autre (B).
1. En général, il est d’usage de placer les galeries dans les ailes
des bâtiments, pour qu’elles possèdent des fenêtres des deux côtés. Celle de Versailles
est cependant située dans le bâtiment principal, au centre, et elle occupe toute
la partie qui fait face au jardin, ce qui ne me paraît pas le meilleur choix. Cependant,
pour rester dans le cadre d’une imitation, j’ai donné le même emplacement à ma
galerie mais j’ai dessiné des cours à l’arrière afin qu’elle possède des
fenêtres des deux côtés. Pour le reste, j’ai presque entièrement conservé la
longueur de la Galerie de Versailles.
2. Dans la Galerie de Versailles, on ne trouve pas de tableaux sur les murs, ce qui
ne m’a pas plu ; par suite, j’ai aménagé ma galerie de telle sorte que les
fenêtres y apportent suffisamment de clarté pour qu’on puisse y installer 12
grands tableaux en (a) selon deux types de disposition.
3. Dans la Galerie de Versailles, on compte trop peu de statues, qui sont pourtant
l’un des ornements les plus prestigieux d’une galerie. Dans l’une de mes
dispositions, 12 statues peuvent trouver place dans autant de niches, et 16 dans
l’autre.
53v
4. Les salons qui jouxtent la Galerie de Versailles ne sont pas
plus larges que la galerie elle-même, et sont par suite trop petits ; ils
semblent ainsi être davantage des parties de la galerie qu’on aurait séparées
que des salons indépendants. Dans ma disposition, j’ai pallié ce défaut en
prévoyant de grandes salles octogonales dotées de surcroît de coupoles, qui sont
ainsi entièrement distinctes de la galerie.
5. Comme il est magnifique de réunir dans une galerie tout ce que
la peinture, la sculpture et l’architecture peuvent produire de rare et de
splendide ! Je ne les ai vues réunies dans aucune galerie française, mais j’ai
aménagé la galerie de mon invention de telle sorte que toutes ces raretés
puissent y être assemblées. Ainsi, je placerais des statues dans des niches de
la galerie, et elles seraient surmontées de bas-reliefs. Là où les
entrecolonnements sont étroits, il faudrait placer des grotesques entre les
pilastres et à leur pied, devant, des bustes. En ce qui concerne les ornements
du plafond, j’ai seulement indiqué dans la première moitié les bases de
l’ordonnance en traçant de simples lignes ; dans la seconde moitié, le dessin
est complet mais je l’ai fait rapidement à main levée. Sur les côtés de la
découpe des fenêtres, on pourrait accrocher des miniatures entourées de petits
cadres. Dans le salon C., je voudrais décorer de marqueterie l’intervalle entre
les colonnes rapprochées ; les quatre cabinets, convenablement éclairés par les
fenêtres de la coupole, pourraient abriter de grands miroirs à encadrement doré,
devant lesquels on pourrait exposer des sceaux métalliques sur des
repositoiresDans l’original allemand,
Knesebeck emploie le terme repositoriis, du latin repositorium, ii (n.) : endroit où l’on dépose
ou conserve quelque chose ; il s’agit ici de consoles. dorés. De
part et d’autre des fenêtres, il serait assez bienvenu de placer des moulages de
plâtre ou des impressions sur satin d’après de très bonnes gravures à caractère
artistique, afin que ce domaine important, qui fait partie de la peinture, ne
soit pas en reste. Le plafond devrait être orné d’incrustations ou de
marqueterie, ainsi que d’une mosaïque de peintures entourées de beaux cadres de
plâtre doré.
Le salon D., enfin, serait consacré aux œuvres les plus grandes et
les plus remarquables ; de grandes niches abriteraient des groupes sculptés en
métal et en marbre. Dans les intervalles entre les colonnes rapprochées, on
suspendrait des médaillons. Le plafond serait orné d’une architecture en
perspective peinte et assortie d’un bossage de plâtre ; elle serait accompagnée
d’armatures, de Vertus assises et d’esclaves allongés, comme on le voit sur ce
croquis approximatif. De part et d’autre des fenêtres, on pourrait encore
ajouter de grands ovales avec des portraits de profil en bas-relief de marbre.
Enfin, les découpes de fenêtres pourraient abriter des tables sur lesquelles on
poserait toutes sortes de vases. Il faudrait ajouter à côté de beaux guéridons
et fauteuils ; de la sorte, il ne manquerait aucun des ornements de
l’architecture, de la sculpture et de la peinture. Afin de mieux pouvoir juger
de ma disposition et imitation, j’ai dessiné l’ordonnance de la Galerie de Versailles(fig.). Je
n’ai pu ajouter les salons, car il m’a été impossible
de prendre davantage de notes en cachette.
54r
Au sortir de la Galerie, je suis entré dans le Petit Appartement du Roi
qui est entièrement revêtu de boiseries blanches assorties de quantité
d’ornements richement dorés. Le plus remarquable est le nombre important de
tableaux des meilleurs maîtres. Dans le peu de temps dont j’ai disposé, j’ai pu
établir, entre autres, la liste suivante :
Dans le cabinet du
Roi.
Le Jugement de
Salomon de Poussin. Le Silence
ou une Sainte Famille avec l’enfant Jésus endormi : toute la scène est
empreinte d’une expression singulière, profondément paisible. Les Français
attribuent cette toile à Le
Brun, mais elle a été peinte par CarracheKnesebeck se trompe, si Le Brun s’inspire effectivement de l’œuvre de Carrache, aujourd’hui conservée dans les collections royales en Angleterre, l’œuvre italienne était à cette époque dans la collection Farnèse au Palazzo del Giardino à Parme. Le Silence de Le Brun était quant à lui bien exposé dans le Petit Appartement du Roi à cette époque. Cf. Lett 2014, p. 97-123.. Une Entrée du Christ à
Jérusalem de Le
Brun, qui est très belle.
Dans la pièce suivante, une chambre à coucherLe cabinet des Tableaux se composait à l’origine de deux pièces. Afin de rendre la transition de l’une à l’autre visuellement attrayante, une serlienne fut ajoutée au milieu en 1692. Knesebeck fait ici la différence entre les deux pièces et appelle à tort la seconde une chambre., un Adonis du Dominiquin ; la Mort d’Ananie devant saint PierreKnesebeck se trompe :
il s’agit de la Mort de Saphire, femme d’Ananie, qui expire aux pieds de
saint Pierre. , par Poussin. Un Triomphe de deux Romains sur un char de Jules Romain. Une Judith de Raphaël.
Dans la pièce qui
suitIl s’agit plus précisément du premier cabinet (salon) de la Petite Galerie., une création du DominiquinKnesebeck se trompe, il s’agit de l’œuvre représentant Dieu réprimandant Adam et Ève par le Dominiquin qui était bien à cet emplacement. La confusion provient de la reprise par l’artiste du fameux Dieu créateur de Michel-Ange peint pour la Chapelle Sixtine. Cf. Lett 2014, p. 97-123..
Dans la Petite
Galerie, ornée de pilastres dorés qui ne relèvent pas d’un ordre
particulier, et tendue de damas rouge dans les intervalles : un Saint François en méditation,
deux portraits en buste du
Guide,
l’un représentant le dessin, l’autre la couleurIl s’agit en réalité d’une seule œuvre : un tableau
allégorique représentant deux figures à mi-corps, la couleur et le dessin.. À
côté figurent deux portraits en buste du Christ et de la Vierge censés être du même auteur. Une Nativité, de toute petite taille et d’une qualité
remarquable, par Carrache. Une Sainte
Catherine s’agenouillant devant le Christ, du Corrège. Un portrait de Raphaël par
lui-même,
alors qu’il était encore très jeune. L’Ecce Homo de Mignard. Le plafond de cette galerie est en berceau à
fond plat, il a été très joliment peint et disposé par Mignard, comme on peut
le voir sur mon croquis approximatif (fig.)Le croquis auquel Knesebeck fait référence et pour lequel il avait prévu une numérotation derrière la désignation « Tab: » (dans le texte allemand) n’a finalement pas été ajouté au manuscrit.. Le tableau central
représente Le Couronnement du Génie de la France par Minerve, tandis qu’Apollon distribue
des présents aux Arts. Les autres tableaux placés autour figurent la Prudence et
la Discrétion ainsi que leurs symboles, ou encore, pour le troisième, la
Vigilance avec Mercure, le plus éveillé de tous les dieux.
La chambre du
Conseil est entièrement revêtue de miroirs et d’encadrements
dorés, et simplement décorée de petits tableaux au-dessus des portes.
Le salon ou la
pièce où le roi s’habille possède deux cheminées qui se font
face, surmontées de deux grands et beaux tableaux du Dominiquin : d’un
côté, David jouant de la harpe,
de l’autre, Sainte Cécile à la
viole. Au-dessus de la corniche sont encore peints 9 panneaux, tous sur le thème
de la musique, par Le
Bassan le Jeune.
De là, je suis entré dans les appartements du Dauphin,
qui étaient alors entièrement démeublés. Je n’ai vu que deux pièces, le
cabinet et la
salle des
Bijoux. Le premier était richement doré et on pouvait y voir les Quatre Degrés de l’amour de
l’Albane,
des grands tableaux d’une remarquable beauté. La salle des Bijoux était
entièrement tapissée de marqueterie de toutes les variétés de bois, d’écaille de
tortue, d’argent, d’ivoire, etc. sur un fond couleur de muscUn gris foncé tirant sur le brun.. Des miroirs
étaient disposés çà et là, sur lesquels étaient fixés les repositoiresDans l’original allemand, Knesebeck emploie le
terme repositoriis, du latin repositorium, ii (n.) : endroit où l’on dépose ou conserve
quelque chose ; il s’agit ici de consoles. supportant les
bijoux. On ne saurait imaginer pièce plus belle et plus plaisante.
54v
De là, je suis allé visiter le jardin.
La façade du château, côté jardin, est remarquablement somptueuse et
impressionnante, compte tenu de sa longueur peu commune, mais en elle-même, la
disposition de l’architecture n’est pas assez majestueuse pour s’accorder à une
telle ampleur. L’étage inférieur est orné de lignes de refend, avec de
nombreuses arcades sans colonnes intermédiaires. Le premier étage est ionique,
son exécution est magnifiquement soignée, il comprend à la fois des pilastres et
des portiques avec des colonnes isolées. Dans l’intervalle sont placées des
arcades avec des fenêtres dont l’arc diaphragme est trop large et les ouvertures
trop hautes pour ces dimensions, ce qui fait perdre au bâtiment beaucoup de son
cachet. À l’étage supérieur figurent encore un attique à demi-pilastres
corinthiens et, tout en haut, une balustrade avec des trophées qui dissimulent
entièrement le toit.
Le plan du jardin n’est pas établi selon de bons principes, puisqu’il est
aménagé au sommet d’une colline aux pentes si raides qu’en bas, au bout de
l’allée
centrale, on ne voit même plus l’étage supérieur du château, ce
qui est manifestement un défaut. Un plan de ce jardin est aujourd’hui disponible
sous la forme d’une gravure,
mais il est beaucoup trop petit et trop approximatif ; les grands plans qui
figurent parmi les estampes du roi ne correspondent pas à l’état actuel. Telle
est la raison pour laquelle j’ai dessiné un plan fidèle de ce jardin et établi
sur place, très soigneusement, le plan des jeux d’eau (voir la
fig.).
I. La terrasse est entourée de marches de marbre blanc. K. et L. sont deux beaux bassins
avec des bords en marbre blanc, surmontés de sphinges, de putti et de fleuves de
taille colossale, fondus en métal.
N. et O. possèdent un
encadrement de marbre de couleur au-dessus duquel les eaux forment une cascade
des plus agréables. Le lion qui se bat contre un verrat est en bronze, c’est une
œuvre de Van
Clève, tout comme le chien et le cerf.
P.
réunit toutes sortes de marbres de couleur, entre lesquels les cascades en
rocaille descendent par degrés ; les candélabres et vases sont en plomb et ont
l’air d’être en pierre.
Dans le labyrinthe R., Ésope a été sculpté en pierre et ressemble point par point au
portrait décrit dans la Vie
d’Ésope ; la gravure qui le représente n’est pas très exacte.
Cette statue et celle de
l’Amour qui la côtoie ont été peintes en couleurs naturelles ; les
bords des fontaines sont en marbre pour un petit nombre d’entre elles, en pierre
et en rocaille pour les autres ; les statues placées sur les fontaines sont
toutes en plomb et peintes en couleurs naturelles.
La Colonnade e. se compose de 12 arcades de marbre blanc reposant
sur autant de piliers de marbre gris et, sur le devant, d’autant de colonnes de
toutes sortes de marbres de couleurs rares. Au-dessous de chaque arcade, hormis
celle qui sert d’entrée, jaillit un jet d’eau. Les bases et chapiteaux sont en
métal doré ; au centre, trois marches en dessous, se dresse le beau groupe
de
55r
l’Enlèvement de Proserpine, en
marbre blanc, sur un piédestal rond de marbre blanc fort agréablement sculpté,
un chef-d’œuvre dû à Girardon.
La salle des
Antiques, un peu en pente, est aussi remarquable, avec ses
statues antiques et les fontaines intercalées entre les sculptures.
h. La fontaine
d’Apollon, dont les eaux coulent avec une abondance et une force
qu’on ne saurait décrire, possède de magnifiques statues de chevaux et de
tritons dues à Jean-Baptiste Tuby. Elles sont faites en plomb métalliséKnesebeck parle de « metallierten bleÿ [metallisiertes Blei] » (« plomb métallisé »)..
i. est
une pièce excellente, un bassin avec une balustrade hexagonale entourée d’une
balustrade ronde plus élevée, en plomb et cuivre dorés. Il est flanqué de part
et d’autre de 2 magnifiques pavillons d’ordre ionique, comme dans le plan
ci-dessous,
avec des toits superbement dorés. Tout cet ouvrage est entièrement en
marbre. Les colonnes indépendantes, la frise extérieure et bon nombre de
cimaises sont dans un beau marbre rouge, le reste en marbre blanc. Les bases,
les chapiteaux et festons ainsi que d’autres ornements du toit sont en métal
doré. Les statues de marbre blanc installées dans des niches sur le pourtour
sont les suivantes :
Le groupe d’Apollon au
bain, par Girardon et Renaudin.
Deux groupes de
chevaux solaires, par Gaspard Marsy et Guérin.
Acis de B. Tuby et Galathée, du même. Amphitrite par Anguier. Amphion, du
mêmeKnesebeck se trompe : il s’agit d’une figure d’Arion
par le sculpteur Jean Raon et non d’Amphion par Michel Anguier.. Des
figures féminines de la NavigationIl s’agit plutôt de la figure d’Ino, déesse mythologique protectrice des marins, dont les attributs induisent en erreur Knesebeck qui y voit une représentation de la Navigation. et du Vent, la première avec un compas de navigation et une rame, la seconde
avec des nuées et un flambeau. Je n’ai pu savoir qui en était l’auteur.
k. un bassin où
figure Encelade de taille colossale, en plomb ; il n’y a là rien d’autre à
signaler.
l. n’a
rien de précieux et n’est pas aussi grand que sur la gravure qui le représente.
Dans mon dessin aussi, je l’ai représenté plus grand que nature, pour plus de
clarté.
U. présente une
disposition plaisante : trois cascades s’écoulent d’un petit bosquet sombre et
se rejoignent dans un réceptacle rond qui devient plus profond par degrés ; ce
dispositif est entouré de haies taillées formant des arcades sous lesquelles
jaillissent des fontaines, comme dans la Colonnade.
Q. : des joncs
taillés dans le cuivre et le plomb, ornés d’or, d’argent et de couleurs
naturelles. La construction ressemble à s’y méprendre à un frêne réel.
55v
W. : autre pièce
magnifique, ornée çà et là d’un peu de marbre mais surtout de parterres de
gazon, de bancs faits de buis et d’autres décors végétaux.
X. est très riche
en cuivre et plomb doré, en marbre, en rocaille et en beaux coquillages, et sa
disposition est assez charmante.
Y. est une fontaine
avec un dragon et Z. un étang entouré de nombreux jets. Le bassin t. abrite Curtius à cheval, du Bernin.
O. est la Pyramide
d’eau de Girardon, en bronze ; on en fait grand cas mais elle n’a rien
d’extraordinaire. Les statues sont en soi assez réussies, mais la composition
est très simple.
p. q. est une allée
en pente ponctuée de fontaines qui jaillissent à chaque fois d’un groupe de
trois enfants. Elles sont l’œuvre de Le Gros, Mazeline et Lerambert.
M. est le bassin
de Latone avec ses enfants, une œuvre magnifique de marbre
blanc ; les paysans, eux, sont en plomb. Les auteurs en sont deux frères du nom
de Marsy. Sur le plan, vers le bas, les petits points indiquent de
part et d’autre un assez grand nombre de statues, de termes et de vases, tous en
marbre blanc, par des maîtres avertis.
t. Bacchus ou
l’Automne en plomb doré, par Gaspard Marsy.
r. Saturne ou
l’Hiver en plomb doré, par Girardon.
s. Flore ou le
Printemps en plomb doré, par B. Tuby.
u. Cérès ou
l’Été en plomb doré, par Renaudin.
L’Orangerie (S. T.) est un magnifique édifice d’ordre toscan,
vraiment majestueux, qui est ordonné de façon tout à fait proportionnée. Il en
existe des gravures qui représentent très fidèlement la totalité de
l’installation. L’intérieur dans son ensemble est sobre mais exécuté en pierres
de taille d’après la coupe des pierres, avec des voûtes vraiment magnifiques.
Près de l’entrée, une niche abrite une statue du roi en pied, qui l’a saisi dans toute
sa noblesse. C’est une statue grandeur nature en marbre blanc, par Desjardins.
Parmi les outils de jardin, j’ai remarqué
un tonneau pour l’arrosage qui m’a paru tout à fait pratique. J’ai
également observé là une partie de la machine qui sert à déplacer les arbres ;
je l’ai dessinée d’après le modèle que j’ai vu à Wolffenbüttel.
Sur la place ou dans le jardin situé devant
l’Orangerie, là
où les orangers sont placés en rangs dans un ordre plaisant, figurent encore
deux bassins
56r
et de nombreuses statues. Les unes sont en bronze, les autres en
marbre. J’ai surtout remarqué celles qui suivent : Mercure et Psyché, un groupe en métal de J. de BologneKnesebeck se trompe, il ne s’agit pas d’une
œuvre du sculpteur florentin Giambologna (ou Jean de Bologne) mais de son
élève Adrien de Vries., Le Temps et l’Occasion, un groupe de marbre blanc de Regnaudin, tous
remarquablement exécutés. Borée et
Orytie, là encore en marbre blanc, par Flamen.
Le profil de l’encadrement des bassins, en marbre blanc, m’a
beaucoup plu. Tous les encadrements de bassins ne dépassent du sol que de
quelques pouces. Je ne saurais dire combien il est charmant de voir le marbre
blanc contraster avec le sable jaune des allées.
Voilà pour le jardin de Versailles.
Ce Trianon ou maison dans les buissons est très beau et mérite absolument la visite, mais, à l’intérieur, les appartements
ne sont pas encore complètement terminés. En entrant, on accède à une loggia
entièrement ouverte sur le jardin, qui ne tient que par des colonnes ioniques
accouplées, en beau marbre rouge, avec des bases et des chapiteaux de marbre
blanc. De tout Versailles, rien n’est plus charmant que cette loggia. Le sol
est également pavé d’un beau carrelage de marbre, mais le plafond est encore
entièrement vierge et blanc, et fissuré à de nombreux endroits. Sur la gauche,
on pénètre dans le Petit
Appartement du Roi qui doit un jour être richement doré ; pour
l’instant, les cimaises et corniches ont seulement été peintes en blanc avec
leurs supports. Les parties sculptées se composent seulement de petits sarments
ténus, ce qui est très charmant, ils sont taillés très délicatement sur les
cimaises. Les corniches ont les ornements ordinaires des moulures, mais elles
sont taillées très tendrementDans le sens de
« finement ».. La cheminée de l’une de ces pièces est
surmontée d’un Saint MatthieuL’œuvre, aujourd’hui disparue, nous est connue par une copie conservée dans les collections du château de Versailles.,
qui fait face à un Saint Jean
l’Évangéliste presque grandeur nature, deux très belles peintures de
MignardKnesebeck se trompe, le Saint Jean l’Évangéliste est une œuvre de Charles Le Brun aujourd’hui conservée dans les collections du château de Versailles.. Une
Arche de NoéCette œuvre, contrairement aux indications de Knesebeck, est de la main de Jacopo Bassano père (c. 1510-1592) et non de son fils Francesco Giambattista Bassano (1549-1592), dit « Bassan le Jeune ». et un Moïse au buisson ardent par
Bassan le
Jeune m’ont également semblé
tout à fait remarquables. Ils font environ quatre pieds de large et trois de
haut. La dernière
pièce de cet appartement est très richement revêtue de miroirs
et ornée de rideaux et de couverturesKnesebeck emploie le terme Decke qui peut signifier
« plafond, couverture, nappe ». Il fait probablement référence à
des pièces de tissu qui recouvraient le mobilier. de damas rouge.
Mêlé au blanc des murs, et reflété de tous côtés par les miroirs, ce rouge donne
à la pièce un côté particulièrement attachant.
56v
De l’autre côté de la loggia se trouvent un grand nombre de pièces
qui sont cependant très petites et, juste à côté, un salon octogonalKnesebeck se trompe probablement dans la désignation de la pièce : un « salon octogonal » ne peut faire référence qu’au Salon rond ; cependant il indique la présence d’œuvres de Mignard alors qu’il s’agissait à cette époque d’œuvres de François Verdier, encore présentes aujourd’hui. et une
galerie, plus à
l’arrière dans l’aile du bâtiment qui donne sur le jardin. Les plafonds ne sont
ni peints ni ornés, tous sont d’un blanc pur. Mais sur les murs, on peut voir
partout de beaux tableaux, la plupart de Mignard. Dans la galerie figurent des vues
de Versailles
peintes d’une manière tout à fait charmante et ponctuées, çà et là, de fables
qui s’accordent bien avec elles. Il est remarquable que toutes les cheminées,
qui sont en grand nombre, soient à chaque fois encadrées de variétés de marbre
différentes : sont réunies là plus de trente variétés parmi les plus curieuses.
Sur ces cheminées sont posés quantité de curieux vases à amulettes Dans l’original allemand, Knesebeck utilise le
mot amuliert. et des vases japonais dans les
plus belles porcelaines ainsi qu’une multitude de sceaux de métal. Beaucoup de
pièces étaient très délicatement tendues et ornées de damas blanc à la manière
japonaise, tout comme, le plus souvent, les fauteuils et dessus de lit étaient
de la même étoffe ; on ne saurait rien imaginer de plus magnifique. Il s’agit là
de véritables ouvrages japonais. Çà et là, quelques lits de petit format sont
dissimulés dans les murs, de sorte qu’on puisse les fermer comme des placards,
une mode déjà ancienne chez nous.
La disposition du jardin, conforme aux principes de Le Nôtre, est très
charmante ; il ne se distingue en aucune manière par ses jeux d’eau. Derrière la
maison, un bassin est couvert de beaux porphyres et vases de marbre ; un Laocoon grandeur nature avec
ses deux fils, fondu en métal d’un seul jet, a été reproduit fidèlement d’après
l’antique. Plus loin, on peut voir un tout petit bois peuplé d’arbres en
désordre, sur une petite colline. Il est traversé d’un canal composé d’un
grand nombre de cascades, fait en plomb, qui se subdivise en un grand nombre de
bras et s’écoule naturellement, sans ordre ni symétrie, ce qui produit un effet
absolument charmant. Pour en donner une illustration claire, j’ai présenté dans
le dessin qui suit un plan approximatif de l’ensemble.
NB. J’ai oublié de signaler une particularité de l’architecture de
ce palais : à l’extérieur, les murs sont partout ornés de pilastres ioniques, de
même taille que les colonnes de la loggia, en marbre gris ; mais ceux qui
donnent sur la galerie semblent être soudés ensemble, comme s’ils faisaient
cinq modules de large : un caprice vraiment déraisonnable qui produit une
impression absolument affreuse et gâche presque l’ensemble de l’édifice.
Je n’ai rien à signaler de particulier concernant la
ménagerie. Dans
son pavillon, l’appartement du roi comprend quantité de chambres de très petites
dimensions dont les portes sont taillées à proportion et sont donc presque trop
petites. Quelques escaliers de très petite taille mais commodes possèdent
seulement des encadrements en plâtre sur bois ;
57r57v
on était en train d’ajouter par-dessus, sur des
plinthes, des balustrades de fer forgé d’une beauté remarquable ; 30
personnes se pressaient dans les chambres pour les dorer. Les écuries devant les
animaux sont très intelligemment organisées, mais leur disposition n’est en
elle-même pas très heureuse, on n’a pas assez le plaisir de voir les bêtes. La
volière ou uccellieraDans
l’original allemand, Knesebeck utilise également le mot italien uccelliera (fém.) : volière. n’est pas
aussi bien agencée ni aussi plaisante que celle de Het Loo, loin s’en
faut.
Près de Versailles, aux abords de l’aqueduc, on peut voir le tout
nouveau palais de Clagny, un bel édifice qui est
actuellement la propriété de Madame de Maintenon.
Il existe une représentation gravée précise de ce palais que Mansart, actuel
directeur général des Bâtiments royaux et auteur de ce château, a fait graver
comme toutes ses autres œuvres. Je ne suis cependant pas sûr que, parmi les
architectes au fait de ces questions, ce bâtiment lui vaille les mêmes
applaudissements que le dôme de l’hôtel des Invalides. Il me semble en tout cas avoir
de bonnes raisons de considérer que cet édifice comporte beaucoup de défauts. En
soi, les pièces intérieures, en particulier les principales, telles que la
galerie, la
grande salle, un cabinet et les escaliers, sont très réussies et magnifiques,
mais c’est l’ensemble de la composition qui est fautif. L’édifice est
entièrement bâti en pierres de taille, et bien exécuté ; à l’extérieur, il est
tout à fait régulier dans sa composition et son ordonnance en général et, même
s’il ne comprend qu’un étage en ordre dorique et un demi-étage en ordre
corinthien, il n’est pas sans avoir belle allure : pourtant, il aurait mieux
valu deux étages complets, tant pour l’ordonnance que pour la beauté. Mais ce
palais aurait alors pris un tour beaucoup trop pompeux et italien, ce que les
Français peuvent difficilement tolérer. Si l’on examine point par point la
façade, on peut encore relever quelques erreurs tout à fait manifestes. Je
mentionnerai seulement ici celles que l’architecte a commises de part et d’autre de
l’entrée des ailes du château ; j’ai dessiné à cet effet l’entrée dans son
ensemble dans la figure qui suit. J’ai l’impression que Mansart a voulu ici
conforter par son autorité et justifier les fautes commises par son oncle dans
l’église des
Minimes à l’encontre de l’ordre dorique. L’architecte semble
avoir concédé qu’il était regrettable de ne pas avoir aménagé au château de Versailles une
pièce vraiment vaste, hormis la Galerie, et moins encore une salle de grand apparat ; voilà
pourquoi il a prévu dans ce palais une salle assez imposante, bien
proportionnée, toute en pierres de taille. Mais ce qui laisse à désirer, c’est
qu’elle est beaucoup plus haute que large et longue. En soi, les escaliers sont
beaux, la coupe des pierres est hardie, mais ils sont encore trop modestes pour
un tel édifice, et leur emplacement n’est pas bon, car il faut faire
58r58v
un effort pour les trouver. Enfin, la communication
entre les appartements est extrêmement malcommode. Cet exemple me conforte dans
l’idée que le confort des édifices français n’est pas aussi grand qu’on le
prétend : qu’on me permette de le dire. Dans les élévations ci-dessus, j’ai mentionné les peintures qu’il
est prévu d’ajouter dans la galerie et l’orangerie. Pour l’instant, elles ne sont pas encore réalisées.
Sur le plan, le jardin est tout à fait plaisant, mais en réalité, il est fort
mal entretenu et l’étang au fond du jardin, encore dépourvu de bordure, est
envahi par les ajoncs et la vase.
est à deux
bonnes heures de Versailles dans une vallée très riante entre deux collines. La
perspective n’est ouverte que d’un seul côté, en direction de Saint-Germain.
L’installation d’ensemble est très bien pensée. Comme il n’en existe encore
aucun plan, j’en ai dessiné un par moitié (fig. X)Knesebeck se trompe ici, il s’agit de la figure 11 et non de la figure
10.. À l’extérieur, les bâtiments sont entièrement lisses
et simplement peints à la fresque avec de l’architecture feinte, ce qui est tout
à fait inhabituel en France. Le bâtiment central est seulement carré ; il ne possède
pas de cour mais, à la place, au centre, une coupole placée au-dessus d’une très
haute salle octogonale éclairée par en haut à la manière des salles égyptiennes.
Lorsque je l’ai visitée, cette salle était en train d’être décorée à neuf
d’ornements de plâtre et de pilastres corinthiens qui, eux aussi, n’étaient
qu’en plâtre ; on installait également un pavage de marbre. En haut, une étroite
ouverture vers le ciel a été ménagée dans la coupole ; au-dessous est placé un
passage couvert qui est malgré tout passablement clair, même s’il ne reçoit que
peu de lumière, s’infiltrant d’en haut de façon étonnante, et n’est guère
éclairé par la salle. Le passage supérieur permet d’accéder au troisième étage
qui ne possède que des demi-fenêtres et qui est entièrement couvert par un toit
plat en appentis. La salle est entourée de quatre petits escaliers sombres, qui
n’ont pour l’instant qu’un encadrement de plâtre et de bois et conviendraient à
peine pour la maison d’un homme du commun. En somme, cette demeure et surtout
les autres bâtiments ne présentent pas grand-chose de notable. Le jardin, en revanche, est
remarquable, et aménagé de façon intelligente. On peut se féliciter notamment
que l’architecte ait fait le choix d’un principe entièrement contraire à celui
du jardin de
Versailles et installé celui-ci entre deux collines, dans un
lieu où la pente est douce, en sorte qu’on peut voir toute la maison depuis le
bas du jardin, au-dessus des différents paliers. De A. à B. et de F. à G., la
pente est vraiment raide, mais de D. à C., elle l’est un peu moins ; de B. à C.,
vers le milieu, ainsi que de G. à E., le jardin ne descend qu’en terrasses
basses entourées de verdure.
59r
Mentionnons qu’à la lettre E. un étang est placé de
façon inattendue très bas et à partir de là, on peut voir des installations
entièrement nouvelles qui n’ont pour ainsi dire rien à voir avec les précédentes
(voir la fig. X). Concernant l’ordonnance du jardin, il faut ajouter les précisions suivantes,
pour pouvoir bien la comprendre à partir du plan. En F., une chute d’eau
provenant d’une hauteur élevée descend assez abruptement par un grand nombre de
degrés, ce qui produit un effet absolument charmant. Tout en haut jaillissent
trois petits jets d’eau. Dans le bassin g. 3, l’eau s’écoule au centre par une
cascade mais elle jaillit également de sept têtes de lion dorées. De plus, 4
jets d’eau montent à environ 30 pieds de haut. De là, l’eau s’écoule en g. 2, en
5 cascades en rocaille, et jaillit de 3 grands et 22 petits jets d’eau. Puis
elle arrive en g. 3 où elle jaillit de 6 grands jets d’eau et d’un jet d’eau
monumental qui monte à plus de 110 pieds et retombe en trois degrés. Enfin, elle
jaillit en g. 4 de quatre grands jets d’eau et de différents petits, et retombe
en 5 degrés. On peut voir tous ces jeux d’eau fonctionner en même temps, ainsi
que ceux qui se trouvent des deux côtés sur la colline du parc, ce qui fait en
tout 41 grands jets d’eau, sans parler des petits. Cet ensemble est fort
singulier et surprenant. Deux points m’ont cependant paru laisser à désirer :
premièrement, tous les jets montent verticalement, et, deuxièmement, il n’y a
pas de sujets dans ces jeux d’eau comme à Versailles. Avec le temps, il faudrait en ajouter,
même si rien de concret n’a été prévu jusqu’à présent. Les trois terrasses en i.
k. k. et n. qui correspondent aux parties surélevées du jardin des deux côtés
sont tout à fait agréables et rares. Les petits arbres taillés de la terrasse
n., les doubles allées uniquement composées d’arcades d’arbres absolument
identiques et les allées de voûtes d’arêtes se rejoignant sur la terrasse
suivante k. k. et, enfin, les pavillons peints d’une architecture à la fresque,
entre lesquels sont installés des espaliers de feuillus, forment une belle
perspective. Ce jardin peut ainsi être considéré comme un modèle de belle
ordonnance. Pour les autres éléments remarquables, on se reportera au plan.
J’ajouterai ici quelques brèves remarques sur les conduites d’eau.
C’est là un
ouvrage inouï, dont le coût est stupéfiant ; on ne peut que s’étonner qu’un roi
consacre de telles sommes à son divertissement. L’eau est puisée dans la
Seine par 13
tuyaux de fer, qui font chacun jusqu’à 30 pouces de diamètre, à l’aide de pompes
métalliques, puis acheminée jusqu’à un point très élevé, à mi-hauteur d’une
colline, et déversée dans des bassins de cuivre.
59v
De là, elle est envoyée dans 15 tuyaux au moyen
d’autres pompes, jusqu’au sommet de la colline. À l’aide d’un troisième ensemble
de pompes, elle est conduite ensuite jusqu’à un aqueduc très élevé, construit en
pierre et comprenant des arches. Toutes ces pompes se déplacent sur des rails
semblables à ceux qui sont employés dans nos mines mais qui, au lieu d’être en
bois comme chez nous, sont faits d’épaisses barres de fer de 2 pouces 1/2. Celles-ci sont
actionnées à l’aide de 7 roues de 30 pieds de diamètre qui sont installées sur
toute la largeur de la Seine à côté de 7 autres qui actionnent les pompes du niveau
inférieur. Les roues sont mises en mouvement par une chute de la Seine de 4 pieds environ.
Depuis l’aqueduc de pierre, l’eau retombe dans 6 très grands tuyaux de fer et
s’écoule sur plusieurs centaines de brasses jusqu’à une petite maison ; là, elle
remonte à nouveau et se déverse dans des rigoles de cuivre dont elle sort pour
s’écouler dans un très grand bassin profond, possédant un parement de pierre. De
là, elle se subdivise et s’écoule d’une part dans le réservoir de Marly qui, à
gauche au-dessus de F., est installé sur la colline, et d’autre part dans des
galeries souterraines pour rejoindre le grand aqueduc de pierre, aux murs
massifs, de Montreuil, un village proche de Versailles. Cet aqueduc
conduit à un quadruple bassin à parement de pierre, divisé en quatre parties par
une digue de pierre croisée ; au centre de la digue, de forme octogonale, se
trouve un cabanon. De là, l’eau s’écoule souterrainement jusqu’à Versailles, où elle est à
nouveau propulsée en hauteur et se déverse dans un réservoir installé sur une
plateforme au sommet d’un bâtiment situé directement sur les flancs du château.
Depuis ce réservoir, enfin, l’eau s’écoule dans les fontaines du jardin. Tous les tuyaux
sont en fonte de fer, ils font environ 5 pieds de long et sont soudés les uns
aux autres au moyen de vis. Comme on peut le voir sur le croquis suivant, les
intervalles sont comblés avec de la colle. Dans les fontaines, en revanche,
les tuyaux de plomb font souvent de 34 à 36 pieds de diamètre ;
l’épaisseur du matériau est de 1/2 à 3/4 de pouce. Les aqueducs de pierre font 8 pieds de large en haut,
la rigole 5 pieds, elle est doublée de plomb et recouverte de pierres qui sont
toutes bien ajustées
et de surcroît fixées par des tiges de fer, comme on peut le voir sur
le profil qui suit. La maçonnerie est en moellons avec une belle pente : à 35
pieds de haut environ, l’écart est d’un pied, étant donné que la hauteur du mur
est de 120 pieds environ, et qu’il fait 8 pieds de large en haut et 16 en bas au
passage de Montreuil. De là, je me suis rendu à Saint-Germain mais je n’y ai vu aucune construction
notable.
on peut voir une belle maison de campagne à 2 lieues de Paris, placée sur une
colline assez élevée, qui appartient au duc d’Orléans. Dans la figure qui suit,
60r60v
j’en ai tracé le plan à grands traits, parce qu’aucun n’avait encore été publié. Ce palais a été dessiné par GittardIl s’agit d’une erreur, les deux architectes connus ayant travaillé au château de Saint-Cloud sont Antoine Lepautre et Jules Hardouin-Mansart. Daniel Gittard a pu être confondu ici avec Jean Girard, l’entrepreneur travaillant pour Antoine Lepautre. Cf. Krause 1996, p. 100., actuellement
membre de l’Académie
d’architecture de Paris. À la vue de cet édifice, tout comme de
l’église
Saint-Jacques-du-Haut-Pas, on peut dire qu’il s’agit là d’un bon
architecte mais qu’il lui arrive de se laisser aller à de singuliers caprices.
Le corps de bâtiment principal possède deux étages parfaitement bien
proportionnés, l’étage inférieur est rustique et toscan, l’étage supérieur
corinthien. Toute l’architecture est assez pure, on peut seulement observer dans
les deux portiques des ailes du bâtiment, en A., un caprice tout à fait
étonnant. Ces portiques se composent de quatre
colonnes toscanes /a./ surmontées d’une corniche architravée et
supportant un balcon. Mais à l’arrière, les pilastres en /b./ sont en ordre
romain et tout à fait rustiques dans leurs proportions.
L’escalier principal, qui se situe au centre de l’aile gauche en
entrant, est bien disposé, mais il est surprenant et incongru que ce soit là
l’unique escalier desservant l’ensemble du palais, alors qu’il est si éloigné
des appartements principaux. On peut inférer de là que ni Monsieur Mansart ni
Monsieur Gittard ne
sont vraiment au fait de la commodité et de la distribution intérieure des
édifices. La partie arrière du bâtiment principal abrite un autre escalier
relativement vaste, mais il n’est doté que d’un très simple encadrement de bois
plâtré, et n’est éclairé que par une faible lumière. Pour le reste, on ne trouve
dans l’ensemble du bâtiment que des escaliers dérobés. En ce qui concerne
l’ordonnance de l’escalier
principal mentionné plus haut, c’est la meilleure que j’aie vue
en France : en bas,
elle est ornée de magnifiques colonnes toscanes de marbre et, en haut, de
pilastres engagés ioniques ; elle est surmontée d’un grand plafond bordé de
hautes voussures qui, au fil du temps, sera magnifiquement décoré. Les
appartements sont grands, imposants, et richement meublés, mais les
irrégularités que l’on peut relever dans le plan sont soigneusement cachées : si
l’architecte
ne les avait commises qu’en raison de contraintes impérieuses, il aurait pu
mériter de grands éloges. Cependant, dans un palais entièrement neuf et non
mitoyen comme celui-ci, rien ne permet de supposer que de telles contraintes
aient joué un rôle. La galerie et le salon qui la précède sont superbes et ce dernier est
entièrement revêtu de marbre. La disposition ressemble beaucoup à celle de Versailles, à ceci près qu’il n’y a qu’un salon, et des
fenêtres des deux côtés. Le salon est orné d’une Assemblée des dieux, dans un cercle. La
voûte en berceau de la galerie se subdivise en cinq parties principales ; les deux
parties des extrémités et la partie centrale sont ornées d’un tableau, les deux
autres de deux grands tableaux qui reposent sur la corniche. Toutes les parties
sont séparées par de larges bandes comprenant chacune deux ovales et un carré
avec des arcs de cercles peints pour une part en jaune sur jaune et pour une
part en lapis, et relevés à l’or. Toutes ces œuvres sont de Mignard, et dépassent
presque en attrait la Galerie de Versailles. Les sols sont entièrement couverts de petites
lattes de parquet foncé disposées pour former toutes sortes de figures, comme on
61r61v
en trouve dans presque tous les palais ;
mais cette couleur foncée est vraiment affreuse et pour ainsi dire crottée. Au
demeurant, cela peut parfois présenter un avantage : on peut rentrer avec des
chaussures crottées, cela ne se voit pas tout de suite.
Le jardin est grand et assez magnifiquement aménagé ; il est très
bien situé mais les ornementations sont un peu démodées et les allées ne sont
pas bien entretenues. La seule chose à retenir en priorité est selon moi la
nouvelle cascade qui est manifestement belle et magnifique. Elle me confirme
dans l’idée que le plus grand talent et l’art le plus consommé des Français
résident dans les jeux d’eau comme dans la sculpture ; dans ces domaines, ils
égalent au moins les autres nations, s’ils ne les dépassent pas. Je donnerai ici
un court descriptif de cette cascade ; pour faciliter la compréhension, j’ai
ajouté un plan, car aucune gravure n’en a été publiée pour l’instant.
La situation est très avantageuse : la cascade tombe d’une colline
assez élevée d’où l’on a directement vue sur la Seine et sur la ville de
Paris, une
perspective extrêmement plaisante. La disposition est la suivante : (voir la
fig. précédente) en haut s’étend une terrasse d’une triple avancée englobant
deux espaces en contrebas qui retiennent le regard par les arcades qui les
entourent et sur lesquelles ont été aménagés à chaque fois un petit jet d’eau et
une petite cascade. De là, l’eau s’écoule très à pic en suivant 9 volées
échelonnées qui diffèrent par le nombre de marches, leur forme et leur hauteur,
mais dont l’ordonnance d’ensemble est très réussie et produit un effet
remarquable. Au-dessus de la première, de la troisième et de la quatrième
cascade s’élèvent des jets d’eau, de part et d’autre du centre. Les autres
cascades sont également surmontées de jets d’eau mais ceux-ci sont placés sous
les arcades. À côté des deux cascades des extrémités figurent, de part et
d’autre, des vases dorés et, tout en bas, une statue, ainsi que deux vases
semblables sur le devant, puis, tout en bas de la cascade, de petits jets d’eau
et, en dessous, des têtes de lion dorées qui crachent de l’eau. Ici et là sont
également posées de très grandes grenouilles dorées. L’encadrement de tous ces
ouvrages se compose pour une part de pierre peinte de la couleur du marbre et
pour une part de rocaille en couleur. Tout cet ensemble produit un effet
absolument somptueux quand on se trouve en bas devant le long canal, où sont
installés encore beaucoup de jets d’eau puissants et pas mal de degrés de
cascades. Il est dommage que n’aient pas été ajoutées des sculptures à sujets
poétiques qui auraient pu réjouir l’âme. Des deux côtés figurent il est vrai un
grand nombre de statues de pierre et de plomb, mais elles auraient été à leur
place n’importe où ailleurs aussi bien qu’ici.
Ainsi s’achèvent mes remarques sur Paris et ses environs, et
j’ajouterai quelques observations sur ce que j’ai vu au cours de mon voyage de
retour : bien que celui-ci ait été lent, à travers la France, il ne m’a pas
donné l’occasion de voir grand-chose.
62r
Depuis Paris, je suis passé par
Louvres en Parisis, à 6 lieues françaises de Paris, puis par Senlis, 4 lieues plus
loin ; juste avant d’atteindre Senlis, on passe par Chantilly qui est une belle maison de plaisance du prince de Condé, bien
située, mais il m’a été impossible de descendre de voiture pour visiter ce lieu
fameux, car il aurait fallu pour cela m’acquitter de frais considérables. De
Senlis, j’ai
poursuivi ma route par Verberie, à quatre lieues de là,
puis par Compiègne, 4 lieues plus loin, où nous sommes passés
tout près du champ de tir où se trouvait le camp militaire éphémèreKnesebeck fait allusion aux fameuses manœuvres
militaires qui se déroulèrent à Compiègne du 28 août au 22 septembre 1698 en
présence de Louis XIV. On en trouve un long récit dans le journal de voyage
des frères Corfey. Voir sur le portail ARCHITRAVE l’édition numérique du manuscrit des frères Corfey, vue 66-80 (du 9 au 22 septembre 1698)., dont il ne
restait cependant plus le moindre vestige. Nous avons poursuivi vers Noyon (5 lieues), Ham (5 lieues), Saint-Quentin (5 lieues), puis Castelet (5 lieues), où l’on peut voir une vieille forteresse
carrée en ruine, qui avant était une bonne défense contre la France et possédait de
belles voûtes sous ses remparts ; nous nous sommes arrêtés à Cambrai. C’est une belle cité et on voit bien que commencent déjà
là les villes hollandaises que le roi a maintenant conquises en grande partie.
Saint-Quentin
est déjà fortifié mais n’a plus beaucoup d’importance aujourd’hui ; c’était
cependant là, visiblement, une place forte qui n’était pas mal faite. Il est
vrai que le rempart principal ne possède que de petits bastions bâtis, assez
éloignés les uns des autres. En revanche, il est précédé par des bastions plus
grands et détachés, assortis par endroits de contre-gardes dont les pointes sont
précédées de redoutes bâties. La contrescarpe est agencée avec des traverses à
la manière de Vauban. Cambrai est un peu mieux conservé. J’ai vu là la citadelle qui est un
pentagone fortifié à l’espagnole, avec des fossés étanches d’une profondeur
extraordinaire ; ils font face au champ de tir. L’horizon et les ouvrages
extérieurs sont si bas que, depuis le rempart, on ne peut même pas voir le
ravelin en entier. La présence conjointe, du même côté, des fortifications de la ville
et de la citadelle
est remarquable, mais de l’autre côté, elle est simple : voilà pourquoi
j’ai fait ici un dessin de cette conjonctionKnesebeck utilise le terme Conjunction en
allemand. en représentant en même temps la disposition des bastions
de la citadelle. On
verra ainsi que les gravures présentées dans les Forces de l’Europe sont entièrement fausses, tout comme
celles de Valenciennes et de Naarden, dont le dessin est également faux dans ce
même ouvrage.
62v
Les ouvrages principaux qui entourent la ville n’ont rien de
particulier, mais sont bien dotés de beaucoup de bonnes constructions
extérieures. Lorsque nous sommes entrés dans la ville,
cette disposition des fortifications était entièrement bâtie en
brique, y compris les ravelins les plus excentrés. L’hôtel de ville de
Cambrai est un
vieil édifice gothique assez important. La situation de la citadelle en face de la
ville est tout à fait avantageuse, sur une hauteur en pente douce depuis
laquelle on a vue sur toute la ville et peut mener l’assaut. De Cambrai à Haspres,
la route est longue de 4 lieues, puis il faut parcourir 4 lieues encore jusqu’à
Valenciennes. Cette place forte frontalière conquise par les
Français est très bien fortifiée, et bien construite à l’intérieur. La situation
est très avantageuse en raison de l’abondance de fossés et de marais. La place
forte est entièrement bâtie en pierre. Elle possède un polygone tout neuf, à la
manière de Vauban. Les bastions et leurs talus descendent directement à pic
jusqu’au fond des fossés : on a l’impression qu’ils sont noyés. On ne peut pas
bien visiter la citadelle, il est même formellement interdit d’accéder aux
remparts : sur ce point, les Français sont tout à fait excessifs, alors qu’ils
ont beaucoup critiqué les Allemands à ce sujet. Mais la citadelle semble trop
petite : on croirait voir une simple réduction. Les ouvrages extérieurs font
face au champ de bataille, mais je n’ai pu les examiner faute de pouvoir
m’approcher suffisamment. D’après ce que j’ai vu, ils se composent seulement de
petits flancs tout simples ; les fossés, en revanche, étaient profonds. Dans les
Forces d’Europe, on peut voir
des fossés tout autour mis en eau, mais ils sont en grande partie asséchés, par
exemple autour du nouveau polygone à la Vauban.
De Valenciennes, la route se poursuit par Quiévrain (3 lieues) jusqu’à Mons (4
lieues). Même si cette ville est située au sommet d’une colline entourée
d’autres hauteurs, on peut en avoir une vue d’ensemble avec tous ses édifices
car les fortifications sont en bas et entourent la colline. Mais ce
lieu n’en est pas moins un emplacement excellent pour une grande place forte ;
celle-ci est pourvue d’un si grand nombre d’ouvrages qu’à moindre coût, elle
pourrait devenir tout à fait formidable. Ce serait d’autant plus nécessaire que
les grandes places fortes françaises sont toutes proches. Pourtant, celle-ci
n’est aujourd’hui entretenue que très médiocrement ; ainsi, les ouvrages
ont l’air assez informes et ne sont pas adaptés à la défense. Sans parler du
fait que cette place forte est beaucoup moins bien agencée que Valenciennes, toute proche.
La plupart des ouvrages sont simplement en terre, seul un petit nombre est bâti
en moellons.
63r
Si les saillants étaient davantage pointus, ils
pourraient beaucoup plus difficilement être attaqués de l’extérieur. De
Mons, enfin, la
route se poursuit vers Braine-le-Comte (4 lieues) et,
de là, il faut encore 3 heures jusqu’à Notre-Dame de
Hal puis 3 heures jusqu’à Bruxelles.
Il est admirable de voir que, en si peu de temps après son
bombardement, cette ville a été reconstruite avec autant de magnificence et de
luxe, même si un certain nombre d’édifices qui ont malheureusement été la proie
des flammes témoignent encore de la cruauté des Français. Du reste, il est
regrettable que des sommes aussi colossales aient été dépensées pour les
nouveaux édifices en faisant appel à des architectes aussi pitoyables. On peut
dire que, parmi tous les bâtiments, aussi bien anciens que nouveaux, il ne s’en
trouve pas un dont l’architecture soit pure et correcte. Les églises sont
splendides et construites à grands frais, mais toutes défigurées par des fautes
manifestes. J’en ai dessiné quelques-unes pour me servir d’aide-mémoire, mais il
ne vaut guère la peine d’en faire le croquis car il est difficile d’en tirer des
leçons ; aussi n’en ai-je représenté qu’un petit nombre.
L’église des Jésuites, la plus belle, bien que très proche du
lieu de l’incendie, a tout de même subsisté. J’en ai représenté le plan dans la
figure qui suit, mais il ne vaut pas vraiment la peine d’en faire l’élévation ni
le profil. Cependant, j’ai dessiné dans la fig. XII la moitié de l’élévation ainsi
qu’une version améliorée. Ce qu’il y a de plus beau, c’est que cette église est
fortement surélevée et qu’on doit donc monter les marches d’un escalier bien
disposé pour accéder à ses portes. La partie inférieure de la façade est en
ordre toscan, ou bien dorique avec des piédestaux aux proportions passables ;
cependant, la frise n’a pas de triglyphes : la frise et l’architrave sont en
saillie au-dessus de chaque pilastre dorique. L’étage est en ordre corinthien,
avec des colonnes adossées surmontant des piédestaux, au-dessus desquelles
l’entablement est là aussi en surplomb. La colonnade supérieure est un pur
caprice, elle ne sert à rien. Le portail principal, la grande fenêtre qui le
surmonte et l’écusson qui figure tout en haut avec l’insigne des Jésuites sont
beaucoup trop confus. J’ai dessiné la moitié de la façade et imaginé une
amélioration de l’autre moitié, afin de pouvoir mieux juger de ce qu’il y a de
pur et d’impur dans cette architecture. À l’intérieur, la voûte de la nef ne
repose pas sur des arcades comme il est usuel dans les églises italiennes et
françaises, mais sur des arcs portés par de grandes colonnes doriques
indépendantes, ce qui rend l’église plus lumineuse mais n’offre pas la même
solidité. L’entablement placé au-dessus possède une frise assez haute qui
comprend deux trous ovales au-dessus de chaque arc ; les intervalles sont
occupés par des écussons entourés de nombreuses sculptures. Les petites colonnes
placées juste devant sont toutes sculptées dans un marbre précieux brun-rouge,
tandis que les chapiteaux et bases sont en marbre blanc. Les colonnes supportent
des arcades de marbre noir ; les intervalles sont complétés par du marbre blanc
et brun-rouge ;
63v64r
l’ensemble est encore surmonté d’une balustrade de marbre. Lorsqu’une
distance importante sépare les colonnes, les arcades sont au nombre de deux ;
elles se rejoignent au milieu et sont suspendues en l’air ; leur extrémité
commune s’achève sur une grappe de raisin. L’ensemble de la composition présente
un aspect fort bizarre et capricieux. Le chœur est divisé en sept parties, avec
quatre pilastres romains à l’avant et, à l’arrière, seulement des pilastres
beaucoup plus étroits surmontés non de chapiteaux mais de consoles en saillie.
L’ensemble ne se caractérise pas seulement par ses mauvaises proportions mais
aussi par l’indigence de sa facture et de ses formes. L’autel comprend quatre
colonnes détachées et deux colonnes adossées d’ordre corinthien en marbre rouge,
avec un amortissement dont l’ordonnance et l’invention sont simples ; il est
surmonté d’un saint Michel combattant le dragon peint en grisaille sur un
panneau qui a été découpé. Le retable, une Assomption de Marie, est bien peint. Dans les deux
chapelles figurent des autels de marbre noir et blanc, et des statues de marbre
blanc. Les niches a. et b. sont aussi en marbre noir et abritent des statues de
marbre blanc ; au mur, au-dessus des fenêtres dotées d’encadrements y compris à
l’intérieur, des bustes sont placés dans des niches. Celles-ci sont surmontées
de douze paysages de Gassel relatant les histoires des jésuites ; au-dessus sont
figurés les martyres des Jésuites grandeur nature. La tour de cette église est
construite proprement, avec les ordres dorique, ionique, romain et corinthien :
j’en ai fait le dessin ci-dessus.
Sur le chemin pavé de Coudenberg, juste derrière le
château, les
carmélites possèdent une église dont la disposition intérieure et extérieure est assez
bonne. L’architecture en soi est plus épurée que celle de tous les autres
bâtiments de Bruxelles ; les entrecolonnements sont seulement beaucoup
trop larges et les colonnes trop petites pour une telle ordonnance. La facture
n’est pas non plus
64v
très soignée. Dans la partie inférieure de la
façade, des niches abritent des statues de saint Joseph et sainte Anne ; à
l’étage, saint Albert et sainte Élisabeth. Au sommet, le fronton supporte une
statue de la Vierge assise. La fig. XIII représente la façade de cette
église : Pl. XIII. j’en ai dessiné une moitié dans son état actuel et l’autre telle
qu’elle devrait être. L’architecture est en pierres de taille, sur un fond de
briques. À l’intérieur, deux colonnades sont superposées ; celle du bas est
ionique, avec de hauts chapiteaux et une rangée de feuillages ; celle du haut
est romaine. Celle du bas possède des arcades assez bien proportionnées ; celle
du haut comprend des fenêtres cintrées entre les pilastres engagés.
Sur la courte rue
des Chevaliers se dresse le couvent des Convers. À l’extérieur, il possède une
façade à l’italienne, mais elle est très dégradée, confuse et de fort mauvaise
facture. L’intérieur de l’église est tout simple mais bien éclairé. L’autel
possède des colonnes torses marbrées et un retable représentant la Résurrection de Lazare, dont
l’ordonnance est singulière.
À l’angle de la rue de l’Hospice se tient l’église de l’hôpital Saint-JeanKnesebeck écrit « kirche des Nasocomii St. Johan », nosocomium, ii (n.) voulant dire « hôpital ».,
elle est encore très modeste, et très endommagée par l’incendie. L’ordonnance de
l’autel est cependant assez bonne, elle ressemble assez à celle de l’église Saint-Jacques d’Anvers. Le
plan en est le suivant.
À la place du retable, on trouve ici un Baptême du Christ par saint
Jean-Baptiste, grandeur nature, en plâtre. En 1, 2, 3 et 4, les quatre
Évangélistes sont figurés en bas-relief. En haut, un amortissement doré, avec
des putti, en plâtre blanc ; tout est très bien dessiné et l’ordonnance
d’ensemble est plaisante.
Sur la rue du Fossé aux loups se dresse l’église des Augustins, avec son imposante façade en
pierres de taille. Elle possède deux colonnades : dorique en bas, romaine en
haut, surmontées d’une corniche. Cependant, les frontons brisés défigurent cette
façade, qui pâtit également d’un défaut de proportions. À l’intérieur, on peut
voir un autel avec des colonnes torses en marbre, tout à fait précieux, mais
torturé et étrange. Aux murs sont accrochés de très beaux paysages rapportant la vie de saint
Augustin, d’une très bonne main. On n’a pu me dire qui en était
l’auteur.
Sur la place du Béguinage se dresse l’église la plus riche de la
ville, qui est aussi la plus déroutante et la moins bien proportionnée. À
l’intérieur comme à l’extérieur, elle est surchargée de quantité d’ornements
absurdes ; sa vision est désagréable et on peut déplorer les dépenses ainsi
encourues en vain.
65r
Cette église contient de beaux tableaux, dont je n’ai
pas identifié le sujet ; ils sont dus en tout cas au pinceau de Rubens. À l’extérieur,
autour de l’église, on peut voir de petits renfoncements carrés abritant des
bas-reliefs de plâtre qui représentent la Passion du Christ. Une partie d’entre
eux est très bien dessinée.
L’église de
Sainte-Marie-Auxiliatrice sur le marché au Charbon est
construite, à l’extérieur, à l’italienne, mais le dessin en est assez
fantasque.
L’intérieur de l’église des Riches Claires n’est pas d’une aussi mauvaise
ordonnance que le suggère le plan approximatif qui suit, mais l’architecture
n’en est pas du tout correcte.
L’extérieur ne pourrait être pire ni plus absurde. Par exemple, les
pilastres extérieurs sont toscans mais les chapiteaux ont des volutes.
L’église des
Carmélites est entièrement reconstruite à neuf, elle est assez
imposante mais là encore, l’architecture n’est pas correcte. Les pilastres de
l’église sont en partie ioniques mais à la place des chapiteaux, ils possèdent
des cornes d’abondance entrecroisées. En somme, si les Bruxellois n’avaient pas
eu et n’avaient pas encore à déplorer l’absence d’un bon architecte, ils
posséderaient d’excellents bâtiments, vu les dépenses engagées. Ici, je dois
dire que, parmi un grand nombre de maisons nouvellement construites, j’en ai vu
trois tout au plus dont les façades étaient passables et dont j’aie souhaité
conserver le souvenir.
65v
Dans la rue des
Anges se dresse une maison ressemblant à un petit hôtel en pierre de
taille, tout simple mais exécuté avec soin, d’une ordonnance bien proportionnée,
à la façon de la plupart des maisons de Paris. La porte cochère est toscane, sans ordre,
d’une très bonne ordonnance ; j’ai notamment pu observer que l’ordonnance de la
corniche est parfaitement conforme, dans ses différentes parties et dans ses
proportions, aux règles de Scamozzi ou de Goldmann.
Cet édifice est du reste le seul que je tienne pour
bon et correct parmi ceux de Bruxelles. Les demeures qui devraient être les plus belles,
celles qui donnent sur la Grand-Place, sont au contraire justement les plus hideuses,
parce qu’il y règne une trop grande confusion de couleurs et un trop grand
mélange. Certains ont fait apposer une grande quantité de dorures sur leur
maison. Du point de vue de la disposition, le meilleur édifice et le plus pur,
parmi ceux de la Grand-Place, est celui que j’ai dessiné sur la page qui suit. Tout
autour de la place, on peut lire sur ces maisons des inscriptions tout à fait
remarquables : par exemple, sur la maison voisine de celle qui est dessinée ci-dessous, où est
figuré, en haut de la façade, le prince-électeur de Bavière à cheval.
L’inscription placée au-dessous est la suivante : Dum premeret radiis nostram sol Gallicus Urbem Te Solum in moestos
vidimus ire rogos Quid mirum geticae qui fregit cornu Luna.
Gallica si solis lumina non metuatPlus bas derrière
l’hôtel de
ville, on peut voir une maison sur laquelle se trouve un phénix accompagné
de cette inscription : Stipes quod tertio
Cinis, gloriosor Ex virgo Phoenix sum.
66r66v
En haut de la Grand-Place, toutes les maisons constituent un ensemble, elles
ont l’air de ne former qu’une seule grande demeure. En haut sur la frise, il est
écrit en grandes lettres noires : CoL.L.I.s Vt In CIneres nVper fVIt Ig= ne reDVCtVs, aLtIor e bVsto
DenVo Cres= Cit apeX.Le chiffre de l’année 1702 est caché
dans ces vers, peut-être parce que c’est aux alentours de cette date que ces
édifices doivent être entièrement terminés.
L’hospice est aussi assez régulier et de bonne prestance. Il a
été entièrement reconstruit en pierres de taille après l’incendieKnesebeck fait allusion à l’incendie provoqué
par les bombardements de la ville par les troupes françaises de Louis XIV
les 13, 14 et 15 août 1695.. Le dessin ci-contre en présente une
élévation ; il ne vaut pas la peine d’en établir un plus grand et plus
détaillé.
Enfin, le bâtiment de l’opéra est encore passable. À Bruxelles, on crie au
miracle, raison pour laquelle j’ai également dessiné une esquisse de la façade
antérieure. Elle est en pierres de taille et de facture très soignée ; le reste
de ce vaste édifice est en briques, y compris, à l’arrière, l’opéra proprement dit, qui
n’est pas trop grand mais comprend un théâtre assez vaste et un grand nombre de
loges sur plusieurs étages. Le parterre en revanche sera petit. Lorsque j’ai
visité l’opéra, seuls les murs extérieurs étaient achevés.
Hormis les maisons dont j’ai déjà parlé, je n’ai rien trouvé qui
puisse agréer à un connaisseur de l’architecture ; je crois pourtant avoir
parcouru toutes les rues principales. Cependant, dans un coin très reculé de la
ville, j’ai remarqué un grand perron de pierre qui aurait été suffisamment
somptueux pour le plus grand des palais ; là où il est, il ne sert à rien, sinon
à ménager un accès aux remparts. J’en ai dessiné le plan sur la page qui suit.
L’édifice lui-même se trouve au bout de la Broekstraat et on l’appelle le Nouvel Escalier.
67r
Une autre beauté de Bruxelles est l’abondance de fontaines de bonne facture que
l’on trouve dans les rues ; certaines d’entre elles possèdent une disposition
tout à fait correcte. Il en existe une avec la statue de métal d’un enfant
urinant ; l’enfant est assez bien dessiné. Dans ce domaine,
Bruxelles
devance Paris où,
mis à part la fontaine des
Innocents et la Samaritaine, on rencontre peu de fontaines façonnéesPar « façonnées » Knesebeck veut
probablement dire « d’une architecture sophistiquée »..
Enfin, les fortifications de Bruxelles possèdent un assez bon emplacement, mais leur facture
est très mauvaise : les ouvrages ont été laissés dans une forme approximative et
le reste n’est que buttes de terre sans ordre, que tout le monde arpente, y
compris le bétail auquel elles servent de pâturages.
67v
Depuis Bruxelles, il faut encore 8 heures jusqu’à Anvers ; on peut emprunter les bateaux de halageDans l’original allemand, Knesebeck utilise le mot
néerlandais trekschiuten (pl. de trekschiut) : coches d’eau.
qui sont beaucoup plus grands que les hollandais et aussi beaucoup plus
confortables ; en revanche, il est malcommode d’avoir à changer souvent de
barque.
Anvers est une très
belle ville, mais qui ne présente rien de particulièrement remarquable en fait
de bâtiments, hormis les églises. L’hôtel de ville, dont on peut trouver une élévation
et une description dans la Topographie
des Pays-Bas de Blaeu, possède une façade assez imposante, dont le
centre est occupé par de belles colonnes de pierre marbrée. Quant aux églises,
voici les principales observations que l’on peut faire.
C’est un édifice gothique,
avec une coupole également gothique assez ouvragée. Mais on peut y voir beaucoup
d’autels, chapelles et monuments beaux et précieux. Le grand maître-autel est
fait de différents marbres, blanc, noir et un peu de gris ; on pourra apprécier
sa disposition et sa forme sur l’esquisse de la page suivante. Saint Jacques,
identifiable à la coquille et au bâton, est emporté au ciel. En haut est figurée
la Sainte Trinité et l’amortissement qui l’abrite est doré. La corniche des
colonnes corinthiennes est entièrement ornée de feuillages et non de modillons,
ce qui n’est pas très heureux. Deux sculpteurs ont travaillé à cet autel :
Quellinus le
Jeune et Willemsen, deux artistes remarquables. Voici le plan de cet
autel.
68r68v
À l’avant, des deux côtés du chœur, deux chapelles abritent deux
autels de marbre noir et blanc, dont le plan est le suivant.
Celui qui est situé à droite en entrant est orné en a. d’un Saint Pierre de Verbrüggen et en b.
d’un Saint Paul de Willemsen, deux pièces
remarquables en marbre blanc. En haut, au-dessus de l’autel, Dieu le Père est représenté
assis, une œuvre du même Willemsen. Le retable est une Sainte Cène, très belle, dans
des couleurs douces, et de plus bien dessinée. Le maître a ici beaucoup
imité Raphaël.
Je n’ai pu connaître son nom. Même si les couleurs sont encore vives, il est
visible que ce tableau a été peint il y a pas mal de temps. L’autel qui fait
face à celui-ci reprend la même symétrie mais je n’ai pu l’examiner précisément
parce que la nuit m’a surpris.
Si, depuis cet autel, on fait le tour du chœur en
direction de la gauche, on peut voir dans la chapelle suivante la Rencontre d’Élisabeth et de
Marie, par Lind, un disciple du célèbre RubensKnesebeck se trompe probablement sur l’auteur de ce tableau : la seule Visitation présente à l’église Saint-Jacques est celle de Victor Wolfvoet, disciple officieux de Pierre Paul Rubens dont il s’inspire de manière très explicite. Voir l’inventaire des retables baroques des Pays-Bas méridionaux par Valerie Herremans. : c’est un très bon peintre mais il n’a
pas, dans son coup de pinceau, la manière de son maître ; il est plus proche de
Carlot. La
chapelle suivante abrite le Martyre
de saint Pierre et saint Paul, celle qui suit Saint Borromée guérissant la
peste, entouré de nombreux cadavres, par Jordaens. On voit bien
dans ce tableau qu’il a cherché à imiter le coloris de Rubens mais n’y est
pas parvenu. Enfin, à droite de la partie centrale à l’arrière du chœur, on peut
voir la célèbre chapelle de Rubens, que lui-même a ornée d’un tableau. À vrai dire, je n’en comprends pas le sujet.
Voici ce qu’on peut y voir : au premier plan, Matthieu l’Évangéliste accompagné
de son ange qui tient un livre ; derrière lui, la Vierge Marie qui confie son
fils à Marie-Madeleine ; à côté d’elle se tient encore un pieux personnage et
derrière elle, saint Joris en habit de chevalier. Ils sont survolés par des
anges couronnés. Non loin de là, du côté droit, un pilier supporte une
peinture
69r
représentant le corps sans vie d’un défuntCe que Knesebeck désigne comme étant « une peinture représentant le corps sans vie d’un défunt » par Cornelis Schut est sans doute une Lamentation du Christ. La précision apportée par Knesebeck d’un pilier soutenant le tableau nous permet de ne pas confondre cette œuvre avec la Déposition, du même artiste et également conservée dans l’église. Voir l’inventaire des retables baroques des Pays-Bas méridionaux par Valerie Herremans., superbement peint par
Schut. Un
peu plus loin, on peut voir un buste
du Bon Pasteur en bas-relief, d’une bonne facture très propre, par
de Vré.
Toutes les chapelles et l’ensemble du chœur sont fermés par de magnifiques
grilles de marbre et de métal ; la galerie placée à l’avant du chœur, en
particulier, est absolument somptueuse, toute en marbre et d’ordre ionique. Elle
abrite aussi deux petits autels dont les retables ont été repeints à neuf, mais
de bonne facture ; l’une des peintures est une Assomption de Marie. Au-dessus figure un grand nombre
d’épitaphes dont la disposition est en général la même partout : toutes sont en
marbre noir et blanc et représentent des sarcophages antiques accompagnés de
petits enfants en pleurs. Tout en haut se tiennent saint Jean-Baptiste, un Ecce
homo et une Vierge à l’épée, etc. : le dessin de ces figures, quant à lui, est
suffisamment différencié. Enfin, il ne faut pas oublier les magnifiques
peintures de vitraux aux couleurs incomparables, dues à Widenbeck.
Si l’architecture de cette église
était d’une ordonnance plus pure, on devrait la considérer comme l’une des plus
belles du monde ; il en est peu qui puissent rivaliser avec elle du point de vue
de la richesse des matériaux et des ornements. Aucune église aussi précieuse n’a
été construite à Paris ; néanmoins, celle du Val-de-Grâce est beaucoup plus belle. Je proposerai
ici une longue description de l’église des Jésuites ainsi que, en annexe, différentes
élévations établies sur place : en effet, autant que je sache, elle n’a fait
jusqu’ici l’objet d’aucune publication. Sur la page qui suit, j’en ai dessiné le
plan ; la fig.
XIV représente la moitié de la façade, mais j’ai représenté l’autre
moitié sous une forme améliorée, parce que, de façon générale, sa disposition
est d’une invention vraiment magnifique. Pour compléter mon amélioration, j’ai
également modifié l’ordonnance des colonnes, qui ne me plaisait pas. Les
sculptures de la façade sont trop abondantes et de plus, de mauvaise facture.
Les encadrements des fenêtres pâtissent grandement de la présence de frontons
brisés et autres caprices. Les statues sont beaucoup trop statiques et leur
dessin n’est pas du tout correct. Sur un côté se dresse une tour qui est lisse
dans sa partie inférieure, dorique à l’étage et pour finir ionique sur les
quatre faces. Au sommet, elle est surmontée d’une corniche octogonale en ordre
corinthien. Cette tour a ceci de particulier que les angles ont été rabotés ; à
cet emplacement, on a installé des colonnes indépendantes qui sont pourtant
reliées au reste de l’ouvrage par des bandeaux.
À l’intérieur, cette église est d’une richesse
inouïe. Elle est presque entièrement recouverte de marbre. Comme on peut le voir
sur le plan, la nef est entourée des deux côtés de deux séries de sept arcades
superposées qui reposent sur des colonnes isolées, doriques en bas et ioniques
en haut. Les arcades et colonnes mais aussi, en haut, les balustrades figurant
entre les arcades sont toutes en marbre blanc, ce qui a coûté une fortune ; le
sol et les murs du chœur sont revêtus de multiples variétés de marbre.
69v70r
Les colonnes du grand autel sont réalisées dans un
marbre rouge très précieux. Dans l’une des chapelles du côté gauche en entrant,
tout est également en marbre et très riche, mais là encore d’une composition
étonnante.
Cette église est également très riche en tableaux. Les bas-côtés et
les galeries placées au-dessus sont couverts de plafonds en boiseries lisses qui
ont été peints par le célèbre Rubens et représentent toutes sortes de saints.
Ceux du haut comportent un plus grand nombre de personnages, ils sont mieux
éclairés et aussi beaucoup mieux peints que ceux du bas, qui figurent simplement
tel ou tel saint : saint Jean Chrysostome, sainte Catherine près d’un homme
portant le harnais ; saint Grégoire de Nazianze portant le flambeau en train de
fouler aux pieds un diable ; sainte Cécile jouant du positif, accompagnée d’un
petit ange actionnant les soufflets et d’un ange plus grand qui la couronne ;
sainte Marie pénitente ; saint Basile à la colonne de feu, surmonté d’un ange ;
sainte Anne et la Vierge ; saint Athanase, saint Jérôme ; sainte Lucie
poignardée et recevant la couronne des martyrs ; saint Augustin ; sainte Barbe
derrière laquelle se tient un Turc portant une lourde épée ; sainte Marguerite
avec le dragon et l’agneau ; saint Ambroise ; sainte Eugénie tirée par les
cheveux et décapitée à la hache ; et saint Grégoire avec la Vierge. Toutes ces
figures sont peintes dans des ovales. Dans l’intervalle, devant les portes des
deux chapelles, en E. et en F., le nom de la Vierge Marie est peint dans une
gloire d’anges. Le grand retable représente la Vierge couronnée, figurée dans une gloire et, dans la
chapelle située à gauche en entrant, on peut voir en A. une Fuite en Égypte : deux pièces
magnifiques de RubensKnesebeck se trompe, le Couronnement de la Vierge est une œuvre de Cornelis Schut. Le maître-autel était doté d’un système pouvant faire alterner les retables présentés, dont deux étaient effectivement de Pierre Paul Rubens. Cf. Wilmers 1996, p. 146.. Dans la chapelle D. figure une Assomption d’Antoine van Dyck qui
est très admirée ; en face, une Nativité de Rubens, extrêmement belle ; sur le côté, une autre Fuite en Égypte d’une facture
plus récente mais tout à fait maîtrisée. Dans la chapelle A.,
on peut voir dans un cadre un Loyola
en prière dont la dévotion est excellemment rendue ; je n’ai pu en
connaître l’auteurUne peinture sur marbre de Hendrick van Balen (v. 1620)
était bien présente dans l’église, mais dans la chapelle latérale dédiée à
Saint-Ignace de Loyola et non pas à l’endroit indiqué par Knesebeck..
Cette église recèle un important fonds de sculptures, toutes en
marbre blanc et de bonne facture ; les draperies de la plupart des statues ne
sont pas d’exécution trop grossière. Dans la chapelle D., déjà entièrement
revêtue de marbre, on peut voir une Vierge à l’enfant ; sainte Christine
transpercée de flèches ; sainte Suzanne ; sainte Catherine à la roue. Sur le
maître-autel, on peut voir en haut, dans une niche, la Vierge et, à ses côtés,
les quatre anges qui portent les insignes de la Passion. De part et d’autre,
dans les niches p. et q., on peut voir en haut en q. une figure qui porte une
tête de mort, encore jeune mais déjà entièrement chauve ; en bas, un vieil homme
portant un livre ; en p., en haut, une femme au serpent d’airain ; en bas, un
homme d’âge moyen portant un crucifix. La balustrade placée devant le chœur est
ornée de belles grotesques sculptées dans un marbre blanc, avec des putti.
70v
Après cette église, il vaut encore la peine de visiter l’église Notre-Dame, ou
cathédrale, qui est un édifice gothique comme l’église Saint-Jacques et
possède aussi, de la même façon, une fausse coupole gothique. Cependant, les
ornements, lorsqu’on en a créé de nouveaux, sont précieux et de bonne
ordonnance. Les trois portes sont précédées d’un portique, comme c’est le cas
dans toutes les églises papales (même si je n’en ai pas vu au Val-de-Grâce à Paris). Ce portique jouxte
l’église et il est orné d’une architecture de colonnes ioniques indépendantes
surmontées d’arcades de marbre noir, brun-rouge et blanc, disposées comme dans
le plan qui suit.
Le maître-autel, à l’instar de ceux qui sont placés de part et
d’autre du chœur, est en marbre comme presque tous les autres. Le chœur lui-même
est fermé par une double colonnade ionique en marbre surmontée d’arcades de
marbre et d’une balustrade du même matériau. Le retable du maître-autel est
l’excellente et fameuse Assomption de Rubens. Le plan de l’autel est le suivant.
À l’arrière, la mort de
la Vierge.
Au-dessus de l’autel qui figure à droite du chœur en
entrant, j’avais pu voir, lors de mon voyage aller, une belle Descente de Croix du même
Rubens, tout
à fait incomparable et surpassant celle de Le
Brun : Rubens avait représenté les hommes faisant
descendre Jésus de la croix sans trop d’efforts. Sur le chemin du retour, je me
suis aperçu que le tableau avait été recouvert par un autre représentant un saint Christophe monumental,
peint par un disciple de RubensLe saint Christophe que
découvre Knesebeck est la partie visible du triptyque de la Descente de
croix lorsque celui-ci est fermé. Il représentait en effet sur ses deux
panneaux un saint Christophe portant Jésus et un ermite portant une
lanterne. L’œuvre n’est pas d’un disciple de Pierre Paul Rubens mais bien du maître
flamand lui-même. dont il a déjà été question à propos de
l’église
Saint-Jacques ; on a le plus souvent affirmé à tort qu’il était
de Rubens
lui-même. À côté du chœur sont placées deux chapelles
71r
qui doivent être très riches en marbre mais qui
étaient recouvertes de draps noirs lors de ma visite. Juste avant, à côté de
deux portails latéraux qui jouxtent la nef, deux très grandes chapelles sont
richement entourées de magnifiques colonnes de métal et de marbre, ainsi que de
grilles. Dans celle du côté gauche auprès du chœur, j’ai surtout remarqué un bel
autel dont le plan est le suivant.
Cet autel est orné, non d’un tableau, mais d’une Vierge sur un
globe terrestre, entourée des quatre animaux des Évangélistes, selon une
ordonnance particulière. Tout en haut se tient Dieu le Père porté par des
anges ; le tout en marbre blanc, de bonne facture et de bonne ordonnance.
Pour le reste, on peut encore remarquer, dans cette église, le tombeau de l’évêque Ambroise
Capello, en bas de la nef en retournant vers le portail inférieur, à
gauche, adossé en hauteur à un pilier. Il est dû au maître Quellinus, qui
l’a réalisé de très plaisante façon dans un marbre rouge, noir et blanc. Je l’ai
dessiné sur la page suivante parce que j’ai bien aimé sa disposition. Ce qu’il y
a par ailleurs de particulièrement remarquable en matière d’édifices à
Anvers a été
présenté par Blaeu et Zeiler dans leurs
topographies ; le premier a notamment donné une vue très précise de la
citadelle qui,
du point de vue défensif, est conforme aux anciennes traditions espagnoles, mais
d’une construction excellente et précieuse.
Après Anvers, sur le chemin du retour, je n’ai plus rien remarqué de
notable car j’ai dû le plus souvent emprunter la même route qu’à l’aller ; j’ai
cependant pu voir en Westphalie la cité épiscopale de Münster, qui ne présente au
demeurant rien de remarquable. La chapelle du célèbre Bernhard von Galen est
il est vrai ornée d’un tombeau
en marbre noir et blanc sur lequel cet évêque est représenté agenouillé. Mais
l’invention et l’ordonnance, tout comme le dessin et l’exécution, en sont
médiocres et il est dommage que d’aussi bons matériaux ne soient pas tombés
entre les mains d’un meilleur maître. Sur l’autel de cette chapelle, des images
d’argent, elles aussi très mal dessinées, sont présentées dans une petite
armoire fermée par des portes vitrées.
Pour le reste, on peut encore voir les
fortifications de la citadelle ; celles de la ville sont de mauvaises fortifications
hollandaises, de surcroît peu solides. La citadelle
elle-même est mal entretenue et se présente comme une simple levée de terre. Cependant, à l’exception de
certaines parties, il n’y a rien à redire à la disposition,
71v72r
raison pour laquelle j’en ai fait le tour
soigneusement et l’ai dessinée ici.
Du côté des fortifications et de la ville, la citadelle est mieux
fortifiée que du côté des champs ; alors que la disposition de ces derniers se
prête tout à fait à une attaque du polygone A, comme on le voit dans quelques
autres lieux, c’est ce côté qui est resté le plus mal fortifié. À mon avis, ceci
s’explique davantage par un accident imprévu qui a interrompu les travaux que
par une erreur de l’ingénieur.
72v
Ainsi se terminent les présentes remarques ; je ne souhaite pas
qu’elles soient diffusées et moins encore publiées, car je ne les ai réunies que
pour mes notes privées et pour me servir d’aide-mémoire personnel.
[Planches]
17327474375476[4] [Vue de
la façade sur rue de l’église Saint-Gervais-Saint-Protais à Paris,
modifiée par Knesebeck]La façade de l’église Saint-Gervais à Paris, dessinée avec
toute son ordonnance selon les proportions de Goldmann.
577[5] [Vue du
portail d’entrée de l’hôtel de La Vrillière à Paris]Élévation et plan de l’entrée de l’hôtel de La Vrillière, donnant sur la
place des
Victoires, Paris.
[Plan schématique du portail d’entrée de l’hôtel de La Vrillière à Paris]
678[6] [Vue du
portail d’entrée de l’hôtel Amelot de Bisseuil à Paris]
NOM de L’HÔTEL
779[7] [Plan
de l’église de la Visitation Sainte-Marie à Paris, modifié par
Knesebeck]
Chapelle
3 rangées de sièges pour les hommes les uns derrière les autres / Sièges pour
les hommes.
Chapelle.
Au-dessus se trouve le chœur musical.
Chapelle.
3 rangées de sièges pour les hommes les uns derrière les autres / Sièges pour
les hommes.
Chapelle.
880[8] [Vue de
la façade sur rue de l’église de la Visitation de Sainte-Marie à
Paris]981[9] [Plan
de la galerie des Glaces du château de Versailles, modifié par
Knesebeck]
[Les lettres figurant à l’intérieur du dessin ne sont pas restituées dans la traduction.]
1082[10]
[Disposition générale du château et du parc de Versailles
(1699)]
[Les lettres et les chiffres figurant à l’intérieur du dessin ne sont pas restitués dans la traduction.]
Plan authentique du château, du jardin d’agrément et du Petit Parc de
Versailles
tels qu’ils se présentaient en l’année 1699, au mois de septembre.
Il existe un plan général de Versailles que l’on pourra consulter pour les
parties qui manquent encore ici. Ces éléments sont dessinés à une échelle
particulièrement grande parce qu’ils ne sont pas figurés clairement ni
fidèlement dans ledit plan, et n’ont pas encore fait l’objet d’une
gravure.
A. La première grilleB. Maisons de guet surmontées de statues assisesC. L’autre grille.D. Terrasses où se tient la garde.E. Montée vers ces terrasses. F. Colonnade doriqueG. FontaineCette fontaine, planifiée à plusieurs reprises, n’a finalement jamais été réalisée.H. La cour
intérieure avec le pavage de marbreI. Terrasse derrière la maison.K. Le parterre d’Eau.L. Le parterre d’Eau.M. Bassin de
LatoneN. Fontaine au lion
et au sanglierO. Fontaine au chien
et au cerfP. Salle de
BalQ. Le Marais
d’eauR. Le labyrinthe
d’ÉsopeS. Terrasse au-dessus de l’OrangerieT. Parterre devant l’OrangerieU. Les Trois-FontainesKnesebeck intervertit deux bosquets ici : la lettre U désigne le bosquet des Trois-Fontaines, alors qu’il s’agit en fait du bosquet du Théâtre d’eau.
W. Le Théâtre
d’eauKnesebeck intervertit deux bosquets ici : la lettre W désigne le bosquet du Théâtre d’eau, alors qu’il s’agit en réalité du bosquet des Trois-Fontaines.X. Arc de
triompheY. Fontaine au
DragonZ. Bassin de
Neptunea. Promenades en lignes droitesb. [Bosquet de la Girandole]c. [Bosquet du Dauphin]d. Salle des
Antiquese. Colonnadef. g. Île
royale.h. Bassin
d’Apolloni. Bain
d’Apollonk. Fontaine de
l’Enceladel. Salle des
Festinsm. Promenade en cerclen. Fontaine de la
Renomméeo. Fontaine de la
Pyramidep. q. L’allée
d’Eaur. Bassin de
Saturnes. Bassin de
Floret. Bassin de
Bacchusu. Bassin de
Cérès1 [petit escalier]2 [chapelle]3 [Grand Appartement du Roi, salon de l’Abondance]4 [Grand Appartement du Roi, cabinet des Curiosités de Louis XIV]5 [Grand Appartement du Roi, salon de Vénus]6 [Grand Appartement du Roi, salon de Diane]7La salle que Knesebeck situe entre le salon de Diane et le salon de Mars, n’existe pas en réalité. On ne sait pas pourquoi Knesebeck a ajouté ici une pièce de mémoire.8 [Grand Appartement du Roi, salon de Mars]9 [Grand Appartement du Roi, salon de Mercure]10 [Grand Appartement du Roi, salon d’Apollon]11 [salon de la Guerre]12 [galerie des Glaces]13 [salon de la Paix]14 [Appartement du Roi, cabinet du Conseil]15 [Petit Appartement du Roi, cabinet des Tableaux]Knesebeck se trompe dans l’emplacement du cabinet des Tableaux.16 [Petit Appartement du Roi, Petite Galerie]Knesebeck se trompe dans l’emplacement de la Petite Galerie.17 [Petit Appartement du Roi, salon du Roi]18 [Appartement du Roi, antichambre des Bassans]Knesebeck se trompe dans l’emplacement de cette antichambre.19 [escalier de la Reine]20 [appartement du Dauphin, cabinet]Cet appartement se situe au rez-de-chaussée du château.21 [appartement du Dauphin, cabinet des Glaces]Cet appartement se situe au rez-de-chaussée du château.20 [Grand Appartement du Roi, escalier des Ambassadeurs]Sturm utilise deux fois le numéro 20 sur son plan : pour désigner une pièce de l’appartement du Dauphin et pour marquer l’emplacement de l’escalier des Ambassadeurs.1183[11]
[Disposition générale du jardin du château de Marly
(1699)]
[Les lettres et les chiffres figurant à l’intérieur du dessin ne sont pas restitués dans la traduction.]
Plan du jardin de Marly
Principale entrée en descente
Parc
Ici un étang vient encore d’être achevé ; il est très profond.
a. La maison du roi avec une coupoleb. La chapellec. Le pavillon du Dauphind. Les officese. Nouveaux bâtimentsf. Pavillonsg. Étangs avec jets d’eau et cascadesh. La cascade haute qui tombe de la montagnei. Allées à voûte de treillagek. Allées comprenant de nombreux berceaux de verdurel. Une route pavée qui va de l’entrée principale au villagem. Groupes de statuesn. Terrasses de terre avec ifs taillés
La disposition a été reproduite à l’identique mais les quantités sont
indiquées de manière aléatoire car, faute de temps, il ne m’a pas été
possible de les relever en détail.
dessin : 1699. Mois : septembre
NB. Les groupes ont tous été modelés uniquement en plâtre ; les autres
statues ne valent pas grand-chose. Ici, et jusque beaucoup plus loin en
contrebas, les travaux ne sont pas finis.
1284[12] [Vue
de la façade sur rue de l’église des Jésuites à Bruxelles avec
proposition alternative de Knesebeck]Élévation de l’église des Jésuites à Bruxelles avec quelques
modifications dessinées sur une page.
A. B.
NB. Dans ces modifications dessinées sur la page B (l’original correspond à
la page A), la disposition des pilastres et colonnes a été entièrement
conservée, à l’exception du demi-pilastre C qui a été ajouté :
l’amélioration ne suffit pas et quelques objections importantes pourraient
encore être formulées.
1385[13] [Vue
de la façade sur rue de l’église des Carmélites à Bruxelles avec
proposition alternative de Knesebeck]Élévation de l’église des religieuses Carmélites à Bruxelles, avec une
amélioration dessinée sur une page.
148686[14] [Vue
de la façade sur rue de l’église Saint-Charles Borromée à Anvers avec
proposition alternative de Knesebeck]